Non, Marina n’avait pas tout dit.
Elle venait chercher un peu de soutien, une caution morale en quelque sorte, mais il ne fallait pas forcément se méprendre sur sa démarche. Ce commissaire dont elle avait en quelque sorte forcé la porte pouvait peut-être faire quelque chose pour elle. Il était connu. Respecté. Mais ce n’était pas une raison pour qu’elle quitte sa retenue habituelle. Il ne lirait pas en elle à livre ouvert. Sauf si…
Elle avait défini un objectif, calculé les risques, évalué les problèmes à venir, décidé jusqu’où elle était prête à aller. Même si la frontière entre elle et lui devait, à un moment donné, être franchie. Son bonheur était à ce prix.
Certes, elle avait besoin d’aide mais rien ni personne ne l’empêcherait de chercher de son côté. Elle comptait sur Landowski pour lui communiquer des éléments qu’il serait le seul à pouvoir connaître. Faut faire partie du sérail pour accéder à certaines infos. Chacun sa tambouille !
Et puis, le moment venu, elle serait armée pour présenter les factures à ceux qui avaient décidé si légèrement de bouleverser sa vie. Elle ne savait pas encore quelle tournure prendraient les événements. Et elle essaierait de se préserver autant que possible. Par tous les moyens.
Pour Jean mais surtout pour Jamie.
Elle mettrait tout en œuvre pour que son mari revienne à la maison. Et tant pis si elle rencontrait quelques obstacles sur son parcours.
Curieusement, parce qu’elle ne se connaissait pas comme ça, elle se sentait très forte et capable d’en arriver aux pires extrémités s’il en était besoin. Et ça lui donnait un sentiment qu’elle n’avait jamais connu.
Une pêche d’enfer !
C’est exactement ce qu’elle avait ressenti une fois qu’elle s’était retrouvée seule. Les gendarmes avaient emporté l’ordinateur portable de Jean, elle s’était demandé de quel droit, mais ils n’avaient pas fouillé la maison. Il leur fallait certainement un ordre d’un juge pour faire ça. Ils reviendraient donc, le papier en main. Bientôt probablement. Mais que pourraient-ils découvrir impliquant Jean dans une sombre histoire ? Il n’y avait pas un homme plus clean que lui. Bon amant, bon père, bon chef de famille. Comment pouvait-on lui en vouloir au point de lui envoyer des gendarmes prêts à l’abattre comme un chien au petit matin au bord d’un étang ?
Il n’était pas question de se perdre en conjectures et autres plans foireux sur la comète. Marina avait donc décidé de prendre les devants. Pour quelle raison, Jean avait-il mérité ce traitement digne d’un malfaiteur de haut vol ? Brigade armée jusqu’aux dents. Secteur bouclé. Fusils d’assaut. Manquait plus que les hélicoptères et les médias. De la folie !
Une incroyable méprise certainement. Une homonymie. Une volonté de nuire. Ou alors une vengeance ne voulant pas dire son nom.
D’abord examiner le téléphone personnel de son mari. Curieusement, pour faire son jogging, Jean avait pris son portable professionnel au lieu de celui-ci alors qu’il ne se trompait jamais d’appareil. Il avait peur de tomber, de se blesser sur un parcours qu’il aimait bien rendre un peu plus difficile et alors avoir besoin d’aide. Bien sûr, il y avait d’autres sportifs dans le secteur des étangs. Encore fallait-il qu’ils courent au même endroit et à la même heure. Et puis ils évoluaient souvent dans un autre monde, les écouteurs fichés dans les oreilles. Alors pourquoi cet oubli ?
En était-ce vraiment un puisque le téléphone était posé sur la table de la cuisine et non sur le buffet à sa place habituelle ? Comme s’il espérait secrètement qu’elle s’en empare. Et qu’elle réagisse. Avait-il déjà la crainte de ne pas revenir ? En savait-il davantage sur ce qu’il allait advenir de lui ?
Pourtant la veille au soir, elle n’avait rien remarqué de notable. Il était rentré un peu tard mais comme souvent en début de semaine. Il y a toujours les couacs du week-end, les petits soucis techniques qui bousculent les plans établis. Mais de ça, il n’avait pas dit un mot.
Il avait pris une douche puis ils s’étaient retrouvés tous les deux dans le séjour pour boire un verre de vin blanc avant le dîner. Ils avaient parlé de leur journée, évoqué un petit voyage pour les vacances d’hiver et rêvé à des horizons lointains pour l’été prochain. Ensuite ils avaient mangé dans la cuisine tous les trois. Jamie était reparti dans sa chambre assez vite, la conversation de ses parents l’intéressant beaucoup moins qu’un jeu dont il sortirait vainqueur bien entendu.
Et puis Marina sourit. Ensuite, ils s’étaient rejoints tous les deux sous la couette. Proches, complices, imbriqués. Comme s’ils allaient mourir le lendemain.
Elle s’était endormie comme une bienheureuse mais c’est plus tard dans la nuit qu’elle s’était réveillée. Jean se glissait à nouveau sous les draps. En se recouchant, il l’avait réveillée. Le sommeil avait mis un peu de temps à les rattraper tous les deux.
Elle ne chercha pas à trouver davantage d’explication à tout ça. Peut-être qu’il n’y en avait pas. Et si ce n’était pas un hasard, elle finirait bien par le savoir.
Le téléphone était là. Point. Elle allait le consulter. Peut-être parlerait-il ? Elle n’était pas vraiment pressée, de peur d’apprendre d’autres vérités, d’apprendre des choses qui l’anéantiraient. La solitude soudaine lui donnait une fragilité qu’elle ne se connaissait pas. L’amour peut-être. Certainement.
Au retour de Jean, elle lui dirait qu’elle s’était permis de consulter son téléphone. Vu les circonstances, il comprendrait qu’elle avait été obligée de chercher des réponses pour tenter d’éclairer les faits incroyables auxquels elle venait d’être confrontée. Avait-elle vraiment le choix ?
Tous les deux, ils utilisaient le même code d’accès, l’un inversé par rapport à l’autre pour avoir une chance de s’en souvenir mais de toute façon, les deux appareils restaient en veille tout le temps. Donc accessibles par l’un et par l’autre. Ils n’avaient rien à se cacher.
Rien ?
Marina avait ainsi pu consulter l’agenda de son mari. Le rendez-vous prévu bien plus tôt que les autres et dont il avait parlé le soir l’intriguait. Et il y avait de quoi puisque celui-ci n’était pas référencé dans le planning du jour de son arrestation. De quoi l’interpeller d’entrée de jeu. Surtout qu’il en avait fait allusion comme s’il avait voulu qu’elle le sache au cas où il lui arriverait quelque chose. Elle commençait à gamberger, à recouper les éléments, comme si elle avait dû comprendre les messages subliminaux qu’il lui avait envoyés.
Facile d’expliquer le résultat quand la course est terminée.
La liste commençait normalement à neuf heures, s’interrompait entre midi et deux et reprenait à quatorze heures pour un point sur les dossiers en salle de réunion. Rien à signaler apparemment. Sauf ces trois petits points dans la case huit heures. Comme si Jean avait pianoté quelque chose, s’était ravisé et avait effacé les caractères. Mais pas complètement. On oublie parfois les petits points qui traînent en queue de peloton.
Du coup, elle s’était reportée vers le journal des appels. Dans les derniers, elle avait reconnu les siens puis un autre qu’elle ne connaissait pas. Elle avait remarqué quelque chose de particulier. Son mari n’avait conservé que le journal des appels de la veille de son arrestation et il n’y avait dans la liste que les échanges mari et femme qu’ils avaient eus et cet autre appel rentrant. Comme si Jean avait voulu lui laisser un indice discret mais repérable. Au cas où. Ou alors, c’était pour une autre raison…
Du coup Marina avait formé ce numéro inconnu sur le téléphone de son mari. Dans un premier temps, on avait décroché à l’autre bout mais sans prononcer le moindre mot. Elle s’était alors lancée.
— C’est Marina, la femme de Jean. Il n’a pas pu venir au rendez-vous de ce matin. En faisant son jogging, il a fait une chute et il s’est fait une double entorse. Il est en train de se faire poser une bande plâtrée.
Puis elle avait osé. Comme dans un film.
— Il m’a dit de vous dire ceci : seize heures, mercredi, Concarneau, devant l’ancien restaurant des Gens de Mer au port.
L’appel avait été immédiatement interrompu et ce n’était pas elle qui avait coupé la communication.
Là, elle était en route vers ce rendez-vous. Elle n’était pas trop fière de s’y rendre. Pure folie peut-être car elle se lançait un peu trop vite sans connaissance, sans précautions Tout pouvait arriver. Le pire comme le meilleur. Et si les choses tournaient au vinaigre, que deviendrait Jamie ?
Elle avait quitté le commissaire Landowski, il y avait une demi-heure à peine et elle approchait de Pont-Minaouët. Maintenant elle avait deux fers au feu : le célèbre flic d’un côté et elle de l’autre. Au premier, elle s’était bien gardée de parler de ce rendez-vous. Elle le voyait bien lui dire que ce n’était pas à elle d’y aller. Mais comme elle avait décidé de ne pas laisser tomber son mari…
Elle prouverait qu’il n’avait rien à faire dans cette galère. Que c’était une méprise, un coup monté, un coup du sort. N’importe quoi pourvu qu’il revienne à la maison et que la vie reprenne comme avant.
Il y avait leur couple, leur enfant, des projets, des désirs, des passions et un avenir qui paraissait bien engagé. Pas question de laisser d’autres personnes détruire cet équilibre qu’ils avaient eu, comme bien des couples, du mal à mettre en place. Non, elle ne laisserait personne leur faire du mal. Quitte à leur en faire en retour s’ils faisaient preuve d’une obstination imbécile. Elle se sentait capable d’une implacable vengeance. Sa justice à elle.
L’autre n’avait rien dit au téléphone. Il ne l’avait pas non plus éconduite en prétextant une erreur de numéro. Elle avait donc bien eu au bout du fil la personne qui avait rendez-vous avec son mari aux aurores, ou presque, le jour de son interpellation.
Et là elle s’arrêta brutalement. Elle venait d’envisager autre chose. Une femme ? Jean ?
Mais quel rapport possible avec la visite des gendarmes ? Non, elle voulait se faire peur. On n’était certainement pas sur ce champ. Ou alors il avait…
Non, non, elle ne pouvait s’y résoudre. Pas le Jean qu’elle connaissait. Et quand bien même, elle le sortirait de là pour avoir une explication franche avant d’aviser pour la suite. Elle était entrée en lutte. Elle n’allait pas jouer à la midinette. Il était trop tard.
Arrivée bien en avance devant l’hôtel-restaurant des Gens de Mer, elle regretta d’avoir fixé le rendez-vous à cet endroit. Elle en convint facilement. C’était idiot de se montrer ainsi à découvert. De s’exposer au tir d’un fondu de la gâchette, à l’agression d’un fou, au projet insensé d’un cinglé. Elle ne savait rien de ce quidam avec lequel elle avait rendez-vous. Et si c’était une femme, les choses pouvaient être encore plus incisives. Elle était prête déjà à lui arracher les yeux, pour lui faire payer tout ça !
Mais de quoi aurait-elle pu avoir peur puisque sa vie partait déjà en lambeaux. Elle allait essayer de sauver ce qu’il en restait et gare à celle ou celui qui aurait envie de décider pour elle. Elle était contente de se sentir forte, décidée, capable de tout. À en pleurer.
Il y avait des tags le long du mur d’en face. On y parlait de guerre secrète. Avec un accent aigu sur le « e ». Elle ne comprenait pas le message. Les gens faisaient ça, peut-être d’abord pour eux. Pour qui d’autre ? Elle ne voyait pas bien.
D’abord le commerce était fermé. Ensuite les portes et fenêtres du rez-de-chaussée avaient été occultées par du contreplaqué épais. Enfin la rue était déserte et une voiture garée se remarquerait comme le nez au milieu de la figure. Parce qu’elle n’avait pas l’intention de parler à quiconque pour se mettre en danger. Elle ne savait rien de rien mais elle pouvait justement en subir les conséquences. La délinquance, ça s’apprend. La riposte aussi.
Elle roula encore un peu en direction du port. Elle croisa un Fenwick qui retournait à toute petite vitesse vers la criée. L’homme en bleu et bottes blanches ne la regarda même pas. S’il fallait en plus du boulot qu’on s’intéresse aux passants…
Sinon les bâtiments de la Marine nationale entretenus régulièrement par les chantiers Piriou occupaient le fond du décor. Du gris encore. Comme si elle n’en avait pas assez en ce moment précis.
Puis elle pila. Quelqu’un venait de jeter une petite caisse en bois devant son capot pour la forcer à s’arrêter. Elle eut un haut-le-cœur puis elle poussa un cri quand la portière côté passager s’ouvrit et qu’un homme s’assit prestement.
— Mais qu’est-ce…
— Évite la caisse et roule poupée. Je te dirai !
— Je ne veux pas !
Elle avait crié assez fort. La vue d’un énorme pistolet la força à réviser ses classiques. Elle se tut et s’engagea sur le port en tournant vers la gauche. Elle remarqua aussitôt qu’il y avait des ouvriers en bleu de travail un peu partout. De quoi faire germer…
— Ôte ça de ta tête tout de suite ! dit le passager d’une voix grave qui avait bien compris. Si tu appelles au secours, tu auras eu tort de le faire… avant de mourir ! Admire plutôt ces beaux bateaux et reste sage comme une image. Ça vaudra mieux pour tout le monde !
Marina détestait cette condescendance machiste. L’autre, s’il en avait, c’était juste parce qu’il était armé. Sinon il était du genre à prendre les patins en rentrant dans le salon de bobonne.
— Promène-nous !
Elle fit avancer la voiture à petite vitesse.
— C’est ça, tu le fais bien ! Continue !
En cet instant précis, elle aurait tout donné pour l’étrangler en serrant lentement. Pour voir sa langue râpeuse sortir de sa bouche comme une vipère anémiée et baver sur son col de chemise. Pour voir ses yeux exorbités et son teint virer au carmin profond. Pour que ses sphincters l’abandonnent et qu’il se fasse dessus. Le voir crever à petit feu tout simplement. C’était son vœu le plus cher. Et ça lui donnait du courage !
De côté, elle voyait son visage huileux et elle sentait son parfum de Prisunic. Un truc à vomir. Mais ils n’étaient pas là pour une promenade bucolique. Il ne fallait pas non plus se croire dans l’une de ces séries imbéciles qui meublent les programmes télé. Elle ne rêvait pas et ses envies de meurtre étaient encore latentes.
La promenade dura le temps de passer lentement devant le restaurant La Coquille puis de remonter vers le Passage-Lanriec. À mi-côte, le passager se mit à faire des signes cabalistiques pour qu’elle comprenne qu’elle devait s’engager dans une petite rue à droite et s’arrêter. Elle eut envie de le claquer pour lui ôter l’envie de se prendre pour le roi du monde mais ce n’était probablement pas le moment, n’est-ce pas ?
Une fois le véhicule garé au ras du trottoir, il ordonna :
— Coupe le contact et file-moi les clés !
Marina obtempéra. Elle n’avait guère le choix.
— Kes tu’ m’ veut ? dit l’inconnu en singeant le parler des banlieues, gestes compris.
— C’est à moi de vous demander ça ! Vous aviez rendez-vous avec mon mari, non ? Pour quel motif d’ailleurs ? Il vous connaît ?
— Tu es bien curieuse, dis donc ! Oui, je le connais. Enfin, on s’est vus une fois et la raison de notre rencontre très perso, ça ne te regarde pas. Je suis assez clair là ? Ensuite ton mari, c’est pas toi ! Qu’est-ce que tu fous là alors ?
— Il ne pouvait pas venir. Il a eu un empêchement.
— Ah oui, l’entorse !
Il posa sa main gauche grande ouverte sur la cuisse droite de la jeune femme et il serra en ricanant.
— Vous me faites mal ! dit-elle en grimaçant.
— C’est fait pour ça, ma belle ! Pour que tu comprennes bien à qui tu as affaire ! Je peux t’en faire beaucoup plus si tu continues à me balader avec tes boniments. Fais attention !
— Lâchez-moi, je n’ai rien fait !
L’homme desserra son étreinte.
— Alors comme ça, ton mec il a fait une mauvaise chute ?
— Ça arrive, non ?
— De rencontrer un car de flics de bonne heure le matin aussi !
Il rit bêtement.
— Ils aiment bien cette heure-là. Ils sont encore très frais. Et puis il y a parfois de belles choses à voir, comme toi. Tu dois être craquante en nuisette ! On entre dans l’intimité des bonnes gens. On bouscule si on veut. On joue aux cadors. Forcément à plusieurs ! Et on a la loi pour soi !
Il s’essuya les lèvres de la main.
— Et ils ont chopé ton mari. Dis-le tout de suite où je t’en mets une pour accélérer la réponse !
Marina leva le bras pour se protéger.
— Euh oui !
— Ben tu vois ! Tu sais être mignonne quand tu veux ! Continue à être coopérative et tout ira bien.
Il ricana.
— Sinon, on s’en prendra à ta famille. Tu sais ta vieille mère qui vit seule, ta sœur qui joue falbalas pour cacher ses rondeurs. Ton fils qui marche seul sur le trottoir. Ah ah ! Et ce sera de ta faute…
— Mais qu’est-ce que vous voulez à la fin ?
— D’abord que ton mec, il la boucle en taule ! Ce n’est qu’à cette condition qu’il sortira blanc comme neige. Et ça nous intéresse qu’il sorte du placard, tu vois. On est en compte !
— Qu’est-ce qu’il aurait à dire ?
— Des trucs qui ne regardent pas les jolies femmes dans ton genre. Et puis je n’ai pas envie de faire de mauvaises rencontres comme lui. J’aime bien faire la grasse matinée, moi !
L’homme bomba le torse.
— Mais s’il a des choses à nous dire, nous, on veut bien l’écouter. On pourrait trouver un terrain d’entente. Il fait passer le message quand il est décidé. On peut même l’aider à sortir. Avec un petit coup de pouce, l’enquête peut vite tourner en eau de boudin. Faudrait qu’il soit généreux envers nous. Ensuite on règle notre petite affaire et on n’en parle plus.
— Il n’est même plus dans le Finistère. Ils l’ont transféré dans un autre département.
— Je sais tout ça et je sais même où. Tu pourras très vite faire passer un message par l’avocat qu’on a contacté. Juste pour lui dire de jouer franc jeu. Il comprendra très bien. Surtout si c’est assorti des risques qu’il ferait courir à sa famille en ayant décidé de se répandre comme une grosse larve !
Marina s’insurgea :
— Mais c’est quoi tout ça à la fin ?
— Simplement des histoires d’hommes, ma petite ! Nous, on aime bien les jeux violents et on sait faire des trucs cons. On est plusieurs à être comme ça. Ceux qui en ont assez ou qui morflent grave se rangent des bagnoles mais d’autres peuvent pas s’empêcher. Comme moi ! Je vois que le tien sait la fermer puisque tu ne comprends pas ce qui se passe. Qu’il continue, ça vaudra mieux ! On verra après. Et toi pareil, évidemment. Enfin si vous voulez vous en sortir et reprendre votre petite vie bien pépère plus tard ! Autrement on va sévir, faire le ménage ! S’énerver bêtement quoi ! C’est dans nos gênes !
— Mais il n’a rien fait !
— Tout le monde a des trucs à se reprocher, un jour ou l’autre ! Pour moi c’est clair, c’est de naissance !
Il s’esclaffa, content de lui. Puis il lui tendit les clés de contact.
— Je suis garé juste derrière toi. Vu ce que je t’ai dit de ta famille et tout ça, tu vas attendre que je tourne le coin de la rue avant de mettre la clé. Si l’on doit se revoir, ce sera que notre entretien d’aujourd’hui n’aura pas porté ses fruits. Ce sera très dommage parce que je n’aurai plus la possibilité d’être aussi gentil. Et alors ton petit mari sera forcé de comprendre enfin où se trouve son intérêt. Serait bête de se blesser gravement en tombant dans l’escalier. Il en faut du temps avant d’arriver à l’hôpital ! Y en a qui claquent dans le fourgon. Si, si ! Ça s’est vu !
Marina baissa les yeux vers sa cuisse.
— Oui je sais, dit l’inconnu, j’ai serré un peu fort. J’ai senti le muscle se raidir et je t’ai fait mal. Il le fallait pour que tu comprennes que tout ça ce n’est vraiment pas un jeu. Pour personne, moi compris ! Tout le monde a des intérêts dans la vie. Et c’est pas forcément les mêmes que ceux du voisin.
Elle ne comprenait rien. Le passager continua son discours :
— La prochaine fois je caresserai au lieu d’être brutal. Ce sera quand même plus sympa. Les temps sont comme les saisons, ils changent. Va savoir. Passe le message et fais gaffe, la miss. Fais vite parce que ça urge un brin pour tout le monde. Chacun a ses impératifs.
Il rit.
— Et puis, un accident est si vite arrivé ! On a encore besoin de toi, non ?
Elle le regarda quitter la voiture et s’installer dans la sienne. Il ne tourna pas la tête en passant. Ce n’était qu’une femme et il était satisfait. Il l’avait bien cadrée, mise au pas. De quoi satisfaire son statut de macho qu’il avait tellement plaisir à étaler. Sans compter sur Marina.
L’après-midi avait été intense et rude pour elle. C’était beaucoup. Avec Landowski, elle en avait fait ni trop ni trop peu. Avec celui-ci, elle était restée sur ses gardes, lui donnant à croire ce qu’il souhaitait. Elle avait mentalement serré les poings sans sortir des lignes. Pour Jean, pour Jamie. Pour eux, elle devait être forte. Mais c’était un peu dur quand même. Elle était seule. Personne ne pouvait la voir. Alors Marina laissa l’émotion l’envahir. Elle en avait bien le droit.
Quelques minutes plus tard, le calme revenu dans son corps et son esprit, elle se repassa un à un les derniers mots du malfrat. Elle n’appréciait pas du tout la dernière phrase, sibylline à souhait qui laissait entendre qu’elle n’en avait pas fini avec tout ça. Il ne connaissait pas Marina. C’était une menace à ne pas lui faire. Il n’avait pas joué gagnant sur ce coup-là. S’il voulait l’embarquer dans un trip tordu, il allait tomber sur un bec.
Et se faire mal, très mal.