— Personne devant !
Les pieds sur les freins, Landowski actionna le démarreur. Le Lycoming du Cessna 172 répondit aussitôt en piaffant et la carlingue s’anima sous l’effet de couple.
Il annonça à son passager :
— Décollage en piste 20 puis montée initiale. Ensuite je vais virer au 235 en direction de Rosporden et monter à 2000 pieds.
Jim se mit à rire en réajustant son casque.
— Tu vas où tu veux mais ramène-nous sur la terre ferme après la promenade si tu veux bien !
— En aéro, on annonce toujours ce qu’on va faire, précisa le pilote. Ensuite on va chercher à décrire un arc de cercle puis passer au-dessus de la propriété des Amaindry plus au sud-ouest. Après ça, je descendrai de quelques centaines de pieds pour que tu scrutes la campagne. Jamie portait un tee-shirt blanc quand il a disparu.
— S’il est là, je ne le raterai pas. Fais gaffe quand même à ne pas caresser la cime des arbres. J’ai pas envie de me rouler dans l’herbe mouillée en cette saison. Je suis sujet aux maux de gorge !
Jim plaisantait parce que la tension était palpable. Le coup de poker qu’ils tentaient n’avait malheureusement rien d’un jeu. Du goûter emporté par le fugitif, il ne devait rester que des emballages. La nuit avait été fraîche malgré l’annonce de cette remontée d’air chaud en provenance d’Afrique du Nord. Dans quel état d’esprit était ce gamin ? Jouer à l’explorateur, ça ne dure qu’un temps. La solitude sait si bien faire des ravages.
Landowski ne répondit pas. Il connaissait l’enjeu mais il était attentif à la procédure de prédécollage. Les essais moteur terminés, il franchit le point d’arrêt, pénétra sur la piste indiquée et la remonta pour rejoindre le point de décollage. Deux minutes plus tard, l’avion s’élevait dans les airs.
La confrontation de la veille avait été un exercice difficile. Landowski avait été contraint de malmener Marina pour parvenir à ses fins. Avant la réunion, il avait prévenu la jeune femme et lui avait demandé d’encaisser sans broncher. Quoi qu’il arrive. Il comptait sur la force de caractère qu’elle avait déjà montré. Lors de leur première rencontre, il avait senti qu’il avait affaire à une femme qui ne s’en laissait pas conter. Et il avait aimé ça ! Au final, il estimait qu’il avait quand même chargé la barque. Il lui en dirait deux mots. Qu’elle ne se méprenne pas.
Pour le moment, il s’agissait de rechercher Jamie et de le retrouver surtout. Les bénévoles de la battue devaient déjà être chez Amaindry d’où Jamie était parti en pleine nuit.
On savait qu’il avait emporté avec lui une petite bouteille d’eau, deux briques de jus de fruit et un étui de gâteaux au chocolat. On ne comprenait pas pourquoi il avait laissé le cartable. Peut-être pour que l’on sache qu’il était passé par là. Ensuite, il pouvait avoir pris n’importe quelle direction. Landowski pariait sur la curiosité des enfants et espérait que Jamie sorte du couvert des arbres pour regarder le petit avion évoluer dans le secteur. Fragile hypothèse posée par le commissaire. Fallait bien se raccrocher à quelque chose.
En bas, épaulé par les gendarmes, Ange dirigeait la battue. Marina était à ses côtés. Si Jim, qui scrutait la campagne apercevait quelque chose, il jetterait un fanion lesté pour marquer la zone afin que son collègue à pied inspecte le coin.
Landowski survola la ligne des bénévoles avançant dans deux champs contigus puis il décrivit une large boucle avant de revenir se placer dans le sens de la marche. En remontant vers Scaër, il remarqua un nuage de poussière le long d’une route de campagne. Il s’en approcha. Il s’agissait d’un groupe de véhicules agricoles travaillant à l’ensilage de céréales.
Le pilote décida de balayer à nouveau la zone située entre la ligne de battue et le grand champ de maïs. Les bénévoles n’avaient encore rien remarqué et les agriculteurs non plus. Il fallait espérer que Jamie soit quelque part entre les deux. Comme il l’avait indiqué, et après en avoir informé le contrôle aérien, Landowski se mit à décrire des cercles concentriques au-dessus de la campagne. Pourvu que Jamie.
Un tour. Puis deux. Trois…
Et tout à coup, Jim le vit !
— Il est là, le gamin, Lando, il est là !
— Où ?
— De mon côté, à l’orée du champ. Il est à la limite des arbres. Il observe l’avion comme tu l’as dit !
— Jette des fanions ! Vite !
Jim en laissa tomber trois.
— Je le vois courir. Il va vers les jalons. Tu peux pas te poser là ?
— Non. On n’est pas en procédure d’urgence et le terrain n’est pas bon. C’est un coup à bousiller le zinc ! Je repasse au-dessus de la battue pour indiquer le chemin.
Justement un groupe mené par Ange s’approchait de la parcelle. Avec les battements des ailes, l’officier de police comprit que les éclaireurs du ciel avaient vu quelque chose.
— C’est bon, dit Jim. Ils pressent le pas. Pourvu que le gamin ne file pas à l’anglaise !
Landowski manœuvra pour repasser au-dessus des arbres du talus et redevenir visible pour Jamie puis il traça quelques évolutions simples pour attirer le regard du jeune garçon. Et surtout l’empêcher de disparaître à nouveau.
— Il s’est assis pour regarder, dit Jim en s’agitant sur son siège. C’est gagné, Lando. C’est gagné !
Landowski sentit tout à coup l’inquiétude s’estomper. Il remit le cap sur l’aérodrome. Il avait encore fait son travail. Tout simplement.
De leur côté, les bénévoles envahissaient le champ moissonné. Marina courait vers son fils, suivie de loin par Ange peu habitué à écraser les mottes. Plus loin derrière, les participants ne se pressaient plus. Ils avaient décidé d’offrir un moment d’intimité à la maman retrouvant son fils.
— Mon Jamie, Mon Jamie ! dit-elle en serrant le gamin dans ses bras.
Ange s’était arrêté pour regarder la scène de retrouvailles. De quoi lui arracher une petite larme.
Il est où le bonheur ?
Il est là !