CHAPITRE VI
Vian avait ses ennemis habituels et, nous l’avons vu, une tête de turc familière. Mais il signalait et citait également d’abondance ceux des articles qui lui paraissaient dignes d’être lus. Jazz Hot rassemblait à l’époque à peu près tout ce qui pouvait s’écrire de convenable en notre langue. On ne s’étonnera donc pas si l’essentiel des jugements favorables s’exprimaient à propos d’auteurs étrangers, de Bernard Wolfe, d’Ernest Borneman, de Nat Hentoff. De temps en temps, ce qui se publiait de bon en France, hors de la revue spécialisée recevait les compliments mérités : entre autres les articles de Pierre Drouin dans le Monde, de Jacques Hess dans Musica, d’André Hodeir en divers lieux. Vian, qui eut un temps l’espoir de réduire tous les problèmes politiques à des problèmes techniques, Vian qui appela un moment de ses vœux une critique « objective » trouvait tout naturellement dans la démarche analytique d’Hodeir, d’une parfaite rigueur, une sorte d’idéal. On sentait aussi chez lui beaucoup d’affection et d’intérêt pour les jeunes écrivains habitant la province, les responsables du « Jazz Note » de Lyon ou du « Jazz Bulletin » marseillais de Roger Luccioni et Pierre Bompar, car il adorait les francs-tireurs.
* J’ai oublié The Second Line de janvier (un peu tard, mais mieux vaut tard que ceinture dorée). Il y a pourtant un article fort intéressant du Père A. M. Jones sur l’utilisation rythmique des tambours par les Africains, chez qui cet homme digne a vécu vingt ans.
Finirons-nous enfin par savoir quelque chose de précis sur les origines africaines du jazz ? Le Père remarque en tout cas, étudiant le cas des notes « blue » (altérations du 3e et 7e degré de la gamme), que de tribu à tribu le « degré de bémolisation » varie et qu’en fait les Noirs n’ont absolument pas notre conception de la gamme. Ce que nous croirons volontiers. Le Père ajoute que la notion de différence entre mesure à 3/4 et mesure à 4/4 échappe aussi aux Noirs : l’Africain pense en termes de motifs rythmiques. Et les musiciens noirs américains n’auraient, en partie, fait que « mélodiser » ces motifs. Bref, l’African Music Society étudie tout cela de près et nous connaîtrons bientôt des tas de choses.
Juillet-Août 1946
* Je n’ai pas l’intention de recommencer cette fois l’analyse des articles, échos et choseries parues à propos de la Semaine du Jazz, à Marigny, mais je mentionnerai cependant Pierre Drouin, et pas pour le maltraiter du tout. Le Monde a été le seul journal à publier quotidiennement des comptes rendus intelligents de cette manifestation. La croix de guerre au soldat Drouin, et voyons maintenant la presse étrangère.
Juin-Juillet 1948
* Franchissons hardiment l’Océan-z-Atlantique et tombons en Angleterre.
Rien de rien dans le Melody Maker, Jazz Journal contient ses rubriques habituelles. Jazz Music, le bimestriel de Max Jones, fait presque un numéro 1 consacré à la Nouvelle-Orléans (Lewis George est le soliste du numéro). Il y a un très très chouette article de Gray Clarke et John Davis, les discographes de Jazz Journal. (Je dis chouette parce que c’est un chouette article, bien que ce mot vulgaire me révolte à l’intérieur.)
Entre autres, il disent : « Et rappelez-vous toujours que vous avez toujours le droit de dire : Voici ce que j’aime, moi ; et je vous emm... »
Ce qui s’appelle parler.
Au fait, dans Jazz Music, il y a aussi un article de notre ami Œil-de-Launay... ce qui s’explique lorsque l’on voit en première page le nom de Hugues-le-Père figurer au conseil de rédaction ; ces deux gars-là s’entendront toujours comme larrons en foire.
Avril 1949
* Si vous saviez, mes bousingots dédorés, ce que c’est embêtant de faire une revue de presse pendant que les copains sont à Deligny. Enfin, heureusement que ma Françoise ne m’oublie pas, sauf que j’attends toujours la photo et un rancart ferme.
Cela pour vous parler de Lyon-Spectacles-Magazine, bimensuel où paraissent, sous la signature de Robert Butheau et Jean Clère, des articles pleins de lyrisme.
Lyon est un des bastions du jazz français, et l’endroit où j’ai laissé mon cœur, en outre, alors jugez un peu. Et le sauciflard. donc.
A Paris, la « Gazette du Jazz », de Michel Dorigné est parue. Relevons-y les noms de l’artiste lui-même, de Michel de Villers, de Pomdron, Willemot, Lise Beth, etc..., et reportez-vous à la « Gazette du Jazz » pour plus de détails. C’est un journal sympathique, non exempt de défauts (et Jazote, donc).
Juillet-Août 1949
* Jazz Music, la revue de Max Jones, revue fort sérieuse. Un papier sur le Festival de Paris. Passé défunt, roses effeuillées, que c’est loin tout ça ! Une étude sur l’orchestre du Dutch Swing College par Karl Hiby. Il y a une chose que je lis et qui me trouble un peu : « L’orchestre... a pour but uniquement le jazz « classique »... C’est possible... mais à Knokke, il jouait des sambas avec entrain. Cela n’est pas une vacherie dirigée contre cette formation qui a fait de gros progrès (je me méfie, mon camarade Poustochkine va me tomber sur le râble). Mais le fait même qu’ils aient eu sous la main des petits gratouillets et des ticoticotos à jouer la samba au moment où on leur a demandé me trouble, me trouble. Il y a des choses qu’on doit refuser. Non que je réprouve la samba : j’adore ça, mais faut savoir. Comme Machito, par exemple. Dans le reste du numéro, on a des souvenirs sur Saint-Louis, une étude de Saint-Denis Preston sur la salacité dans le blues (sujet qui va droitocœur du spécialiste que je suis) et dont la conclusion me plaît énormément : après avoir trouvé naturel que le Noir, invariablement pauvre, chante l’amour physique, seul délice accessible au pauvre, Saint-Denis conclut :
« Allons, soyez francs de votre âge, et répondez-moi... Qu’est-ce qu’il peut y avoir de plus agréable ? »
C’est juste, grand saint. Vous êtes excusable de ne pas connaître tous les délices... mais avez-vous songé à écouter Jacques Hélian ?...
Septembre 1949
* Revue de Presse. Presse est le mot. On n’a pas plus tôt fini d’en écrire une qu’il faut songer à la suivante. Heureusement, dans le même temps qu’il vous abrutit de demandes successives et répétées le grand chef Souplet vous donne tout de suite, pour la revue en question, deux exemplaires du magazine islandais, un du japonais plus Actualités Musicales, un malheureux Down Beat et deux Melody Maker. Alors pour varier les plaisirs, je vais chroniquer le dernier Jazote... C’est une bonne idée, hein ?
Dans Jazote, il y a un éditorial du rédacteur en chef Hodeir (surnommé Hodeir-nier-les-bons depuis qu’il s’attaque à Jimmy Noone), éditorial qui, avec l’article sur Thelonious Monk, traduit dans un style inimitable par Vernon Sullivan, est le seul à connaître les faveurs de Françoise. Pour le reste, cette douce chérie déteste Orner Simeon, Benny Goodmann et les autres et proteste contre le fait d’écrire Cozy Cole avec un S au lieu du Z. Dans la revue de presse, bourrée de coquilles, rien à signaler qu’une incompétence si manifeste qu’elle frise l’originalité. Puis viennent les pages belges, écrites en belge pour les Belges où mon vieux camarade Jean de Trazégnies, avec son objectivité coutumière, venge ses compatriotes des outrages subis à Pleyel en envoyant des fleurs à mes collègues Fofo et consorts – et à moi-même, qui n’ai, je dois le dire, pas beaucoup bien joué à Knokke.
Heureusement, pour confondre le vilain Jean, dans « Actualités Musicales », il y a, imprimé noir sur blanc, une comparaison flatteuse de mon style avec celui de l’« Armstrong des grandes années ». Hein ! c’est Françoise qui va être fière !... Ça lui apprendra, à ce méchant Jean. En réalité, il n’écoutait pas et il regardait Yetty Lee, qui, je dois le dire, se laisse voir sans déplaisir...
Sautons sur l’unique Down Beat offert en pâture à notre plume, avide de parcourir les espaces vides de l’albe feuille devant nous étalée (comme je cause bien, pas). Alors voilà. Dans la numéro du 9 septembre, il y a deux pleines pages sur Charlie Parker qui sont très intéressantes, mais difficiles à résumer. On y apprend enfin l’origine des trouvailles de Charlie Parker dont le premier amour fut, paraît-il, l’orchestre de Rudy Vallee. Amateurs de Charlie Kunz, ne désespérez pas, tout est donc possible, après tout.
Octobre 1949
* C’est déjà le sixième numéro de la Cazette du Jazz, et c’est une performance. Vas-y, Dorigné, continue comme ça ; qu’on en dise du bien, qu’on en dise du mal, du moment qu’on en parle, le jazz n’est pas mort, à l’abordage, mon frère (ça, c’est le slogan de Pallier, ça m’a marqué pour la vie). En cette gazette Chronique de Michel de Villers : opinions toujours personnelles et sujettes à caution, ce qui, de mon point de vue, fait leur intérêt, parce qu’au moins, on peut discuter.
Une grosse surprise. N° 389 de Science et Vie, février 1950 : « Le Jazz et les éléments de sa structure », par un certain Maurice Le Roux. Voilà, ma foi, une étude sérieuse et qui mériterait de se trouver reproduite par n’importe quelle revue de jazz. Un homme qui parle sans passion, avec compétence, et qui semble assez exempt de préjugés pour pouvoir écouter le vieux style et les orchestres modernes d’une oreille aussi impartiale. Votons à Maurice Le Roux une adresse de félicitations. Et retenons cette phrase : « De ce fait, leur virtuosité instrumentale aidant, peut-être trouverait-on en eux (les Noirs) les interprètes idéaux des œuvres de J.-S. Bach. » Ce qui est au moins une expérience intéressante. Par ailleurs, Science et Vie est un fort bon magazine où l’on parle des scooters, mais cela n’est plus du jazz.
Enfin, l’Allemagne. Mes chers amis, réjouissons-nous, nous avons perdu une bataille, mais l’Allemagne a gagné la guerre. C’est certainement la plus belle revue de jazz du continent. Ça s’appelle Jazz, ça coûte 1 mark, c’est entièrement tiré sur papier couché, plein de photos, couverture en deux couleurs, articles, dessins, mise en pages soignée, variétés, études artistiques, photos originales (la plus originale, certes, est celle où l’on voit Michel de Ré et Eddy Einstein, son épouse, baptiser Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, mais n’importe), photos détourées, enfin présentation absolument suffocante. On regrette une seule chose : ne pas être né de l’autre côté du Rhin. Que voulez-vous, ça nous apprendra. 32 pages dont deux de publicité. C’est peut-être le seul point crucial : est-ce que ça peut tenir comme ça ? L’avenir, messieurs, l’avenir nous le dira.
Février 1950
* La revue allemande Jazz Podium n° 6 est une grande revue fort copieuse éditée à Vienne en langue allemande et à laquelle collaborent notamment Joachim Ernst Berendt et Zimmerle.
Un gros article sur la marihuana, rappelant quelques faits et donnant des noms. Naturellement, comme toujours, le mal n’est pas attaqué à la racine, aussi je vais me permettre d’apporter au problème la solution que mon génie latent m’a permis de concevoir aussitôt.
Tant que les filles (et les dames), en Amérique et ailleurs, feront autant de chichis pour se laisser trousser, les pauvres hommes qui n’ont pas le temps de leur faire la cour avec la lune et les poètes et qui ont la faiblesse de les croire raisonnables, chercheront un dérivatif dans les stupéfiants ou la pédérastie.
La France, dans les milieux musicaux, n’est pas encore trop contaminée, mais attention, ça vient.
La solution : naturellement, il faut les rouvrir. D’ailleurs ce furent les berceaux du jazz.
Bref, Jazz Podium est une excellente revue.
Juillet-Août 1950
* Un petit retour en France pour signaler un excellent article de Bernard Wolfe dans Les Temps Modernes, « Extase en noir ». Bernard Wolfe est le collaborateur de Mezzrow dans Le Vrai Bleu.
Octobre 1950
* La curieuse perspicacité dont fait preuve Franc-Tireur du 20 octobre, nous incite à lui adresser des félicitations, bien que par ailleurs, ce journal accorde à la politique beaucoup plus d’importance qu’à la musique de jazz, erreur, hélas, trop commune. Franc-Tireur commente les récentes décisions prises par le Hot Club de France (vous savez bien, ce Hot Club, composé de cinq personnes en une) et conclut ainsi :
« La touchante conclusion qui préside à ces excommunications fera peut-être sourire certains mélomanes ; mais tous seront d’accord pour louer les hot-clubmen d’avoir pris une troisième décision ; celle d’exclure tout membre qui aurait le préjugé de race. Quand on aura exclu aussi ceux qui ont le préjugé de goût personnel, tout sera parfait dans les meilleurs des orchestres. »
Hé là donc ! c’est-y pas sournois, ça, mon Huron. Comment osez-vous ! mais c’est le plus dangereux, le préjugé du goût personnel ! c’était sous-entendu !
Paris-Presse du 25 octobre commente également cette réunion du H.C.F. Dame, maintenant que le H.C.F. manque d’organe, faut bien se rabattre sur les trous à boucher des pages de fantaisies de la presse parisienne. Pourtant Hugues sait bien qu’à Jazote on est prêt à publier tous ses articles, et sans commentaire, encore. Enfin, c’est un ingrat, ce type-là. Il n’y a rigoureusement plus que moi qui parle de lui, et il n’en tient aucun compte. Je devrais au moins être secrétaire général honoraire du H.C.F.. Mais rien, pas une fleur, pas un ruban, pas une médaille. Les rosses.
Dans France-Soir du 13 octobre, une pleine page sur le jazz. Plein de choses journalistiques, mais une bonne vérité en passant « le jazz est une musique de Noirs écrite par des Noirs pour des Noirs ». « Jouée » vaudrait peut-être mieux qu’« écrite ». Au fait, il faut les deux. Il faudrait aussi ajouter que les Blancs ont le droit de s’y essayer, tant pour la pratique que pour l’audition. A côté de cela quelques trucs du genre : les orchestres jazz n’ont pas de chef qui font sauter trop haut parce que dans ces temps de misères les plafonds sont bas.
Novembre 1950
* A tous les lecteurs de Jazote (onze mille environ, sans compter les clarinettistes dixieland) qui ont écrit à la direction de ce magazine pour se réjouir d’être enfin débarrassés de ma revue de presse, salut. J’étais pas mort, et c’est bien fait pour eux. Quant aux autres, mes quatre fidèles supporters, je leur fais la bise affectueusement, parce qu’il y a longtemps qu’on ne s’est vus, hein, et que ça justifie tous les épanchements.
Sur quoi je vous ferais bien volontiers une revue de presse, mais la presse en question me fut fournie par Delaunay encore plus parcimonieusement que de coutume ; ayant décliné l’offre gracieuse des magazines islandais, zoulous, estrangéliciens et autres variétés de sanscrit, j’ai dû me rabattre sur un malheureux numéro du bulletin du Hot Club de Barcelone ; d’ordinaire, je le passe sous silence, mais les notables progrès que je viens de réaliser dans la langue castillane m’ont permis de l’analyser de fort près.
L’éditorial se félicitant d’abord du travail considérable réalisé par le Hot Club de Barcelone en 1950, et notamment de « su instalación en un local realmente ad cuado » ce qui ne pourra, je l’espère, laisser personne indifférent, passe en revue les activités musicales écoulées. Il se termine hélas par un appel au peuple et réclame une augmentation des cotisations, un aumento de cuotas, en d’autres termes, que nos asociados sauront comprender y acceptar para que el Hot Club pueda subsistir.
Nos meilleurs vœux au H.C. Barcelone, puisse-t-il recevoir mainte peseta. Cela dit, envions les membres de ce H.C., qui n’ont à lire par mois, que quatre petites pages ronéotypées, contre quarante-quatre interminables tartines de Jazote. Notons également que les cotisations s’élèvent à 30 pesetas par mois pour les caballeros et 12 pour les senoritas, ce qui trahit ou une remarquable galanterie des premiers ou une inquiétante rareté desdites senoritas.
Et voyons la suite.
En Belgique, paraît maintenant une dénommée « Revue des Disques », dirigée par C. Dailly et qui se propose de publier un catalogue général et une critique des disques parus ou à paraître dans le mois. Cela semble fort intéressant pour le collectionneur ou l’échangiste, d’autant que la rubrique jazz est tenue par notre excellent ami Carlos de Radzitzky (chaque fois que j’écris son nom, j’ai des sueurs froides parce que j’ai peur d’oublier un z et ce malheureux ami a déjà été tellement estropié que j’aurais honte de le mutiler un coup encore). La présentation de la « Revue des Disques » est excellente et fort claire et la publicité, lorsqu’il s’en trouve, est localisée sur la page de gauche, ce qui est très commode. Le numéro du 15 décembre nous apprend notamment la réédition par Parlophone (DP 239) du sensationnel Tooun through the roof de Notre Père Ellington. Ah ! être Belge avec des grosses rentes !
A bientôt, lectrices chéries, lecteurs adorés.
Février 1951
* Record Changer, de plus en plus, accorde tant de place à la musique dixieland blanche (ou ce qu’il est convenu de désigner ainsi) que ça finit par vous briser les nougats et qu’on est heureux de retomber sur un bon Down Beat : à tout prendre, ça finit par être le seul lisible...
Ou mieux, deux bons Down Beat, ceux, respectivement, du 23 mars et du 6 avril.
Down Beat recueille, depuis le numéro du 23 mars, le « Blindfold Test » de Leonard Feather, qui est sans doute (et sans difficulté) la meilleure invention de ce bon Leonard. Ça consiste à faire entendre à des musiciens des disques peu connus ou très récents, sans leur dire de qui est-ce pour « tester » leur oreille. C’est assez drôle ! Qui, en France, s’y soumettrait volontiers ? (épineux problème des Noirs et des Blancs, etc... il y a de très jolies choses à faire dans cet ordre d’idées.)
Numéro du 6 avril :
Premier article : Paris n’est plus ce qu’il était au point de vue Jazz...
Hé ! voilà ma foi un article où l’on rencontre quelques pertinentes vacheries concernant la mentalité de l’amateur moyen... (oh ! combien) et le niveau des orchestres de jazz actuels de la capitale... Qu’est-ce que vous voulez, on a beau être des génies, nous autres, en France, il y a aussi le travail...
Une rousse musicienne, Norma Carson, jouerait, paraît-il, comme feu Fats Navarro !
Voilà qui sonne fort agréablement. Faut la présenter à Kathleen Stobart. J’ai toujours eu un faible pour les orchestres féminins – (pour les regarder, je précise...)
Et sur cet ignoble rappel d’une sexualité jamais assouvie (sic) je vous tire ma révérence.
Mai 1951
* Ernest Borneman dans M.M. fait un copieux compte rendu de l’autobiographie de Ethel Waters, « His Eye is on the Sparrow », qui vient de sortir aux U.S.A. Ma foi, les citations de Borneman nous mettent drôlement en appétit. Révélations sur Fletcher « Smack » Henderson, sur Bessie Smith, fort humoristiques et savoureuses.
Encore un livre qu’il faut traduire en français. Gageons qu’on va se l’arracher parmi les traducteurs... (moi, je ne me mets pas sur les rangs, je traduis les mémoires du général Bradley, c’est encore bien plus swing).
Juillet-Août 1951
* Merci à Jeff Sommer pour la lettre qui nous signale la parution en Allemagne d’une nouvelle revue, Jazz Tempo, « faite avec toute la grundlichkeit chère aux Allemands », nous dit-il. Effectivement voici Jazz Tempo, une revue de petit format agréablement présentée malgré le côté un peu endeuillé de sa marge noire.
* Comme tous les ans à la même époque, les vacances sont finies et, à moins qu’on ne se décide à faire quelque chose contre ça, on est sûr que ça va recommencer en 52 ; mais le gouvernement qui s’occupe d’école, paraît-il, au lieu de se borner à y aller lui-même. veut y faire aller les autres ; tout va mal ; donc, une revue de presse de plus n’aggravera guère les choses ; allons-y sans inquiétude.
Passons sous silence les publications de langue française : nous n’avons sous la main que Le bonhomme Froissart (eh ! oui, ça existe) qui se borne à reproduire un article de Raymond Vanker paru dans « Constellation » et dont nous avons dit le bien que nous pensions en ce lieu même. Nous aurions pu vous entretenir du mariage de Sidney Bechet, mais c’est déjà une vieille affaire, qui remonte à 1928 exactement, paraît-il, et nous aimerions avoir l’air à la page.
Ecumons donc la presse étrangère.
a) Outre-Manche.
Retenons tout d’abord un vieux vieux Jazz Journal de juin 1951 sur la couverture duquel s’étale le ravissant Lonnie Johnson, avec une bande jaune en haut, une bande jaune en bas (moins large) et de l’imprimé par surcroît. Eh oui, c’est comme ça.
Article de tête sur Roy Carew, vieux de la vieille de la Nouvelle-Orléans, où il vécut de 1904 à 1919, et compositeur de « rags » ; autre moitié de l’article : Tony Jackson, également ragricant (ce qui est une contraction de « fabricant de rags »).
Puis vient une page de conseils sur la façon de bigorner soi-même un pickeupe à 33 tours 1/3 (n’oubliez pas le tiers). Initiative fort louable.
Une page ensuite sur les nouvelles d’Amérique. Et un article de Steve Race qui expliquera enfin à certains pourquoi un si bémol s’appelle un do sur la trompinette ou le corniflupet. (Alors que c’est un si bémol, bien que certains persistent à l’identifier au do par de répugnantes distorsions.)
Et maintenant, vous savez tout ; mais j’ai encore là une bonne douzaine de Melody Maker. Dame, ils ne sont pas tous d’actualité et ceux de juillet sont violemment consacrés au Festival ; celui du 21 en particulier, titre sur cinq colonnes : ROYALTY HONOURS JAZZ, ce qui se comprend de soi-même, je pense. Y a la photo d’Elisabeth de profil et de profil (mais c’est pas le même ; eh ben ! vous savez, elle est pas fière, elle a même causé à Sid Phillips. Et Graeme Bell a fait jouer l’hymne national à quatre orchestres réunis, quand Elle (izabeth) est entrée dans son box (ça veut dire loge en anglais, mais je tâche de la discréditer parce que je suis un peu anar). Brillant compte rendu par Max Jones et Leonard Feather de cet événement qui, somme toute, a bien des points communs avec la prise de la Bastille. Mais les Anglais font tout plus décemment.
Dans le M.M. du 28 juillet, il y a un article terrible d’un élève de Ledru, sûrement, sur le « contrôle du souffle » dans le saxo ténor, avec des dessins du diaphragme ! Ah ça, alors, c’est encore mieux que la colonne d’air ! Mais je me demande toujours pourquoi ces longues digressions sur le souffle : après tout, les pianistes aussi ont un diaphragme, mais ils ne nous en parlent pas tout le temps. Et puis on peut toujours demander à un autre de souffler, l’essentiel c’est de garder les doigts sur l’instrument. Bref, Sidney Bechet se marie dans le numéro du 11 août, mais on l’a déjà dit, Cab Calloway vient de se remettre à la musique (vient, enfin, le 11 août) et Beiderbecke était dans une catégorie à part, voilà ce que je me tue à vous dire depuis qu’il est mort (maintenant, il n’est plus dans une catégorie à part, le pauvre vieux). Et le Melody Maker est un excellent journal, mais douze numéros d’un coup, c’est tuant.
Combien, ô combien je préfère tenir en main un numéro d'Intérim, revue curieuse du personnel de l’O.E.C.E. Curieuse par la qualité du papier, remarquable – mais c’est pas eux qui paient – et le sommaire. L’éditorial précise que la chose s’adresse au « groupe des revenus supérieurs » qui sont « tous cultivés »... Souhaitons que leur « culture » en matière de jazz ne se limite pas à la lecture de cet article qu’Intérim contient. Un article qui s’adresse aux profanes ne devrait pas être écrit par un profane, moins que tout autre ; néanmoins, l’auteur a fait preuve de bonne volonté et nous lui accorderons l’indulgence du jury (après tout en matière de jazz, on a tous écrit beaucoup plus de c... que lui depuis que Jazote paraît...).
b) Outre-Atlantique.
Et hop, vous vous attendez à atterrir à Nouillorque, mais c’est en Argentine, ah, ah, avec Jazz Magazine, ah, ah, que nous abordons maintenant. Notre connaissance fort ponctuelle de l’espagnol nous permet de vous signaler nonobstant qu’on parle d’Oscar Aleman... Mais qui de vous, jeunes couches, s’en souvient ? Il aurait une formation de trois violons, une clarinette, contrebasse, piano, guitare et batterie, sans compter lui-même. Et il joue toujours Daphné !... ay, que nous sommes vieux !...
c) Outre-Panama.
Cela désigne l’U.S.A. puisque nous revenons d’Argentine. The Record Changer de juillet-août est un gros numéro louable de 90 pages, qui contient une histoire illustrée du jazz.
Ça ne se résume pas, mais ça devrait être dans la bibliothèque de tout amateur. C’est plein de très très chouettes photos, il y a même celle de Buddy Bolden qui date d’avant 1895. Et il y en a des tas d’autres, toutes fort peu connues, dont bon nombre absolument sensationnelles. Tâchez de vous procurer ce fascicule. Pendant qu’on est dans les « spéciaux », Metronome vient de publier son second « Yearbook », Jazz 1951 (ça me rappelle quelque chose) qui est certes fort bien mis en pages et très aéré, mais moins riche et moins feuillu que le Record Changer. Cependant, il contient de bonnes photos aussi, dont une très belle de Jimmy Blanton. Mais il parle beaucoup trop de Buddy De Franco et il coûte un dollar (le R.C. coûte la moitié, hé hé, ces sordides questions ont leur importance).
Numéro ordinaire d’août de Metronome. Couverture, moitié moitié, Louis et le Duke, ça fait une belle paire. Enthousiaste article sur le nouvel orchestre d’Ellington, dont vraiment tout le monde paraît ravi, long papier de Mercer Ellington sur son père auquel il paraît vouer une admiration que nous comprenons assez bien. (C’est quand même une drôle de veine d’être le fils d’Ellington, non ?) ; bref, un numéro de Metronome où on parle pas mal de jazz... L’éditeur George Simon y va de son mot sur la drogue, qui décidément fait couler de l’encre aux U.S.A. Mais je vais m’égarer sur de dangereuses et partisanes constatations, il vaut mieux ouvrir vite un ou deux Down Beat. Et ça y est : dans celui du 27 juillet, encore la drogue ; on accuse les musiciens, on les martyrise, c’est une cabale, je vous dis ; d’ailleurs vous connaissez mon point de vue, mes petits cocos verts : je suis pour la liberté intégrale, ce qui ne veut pas dire qu’on doive entendre du Stan Kenton toute la journée à la radio. Ce numéro du 27 est consacré presque tout entier à Glenn Miller. C’est quand même curieux. Cet homme a eu une idée dans sa vie, paraît-il : écrire une partie de clarinette tout en haut des saxes ; eh bien, vous me croirez si vous voulez, ça a suffi pour le rendre célèbre. Le tout, c’est pas d’avoir beaucoup d’idées, c’est de s’y accrocher dur. Plaisanterie à part, son orchestre sonnait bien et quand nous l’entendîmes à la Libération (sans son chef, disparu en avion) ça faisait plaisir.
Dans le D.B. du 10 août, l’article de la série des « Bouquets » est consacré à Kid Ory. Encore plein de vieilles photos.
Ah ! si on faisait une histoire photographique du jazz en 1 000 pages, avec vingt lignes de légende (en tout) et cent albums d’illustration musicale.
Septembre 1951
* Je ne commenterai pas Musica Jazz, puisque je ne veux pas acculer Arrigo au suicide et qu’il est définitivement incontestable que je ne comprends pas l’humour italien (et vice versa).
Par contre, comme je commence à piger l’espagnol, fort belle langue, je vais commenter le bulletin du Hot Club de Montevideo. Sympathique bulletin ronéotypé qui s’étend avec enthousiasme en cinq pages serrées sur la venue à Montivedeo (il s’agit d’avril 1951) de l’orchestre de Cab Calloway. Le fait est que la composition de l’orchestre : Hilton Jefferson, Ike Quebec, Gene Mikell, Sam Taylor, Eddie Barefield, « Doc » Cheatham, « Shad » Collins, Jonah Jones, Paul Webster, Eddie Burke, Butch Burril, Milton Hinton, « Panama » Francis et Dave Rivera semblait violemment alléchante.
Un fort bon bulletin.
Trois numéros de Jazz Magazine, d’Argentine, qui lui aussi s’attarde dans le numéro d’avril, sur Cab. En mai, la vedette est à Django, sur quatre pages. En juin à Mildred Bailey.
Bien présenté, bien imprimé, ce petit magazine paraît avoir un fort bel avenir. Nous le lui souhaitons.
Octobre 1951
* Jazz Journal publie une longue étude sur Andy Razaf, l’excellent parolier de nombre de chansons de Fat’s Waller. Article à lire. Une amusante anecdote y est rapportée : comme Waller et lui se rendaient au théâtre où se poursuivaient les répétitions de leur opérette, avec les paroles toutes fraîches de Ain’t Misbehavin, un pigeon volant au-dessus de leurs têtes... visa juste sur la feuille qu’il éclaboussa copieusement.
« C’est du bonheur ! C’est du bonheur ! » s’écrie Fat’s.
Et il ajoute un instant après :
« Mais c’est quand même une veine que les éléphants ne volent pas ! »
Le reste du numéro est de la qualité habituelle.
Presse américaine.
Record Changer, septembre et octobre.
Peu de choses dans le premier de ces deux numéros, bien vide.
Dans le second :
Vers une définition du jazz, par Marshall Stearns, professeur de littérature anglaise au Hunter College de New York, critique de jazz réputé.
Voici le résultat final :
Le jazz est une musique américaine basée sur l’improvisation, utilisant l’instrumentation européenne et combinant les éléments d’harmonie européenne, de mélodie eurafricaine et de rythme africain.
Cela vous plaît-il, mes pistouflets ?
Suit un fort bel article. A peu près le seul du numéro.
Et voilà pour cette fois. A la revoyure.
Une bise à mes lectrices chéries.
Novembre 1951
* Dans le numéro de janvier de jazz Journal, une double page sur l’ami Jimmy Archey que les amateurs français connaissent bien.
Il y a aussi, page 9, un très charmant dessin ; c’est un jeune musicien armé d’un banjo et qui gratte un Washboard avec ses pieds tout en gueulant à l’adresse de son perroquet : « Non, non et non ! C’est après le TROISIEME chorus qu’il faut crier « Oh, Play that thing ! »
Moi, j’adore les histoires de perroquets, aussi celle-là m’a bien plu, surtout que ce bestiau a une bobine très plaisante. Pour le reste, les habituelles et bonnes chroniques.
Février 1952
* Down Beat, 7 mars. Encore Nat Hentoff. Et cette fois sur le problème de la discrimination raciale. Eh bien, vraiment, c’est un gars. Il faudrait citer tout l’article.
« Comparé à Lennie Tristano, dit-il, Stan Kenton est à peu près aussi « progressiste » que Turk Murphy (un dixielander). Et Murphy, au moins, n’a pas de prétention. »
J’aime pas Tristano, mais c’est vrai, Nat Hentoff a le droit d’aimer Tristano, pas ?
Et puis, Hentoff dit que Harris Bill, c’est zéro à côté de Vic Dickenson ou Tyree Glenn, et il ajoute d’autres choses encore, et termine par ces paroles qui le confirment comme un dangereux ennemi du jazz (H.C.F. dixit) :
« Savez-vous que la Rage de Vivre, de Mezzrow, est un best-seller en France ? Maintenant qu’il a écrit son charmant roman, croyez-vous que Mezzrow écrira un jour son autobiographie ? »
Oh ! mais, Nat ! Alors ! La Parole ! T’y crois pas, toi !...
(Maintenant, vous comprenez pourquoi j’aime bien Nat Hentoff ? C’est un type qui écoute avec « ses » oreilles et qui lit avec « ses » yeux.)
* Pour une fois, cette noix de Charles (c’est Delaunay, mon directeur vénéré) m’a inondé de Down Beat. Je vais prendre la mouche et refuser d’en souffler mot, mais j’ai pas de dignité, et en plus, je suis zazou. Alors, en voilà des fragments mal digérés. (Je parle pas du Record Changer, vraiment, au fond, il n’y a rigoureusement que la couverture de bien.)
Apparaît subitement, dans Down Beat, la signature d’un nommé Nat Hentoff. Ça a vraiment d’air d’une belle grande vaque. Voilà qu’il dit (n° 8 du 8 février) :
« Et il est également vrai qu’un solo de Lee Konitz ou de George Lewis vous en apprendra plus sur le jazz que tous les longs développements de monsieur Panassié... »
Hein ! Encore un à qui il va falloir faire la guerre, ami Doutart. Vivement, constituez donc une flotte de débarquement.
Avril 1952
* Cette revue de presse coïncidant avec le Salon de l’Auto (ou à peu près), j’en profite pour vous dire tout de suite qu’il faut pas acheter de Comète, c’est un veau et que la quatre chevaux Renault, à mon avis, ça tient du crime contre la matière et contre l’esprit, et que je comprends pas les pauvres cruches qui roulent avec ça alors que c’est si simple d’aller à pied. Bon. Cela dit, le Melody Maker du 6 septembre comporte encore un papier de Ernest Borneman plein de détails ultra-fascinants sur les tambours et instruments du Brésil : les atabaques ou tambaques, tambours de bois d’environ 50 cm de diamètre, et de 30 cm à 2 m de haut : le plus grand est le ilû (le mot également utilisé à Cuba pour désigner les tambours de la secte lucumi) ou rum, le moyen est le rumpi, le petit le lé. Il y a aussi les trois batas, tambours en gobelet avec peaux de chèvre. Le plus grand des trois, presque disparu, était le bata coto ou tambour de guerre, mot qui survit dans la « batucada », cette danse popularisée par Katherine Dunham.
Mais il y a encore le pandeiro, le cuic, le reco-reco, et toute la famille des gratouillettes ou bruissouillettes, telles que l’agé (connu aussi sous le nom de cabaça, anzà ou canzà au Brésil, de guiro, atchéré, awé-koesola ou bakoso à Cuba).
Il y a l’afoché, le caixambre, le caxixi et le berimbau, le chocalho, le chechere, le xaquexaque, l’agôgô...
Non, ce n’est pas une blague. Il y a tous ces bidules-là, au Brésil. Notre père Gillespie est un peu arriéré, qui se contente du vulgaire bongo. Et je ne parle ni du malimba ni de l’afofié.
Vraiment, quand il parle en anthropologue, Borneman est très intéressant.
* Bulletin du Hot Club de Montevideo. J’y lis avec plaisir que le tenancier de la rubrique Revue de Presse signe « Boris Good Enough » ce qui, correctement prononcé, doit évoquer Godounov ; mais là n’est pas le point ; le point est que je salue ce lointain confrère qui est frère tout court par ce beau prénom que je porte avec tant de distinction. (Mais oui.) Ce bulletin, publié en ronéotypie, date d’ailleurs de mai 1952. Sur celui de juillet, un article intitulé « Panorama des trompettistes modernes » comporte un de ces graphiques à faire crever d’envie le père Delaunay, un graphique du type arbre généalogique avec renvois, flèches, barres, et tutti quanti. Parfait.
M.M. du 13 septembre – et encore Borneman, qui décrit le cortège du carnaval brésilien de 1899, bien voisin, semble-t-il, de ces cortèges de la Nouvelle-Orléans tant célébrés. On dirait que parallèlement au jazz d’Amérique se développait au Brésil une musique tout aussi noire d’origine que je n’en serais pas surpris.
Ces études bornemaniques sont fort intéressantes et fort instructives ; ajoutons qu’il cite une fort substantielle bibliographie.
Octobre 1952
* Y a rien du tout pour nous dans Music Views, la jolie petite revue publicitaire de Capitol, mais il y a quelques excellents gags, des mots d’artistes de première bourre, comme celui que l’on prête à Rose Marie concernant New York :
– Dans quel autre endroit au monde peut-on entendre les oiseaux tousser à son réveil ?
Et Sheila Bond, qui dit à Jim Henaghan qu’elle a vu un film « tellement mauvais que les gens faisaient queue pour sortir... » Quant à Herb Chriner, évoquant le nouveau sous-marin atomique en construction aux U.S.A., il raconte le plus sérieusement du monde : « Il émergera une fois tous les deux ans seulement, pour que les marins puissent se rengager !... »
Je trouve que c’est des mots d’auteur excellents. Si vous n’êtes pas de mon avis, envoyez-moi des colis de plastic. A part ça, y a encore une photo de Mara Corday dans Music Views. Rappelez-vous, je vous ai signalé Marilyn Monroe avant tout le monde ; eh bien ça y est, c’est une vedette. Avis à mes lectrices chéries, comme d’habitude, j’attends des photos très révélatrices (y a longtemps que ça ne m’avait pris).
Novembre 1952
* Revue de presse contrepète presque avec Rêver de Prusse, et cette constatation d’un bleu déprimant et cyanuré n’est pas faite pour me rendre mon humeur joyeuse de jadis. Quand même, dire qu’il m’aura fallu tant d’années pour m’en apercevoir...
Et à propos de bleu, si je vous parlais d’un autre – mais qui doit être indigo, d’après son origine... C’est Blue Rhythm, une nouvelle revue de jazz, émanée directement de Bombay avec un petit parfum de Gange et de Taj Mahal (j’ai idée que si je me goukha un peu dans la géographie, personne n’y verra que du feu (sikh). Bref, l’editor se nomme Niranjan M. Jhaveri, les associates Jehangir B. Dalal et Coover Gazdar, ce qui fait bien couleur locale, et plaisanterie à part, c’est un fort présentable cahier. Adresser la correspondance à P. O. Bag 6501, Cumballa Hill P. O., Bombay 26. Ça coûte une roupie l’exemplaire. Vous y trouverez notamment (n° 2) « Mes premières impressions de Jazz », par le docteur Navinkumar Dalal. Le tout en anglais – dommage, j’avais là une belle occasion de me mettre à l’hindoustani. Qui plus est, ce magazine hindou comporte aussi une étude sur le jazz au Japon. Et si après ça vous avez mal au crâne, prenez une bonne jouvence de l’abbé Grorat.
Janvier 1953
* Record Changer. Un papier de Alan D. Dare sur le Jazz et la sentimentalité. Bon papier. Citons un passage : l’auteur de l’article, tenant en main un jour un album de disques de jazz, lut dans le commentaire une phrase qui le mit sur la voie ; l’auteur du commentaire remarquait :
L’exécution nettoie soigneusement le morceau de toute trace de sentiment !
J’avais compris ! Le jazz n’est pas une musique sentimentale. Ce n’est pas à dire que le jazz est vide d’émotion, mais uniquement de sentimentalisme. Les émotions de base, brutes, sans les chiffons du sentiment, sont les émotions du jazz.
J’ai souvent remarqué que lorsque Louis Armstrong, par exemple, joue ou chante un morceau comme « A kiss to build a dream on », cela sonne très différemment de l’exécution par un orchestre ou un chanteur populaire moyen... Quand Louis joue : l’intonation et le timbre de son jeu rendent évident le fait que le « rêve » qu’il « bâtit » de la sorte n’est pas un rêve d’amour sentimental ou romantique, ni un rêve de pantoufle et de fauteuil au coin du feu avec Bobonne à ses pieds la tête sur ses genoux...
Voilà une partie de ce que dit M. Dare. J’ajouterai un commentaire. L’intérêt que le public français prend parfois aux chansons américaines vient souvent de ce qu’il ne comprend pas les paroles.
Février 1953
* L’Illustré, revue hebdomadaire, genre Point de Vue, suisse, publie un machin de William E. Richardson, les Rois du Jazz, adapté par Frank Jotterand, un journaliste fort sympathique.
Le texte de William Richardson est évidemment un peu axé sur le « pittoresque » ; il s’accompagne de bonnes photos, mais c’est un peu simplifié, tout ça. Et quelques erreurs (définition du style « straight », etc...). Cependant un doute s’élève en moi. Qui est donc William E. Richardson ? « Les spécialistes que j’ai consultés aux H.C. de Paris »... dit-il notamment quelque part... Plausible ? Et si William Richardson était Panassié ? J’ai un argument massue : en effet, Richardson ne dit pas beaucoup de bien de Mezzrow. Cela ne s’explique-t-il pas ? Panassié était bien obligé de changer de nom pour oser dire du mal de Mezz !
Enfin... ouf... un magazine de jazz de langue française, Jazz Note, édité à Lyon. Comité de Rédaction : trois Henri (Devay, Durand, Gautier) et un Pierre (Roger). Au sommaire un reportage de Jean Martin intitulé Ah Ah Ah, les Haricots Rouges... dont le ton, ma foi, est assez marrant. Bonne idée, cette revue, les gars. Ça sert, les revues, ça sert. Continuez, et mes meilleurs voeux, collègues !
Mars 1953
* J’ai là une pile de coupures de presse flamandes qui doivent concerner J.A.T.P. Je me suis mis aussitôt à l’étude du flamand. C’est long. A part ça, c’est dans le Soldatenpost de Belgique, le journal de l’armée, qu’il y a comme ça une rubrique régulière de jazz ; c’est pas mal, non ? Vive l’armée belge.
Mai 1953
* Christian W. Livorness signale qu’il existe dans un livre de James Jones « From Here to Eternity » des pages entières consacrées à Django. De fait, j’ai eu le livre en question entre les mains voici trois ans environ, et c’est je crois, Kenny Clarke qui me l’avait signalé. Un livre énorme, qui obtint un gros succès aux U.S.A., qui fut d’ailleurs le livre « lancé » le plus fort de l’histoire de la librairie américaine ; on consacra je crois à l’époque 22 000 dollars à sa publicité (si je me souviens bien). Le fait est que l’on ne peut rien trouver à redire à l’exactitude des commentaires faits sur Django par l’auteur.
* Les austères Temps modernes se placent ce mois-ci à l’avant-garde de la presse française en publiant deux articles des plus soignés sur le jazz, dus à nos collaborateurs Lucien Maison et André Hodeir. Le premier fait le point des rapports du jazz moderne et du jazz ancien dans une étude fort intéressante de l’état du jazz actuel. Le second traite avec la pénétration et le soin du détail que connaissent bien les lecteurs de Jazz Hot, de l’influence du jazz sur la musique européenne.
Hodeir fait justice des légendes qui entourent les contacts qu’eurent avec le jazz des musiciens comme Ravel, Milhaud ou Stravinsky. Il s’avère que ceux-ci ont été fort imparfaits, et que tout comme de bons bourgeois ordinaires, ces messieurs, ma foi, n’avaient pas pigé grand-chose.
Mars 1954
* L’éducateur, une revue mensuelle intéressante, publie dans ses suppléments aux numéros 8 et 10, deux papiers de J. Bens sur le Jazz. Deux papiers sympathiques et sans prétention comme sans partialité – donc parfaitement à leur place dans une revue de ce genre.
Avril 1954
* Dans le Jazz-Bulletin n° 7 (juilet 1954) du H.C. Bâle, avec malice, Hans Philippi s’amuse à mettre en parallèle divers extraits de journaux anglais (M.M.) ou allemands (Podium), chacun affirmant que ses nationaux écrasent irrémédiablement tous les autres. C’est effectivement très drôle.
Septembre 1954
* Congratulons d’abord un sympathique confrère, au domaine moins spécialisé que le nôtre mais qui n’en fait pas moins une bonne propagande pour le jazz grâce à la qualité de ses correspondants – l’« Actualité Musicale », la revue belge animée par Roland Durselen, fondée par Pol Clark et Jean Brinon. Profitons de la présente pour dire à l’« Actualité » combien nous regrettons que les aventures du Gladiateur Barbu aient disparu de ses colonnes, et combien nous apprécierions, en complément aux études approfondies de notre spécialiste Jacques Hess, un travail de fond sur le vocabulaire si spécial des « cats » belges.
* Le bulletin du Hot Club du Japon est de plus en plus beau mais reste aussi mystérieux. Y a une lettre de Delaunay traduite en japonais. Là, c’est fascinant. Quel coup de pinceau, mes cousins !
Novembre 1954
* Je salue avec vigueur et émotion la présence d’un nouveau magazine de jazz qui nous arrive de Belgrade (ou Beograd comme on dit là-bas) mais je me déclare, jusqu’à nouvel ordre, résolument imperméable au yougoslave. Le numéro 1 et le numéro 2 de cette revue qui se nomme List Uruzenja Jazz Musicara m’ont plongé dans la perplexité. Il semble consacré surtout au jazz local ; mais attendez un peu que j’apprenne cette langue surprenante pour vous donner des détails.
* J’apprends dans Musica Jazz de octobre 1954 que le vol du bourdon se dit « Il volo del Calabrone. » J’aurais cru que ça voulait dire « le bandit calabrais ». Voilà comment s’établissent les confusions horribles, funestes au rapprochement des peuples.
Décembre 1954
* Gros remue-ménage à propos de l’improvisation dans le jazz. Le critique danois John Jorgenssen a levé un lièvre qui gambadait dans une chronique de Max Jones et a dit : « La vraie improvisation est un élément surestimé du jazz, et nous avons toutes les raisons de douter de son existence. »
Je croyais que ces vieux machins-là étaient réglés depuis longtemps. Mais non, apparemment. Le tout est de s’entendre sur le sens du mot « improvisation ». Et quand on ajoute « la vraie », comme on porte un jugement de valeur (y en aurait-il donc une fausse ?) on est foutu d’avance. Wally Fauwkes, qui répond au débat, semble le faire avec pertinence lorsqu’il écrit : « L’improvisation est un des ingrédients du jazz et il ne faut pas y attacher trop d’importance. Les chorus « préparés » de King Oliver dans Dippermouth me semblent du meilleur jazz que ce qu’improvise, par exemple Roy Eldridge aux concerts J. A. T. P. »
De fait, on aimerait mieux (et lui aussi) entendre Eldridge « improviser » dans des conditions moins spectaculaires, et le point est d’importance extrêmement secondaire. Qu’on « improvise » (qu’on crée) un chorus dans sa tête, sur le papier ou sur place n’a vraiment aucune espèce d’intérêt : l’essentiel est qu’il soit bon, et s’il est bon, pourquoi ne pas le recommencer ?
* Une fort grosse publication belge, « Problèmes d’Afrique Centrale », publie un numéro 26 (4e trimestre 1954) consacré à la musique nègre. Trop abondant pour que nous puissions le commenter ici en détail, ce volume fait table rase d’un tas d’affirmations trop répétées (telles que celle de la prédominance du rythme, etc...). Il contient des « notes sur la musique d’Afrique centrale » de Paul Collaer, « Le problème de l’avenir de la musique bantoue au Congo » par Hugh Tracey, « La valeur du rythme dans la musique bantoue » du docteur J.M. Harbig, un papier d’Hodeir « Prolongement de la musique africaine », un « Essai de définition d’une grammaire musicale noire » de Pepper, « La musique chez les Bapende » de Jean-Noël Maquet, etc...
Textes qui semblent établis avec beaucoup de soin et de sérieux et qui contribuent efficacement à la connaissance de cette musique africaine si totalement ignorée de ceux qui la citent à tout bout de champ.
Mars 1955
* Un nouveau magazine anglais, Jazz Monthly, fait son apparition, sous la direction du fameux discographe Albert J. McCarthy. Il se propose de relever le niveau de la critique de jazz. Sûrement, c’est des gens qui ne comprennent pas le français, parce qu’ils se rendraient compte que je ne fais que ça depuis des années. Je peux me flatter d’avoir amené la critique de jazz à un niveau tel que les prochaines crues de la Seine ne pourront, à tout casser, que m’arracher un sourire méprisant accompagné d’un éclair vert dans l’œil.
Bref, Jazz Monthly veut « imprimer des articles sérieux sur tous les aspects du jazz, sans préjugé en faveur d’aucun style. Signalons que le jazz a un côté comique (la presse) qui rendra bien difficile d’écrire un article sérieux sur cet aspect-là au moins. Mais souhaitons bonne chance à cette nouvelle équipe qui a réussi, en tout cas, à faire un magazine bien présenté, bien imprimé, illustré de belles photos. Longue vie à Jazz Monthly, et qu’il connaisse un beau succès. Plus on écrit sur le jazz, moins on y pige quoi que ce soit, mais ça remue, on en parle, et il sort beaucoup de disques, ce qui est l’essentiel.
Mai 1955
* Un magazine américain paraissant à Paris, Paris American Kiosk, publie un échange d’articles entre Lou Rosof, un étudiant américain et Jacques Hess, un gars que nous connaissons bien. Lou Rosof émet des opinions fort claires, telles que « A Paris le dixieland est toujours roi », qui sont excessivement sujettes à caution (il ne se rend pas compte de ce que c’était quand c’était vraiment roi). Et il cite Jacques Hélian et son orchestre, ce qui fait un peu réfléchir – mais Hess répond à ses remarques sérieuses de façon fort pertinente, et nous vous engageons vivement à vous y reporter si vous jactez le godon.
Juillet-Août 1955
* Au hasard des pages du Melody Maker (29 octobre) une photo de notre amie Annie Ross qu’a les cheveux très courts, ça lui va très bien, je vous signale (les lecteurs pédérastes peuvent passer ce paragraphe). Il y a également un alléchant profil d’une certaine Sheila Bradley – Je signale ça aux voyeurs...
Décembre 1955
* Voici les deux premiers numéros du Bulletin du Hot Club de Marseille. Il y a une très jolie coquille dans le premier : Ce bulletin sera le lien de ces « amoureux de la muque »... dit le rédacteur. Ça a l’air d’un mot marseillais... Que le Jazz Bulletin ne prenne pas cette remarque de travers, et félicitons-le de l’esprit qui règne en ses colonnes ; ajoutons que dès le numéro 2, la présentation s’est améliorée. En outre, il s’agit d’un mensuel gratuit, ce que Jazote n’est jamais arrivé à faire !
Février 1956
* La Saturday Review du 17 mars, ne consacre pas moins de onze pages au jazz, et l’on y retrouve les noms de nos critiques habituels : Frederic Ramsey junior, Wilder Hobson, Whitney Balliett et Nat Hentoff qui, justement, fait un papier sur « l’espèce en voie de disparition des chanteuses de jazz ». La conclusion de Nat est des plus pertinentes :
« Les talents originaux diminuent en nombre et en puissance ; et jusqu’ici, on a surtout trouvé, pour les remplacer, des fillettes et bien peu de femmes. »
C’est effectivement ce qui manque un peu à la plupart des chanteuses actuelles, depuis Merrill jusqu’à notre spécialiste maison Claude Borelli : un peu plus de passion, un peu plus de tripes, un peu plus de folie. Où est le temps où les vedettes faisaient assaut d’excentricité et de déchaînement ? Maintenant, on a l’impression que chacune songe à se retirer du monde dans un petit couvent tout blanc rempli de nonnes tuberculeuses. Il en va de même, au fond pour les musiciens : j’aimais encore mieux les joyeux ivrognes que les drogués absents – et puis, un ivrogne, ça peut tout de même boire très longtemps.
* L’article de Whitney Balliett fait le point un an après Charlie Parker.
« Aujourd’hui, conclut-il, on ne peut acheter un disque de jazz moderne sans y retrouver dilué l’esprit de Charlie Parker... »
On voit que Hentoff et Balliett arrivent à la même conclusion par des voies opposées :
TOUT ÇA MANQUE DE TRIPES.
Et si la ville de Caen ne me fait pas une rente à vie, tant pis, je maintiens ce que j’ai dit.
Mai 1956
* D’Albert McCarthy, dans le numéro de septembre de Jazz Monthly un excellent éditorial sur le sujet « Jazz et musique classique », éditorial né d’une lettre publiée à la fin du magazine. Notamment ceci :
« Parmi les amateurs de musique classique semble régner une étrange croyance, selon laquelle il n’y a aucune impureté dans leur domaine. Ont-ils jamais considéré la banalité totale des thèmes de nombreux opéras ? Du point de vue structure, une grande partie de la musique écrite pour certains de ces opéras est loin d’être impressionnante. Je mentionne ces facteurs non pour attaquer les amateurs de classique, mais pour souligner qu’ils se tiennent souvent en terrain dangereux... car les qualités mêmes qu’ils dénient au jazz sont loin d’être toujours caractéristiques des œuvres qu’ils aiment... »
Voilà, pour les jeunes amateurs à court d’arguments, une fort bonne défense, pour commencer à répondre aux méchants mélomanes qui les harcèlent à l’occasion.
* Signalons dans Radio-Cinéma-Télévision du 26 août et du 2 septembre, un lexique abrégé du jazz par Lucien Maison. Malheureusement, les journalistes que cela devrait intéresser ne le liront pas... ils sont si occupés à écrire...
Octobre 1956
* Compliments au Hot Club News du Hot Club de Lille pour la vigueur de sa mise au point du numéro 17.
Ne dépassez pas les limites de la sottise, tel est le titre. Bonne chance à ces animateurs décidés. C’est la seule méthode : tout dire.
* Dans le numéro 32 de Musica, papier simple et explicite de Jacques B. Hess sur la section rythmique. Article d’initiation, excellent et précis.
* Dans les derniers numéros de la revue italienne Musica Jazz, nous avons noté un intéressant panorama du jazz français dû à André Clergeat.
* Une très jolie apostrophe de Steve Race dans le Melody Maker du 20 octobre 1956, à propos d’Elvis Presley et du Rock and Roll :
« Je crains pour l’avenir d’une industrie musicale qui s’abaisse jusqu’à satisfaire la demande d’un groupe juvénile dément, au détriment de la masse de ceux qui veulent encore écouter des chansons chantées sans fausses notes et proprement. »
Steve Race a tort de craindre pour l’industrie ; pour la musique, ça, en ce qui concerne Presley, il a pas tort. Mais l’industrie et la musique, cela fait souvent deux.
Décembre 1956
* Mon collègue, le sympathique Roger Luccioni présente désormais une Revue de Presse dans le Jazz Bulletin de février 1957 du Sud-Est. Ce cochon-là m’adresse un coup violent dans les gencives en manière de post-scriptum :
« D’un autre côté (s’exclame ce chien) si ces messieurs de Paris – Boris Vian en tête – se dérouillaient un peu les rotules pour faire progresser l’action des Hot-Clubs régionaux, on en serait les premiers ravis. »
Je reconnais que j’ai une dette vis-à-vis du Sud-Est. Le Hot-Club de Marseille a en effet réussi à faire donner mon nom à une rue, ainsi que m’en informait récemment Pierre Bompar. Il faudra qu’on arrose ça un jour, bien que l’on ait omis de porter mon prénom sur la plaque.
Mais ce Luccioni est d’un sans-gêne ! Cela fait plus de vingt ans, mon bon, que nous nous dérouillons les rotules pour la cause du jazz-band. Et comme cela ne nous a pas rendus millionnaires, nous sommes obligés de faire autre chose pour nous emplir le cimetière à poulets.
Maintenant, si vous avez des bons d’essence, on ne demande pas mieux que d’aller vous voir...
Et vive Marseille !
Avril 1957
* L’Amérique est la nursery du jazz ; je ne connais aucun solo britannique qui ne soit inspiré par un enregistrement américain...
C’est Steve Race, un Anglais, qui dit cela dans le M.M. déjà cité.
Juillet-Août 1957
* Dans son éditorial de Jazz Monthly (septembre 1957), Albert McCarthy se plaint avec juste raison de l’abondance énorme des publications de disques, qui rendent presque impossible la tâche des éditeurs et des critiques. Il faudrait en outre, ajoute-t-il justement, « être un ploutocrate pour acheter tous les disques dont on aurait envie actuellement »...
Effectivement, à l’allure où ça sort... Et la solution trouvée par Albert McCarthy est la suivante : De tout LP ou EP non chroniqué dans les pages normales, l’amateur pourra recevoir, disque par disque, la critique en envoyant une enveloppe timbrée portant son adresse... Ça, c’est un critique qui pense à l’auditeur. Albert J., you work too much. Please stay in good health... many people like you.
* Réalités, – août 1957, sous une belle couverture de Louis – peut-être un poil trop rouge... mais cela doit venir de l’éclairage, contient un long papier de Nadine Liber sur les rythmes noirs. Une formidable photo d’Olga James, et de très bons documents photographiques. Evidemment, le papier, comme tous les papiers sur le jazz, reste contestable, c’est ce qui fait son charme, mais il ne semble pas issu d’une personne totalement ignorante du jazz, alors que c’eût été le cas dans... mettons Paris-Match pour comparer deux supports non comparables. Un petit reproche à la conclusion peut-être : le calypso n’est pas un nouveau rythme. Tous ces rythmes ont déjà été entendus. Qu’ils aient ou non connu la vogue, c’est autre chose ; le calypso n’est pas nouveau ; c’est la mode du calypso qui est nouvelle. De même qu’en couture ; à supposer qu’on souligne cette année les chevilles, les seins et l’oreille (pourquoi pas), ça n’empêchera pas les dames d’en avoir eu depuis longtemps et les messieurs avisés de s’en être avisés. Cela dit, nette amélioration de la prose usuelle des magazines français. D’ailleurs, Réalités n’est pas un magazine...
* Terminons sur le Jazz Bulletin de l’équipe de Marseille, Bompar, Luccioni et compagnie, sur lequel il y aurait beaucoup à dire. Malgré un handicap considérable et certaines circonstances locales sur lesquelles je n’ai pas à m’étendre, Bompar et ses amis ont réussi à tenir la gageure de sortir leur journal. Tous les gens du Sud-Est devraient les aider. Qu’ils sachent en tout cas qu’on fait ce qu’on peut ici.
Octobre 1957
* Le bulletin mensuel du Jazz Union de Normandie, n° 2, mars 1958, se signale par un éditorial sympathique où l’on relève une heureuse formule.
« Des Oignons » à « Solitude », de Duke, il y a un monde, et ce monde, c’est le jazz. »
D’où une nouvelle définition du jazz : monde qui s’étend entre la solitude et les oignons.
Elle en vaut une autre, Bon Dieu de bois !
Avril 1958