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La cérémonie fut courte. Le capitaine se conforma aux instructions du manuel, sans rien ajouter de personnel. Une fois lues les formules d’usage, il se tut et fit un signe à l’autre sous-officier, qui entonna d’une belle voix un psaume. Curieusement, il avait choisi un chant de Noël.

Brille sur la mer et la terre, étoile lointaine.

Les hommes se joignirent à lui, hésitants, voix sourdes, çà et là discordantes. Hanna les regarda à la dérobée. Certains restaient silencieux.

Qui songeait au défunt ? Sûrement quelques-uns d’entre eux. D’autres, peut-être la plupart, devaient se sentir soulagés d’être toujours en vie.

Le psaume achevé, le capitaine Svartman lui fit signe d’approcher. Il lui avait expliqué que le manuel ne prévoyait pas comment la veuve d’un membre de l’équipage devait se comporter lors de funérailles en mer.

« Posez votre main sur la toile de voile, avait-il proposé. Comme il n’y a pas de fleurs à bord, ce sera le signe du dernier adieu. »

Il aurait pu sacrifier une de ses fleurs en pot, pensa-t-elle. En cueillir une et me la donner.

Elle fit comme il avait dit, posa sa main droite sur le drapeau. Tenta d’imaginer Lundmark devant elle. Mais il avait beau n’être mort que depuis peu, elle avait du mal à évoquer son visage.

La mort est un brouillard, se dit-elle, qui enveloppe celui qui s’en va.

Elle recula d’un pas, le capitaine Svartman fit un nouveau signe de tête, quatre marins s’avancèrent, levèrent la planche et précipitèrent le défunt à la mer. Le capitaine avait choisi ses hommes les plus forts, car en plus du corps la toile de voile contenait plusieurs kilos de lest.

1 935 mètres. Son mari aurait une tombe infiniment plus profonde que la plus profonde des tombes terrestres. Il faudrait presque trente minutes pour que le corps touche le fond. Halvorsen lui avait expliqué qu’il coulerait lentement.

La cérémonie était terminée, l’équipage s’éparpilla. Quelques instants plus tard, une secousse monta de la salle des machines. Le navire se remit en route.

Hanna resta près du bastingage. On ne voyait plus rien dans l’eau. Elle tourna les talons et gagna directement la cambuse, où le marmiton avait commencé à préparer le déjeuner. Elle enfila son tablier. Elle découvrit alors qu’un mousse avait été envoyé donner un coup de main en cuisine.

– Même si mon mari est mort, je fais mon travail, dit-elle.

Sans attendre de réponse, elle descendit au garde-manger chercher les pommes de terre qu’il faudrait cuire aujourd’hui.

Les patates épluchées, elle alla jeter par-dessus bord les seaux d’épluchures. À son retour dans la cambuse, Halvorsen était en train de réparer le râtelier des poêles et des casseroles. Le meilleur ami de son mari à bord. Lui aussi se retrouve tout seul, pensa-t-elle. Lui aussi se demande ce qui a pris au second de descendre à terre lors de cette malheureuse escale.

Quand Halvorsen eut fini, il lui toucha légèrement l’épaule en lui faisant signe de le suivre dehors. Elle demanda au marmiton de surveiller ses casseroles et sortit.

Il lui parla les yeux baissés, sans jamais la regarder en face.

– Que vas-tu faire ?

Elle n’avait pas encore eu la force ni le courage de se poser à elle-même cette question. Que pouvait-elle faire ? Avait-elle le choix ?

Elle lui dit franchement qu’elle n’en savait rien.

– Je t’aiderai. Comme ça tu le sais. Si je peux.

Halvorsen n’attendit pas sa réponse. Il tourna les talons et disparut. Elle songea à ce qu’il venait de dire. Et comprit que c’était son mari qui le lui avait demandé, désespéré, quand il avait mesuré la gravité de sa maladie.

C’était Lundmark qui parlait par la voix de Halvorsen. Une voix sortie des profondeurs. Une voix douée pour les imitations.