7

Hanna pensa : Fini les contes de fées. Maintenant c’est l’histoire de ma vie qui commence.

Elle le comprit quand Elin lui dit ce qui l’attendait : parfois, les marchands de la côte revenant de la foire de Röros ne rentraient pas par le chemin le plus court, en suivant le Ljusnan jusqu’à Kårböle. Certains prenaient par le nord après la frontière norvégienne et, si le temps le permettait, franchissaient le mont Flatruet pour conclure quelques affaires dans les villages le long du Ljungan.

Un certain Jonathan Forsman avait l’habitude de rentrer en passant par les villages au nord du Flatruet.

– Il a un grand traîneau, dit Elin. Sur le chemin du retour, il est moins chargé qu’en allant à Röros. Il te fera une place. Et il te laissera tranquille. Il ne te touchera pas.

Hanna la regarda, interloquée. Comment Elin pouvait-elle en être si sûre ? Hanna n’ignorait pas ce qui l’attendait dans la vie, elle n’avait pas été privée de conversations avec des filles de son âge. Les filles de ferme racontaient des choses surprenantes en pouffant et aussi parfois avec une inquiétude mal dissimulée. Hanna savait ce que c’était que de rougir, et ce qu’on pouvait soudain ressentir dans son corps, surtout le soir, juste avant de s’endormir.

Mais cela n’allait pas plus loin. Que pouvait savoir Elin de ce qui se passerait pendant un long voyage en traîneau jusqu’à la côte lointaine ?

Elle le lui demanda franchement.

– Il est converti, dit simplement Elin. Avant, c’était un affreux bonhomme, comme la plupart de ces loups en traîneau. Mais depuis sa conversion, c’est le bon Samaritain. Il te prendra avec lui, et ne voudra même pas être payé. Il te prêtera une de ses fourrures, tu n’auras pas froid.

Impossible cependant d’être sûr qu’il viendrait, et quand. Généralement, c’était un peu avant Noël. Mais il lui était arrivé de ne passer qu’après le Nouvel An. Ou pas du tout.

– Bien sûr, il peut aussi être mort, dit Elin.

Quand une personne, jeune ou vieille, disparaissait sur son traîneau dans la poussière de neige, on ne pouvait jamais savoir si on la reverrait.

Depuis son anniversaire, le 12 décembre, Hanna se tenait prête à partir. Jonathan Forsman ne s’attardait jamais. Contrairement à ceux qui prennent tout leur temps, chaque minute comptait pour lui, et il était toujours pressé.

– Il arrive d’habitude l’après-midi, dit Elin. Des forêts du Sud, par le chemin qui longe la tourbière et descend vers le lit du fleuve et les vallées.

Chaque jour, à la tombée de la nuit, Hanna sortait regarder vers la forêt. Parfois, il lui semblait entendre la clochette lointaine d’un cheval. Mais personne ne venait. La porte de la forêt restait fermée.

Pendant cette attente inquiète, elle dormait mal la nuit, se réveillait souvent, avait des rêves confus qui l’effrayaient, sans qu’elle comprenne vraiment pourquoi. Souvent, ses rêves étaient blancs comme la neige, vides, silencieux.

Un rêve la poursuivait cependant : elle était couchée dans le canapé-lit avec Olaus, le petit dernier, et sa sœur la plus proche, Vera, douze ans. Elle sentait leur chaleur contre son corps. Mais elle savait que, si elle ouvrait les yeux, ce seraient d’autres enfants, des inconnus. Et au moment où elle les regarderait, ils mourraient.

Elle se réveillait soudain et constatait avec soulagement que ce n’était qu’un rêve. Elle restait alors à regarder la lumière bleue de la lune qui entrait par la fenêtre basse couverte de givre. Sa main effleurait le mur couvert de papier journal. Tout contre elle, le froid qui bandait et tordait le vieux bois.

Le froid est comme un animal. Un animal en cage. Un animal qui veut sortir.

La signification de son rêve lui échappait. Mais il devait s’agir de son voyage. Qu’est-ce qui l’attendait ? Que lui demanderait-on ? Elle se sentait gauche de corps et d’âme quand elle imaginait les gens de la ville. Si son père avait encore été là, il aurait pu lui raconter, la prévenir. Il était allé à Stockholm, et aussi dans une grande ville extraordinaire, Arboga. Il aurait pu lui dire de ne pas avoir peur.

Elin venait de Funäsdalen et ne connaissait rien d’autre. Elle avait juste fait ce voyage vers le nord, avec celui qui était devenu son mari.

Et pourtant, c’était elle qui devait répondre aux interrogations de Hanna. Il n’y avait personne d’autre.

Les réponses d’Elin ? Laconiques, chiches. Elle en savait si peu.