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Ce soir-là, Hanna décida d’accepter la demande en mariage de Senhor Vaz. Elle avait compris qu’elle n’avait plus la force de rester veuve. C’était ce qui avait fait pencher la balance. Et puis, un jour, peut-être, ressentirait-elle pour lui la même chose que pour Lundmark ?

Le lendemain, elle lui donna sa réponse. Senhor Vaz ne parut pas étonné, et la reçut comme une formalité.

Trois semaines plus tard, ils se marièrent, une cérémonie simple au presbytère, adossé à la cathédrale. Les témoins étaient des inconnus pour Hanna. Senhor Vaz avait également emmené Carlos, en frac, mais le prêtre avait refusé de le laisser entrer. Indigné, il considérait la présence du singe comme un blasphème. Senhor Vaz avait dû céder. Pendant la cérémonie, le chimpanzé attendit dehors, grimpé en haut du clocher. Après, ils dînèrent dans l’hôtel le plus chic de la ville, sur une hauteur avec vue sur la mer. Carlos en était, car ils avaient une salle privée.

Ils passèrent la nuit de noces dans une suite de l’hôtel. Quand Hanna entra, la chambre sentait la lavande.

La lumière éteinte, elle sentit l’haleine chaude de son nouveau mari près de son visage. Un court instant de confusion, elle crut que Lundmark était revenu. Mais elle huma alors l’odeur de pommade dans les cheveux noirs, et sut que c’était un autre homme qui était couché près d’elle.

Elle attendit. Elle s’offrit, se prépara. Mais Senhor Vaz, de son prénom Attimilio, ne parvint pas à la pénétrer. Il essaya, encore et encore. Mais il était impuissant, son membre pareil à une branche cassée.

Il finit par se détourner et se recroquevilla, comme s’il avait honte.

Hanna se demanda si elle avait mal fait. Mais quand le lendemain elle prit son courage à deux mains et interrogea Felicia, elle apprit que ce qui s’était passé n’avait rien d’inhabituel chez les hommes. Senhor Vaz finirait par montrer qu’il possédait lui aussi cette force qui était son fonds de commerce. Que tous les hommes deviennent soudain impuissants était bien la plus grande menace qui pouvait peser sur un bordel.

Hanna ne comprit pas tout ce que Felicia avait dit. Mais en tout cas elle avait retenu que ce n’était pas sa faute.

Quelques jours plus tard, ils emménagèrent dans la grande maison de pierre qui avait été meublée. Il y avait un grand piano brillant dans une pièce qui sentait le mimosa et d’autres herbes que Hanna ne connaissait pas.

Un soir, quelques semaines après le mariage, alors que Hanna était seule avec la servante, elle fit sonner une touche du piano et la laissa résonner en appuyant sur une des pédales. Dans la pénombre de la pièce, il lui sembla voir ceux qu’elle avait laissés derrière elle. Jonathan Forsman, Berta, Elin, ses frères et sœurs et le second qu’elle avait accompagné jusqu’à sa tombe six mois plus tôt.

Mais elle ne ressentit ni mélancolie ni manque. Une fois la note estompée, un vent d’effroi souffla, glacé, venu de nulle part. Qu’avait-elle fait en se liant à un homme qu’elle connaissait à peine ?

Elle ne savait pas. Mais elle se força aussi à penser : Je ne peux pas faire demi-tour. Je suis là.

Nulle part ailleurs.