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Les jours suivants, Agatha guetta son courrier avec une frustration croissante, et elle avait pratiquement renoncé à avoir des nouvelles de Fran lorsque celle-ci lui téléphona à l’agence.

« Je préfère vous voir en privé, afin de protéger la famille des idées que vous vous faites, dit-elle. Je ne veux pas aller à votre agence. Où habitez-vous ? Je passerai chez vous ce soir. »

Agatha lui donna son adresse et lui indiqua comment se rendre chez elle. Elles se mirent d’accord pour vingt heures.

Agatha se plongea dans les dossiers de l’agence, heureuse de voir que Toni était en grande forme et que Phil semblait avoir retrouvé la sienne. Et elle s’efforça de ne plus penser à son rendez-vous du soir.

 

À l’approche de vingt heures, Agatha sentit sa nervosité s’accroître. Le téléphone sonna, mais c’était Mrs Bloxby.

« Je n’ai pas beaucoup de temps, dit Agatha, j’attends Fran.

– Oh, Mrs Raisin, soyez très vigilante !

– Ne dites rien à personne, s’il vous plaît. J’ai l’impression que je vais me ridiculiser.

– Faites-moi le plaisir de ne pas refermer complètement votre porte de devant après avoir fait entrer votre visiteuse.

– Pourquoi ?

– Vous pourriez avoir besoin de prendre la fuite précipitamment.

– Je ne risque rien.

– Je vous en prie, faites ça pour moi !

– Soit. Je vous le promets. Et maintenant, il faut que je vous laisse. Elle va arriver d’une minute à l’autre. »

Mrs Bloxby replaça le combiné et resta assise sans le quitter des yeux. Mrs Raisin ne voudra peut-être plus jamais m’adresser la parole, se dit-elle, mais je sais bien ce que je dois faire.

Elle reprit le téléphone, composa le numéro du commissariat de Mircester et demanda à parler à Bill Wong.

 

À huit heures dix, Agatha commença à se demander si Fran n’avait pas changé d’avis. À huit heures et demie, elle en eut la certitude. À neuf heures moins vingt, coup de sonnette. Fran se tenait sur le seuil, repliant un large parapluie de golf.

« Entrez, et donnez-moi votre manteau, dit Agatha, laissant la porte très légèrement entrouverte.

– Si je suis venue c’est seulement pour que vous cessiez de semer le trouble dans la famille », déclara Fran.

Agatha la débarrassa de son manteau et de son parapluie.

« Asseyez-vous deux minutes et je vous dirai ce qui me préoccupe », annonça Agatha. Dans le confortable salon où brûlait un feu de bois, Fran se percha au bord d’un fauteuil.

En la regardant, Agatha pensa qu’une femme à l’air aussi timoré, avec sa permanente très serrée et ses traits indécis, était incapable de commettre un meurtre.

Malgré tout, sous couvert de chercher ses cigarettes dans son sac, elle brancha subrepticement un magnétophone petit mais puissant et elle décida de se lancer.

« J’ai beaucoup réfléchi au meurtre de votre mère.

– Vous ne m’avez tout de même pas fait venir ici pour me dire ça ? demanda Fran. Nous ne pensons qu’à ça. Je boirais bien quelque chose, poursuivit-elle.

– Quoi par exemple ?

– Un gin-tonic. »

Agatha, qui avait elle-même grande envie d’un verre, décida qu’il serait prudent de ne rien prendre que Fran serait susceptible d’empoisonner. Elle coupa le citron, mit de la glace dans un verre, versa une bonne dose de gin et ajouta du tonic.

« Et voilà, dit-elle en le lui tendant. Où en étais-je ? »

Fran la considéra froidement par-dessus son verre.

« Vous alliez m’expliquer la raison de ma visite. Apparemment, vous n’avez pas dit aux autres que vous m’aviez demandé de venir.

– Je n’en ai parlé à personne… pour l’instant, mentit Agatha.

– Alors, pourquoi suis-je ici ?

– Eh bien, tout simplement parce que je crois que c’est vous qui avez tué votre mère.

– Vous êtes folle ou quoi ? Qu’est-ce que vous avez, ma pauvre ? C’est la ménopause ? Vous avez oublié de prendre vos cachets aujourd’hui ?

– Pourquoi avez-vous refusé de laisser entrer Charles dans la chambre de votre mère après qu’on l’y a remontée ? Vous avez dit qu’elle dormait, mais si vous l’aviez bien regardée, vous auriez vu à son teint qu’elle n’allait pas bien du tout. Je crois que votre mère avait une racine de ciguë dans la poche et qu’avec ses dernières forces, elle l’a sortie et l’a gardée serrée. Je crois qu’elle avait compris ce qui lui arrivait. Vous êtes partie froidement et avez attendu qu’elle meure.

– C’est du délire pur et simple. Comment pourrait-on prouver une chose pareille ? »

Agatha eut alors l’un de ses rares éclairs d’intuition.

« La police ne vous a pas encore dans le collimateur, Fran. Vous n’êtes pas vraiment une femme de la campagne. Vous devez être sortie avant le meurtre à la recherche de ciguë. Quelqu’un a dû vous voir. Je suppose que la police n’a pas fouillé chez vous de fond en comble. Et qu’il s’y trouve un petit matériel pour préparer la ciguë, juste au cas où vous auriez besoin de vous débarrasser de quelqu’un d’autre. Vous avez sûrement tout nettoyé après la mort de votre mère, mais je parie que dès que la voie a été libre, vous avez recommencé. Non, je n’en ai parlé à personne… Pour l’instant. Mais dès que vous partirez, j’appelle la police. Vous m’avez sauvagement agressée quand j’ai dit que j’étais sûre que votre mère avait été assassinée. » Une brève lueur de panique apparut dans le regard de Fran. Elle but une longue gorgée de gin-tonic, puis déclara : « Si vous n’avez rien d’autre que ces bêtises à me dire, je m’en vais. Mais j’aimerais pouvoir utiliser vos toilettes. La police pourra fouiller jusqu’à la fin des temps, elle ne trouvera rien pour la bonne raison que je n’ai rien à voir dans tout ceci.

– Premier étage à gauche », indiqua Agatha, soudain déprimée. Sans doute avait-elle imaginé cette lueur de panique.

Fran ramassa son sac et monta. Agatha attendit une minute, puis la suivit sans faire de bruit sur l’épaisse moquette. La porte de la salle de bains n’avait pas de verrou, Charles l’ayant cassé lors d’une de ses visites, et Agatha ne l’avait pas encore fait réparer.

Elle entrouvrit donc très légèrement la porte et vit Fran, une seringue à la main, en train d’en injecter le contenu dans le tube de dentifrice.

Agatha regagna le salon, le cœur battant à tout rompre. Quand Fran redescendit, Agatha lui demanda : « Et comment comptiez-vous expliquer la façon dont vous m’avez empoisonnée ? »

Fran blêmit.

« Je vous ai suivie là-haut. Vous avez mis quelque chose dans mon dentifrice. J’appelle la police », déclara Agatha.

Fran se jeta sur elle et la saisit à la gorge avec une force incroyable. Agatha se débattit éperdument, cherchant à desserrer l’étau des mains qui l’étranglaient.

Et d’un seul coup, elle fut libérée… Bill Wong, qui avait fait irruption dans la pièce, expédia Fran au tapis et lui passa les menottes.

Fran resta immobile et muette pendant qu’il appelait le commissariat.

« Vous avez de nouveau mis votre vie en danger, dit-il à Agatha. Que s’est-il passé ? »

Agatha le lui expliqua et conclut : « Je ne sais pas ce que vous allez trouver dans ce tube de dentifrice, mais je suis sûre que c’est mortel.

– Heureusement que Mrs Bloxby m’a téléphoné. »

Agatha s’assit sur le canapé, les jambes flageolantes. Puis elle se releva : « Il faut que j’aille faire pipi.

– Alors allez dans le jardin ou chez un voisin. Ne vous approchez pas de votre salle de bains tant que l’équipe médico-légale n’a pas enlevé tout ce qui est suspect. »

Agatha se replia sur le jardin : il pleuvait et elle se sentait nauséeuse et déprimée. Lorsqu’elle regagna la maison, Bill avait relevé Fran et l’avait plantée sur un siège.

« Je n’avais pas le choix, il faut me comprendre, déclara soudain Fran. Après la mort de papa, elle est devenue épouvantable. Elle nous a dit qu’elle ne nous avait jamais désirés et elle a commencé à serrer les cordons de la bourse. C’est sa faute si ma fille est lesbienne. Elle a fait de notre vie un enfer. Riche comme elle l’était, elle allait nous déshériter. Il fallait l’empêcher de nuire.

– Et ce pauvre vieux Fred Instick ? demanda Agatha.

– J’avais empoisonné une de ces bouteilles dans l’espoir qu’un des villageois la volerait. Ça aurait donné l’impression qu’un étranger voulait du mal à toute la famille. C’était un crime justifié. Fred était vieux, de toute façon.

– Les autres savent-ils que vous avez assassiné votre mère ?

– Les autres ? Des lâches, tous autant qu’ils sont. Quand j’ai émis l’idée, ils ont tous poussé des cris d’orfraie : “Tu n’y penses pas !” Les imbéciles. Elle les avait maltraités, mais aucun ne voulait réagir. Savez-vous pourquoi elle a eu autant d’enfants ? Parce que papa voulait la quitter. Chaque fois qu’il était sur le point de partir, elle s’arrangeait pour retomber enceinte. Ça ne m’étonnerait pas qu’au moins l’un d’entre nous soit un bâtard. »

On entendit le hurlement de sirènes approcher. Fran retomba dans le silence, le regard vitreux.

Elle fut officiellement inculpée et on l’emmena tandis qu’Agatha se préparait pour une longue nuit d’interrogatoires.

 

Le lendemain, Bill Wong se fit harponner par l’inspecteur Collins. Dans un élan de générosité rare, Agatha, reconnaissante envers Bill de l’avoir sauvée, lui avait attribué le mérite de l’avoir aidée à résoudre le mystère Tamworthy.

« Les félicitations pleuvent, lança ironiquement Collins à Bill. J’ai entendu l’enregistrement de la mère Raisin. Parlons-en, des amateurs doués ! Quant à votre participation à l’affaire, c’était zéro. Je demande ma mutation à Londres.

– Pas la peine de m’inviter à votre pot de départ ! » lança Bill par-dessus son épaule en prenant la porte. Il avait tenté de dire que la découverte du meurtre revenait exclusivement à Agatha, mais ses supérieurs, toujours soucieux de l’image de la police devant la presse, avaient préféré lui en attribuer le mérite. En outre, ils se disaient que les folles hypothèses d’Agatha ne sembleraient pas crédibles. Ils laissèrent entendre que Bill était arrivé à la solution par de rigoureuses méthodes policières, d’autant qu’une petite fiole de ciguë distillée avait été retrouvée dans la cuisine de Fran, avec l’étiquette « Sirop pour la toux ».

Sir Charles Fraith apprit par la télévision que l’affaire avait été résolue et il regretta vivement d’avoir abandonné Agatha pour courir après Sasha, l’aide à domicile du psychiatre.

Il décida que pour une fois, ce serait une bonne idée de faire à Agatha un beau cadeau de Noël, et il téléphona à Roy Silver. Roy commenta avec volubilité l’affaire du meurtre et affirma que selon lui, bien que Bill Wong se soit vu féliciter d’avoir découvert la coupable, c’était Agatha qui avait trouvé le fin mot de l’histoire. Après l’avoir écouté, Charles lui demanda s’il avait une idée de ce qui pourrait faire plaisir à Agatha pour Noël. Au terme de diverses suggestions – une nouvelle montre, une robe du soir, de la lingerie –, Charles proposa de se rendre à Londres pour qu’ils fassent les magasins ensemble.

« J’étais censé avoir une séance photo cet après-midi, annonça Roy, mais elle a été annulée, alors j’allais prendre ma demi-journée.

– Où habitez-vous ? »

Roy donna à Charles son adresse à Fulham.

« Je pars tout de suite et passe vous chercher. »

 

Mais leur expédition ne les avança guère, et ils décidèrent de faire une halte dans un bar de Jermyn Street pour se concerter.

« Ce fameux repas de Noël chez elle me fait peur, dit Charles. Elle tient tellement à ce que tout soit parfait. Et elle ne regarde pas à la dépense – un nouveau four, un chef, un traiteur. Elle va sûrement se ruiner en décorations. En plus, elle croit qu’en plein réchauffement climatique, il va neiger.

– Mais oui ! Génial ! glapit Roy d’une voix suraiguë.

– Qu’est-ce qui est génial ?

– On va louer un canon à neige, un vrai, comme dans les films. Elle a prévu de disposer des tables en continu de la salle à manger au salon. Elle sera assise en bout de table dans la salle à manger. Je m’éclipserai discrètement et j’irai dans la ruelle quand la dinde arrivera, débita Roy, qui sautait d’excitation sur son siège, et vous, vous pourrez donner le coup d’envoi en disant : “Regardez par la fenêtre” et paf, je lance la machine.

– Vous voulez dire qu’on lui organise un Noël blanc ?

– Exactement. Et on partage les frais.

– Elle va trouver qu’on est deux rats quand elle nous verra arriver les mains vides. Oh, mais que je suis bête ! Je viens juste de me souvenir de quelque chose : ce n’était pas la peine de nous donner tout ce mal.

– Pourquoi ?

– Parce que j’ai déjà reçu mon invitation, et elle précise : “Pas de cadeaux”. On a perdu notre journée. »

Roy regarda fixement Charles avec une lueur déterminée dans l’œil, inhabituelle chez lui. « Je ne vois pas ce que ça change. Agatha est notre amie. Je me pointe chez elle le week-end, et vous, vous utilisez son cottage comme un hôtel, alors il est temps de faire un geste en retour. Ne soyez pas aussi mesquin. Elle va l’avoir, sa neige.

– Oh, soit, concéda Charles. Avec ça, on ne peut pas faire d’erreur, hein !

– Ça sera parfait. »

 

Alison vint voir Agatha à l’agence dans l’après-midi, juste au moment où cette dernière songeait à fermer pour la journée.

« Toute la famille est effondrée par la nouvelle. Bert commence à se rallier à mon point de vue. Je lui ai fait remarquer que si cet enquêteur astucieux n’avait pas tiré l’affaire au clair, nous serions restés suspects jusqu’à la fin de nos jours. »

Agatha Raisin ne pouvait pas laisser passer une chose pareille.

« J’ai laissé attribuer le mérite à Bill Wong, mais c’est moi qui ai résolu le mystère, annonça-t-elle.

– Comment en êtes-vous soudain arrivée à la conclusion que Fran était coupable ? »

Agatha lui expliqua tout en détail.

« Et au procès, il apparaîtra que c’est moi qui ai trouvé la clé, car ils seront bien obligés de produire ce tube de dentifrice comme preuve, entre autres choses.

– Mais vous n’êtes pas au courant ? Il n’y aura pas de procès.

– Pourquoi ?

– Fran est morte.

– Elle s’est empoisonnée ?

– Non, elle est morte d’un infarctus massif.

– Nom d’un serpent à sonnettes », marmonna Agatha. Elle regrettait d’avoir laissé tout le mérite à Bill, comptant bien sur le moment où elle témoignerait au procès.

« Je suis venue régler ce que je vous dois, dit Alison.

– Mrs Freedman est partie. Je vous ferai envoyer ma facture demain. Savez-vous que Phil Marshall m’a fait consulter un psychiatre de la police en retraite ? Ce type m’a dit que Phyllis s’était suicidée afin d’empoisonner la vie de ses enfants. Et il vient de m’envoyer sa note : huit cents livres. Il ne manque pas d’air. Eh bien, il peut toujours me faire un procès. »

 

Le lendemain, quand Toni rentra chez elle, elle trouva George qui l’attendait devant son appartement. « Je me demandais si cela vous ferait plaisir de prendre un verre », dit-il.

Toni accepta non sans réticence. Il doit avoir un faible pour moi, se dit-elle. Il ne m’a fait aucune avance, mais s’il prend une initiative, qu’est-ce que je fais ? Je lui dois tant.

Mais George était aimable et à l’aise, comme d’habitude. En fait, il voulait tout savoir sur Fran.

Toni lui raconta tout ce qu’Agatha lui avait dit à l’agence après l’arrestation de Fran.

« J’ai appris aux infos qu’elle avait succombé à un infarctus massif, dit George.

– Dommage. Je sais qu’Agatha attendait son moment dans le box des témoins.

– Pourquoi ?

– Elle a laissé tout le mérite à Bill, mais les témoignages au procès auraient montré que c’était elle qui avait tiré toute cette affaire au clair.

– Drôle de bonne femme, murmura George. Je parle d’Agatha. À la voir foncer comme un bulldozer, on n’imaginerait pas qu’elle puisse être aussi intuitive.

– C’est la bonté et la générosité mêmes. Elle a fait beaucoup pour moi. Vous aussi, George. Je ne sais pas comment je pourrai vous rendre ça un jour.

– Commencez par oublier tout ça. Je suis régisseur par profession, et ma faiblesse, c’est de gérer les problèmes des autres. »

Un très jeune homme s’approcha de leur table. Il avait des cheveux coiffés au gel, un visage blanc et mou et portait une veste en jean et un slim déchiré. « Salut, Toni », lança-t-il.

Toni le présenta à George : « Pete Ericson, un camarade du lycée.

– Ça roule, Toni ? demanda Pete. Paraît que t’es détective ?

– Exact, Pete. Et là, je suis sur une enquête, rétorqua Toni, gênée.

– OK », dit Pete, et il s’éloigna en roulant des épaules.

« Vous avez honte de moi, Toni ? demanda George.

– Je l’ai toujours trouvé antipathique et c’était le meilleur moyen de se débarrasser de lui », dit Toni, qui se sentait prise entre deux mondes. Que fabriquait Pete dans l’un des troquets les plus chics de Mircester ?

La tranquillité n’était décidément pas au programme de leur soirée : une femme au visage dur, élégamment vêtue et qui devait dépenser des fortunes pour se faire décolorer en blonde, se précipita vers leur table et fit claquer des baisers dans l’air en frôlant les joues de George. « Ah, chéri, où étais-tu passé ? hurla-t-elle pour se faire entendre malgré le bruit du pub. Et qui est-ce, ta nièce ?

– Non, Toni Gilmour, une de mes amies. Toni, je vous présente Deborah Hazard.

– Enchantée, murmura Toni.

– J’ai laissé mon verre au bar, lança Deborah. Je vais le chercher et je vous rejoins. » Dès qu’elle eut le dos tourné, George siffla : « Partons avant qu’elle ne revienne. »

Ils filèrent et se retrouvèrent dans la rue.

« Une de vos ex ? demanda Toni.

– Non, une enquiquineuse de première. Je vous raccompagne. Alors, votre nouvelle voiture ?

– Je l’adore. Je l’emmène faire des tours à la campagne, comme un chien qu’on promène.

– Peut-être que vous me promènerez un jour…

– Volontiers. Ah, je suis arrivée. Bonsoir, dit fermement Toni. Et merci pour le verre. »

Plus tard dans la soirée, Toni jeta un coup d’œil par la fenêtre et aperçut un groupe de ses anciens amis du lycée se diriger en bavardant et riant vers la boîte disco du bout de la rue.

Je les ai largués, se dit Toni. Moyennant quoi, je ne me sens plus nulle part à ma place. Et comment vais-je me débrouiller avec George ?

 

Dans la soirée, Mrs Bloxby passa voir Agatha.

« Vous devriez vraiment vous reposer après toutes ces émotions, Mrs Raisin.

– Mais non, je vais très bien. Je me demande si les Tamworthy parviendront un jour à vendre le domaine. Ils sont nés avec la poisse et ne s’en débarrasseront jamais.

– Vous n’êtes donc pas au courant ?

– De quoi donc ?

– Il y avait un petit article dans le journal. Je vous l’ai apporté. » Mrs Bloxby alla pêcher une coupure de presse au fond de son volumineux sac à main. « Le voilà. Les Olde English Theme Parks ont fait une offre : ils veulent transformer le domaine en parc à thème.

– Hein ? Manèges et montagnes russes ? Ce genre de choses ?

– Non, non. Ils envisagent de le transformer en village anglais à l’ancienne, avec les locaux habillés en costumes du XVIIIe siècle. L’avantage majeur pour les habitants, c’est qu’ils seront exemptés de loyers et seront payés pour avoir des activités d’époque, comme filer la laine et ferrer les chevaux.

– Une sacrée chance pour eux, ils ne le méritent pas ! glapit Agatha.

– Même le magasin de Jimmy Tamworthy sera transformé en vieille boutique à l’ancienne.

– Je me demande si ces fichus villageois ont compris qu’ils devront se montrer aimables avec les touristes.

– Ceux-ci croiront peut-être que la soupe à la grimace est d’époque.

– En tout cas, moi, je ne veux plus jamais les voir. J’ai d’autres préoccupations en tête.

– Lesquelles ?

– Noël. »