En proie à l’insomnie, Quin se retournait sans cesse dans son lit. Il savait bien que cette agitation n’avait rien à voir avec la courte sieste qu’il avait faite après sa sortie de prison.
Elle allait partir !
Voilà ce qui le tourmentait au point de l’empêcher de dormir. Ce qui torturait son esprit et son cœur sans relâche.
La seule joie qu’il avait connue depuis deux ans, c’était sa rencontre avec Boston. Elle avait su effacer en lui la douleur causée par la mort de ses parents et par l’abandon de ses frères et de sa sœur. Sa vivacité d’esprit et son courage l’impressionnaient. Elle illuminait sa vie et exaltait son âme, sans parler de son corps qui brûlait du feu de la passion.
Et elle le quittait !
Il se leva et s’approcha de la fenêtre. Un instant, il songea à descendre dans le salon pour boire un verre, mais il comprit très vite que cela ne suffirait pas à le calmer. En fait, il en avait assez d’être seul dans la vaste chambre de ses parents et voulait regagner la sienne.
Sachant qu’il ne trouverait pas le sommeil, il noua une serviette autour de sa taille et sortit dans le couloir. Il descendit l’escalier sur la pointe des pieds et entra sans faire de bruit dans sa chambre, qu’occupait Boston.
La lune éclairait le lit, révélant la chevelure bouclée de son « invitée » et son beau visage aux traits délicats.
— Quin ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Ta tête te fait mal ?
— Non. J’ai mal partout, dit-il en refermant doucement la porte derrière lui.
— Que puis-je faire pour te guérir ?
— Te donner à moi !
Il s’assit au bord du lit et le contact de la main de Boston sur la sienne embrasa instantanément ses sens. Comme elle se redressait pour poser ses lèvres sur les siennes, il sentit la fièvre s’emparer de lui.
— Tu vas me rendre fou, si tu me quittes, Boston, murmura-t-il en dénouant sa serviette pour s’allonger auprès d’elle.
— Mais… je suis toujours là, Quin. Nous avons toute la nuit devant nous.
Il glissa la main sous sa chemise de nuit et chuchota en effleurant ses lèvres :
— Encore une création de Rosa, je suppose ?
— Oui. Une parmi d’autres.
— Je te préfère nue, dit-il tout en lui ôtant sa chemise.
Il la roula en boule et la lança au pied du lit où elle rejoignit sa serviette.
— C’est ainsi que je te préfère, Boston !
Il laissa alors courir ses lèvres le long de sa gorge nue et s’attarda avec délice sur les pointes rubis de ses seins.
Elle émit un gémissement de plaisir, un son qu’il aimait entre tous. Il adorait l’éveiller au désir et attendait d’elle qu’elle l’amène au seuil de l’extase, au bout de ce qu’il lui était possible d’endurer.
Sa respiration s’accéléra et elle se tendit vers lui. Une bouffée de chaleur l’envahit quand elle lui releva la tête et l’embrassa sauvagement, comme si sa vie en dépendait.
Et lorsqu’il sentit ses doigts s’aventurer sur son corps, il sut qu’il allait rendre les armes. Il retint son souffle quand les caresses se firent plus intimes, atteignant une nouvelle étape dans les délices.
Il lui sembla alors qu’il perdait toute capacité à respirer ou à penser. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était s’abandonner sans réserve au plaisir que lui donnaient ses mains sur lui.
Lorsqu’elle le poussa doucement pour qu’il s’allonge sur le dos, il ne résista pas.
Dans la lueur d’un rayon de lune, il la vit sourire et comprit que ce sourire annonçait bien d’autres plaisirs.
Dieu qu’elle était belle ! Bien plus belle que toutes les femmes qu’il avait connues. Pas une ne pouvait rivaliser avec elle.
Elle le possédait véritablement, dans tous les sens du mot, et pas seulement en raison de sa beauté. Son humour, son intelligence, son opiniâtreté le fascinaient autant que son corps. Il était en quelque sorte son prisonnier !
Cependant, l’idée qu’elle n’attendait rien d’autre de lui que cette nuit d’amour le tourmentait. Lui qui se sentait si seul aux 4C aurait aimé qu’elle s’attache à lui, qu’il ait une place dans sa vie. En un mot, il ne pouvait plus se passer d’elle.
Les boucles brunes effleurèrent alors son ventre et il fut aussitôt en proie à de nouvelles sensations diffuses, difficiles à identifier. Puis, quand sa bouche brûlante se posa sur lui et que ses doigts accompagnèrent son mouvement de va-et-vient, il ne put réprimer un gémissement. Il s’abandonna sans plus penser à rien aux caresses d’une langue agile et inventive et eut l’impression qu’il allait mourir de plaisir.
Cette fois, il était définitivement vaincu, mais sa défaite avait un goût de paradis.
Il lui sembla que son cœur allait éclater tant ce qu’il ressentait était intense. Elle le tenait à sa merci, faisait de lui son esclave docile par les caresses de ses lèvres et de ses doigts. Elle savait les alterner à merveille pour accroître le plaisir sans toutefois aller jusqu’à l’intolérable.
Il savourait chacun de ces instants magiques…
Peu à peu, elle l’emmenait vers ce précipice aux abords imprécis qui menaçait de l’engloutir. Mais, à l’instant même où il allait être emporté par le tourbillon des délices suprêmes, elle le retint en interrompant ses caresses. Elle les reprit, le ramenant au bord du gouffre, et recommença jusqu’à lui faire perdre la tête.
Il était nu, entièrement à sa merci, livré à tous ses caprices, et pourtant il n’en éprouvait aucune gêne, aucune frustration. Lui qui ne devait sa réussite qu’à lui-même, qui était si soucieux de son indépendance, il était désormais le jouet de cette ensorceleuse.
Elle était en train de le soumettre, de remporter sur lui une victoire définitive. Mais Dieu qu’il était bon d’être vaincu de cette façon !
Le plaisir montait en lui par vagues, le soulevant comme la houle soulève le frêle esquif. Il sombrait et remontait brusquement à l’air libre, juste avant de sombrer de nouveau sous un flot de sensations. Boston jouait avec lui, prolongeant encore et encore ce doux supplice.
— Assez ! gémit-il au plus haut de la vague. Tu me tues, Boston… Je te veux, maintenant !
Elle releva la tête et lui adressa un sourire malicieux.
— Je te trouve plutôt bien vivant, Cahill…
Puis elle reprit son mouvement de va-et-vient, très lentement cette fois, de sorte qu’il en ressentit un plaisir d’une autre nature. Lorsqu’elle se mit à le mordiller légèrement, il eut l’impression qu’un orage grondait en lui.
Cela devenait insoutenable. Si elle continuait ainsi, il allait franchir le point de non-retour, et il ne le voulait pas encore. Pas avant de lui avoir rendu tout le plaisir qu’elle lui donnait.
Il décida alors de reprendre le contrôle de la situation.
S’arrachant à ses caresses, il se redressa et la renversa sur le dos. Elle ne résista pas.
— Maintenant, je vais avoir ma revanche, miss Boston, dit-il en rivant son regard au sien. Et, crois-moi, c’est toi qui vas demander grâce, cette fois. On verra bien qui est le plus fort à ce jeu-là !
* * *
Soudain consciente que son audace était en train de se retourner contre elle, Adrianna regretta presque d’avoir entraîné Quin dans ses jeux érotiques.
Elle n’en était cependant pas moins fascinée par le pouvoir qu’elle avait sur lui ; elle entendait encore ses soupirs de plaisir et s’en délectait en secret. Elle savourait aussi le contact de son corps, la vigueur de son désir, et sa façon de fondre sous ses caresses.
Mais, lorsque Quin se pencha sur elle, ses pensées s’envolèrent comme cendres dispersées par le vent. Chaque baiser, chaque caresse, était plus étourdissant que le précédent et l’embrasait tout entière. Même si elle pensait ne pas survivre un instant de plus à ces délices qui se succédaient, son corps en réclamait davantage.
Elle ressentait comme une exquise brûlure la passion qu’elle éprouvait pour son rude éleveur de bétail.
Lorsqu’il chercha ses lèvres, elle l’enlaça et l’attira sur elle.
A la lueur de la lune, elle regarda son beau visage et sut qu’elle aimait cet homme, qu’elle lui appartenait. Son amour la comblait. Avec lui, elle se sentait plus vivante qu’elle ne l’avait jamais été, et tellement heureuse de vivre…
Et tandis qu’il se fondait en elle, elle se sentit possédée corps et âme et s’abandonna entièrement à lui dans un cri.
— Oh ! Adrianna…, dit-il d’une voix rauque.
Elle saisit ses robustes épaules et entoura sa taille de ses jambes pour mieux s’offrir tandis que le plaisir déferlait en elle comme un jaillissement de lave incandescente, lui coupant le souffle.
Ils restèrent un long moment soudés l’un à l’autre, sans bouger, sans rien dire.
Adrianna songea alors à leur première nuit et se dit qu’elle n’était en rien comparable à celle-ci. Malgré elle, elle se prit à rêver. Que seraient les nuits à venir… s’ils les partageaient ? Et que serait leur vie de couple… si elle était envisageable ?
Il déposa un tendre baiser sur sa joue puis s’allongea à côté d’elle sur le lit en désordre.
Oubliant ses idées de couple, elle se blottit au creux de ses bras. Elle savait qu’il regagnerait sa chambre avant l’aube pour sauver les apparences, et elle tenait à profiter de ces derniers moments.
La nuit n’était pas finie, mais elle n’avait pas envie de dormir. Elle aurait tout le temps de le faire au cours des nombreuses nuits en solitaire qui l’attendaient probablement.
Elle donna à Quin un tendre baiser pour lui témoigner son amour et s’abandonna sur son épaule.
Oui, elle était éperdument amoureuse de cet homme !
* * *
Le lendemain matin, assis à la table de la salle à manger, Quin savourait le café préparé par Elda lorsque Boston entra. Elle lui parut si épanouie, si rayonnante, qu’il eut envie de l’attirer à lui et de la serrer dans ses bras. Il ne put le faire car Elda arriva à son tour, portant une assiette de crêpes. Il dut attendre que la cuisinière ait regagné ses fourneaux pour tendre le bras et la prendre par la taille.
Surprise par ce geste, elle fit mine de se dérober.
Il savait n’être pas du genre démonstratif, mais avec Boston, c’était différent.
Décidément, elle avait fait de lui un autre homme.
Et cela au moment où elle allait le quitter…
Dieu sait qu’il évitait d’y penser, mais il savait qu’elle était résolue à regagner son ranch.
— Avez-vous bien dormi, miss Boston ? demanda-t-il, un rien goguenard, tandis qu’elle s’asseyait en face de lui.
Elle se servit une tasse de café et en but une gorgée avant de répondre.
— Assez bien, il me semble. J’avoue que je n’ai pas de souvenirs très précis de cette nuit. Je devais être très fatiguée, après la rude journée que j’ai eue hier.
Quin vit ses yeux verts briller de malice comme elle ajoutait :
— Et vous, avez-vous dormi, monsieur Cahill ?
— Pas vraiment. Je me suis réveillé plusieurs fois, comme pris d’une terrible fièvre.
Il devina le sourire de Boston derrière sa tasse.
— Oh ! C’est donc la fièvre qui vous a tenu en éveil ?
C’était bien une fièvre qui l’avait tenu en éveil, en effet, mais il n’allait pas s’en plaindre, bien au contraire.
Et celle qui causait sa fièvre semblait toute disposée à la ranimer toutes les nuits… à condition qu’ils les partagent. Jamais il n’avait connu une telle passion !
Il avait très envie de lui dire tout cela, mais Butler entra alors.
Dans le regard que le comptable posa sur lui, Quin crut lire une nette réprobation.
Sans se laisser démonter, il soutint le regard du trouble-fête.
— Ah ! vous voilà, Hiram ! s’exclama Boston. Je voulais vous dire que je compte ramener nos affaires chez nous dès aujourd’hui. Mais pas avant d’avoir ratissé le secteur de Phantom Springs avec Lucas et Dog.
— Nous avons déjà commencé à préparer nos affaires, et nous serons prêts à partir quand vous le voudrez, Addie K., répondit Butler, jamais pris de court. Il va falloir que je reprenne ce que j’ai déposé dans votre coffre-fort, Cahill, ajouta-t-il à l’intention de Quin.
Quin acquiesça d’un signe de tête, tandis que Butler prenait place à table. Il regarda ses hôtes qui allaient quitter sa maison. Après leur départ, il serait de nouveau seul avec le silence pour seule compagnie. De nouveau, il parcourrait toutes les pièces de sa demeure déserte tel un fantôme à la recherche de sa famille perdue.
Il pensa tout à coup à Dog. Ce serait bien de l’avoir pour compagnon. Maintenant que Lucas avait une femme, il pourrait peut-être se séparer de son chien pour le confier à un ami célibataire…
Et si Lucas refusait de lui donner Dog, pourquoi ne proposerait-il pas à Béa et Butler qui formaient désormais un couple d’habiter chez lui ? Mais Boston accepterait-elle de se passer de ses fidèles serviteurs ? Rien n’était moins sûr.
Des coups frappés à la porte le tirèrent de ses pensées. Il alla ouvrir et se trouva nez à nez avec Lucas Burnett, vêtu de noir comme toujours, et accompagné de Dog.
— J’arrive trop tôt, peut-être ? s’enquit l’ancien fermier.
— Si tu aimes les crêpes, tu arrives au bon moment.
— J’ai cru comprendre que celles d’Elda étaient les meilleures de tout le Texas. Alors je vais m’en assurer.
Comme le chien entrait avec son maître, Quin lui fit au passage une caresse.
— Eh bien, mon brave Dog, pas de nœud papillon, aujourd’hui ?
— Jamais pendant les heures de service, précisa Lucas en suivant Quin dans la salle à manger.
— Lucas, sais-tu que j’échangerais bien une assiette de crêpes et une douzaine de mes bœufs contre ton chien ? demanda Quin lorsqu’ils furent tous attablés.
— Pas question ! répondit Lucas entre deux bouchées de crêpe.
— Boston me quitte aujourd’hui avec ses employés. Je vais me retrouver seul, comme un misérable.
Lucas considéra son ami d’un air songeur tandis que son chien faisait le tour de la salle à manger.
— Tu vois, il se sent déjà chez lui, fit remarquer Quin lorsque Dog se coucha sous la table, le museau posé sur ses énormes pattes.
— Peut-être, mais ma réponse est non ! dit Lucas. Tu n’as qu’à prendre femme et adopter un chien. Moi, je ne prête ni l’une ni l’autre !
— Eh bien, tant pis…, soupira Quin.
— Je suis venu pour t’aider dans ton enquête, Cahill. C’est tout ce que je peux faire pour toi.
Sur ce, Lucas prit une autre crêpe et la savoura tranquillement.
* * *
Adrianna observait Lucas et Quin qui parcouraient méthodiquement les abords de la rivière à la recherche du moindre indice. Attentifs à la moindre trace susceptible de les mettre sur la piste du meurtrier, ils élargissaient peu à peu le champ de leurs investigations.
Soudain, Lucas s’immobilisa et observa le sol à ses pieds. Il venait de remarquer des marques de fer à cheval, pourtant à peine visibles parmi les cailloux.
— Quelqu’un a tenté d’effacer les traces pour ne pas éveiller les soupçons, dit-il. Pourtant, il n’a pas tout à fait réussi.
— Tout comme on a pu faire disparaître les traces pour donner à penser que mes parents ont eu un accident, remarqua Quin.
Lucas ramassa alors une branche aux feuilles desséchées.
— Et voici le balai qu’ils ont oublié !
Dog apparut au même instant sur un rocher voisin et se mit à aboyer. Les trois amis grimpèrent jusqu’à lui et découvrirent une empreinte de pas.
— Je suppose que c’était le poste d’observation de ces crapules, suggéra Quin. Il faut dire que c’est le meilleur point de vue de tout le coin.
— Pour un tireur, c’est l’emplacement idéal, en effet, renchérit Lucas.
Adrianna frémit à l’idée que Quin aurait pu être abattu par le tireur posté là.
— Maintenant, il faut suivre toutes ces traces et voir si elles nous conduisent vers la ville ou vers le ranch le plus proche, reprit Lucas en redescendant. Ces hors-la-loi sont sûrement cachés dans le secteur.
Adrianna tira la montre de sa poche et soupira.
— Zut ! Il faut que je parte. J’ai promis d’être de retour avant midi.
Elle se tourna vers Quin dont le visage n’exprimait rien. Avait-il fini par accepter l’idée qu’elle retournait chez elle ?
— Merci beaucoup de ton aide, Lucas, dit-elle en s’avançant vers l’ex-fermier.
Elle se hissa sur la pointe des pieds et déposa un baiser sur sa joue cuivrée.
— De rien, Adrianna. Hélas ! je crois que nous sommes encore loin de pouvoir identifier ou dénicher ceux que nous cherchons.
— Si nous parvenons à prouver que Cahill était la victime et non le tireur, ce sera déjà beaucoup, répondit-elle.
Elle prit son cheval par la bride et ajouta :
— Je t’assure que Quin n’était pas beau à voir, en prison. La couleur des murs ne lui allait pas du tout au teint !
Elle se mit en selle et talonna Buckshot qui s’élança en soulevant un nuage de poussière.
* * *
Comme prévu, Béa, Butler et Elda l’attendaient devant l’entrée du ranch des 4C. Le comptable avait déjà mis le sac d’Adrianna sous le siège de la charrette et tout semblait prêt pour le départ.
— Avez-vous trouvé quelque chose ? s’enquit Butler tout en aidant Béa à monter en voiture.
— Quelques traces, mais c’est loin d’être suffisant. Lucas et Cahill vont tenter de les suivre pour voir où elles mènent, mais elles ont été balayées avec des branchages.
— Pfff ! Ces bandits devaient être de fieffés incapables, commenta Béa tout en lissant sa robe. Même pas fichus de manier correctement le balai !
Cette drôle de remarque donna à réfléchir à Adrianna. Il était fort possible que ces hommes soient les mêmes qui avaient fait disparaître les traces de l’agression des parents Cahill. Il y avait bien des similitudes dans leur façon de procéder. Donc, ils n’étaient peut-être pas venus seulement à Phantom Springs pour extorquer de l’argent à Quin comme elle l’avait cru tout d’abord.
En poussant plus loin sa réflexion, elle se demanda pourquoi, alors que jusque-là tout le monde pensait que les Cahill avaient été victimes d’un accident, ces bandits avaient décidé d’alerter Cahill en lui réclamant deux mille dollars. L’un des membres de la bande avait-il pris seul cette initiative ? Et, dans ce cas, ses acolytes auraient-ils découvert son projet qui risquait de les compromettre et l’avaient-ils tout simplement abattu ?
Elle songea à Quin et aux moments douloureux qu’il traversait avec tous ces événements. Aussi, espérait-elle voir cette affaire résolue au plus vite pour qu’il soit délivré de ses tourments.
Assurément, quelqu’un savait dans le pays ce qui s’était vraiment passé à Phantom Springs. Les trois complices qu’elle avait entendus s’enfuir à cheval savaient comment et pourquoi l’homme avait été abattu. Cet inconnu en savait-il un peu trop sur le prétendu accident de charrette des parents Cahill ? Telle était la question.
Adrianna tenait absolument à ce que Quin connaisse enfin la vérité. Bien sûr, cela ne ramènerait pas ses parents et ne suffirait pas à le réconcilier avec Bowie, Chance et Leanna, mais…
Elle réfléchissait encore à tout cela quand la charrette qu’elle escortait passa devant les baraquements situés au nord du ranch des 4C. Quelque chose attira son attention : le rouan à robe rousse attaché à un pilier la nuit où elle avait emprunté le hongre brun pour rejoindre Cahill à Phantom Springs, était là !
— Continuez sans moi, dit-elle à ses compagnons en dirigeant Buckshot vers les baraquements. Je voudrais vérifier quelque chose. Je vous retrouverai tout à l’heure à la maison.
— Tout cela ne va pas se terminer comme à Phantom Springs, j’espère ! lui cria Butler.
— Non. Ne vous en faites pas. Je serai à la maison à l’heure du dîner.
— J’ose l’espérer ! dit Butler avec une pointe d’aigreur.
Elle sourit en se disant que son comptable se montrait parfois encore plus protecteur que son propre père ne l’avait été.
La charrette continua sa route tandis qu’Adrianna allait au trot jusqu’à la baraque devant laquelle le cheval roux était attaché.
Elle mit pied à terre et attacha Buckshot près de lui.
— Il y a quelqu’un ? fit-elle en passant la tête par la porte entrouverte.
Un cow-boy roux au visage constellé de taches de rousseur lui sourit. Il était en train de fourrer des vêtements dans un sac de toile et semblait sur le point de quitter les lieux.
— Bonjour, miss McKnight. Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
Il lui sembla que ce jeune homme ne lui était pas inconnu. Elle lui tendit la main en souriant à son tour.
— Bonjour. Il me semble vous avoir déjà aperçu aux abords des 4C.
— C’est possible. Mon nom est Otha Hadley.
— Est-ce que vous quittez le ranch des 4C parce que vous avez trouvé du travail ailleurs ?
— Non, miss. Je me marie à la fin de la semaine, expliqua-t-il avec un large sourire. Cahill m’a dit que si Zoé Daniels acceptait de m’épouser, il me louerait la cabane abandonnée qui est plus au nord, mais il y a quelques travaux à faire. Alors je vais m’y installer ce soir, et me mettre au travail tout en surveillant les troupeaux des 4C qui paissent dans les environs.
— Eh bien, toutes mes félicitations, Otha, dit-elle en parcourant la pièce d’un regard circulaire. Cahill s’est donc montré très généreux avec vous.
— C’est vrai, miss. Je dois dire qu’il a toujours été très bon pour moi, et personne n’a à se plaindre de lui.
Adrianna craignit soudain s’être trompée sur ce jeune cow-boy. Il s’était passé tant de choses ces derniers temps qu’elle ne savait plus en qui avoir confiance.
— Vous pourriez peut-être me dire à qui est le rouan, là dehors.
Otha posa son sac et s’avança vers la fenêtre.
— Oh ! Celui-là, c’est le cheval d’Ezra Fields.
Il fronça les sourcils et ajouta aussitôt :
— Pourquoi cette question, miss ?
— Je l’ai déjà vu ailleurs. Assez loin d’ici.
— Ah ! fit-il en détournant les yeux.
Il y eut un silence, puis il retourna ranger ses affaires dans son sac.
— Que se passe-t-il, Otha ? Si vous êtes aussi loyal envers Cahill que je le pense, il faut me dire ce qui vous trouble. Vous savez qu’il est à tort soupçonné de meurtre, et je veux découvrir qui est le vrai coupable.
— Je n’aime pas dire du mal des gens, miss, marmonna le cow-boy en évitant son regard. Même pas de ceux qui médisent des autres.
— Qui médisent de qui ? De Cahill ? Bon sang, expliquez-vous, Otha !
Le jeune homme interrompit son rangement et regarda par la fenêtre, comme pour s’assurer qu’il n’y avait personne alentour.
— Ezra passe son temps à dire du mal de vous à Cahill, miss, dit-il à voix basse. Il surveille tous vos faits et gestes et critique tout ce que vous faites. Bien sûr, quand Rocky est parti travailler chez vous, on était tous très mécontents. Mais, depuis, Ezra raconte à qui veut l’entendre que c’est vous qui volez le bétail et qui mettez le feu aux prairies pour ruiner Cahill.
Stupéfaite, Adrianna garda le silence.
Elle comprenait maintenant pourquoi Cahill avait été si méfiant à son égard ; autant qu’elle l’avait été envers lui, d’ailleurs. Tout comme Ezra Field le faisait ici, Chester Purvis répandait chez elle des calomnies sur Cahill et ne parlait que de cette prétendue malédiction qui planait sur les 4C.
Diable ! Ces deux-là étaient-ils de mèche ? Etaient-ils mêlés de près ou de loin au vol dont Cahill avait été victime et qui avait tourné au meurtre ? Etaient-ils responsables de l’incendie de son ranch ?
— Tout va bien, miss McKnight ? demanda le cow-boy, visiblement inquiet de son silence.
— Euh… je suis un peu sous le choc de ce que vous venez de m’apprendre, à vrai dire.
Elle hésita un instant, puis s’enquit :
— Savez-vous sur quelle couchette dort Ezra Fields ?
— A vrai dire… nous avons fait un pacte entre cow-boys, répondit Otha, plutôt mal à l’aise. C’est de ne pas nous mêler des affaires des autres.
Il fit toutefois un geste indiquant le lit sur sa gauche, mais sans plus rien dire.
Adrianna s’avança lentement vers la porte, mit le verrou et sortit quelques billets de sa poche.
— Prenez ceci en guise de cadeau de mariage, Otha. Dites-vous bien que ce n’est pas pour acheter votre silence, et n’oubliez pas que j’aurai encore besoin de votre coopération.
Le cow-boy acquiesça d’un signe de tête, mais refusa l’argent. Alors, Adrianna le fourra dans le sac de toile qu’il avait préparé, puis elle contourna le lit et ouvrit la malle d’Ezra Fields.
Une légère odeur de pétrole envahit aussitôt la cabane.
Je m’en doutais, pensa-t-elle en esquissant un sourire.
Elle fouilla dans le fond de la malle et en sortit un pantalon de toile couvert de taches.
Maintenant, il n’y avait plus guère de doute possible. Ezra Fields avait renversé du pétrole sur son pantalon en aspergeant le bâtiment de son ranch avant d’y mettre le feu. Elle fit malgré elle le lien avec son employé, Chester Purvis, qui pouvait très bien avoir utilisé le cheval brun qu’elle avait aperçu dans son propre enclos. De là à supposer que Chester avait aidé Ezra à allumer le feu, il n’y avait qu’un pas.
Un examen plus approfondi de la malle d’Ezra ne lui permit pas de découvrir l’argent volé à Quin le soir du crime. Néanmoins, la duplicité d’Ezra était une évidence, et sa trahison, une quasi-certitude.
Elle se dit que les deux complices étaient probablement impliqués dans les vols de bétail comme ils l’étaient dans les incendies de prairies et de bâtiments. Dès lors, elle pouvait imaginer qu’ils étaient aussi responsables du meurtre de Phantom Springs.
Le pantalon taché de kérosène roulé sous le bras, elle se dirigea vers la porte.
— Pas un mot de tout ceci, Otha. C’est bien entendu, n’est-ce pas ?
— Oui, miss.
Avant d’ouvrir la porte, elle scruta un instant intensément le visage du jeune cow-boy aux cheveux roux et estima qu’elle pouvait lui faire confiance. D’ailleurs, il jouait gros dans cette affaire. S’il parlait, il risquait de perdre un travail bien payé et une petite maison pour abriter son nouveau couple.
Adrianna fourra le pantalon d’Ezra dans sa sacoche de selle et fila vers son ranch, bien déterminée à élucider le rôle de Chester Purvis dans toutes ces affaires. Si cette crapule avait tout fait pour la dresser contre Cahill, ce n’était pas par hasard.
Il va me payer ça ! se dit-elle.
* * *
Quin ne put réprimer un soupir de lassitude devant les multiples chemins menant à Ca-Cross. Lequel de ces chemins avait emprunté le meurtrier de Phantom Springs ? Mystère !
— Un vrai labyrinthe ! conclut Lucas Burnett, exprimant à haute voix le point de vue de son compagnon.
— Impossible de savoir par où ils ont filé, dit Quin. Est-ce qu’ils se sont retrouvés plus tard pour partager l’argent et ont quitté le secteur en attendant que les choses se tassent ? Comment nous faire une idée, alors que nous ne savons même pas à quoi ressemblent ces bandits ?
— Désolé, Quin, mais Dog et moi n’avons pas été d’un grand secours dans ces recherches, déplora Lucas. S’il y a du nouveau, fais-le-moi savoir et nous reprendrons notre enquête ensemble.
Comme ils se séparaient, Quin regarda son ami s’éloigner avec son chien, puis il tourna bride et prit la direction opposée.
Ce n’était pas de gaieté de cœur qu’il rentrait chez lui, dans cette grande maison vide plongée dans un silence oppressant. Tout cela n’était pas fait pour l’apaiser. Cette fois, il lui semblait qu’il touchait le fond. Et comme pour ajouter à son désarroi, il ne savait toujours pas si l’accident de ses parents était ou non un double meurtre.
Et Boston qui est rentrée chez elle, songea-t-il tristement. Elle me manque déjà !
Toutefois, quand il arriva en vue de son ranch et qu’il vit le cheval de Boston attaché devant sa porte, il sentit son cœur bondir de joie.
Rien ne pouvait lui faire plus de plaisir que de passer une autre nuit avec elle.
Mais était-ce vraiment la raison de sa présence ?
Il la trouva dans le salon et, dans un élan d’enthousiasme, l’attrapa par la taille pour la soulever avant de la serrer dans ses bras.
Il l’embrassa ensuite avec passion, puis avoua dans un soupir :
— Ah ! comme je suis heureux de te voir, ma belle !
— Moi aussi, je suis heureuse de te voir, Cahill.
Elle l’embrassa à son tour avec une ardeur et une sensualité nouvelles.
— Mais… nous avons un problème, reprit-elle dans un soupir.
— Un de plus ou un de moins, quelle importance ? repartit Quin, l’air las.
Mais en la voyant sortir deux pantalons du sac qu’elle avait posé à ses pieds, il changea brusquement d’expression.
— Où as-tu trouvé ça ? demanda-t-il en fronçant les sourcils. Tu ne vas tout de même pas me soupçonner de…
— Non, l’interrompit-elle. Un de ces pantalons appartient à Ezra Fields, un de tes fidèles employés ! Otha m’a montré sa malle, et c’est là que je l’ai trouvé.
Elle ajouta sur un ton plus serein :
— A propos d’Otha, tu as été très généreux en lui offrant de s’installer dans cette cabane avec sa jeune femme. C’est un bon début, pour une vie de couple.
— Oui, en effet. A vrai dire, je ne savais pas trop si cette fille qu’il a rencontrée au bal était sincère ou si elle faisait la coquette pour lui soutirer des cadeaux. Maintenant, je suis rassuré et très heureux qu’elle l’aime vraiment. Otha est un brave garçon.
Il y eut un bref silence, puis il s’enquit :
— Alors, dis-moi… Qu’en est-il d’Ezra et de cette odeur de pétrole ?
— Le soir du meurtre, il y avait deux chevaux attachés devant les baraquements de tes hommes. J’ai pris l’un d’eux pour aller te rejoindre à Phantom Springs. Le lendemain, pendant que tu étais en prison, j’ai vu ce même cheval dans mon enclos.
— Oh non ! Ne me dis pas que Rocky est dans le coup !
— Ce n’est pas Rocky. C’est Chester Purvis. J’ai trouvé aussi un pantalon taché de pétrole dans sa malle.
— Bon sang ! gronda Quin. Donc, ils ont fait le coup ensemble !
— Il semblerait que ce soit le cas, en effet. Ils ont cherché à nous brouiller pour entretenir notre querelle et ils ont répandu en ville l’idée de cette stupide malédiction des Cahill. Ils sont certainement impliqués dans les vols de bétail, et peut-être même aussi dans l’extorsion dont tu as été victime l’autre soir.
— Ah ! les ordures ! gronda Quin en serrant les poings. Si je les tenais…
— Je crois qu’ils mériteraient une balle dans la tête. Ainsi, nous serions débarrassés d’eux une bonne fois pour toutes. Je suis furieuse à l’idée de tout le mal qu’ils ont pu nous faire en nous volant nos bêtes et en mettant le feu chez nous.
Quin prit les deux pantalons et les fourra dans le sac d’un geste nerveux.
— Je crois qu’il faut remettre leur exécution à plus tard, Boston. J’attends de voir si ces deux bâtards vont revenir cette nuit pour nous voler d’autres bêtes Je n’ai toujours pas retrouvé les douze veaux qui ont disparu cette semaine.
— J’irai avec toi, proposa-t-elle.
— Non.
Il comprit vite que ce refus ne suffirait pas à la dissuader. La lueur dont flambaient ses yeux verts témoignait d’une détermination contre laquelle il ne pourrait rien. Il savait qu’elle ne prenait jamais ses ordres au sérieux car il n’était pas dans ses habitudes d’en recevoir. Il était temps qu’il se fasse à cette idée…
— Ecoute-moi bien, Quin : je suis concernée autant que toi par ces affaires. La trahison de mon employé, l’incendie de mon ranch, les vols de mes bêtes, etc. C’est moi qui vais aller trouver ces vauriens, et tu es invité à me suivre si tu le veux.
— Je te remercie. J’allais justement te faire la même proposition.
— Je vois que tu commences à comprendre, Cahill ! dit-elle avec un sourire malicieux. En fait, tu n’es pas aussi désagréable que je le pensais au début. Je crois bien que je commence à t’apprécier.
Ils sortirent ensemble et, comme Boston retournait vers son cheval, Quin laissa son regard errer sur les courbes de ses hanches en poussant un long soupir.
Une fois de plus, elle avait gagné !
Il était fou d’Adrianna McKnight. Fou de la vivacité de son esprit, de son courage, de sa détermination… sans parler de ses yeux d’émeraude au pouvoir ensorcelant et de son corps infiniment désirable. Il appréciait aussi qu’elle soit toujours auprès de lui dans les moments difficiles, qu’elle le stimule dans les décisions qu’il avait à prendre. Bref, elle représentait un défi permanent qu’il aimait affronter !
Il se demanda ce qu’il pourrait faire pour la convaincre de revenir s’installer chez lui avec toute sa suite ; la grande maison des 4C avait terriblement besoin d’elle.
Il savait combien elle se méfiait des hommes et de leurs intentions rarement honorables, et doutait fort qu’elle lui accorde un jour la confiance qu’elle avait refusée à tant d’autres.
Pourtant, il fallait qu’il réussisse à se faire aimer d’elle !
Ironie du sort, alors que nombre de femmes n’attendaient qu’un signe de sa part, il désirait celle qui refuserait de l’épouser même s’il la suppliait à genoux !
S’il ne s’était à ce point senti désemparé, il aurait pu en rire…