Après avoir fait quelques courses en ville, Adrianna prit le chemin de son ranch où elle avait mille choses à faire avant de retrouver Quin aux 4C. Il était parti avec Rocky pour récupérer les bêtes qu’Ezra et Chester avaient cachées la veille dans la combe au nord du ranch. Ils comptaient aussi s’assurer que les voleurs n’avaient pas parqué d’autres bêtes ailleurs.
Elle lança Buckshot au galop et songea à ces deux traîtres de cow-boys. A l’évidence, ils avaient pour but de la ruiner et de ruiner Quin en les volant et en détruisant leurs ranches.
Si la question des vols et des incendies semblait momentanément réglée, celles concernant le meurtre et « l’accident » des parents Cahill restaient en suspens. Tout comme Quin, elle attendait des réponses qui ne venaient pas.
A en croire Ezra et Chester — dans la mesure où l’on pouvait accorder un quelconque crédit à ce que racontaient deux voleurs —, ils n’avaient rien à voir avec les événements de Phantom Springs ni avec la mort des parents de Quin.
Alors qui donc était responsable de tout cela ? Y avait-il deux bandes concurrentes de criminels ?
Il fallait absolument que toute cette affaire soit résolue au plus vite pour que Quin puisse enfin retrouver la paix.
En arrivant chez elle, elle trouva Butler qui semblait l’attendre devant la porte.
— Que se passe-t-il, Hiram ? demanda-t-elle en mettant pied à terre.
— Rien de particulier, Addie K., répondit le comptable en haussant les épaules. A propos des deux hommes que vous avez fait mettre en prison… je me suis souvenu avoir vu le cheval que vous m’aviez décrit. Ce mois-ci, j’ai vu traîner Ezra par ici à plusieurs reprises, mais à vrai dire j’ignorais s’il faisait ou non partie du personnel.
— Vous n’avez rien à vous reprocher, Hiram. Nous avons employé tant de gens, ces derniers temps, que je ne les connaissais pas tous moi-même. De toute façon, ces crapules opéraient dans la région bien avant notre installation ici. Nous avons eu de la chance de pouvoir les repérer.
— Et heureusement que vous avez réussi à vous enfuir pour rejoindre Cahill à Phantom Springs le soir du crime.
— Oui, Dieu merci. Non seulement j’ai pu lui venir en aide, mais ça nous a permis de savoir que quatre hommes conspiraient pour lui extorquer de l’argent !
— Ils auraient pu vous agresser, remarqua Butler en la suivant dans la maison.
Elle entra dans le bureau et ouvrit le coffre-fort.
— Les choses auraient pu se passer plus mal, admit-elle. Certes, Cahill a été assommé, mais il s’en est tiré avec une belle bosse sur le crâne.
— Il s’est tout de même retrouvé en prison, souligna Butler.
— Et la discussion avec le shérif n’a pas été facile, c’est certain. Hobbs s’est tout de même calmé quand nous lui avons livré Ezra et Chester. Mais je crois qu’il ne m’apprécie guère.
— Il serait probablement mieux disposé envers vous s’il connaissait le montant exact de votre fortune, plaisanta Butler. Les hommes sont tous les mêmes.
Adrianna prit plusieurs liasses de billets dans le coffre et le referma soigneusement.
— Quand j’aurai payé les hommes, je ramènerai Elda chez Cahill. C’est là qu’elle se sent le mieux. Je rentrerai tard, ce soir, alors ne vous inquiétez pas. Dès demain j’irai m’installer dans l’appartement de Rosa, ainsi vous pourrez disposer de la maison avec Béa.
— Vous êtes trop bonne avec nous, Addie K., dit Butler. J’ai fait de mon mieux pour convaincre votre père de renoncer à faire de vous une femme aussi parfaite que l’était votre mère. Pourtant, il était résolu à vous modeler à son image… J’avoue être heureux qu’il ait échoué. Telle que vous êtes, je vous trouve parfaite et je vous aime ainsi.
— Merci d’avoir fait comprendre à papa qui j’étais vraiment, Hiram, dit-elle en le serrant dans ses bras. Quant à votre installation dans cette maison, c’est la moindre des choses. Vous savez que je vous considère comme étant de ma famille, avec Béa.
Elle pensa alors à Quin qui n’avait pas la chance d’être lié à ses frères et à sa sœur comme elle l’était à sa famille d’adoption. Elle se promit d’avoir une conversation avec lui dès que possible. Deux années s’étaient écoulées, ce qui, avec un peu de chance, devait avoir permis aux esprits de s’apaiser. Peut-être Bowie, Chance et Leanna n’attendaient-ils qu’une chose, que Quin fasse le premier pas.
— Hiram, vous seriez bien aimable d’aider Elda à transporter ses bagages, reprit-elle. Moi, je vais aller distribuer la paye aux hommes.
Tandis que Butler quittait le bureau, elle se dit qu’en dépit de son air guindé son fidèle comptable était un homme au grand cœur et qu’elle ne pouvait que se louer de ses qualités.
Elle glissa les liasses de dollars dans une enveloppe qu’elle prit dans un tiroir. Par bonheur, les deux voleurs étaient en prison, aussi ne risquait-elle pas d’être dépouillée de cette somme. A propos d’argent… Elle se demanda si elle ne devrait pas proposer un prêt à Quin pour compenser ce qu’on lui avait volé à Phantom Springs. Bien sûr, il était trop orgueilleux pour accepter de l’argent, surtout d’une femme, mais elle ne doutait pas de parvenir à le convaincre. Aussi prit-elle une autre enveloppe dans laquelle elle mit deux mille dollars avant de fourrer le tout dans sa poche.
En sortant du baraquement après avoir payé ses cow-boys, Adrianna regarda en direction du nord-ouest, avec l’espoir de voir Rocky et Cahill revenir sains et saufs avec le bétail volé.
— Voilà, je suis prête à partir, lui cria Elda depuis le perron.
La cuisinière était entourée de valises et de sacs remplis d’ustensiles qu’elle avait absolument tenu à emporter de Boston. Dès qu’Isaac Moss, un cow-boy récemment engagé, amena la charrette devant la maison, Elda s’installa sur le siège. Le cow-boy chargea les bagages à l’arrière et confia les rênes à Adrianna qui prit place près d’Elda.
— Vous avez été très bonne pour Béa et Hiram, dit Elda lorsqu’elles se mirent en route. Je suis très heureuse qu’ils aient enfin décidé de se passer la corde au cou !
Elle se pencha vers Adrianna et ajouta :
— Tout ce va-et-vient d’une chambre à l’autre toutes les nuits, ce n’était pas très sain !
Inévitablement, Adrianna se demanda à quoi ressemblerait sa vie d’épouse… si elle se mariait un jour. Hélas ! elle avait reçu des dizaines de demandes en mariage au cours des huit dernières années, mais le seul homme qu’elle avait en vue ne se déclarait pas.
* * *
Quand elles arrivèrent aux 4C, Skeeter Gregory, un jeune cow-boy mince comme un fil sortit de la grange et aida Elda à descendre de la charrette.
— Je suis content que vous soyez de retour, madame ! s’exclama-t-il. Si vous saviez comme vos gâteaux nous ont manqué !
— Ne vous inquiétez pas mon garçon, répondit la cuisinière avec un large sourire. Dès que j’aurai réinstallé mon matériel dans la cuisine, je me mettrai aux fourneaux et vous pourrez vous régaler avec les autres.
Elda, qui n’avait jamais eu d’enfants, se faisait une joie de gâter Quin Cahill et tous ses cow-boys qui ne ménageaient pas leurs compliments. A vrai dire, elle se sentait bien plus utile dans un ranch du Texas que dans la grande demeure de Boston. Ici, au moins, les occupants n’étaient jamais rassasiés de douceurs !
Tandis qu’Elda montait dans sa chambre, escortée par Skeeter qui portait ses bagages, Adrianna alla déposer deux sacs d’ustensiles dans la cuisine puis retourna à la charrette. Là, elle vit venir vers elle le jeune Mexicain qui avait remis à Quin la lettre anonyme.
— Pour le señor Cahill, dit-il en lui tendant un papier plié.
— Qui t’envoie ? s’enquit Adrianna.
— J’ai trouvé ce mot avec quelques pesos sur la selle de ma mule, comme la première fois.
— Et tu n’as vu personne ?
— Non, señorita.
Sans autre explication, le garçon fit faire demi-tour à se mule et repartit comme il était venu.
En dépliant la feuille Adrianna remarqua aussitôt que l’écriture n’était pas la même que la dernière fois. Cependant, les exigences n’avaient pas changé.
« Venez à Triple Creek avec 2 000 $ si vous voulez des renseignements sur l’accident de charrette de Ruby et Earl Cahill. »
Toujours aussi énigmatique, le texte n’évoquait ni le vol ni le meurtre, alors qu’elle aurait souhaité plus de précisions pour dissiper enfin les doutes de Cahill. Les instructions reçues par Ezra et Chester procédaient du même mode opératoire.
Diable ! Je me demande ce que cela peut bien vouloir dire !
Les hommes impliqués dans le meurtre et l’extorsion de fonds de Phantom Springs étaient-ils en relation avec celui — ou ceux — qui ordonnait les vols de bétail et les incendies ?
Adrianna pensa à son premier régisseur, George Spradlin. Pouvait-il être mêlé à toutes ces affaires, de près ou de loin ? Et que savait exactement l’auteur de ces lettres sur l’accident des parents de Quin ?
Elle ne voulait à aucun prix que ce nouveau rendez-vous tourne au drame comme le précédent et était résolue à s’y rendre à la place de Cahill. Eventuellement, il pourrait lui venir en aide. C’était ainsi que les choses auraient dû se passer à Phantom Springs.
Elle prit cependant le temps de réfléchir aux conséquences de sa décision.
Le fait de se présenter à la place de Quin pourrait peut-être surprendre l’informateur au point de le déstabiliser et, cette fois, personne ne pourrait faire accuser Cahill de meurtre, si tel était le but de ces hommes. A moins que le vol ne soit leur unique motivation ?
Si Quin la rejoignait sur le lieu du rendez-vous, ce qu’il ferait sans aucun doute, il pourrait donner à ces types la correction qu’ils méritaient. La façon dont il avait maîtrisé Ezra et Chester prouvait qu’il était de taille à affronter n’importe quel adversaire.
Adrianna laissa sur l’un des fauteuils du salon le message remis par le jeune Mexicain et y joignit un mot de sa main. Elle prit ensuite le chapeau de Quin et sa veste pendue au portemanteau de l’entrée, puis se rendit à l’écurie. Là, elle emprunta un cheval de la même couleur que Cactus, puis se mit en route, laissant sa charrette bien en évidence dans la cour.
Comme elle quittait la propriété, elle aperçut au loin Rocky et Quin qui ramenaient le bétail caché dans la combe par les voleurs. Elle se réjouit de les voir revenir et se dit que Quin ne tarderait pas à la rejoindre sur le lieu du rendez-vous pour lui prêter main-forte sans l’empêcher de mener à bien sa mission.
Avec son revolver à la ceinture et son couteau dissimulé dans sa botte, Adrianna s’élança au galop en direction de Triple Creek. Dans la clarté orangée du jour finissant, elle longea un moment le ruisseau bordé d’une haie d’arbres, de façon à ne pas être vue. Ainsi, Quin ne serait pas tenté de se lancer immédiatement à sa poursuite.
Elle aimait cet homme et ne tenait pas à ce qu’il soit blessé de nouveau en prenant sa défense. Elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour le protéger, c’était sa façon de lui témoigner son affection sans lui dévoiler ses sentiments et risquer de se voir éconduire.
Ce sera ton second exploit de l’année ! songea-t-elle en talonnant sa monture.
* * *
Quin enferma dans le corral les bêtes récupérées avec Rocky au fond du canyon. Il avait espéré y trouver aussi une autre lettre avec de nouvelles instructions, mais ce ne fut pas le cas. Quant aux bêtes disparues précédemment, il se demanda où elles avaient été vendues. Il rongeait son frein, car il lui faudrait du temps pour le découvrir, alors qu’il voulait des réponses au plus vite.
Son cœur bondit dans sa poitrine quand il aperçut la charrette de Boston dans la cour du ranch. La promesse d’une nuit d’amour dans la grande chambre dissipa en un instant la fatigue et les contrariétés de la journée. Laissant à Rocky le soin de finir de trier les bêtes, il fila à bride abattue vers la maison.
— Hé ! patron ! Elda est de retour ! lui cria Skeeter, l’air joyeux.
Il sourit en se disant que Skeet était de loin le plus gourmand de ses hommes. Quant à lui, il comptait bien se régaler dès ce soir d’un morceau de choix aux yeux verts et aux cheveux châtains, qui répondait au nom de Boston !
Il mit pied à terre devant le perron et s’étonna que sa belle voisine ne soit pas là pour l’accueillir. Il la chercha dans toute la maison, explorant tour à tour le bureau, la salle à manger, la cuisine… sans la trouver nulle part. Pas plus qu’Elda, d’ailleurs.
Dans le salon, il eut la surprise de découvrir deux lettres déposées dans le fauteuil de son père.
Il prit le message qui proposait encore une fois des informations sur l’accident de ses parents, mais l’écriture était différente du précédent.
Le second était de la main de Boston :
« J’ai décidé d’aller à ce rendez-vous de Triple Creek à votre place au cas où il s’agirait encore d’une mauvaise plaisanterie. J’ai pris l’argent que réclame cet homme dans ma réserve personnelle. Peut-être aurons-nous la chance de savoir enfin la vérité sur les causes de la mort de vos parents.
Sincèrement vôtre, Boston. »
« Sincèrement vôtre » !
Quin était furieux. Verrait-il un jour une lettre de Boston s’achevant par : « Adrianna qui t’aime » ?
— Quelle folle ! Qu’est-ce qu’elle cherche ? A se faire tuer ? murmura-t-il en froissant la lettre dans sa main.
Il savait qu’elle avait un goût certain pour l’aventure, mais cette fois elle était peut-être en danger de mort. Et en danger de mort à cause de lui !
Cette idée le rendait fou d’inquiétude.
Sans perdre un instant, il sauta en selle et lança Cactus au galop. Chaque minute comptait pour la tirer du piège dans lequel elle s’était précipitée bien imprudemment. De plus, cette affaire le concernait lui, et elle n’avait pas à s’en mêler.
Il ne pouvait qu’espérer qu’il n’arriverait pas trop tard.
* * *
Arrivée sur les lieux du rendez-vous, une clairière à la jonction des trois criques, Adrianna mit pied à terre. Pour le moment, il n’y avait personne en vue. Aussi, par précaution, elle sortit l’enveloppe contenant les deux mille dollars de sa poche et la dissimula sous une pierre.
Pour ne pas susciter la convoitise de l’informateur qui pouvait se transformer en voleur, elle se dit qu’ainsi à l’abri, cet argent lui servirait de garantie. Pas de renseignements, pas d’argent !
Son but était de réunir le plus de détails possibles avant l’arrivée de Quin qui ne manquerait pas de la rejoindre.
— Jette tes armes, Cahill ! ordonna une voix rauque sur sa gauche.
Adrianna obéit. Elle sortit son revolver de l’étui qu’elle portait à la ceinture et le laissa tomber dans l’herbe.
— Où est ton autre revolver ? demanda l’homme qu’elle ne voyait toujours pas.
— Je n’en ai qu’un, répondit-elle en affectant une voix grave.
— Par tous les diables, il ment ! intervint une autre voix sur sa droite.
Ils sont au moins deux, songea-t-elle. Où se cache le troisième ?
— Retire ton chapeau ! reprit la première voix.
Comme elle s’exécutait, la tresse qu’elle avait pris soin d’enrouler sous le chapeau retomba sur son épaule.
— Vous ? s’exclama le second bandit. Qu’est-ce que vous faites ici ? C’est Cahill qu’on veut voir !
— Il n’était pas chez lui quand le messager est venu. Il est parti à la recherche des bêtes volées par vos complices Ezra et Chester.
— C’est les deux types que vous avez fait jeter en prison ?
— Oui. Ils font partie de vos connaissances, non ?
— Non, répliqua celui qui avait parlé en second. Maintenant, avancez par ici. Et surtout ne tentez rien que vous pourriez avoir à regretter.
Comme elle avançait, l’homme ajouta :
— Et levez les mains bien haut.
Une fois encore, Adrianna obéit sans protester. En fait, elle comptait bien faire parler ces hommes et obtenir d’eux le maximum d’informations.
— Lequel d’entre vous a tué l’homme de Phantom Springs ? questionna-t-elle sans détour.
Elle découvrit enfin les deux individus. Ils portaient des cagoules noires et de longs manteaux.
— Je ne crois pas que ça vous regarde. Maintenant, où est l’argent ?
— Je vous le remettrai quand vous m’aurez donné les renseignements que j’attends de vous, répliqua-t-elle en baissant les bras. Que savez-vous sur la mort de Ruby et Earl Cahill ? Est-ce que c’était une tentative de vol ?
— Peut-être… ou peut-être pas, répondit l’un des deux avec un ricanement.
— Pas de réponses, pas d’argent, leur rappela-t-elle d’un ton ferme.
— Je crois que vous n’avez pas bien compris, ma jolie. Ici, c’est pas vous qui fixez les règles du jeu. Où est l’argent ? Donnez-le et on verra après.
Cahill, il est temps de te montrer, se dit-elle. Ces deux-là n’ont pas l’air très patients !
— C’est donc vous et vos deux autres complices qui avez attaqué les parents Cahill à leur retour de Wolf Grove ? insista-t-elle. J’imagine qu’ils ont tenté de vous échapper…
— Fermez-la ! s’écria l’un des inconnus en pointant son revolver sur elle.
— Alors, vous les avez rattrapés et ils ont perdu le contrôle de leur voiture dans un virage de Ghost Canyon. C’est bien cela ?
— Taisez-vous !
— Non, je ne me tairai pas ! rétorqua-t-elle en relevant le menton. Je suis venue chercher des renseignements précis en échange des dollars que vous demandez. Maintenant, je veux savoir si vous avez volé l’argent des parents Cahill et les fournitures qu’ils transportaient.
— Oui ! répondit enfin le premier qui avait parlé, visiblement excédé.
— Et ensuite vous avez effacé toutes les traces pour faire croire à un simple accident. Et qu’avez-vous pris sur les corps de vos victimes ? De l’argent ? Des bijoux ?
— Vous allez vous taire, espèce de fouineuse ? s’écria l’autre. Si vous ne la fermez pas, c’est moi qui vais vous clouer le bec !
— Maintenant, on veut l’argent, intervint son complice.
— Où est le troisième homme ? s’enquit Adrianna en scrutant les alentours. Vous l’avez-vous tué pour partager la somme en deux ? Le meurtre de Phantom Springs était peut-être le résultat d’une querelle entre vous… Je parierais qu’il a tenté de s’enfuir avec l’argent et que vous l’avez alors abattu.
Ces questions restèrent sans réponses, ce qui fit bouillir Adrianna. Trouverait-elle un jour le troisième homme ? Peut-être était-il caché non loin de là et allait-elle lui servir de cible…
— Vous êtes une enquiquineuse, miss McKnight !
— C’est ce que l’on me dit souvent, répondit-elle en affectant un ton léger. Ce que je voudrais savoir, c’est pourquoi vous avez attendu deux ans pour prendre contact avec Cahill. Et pourquoi vous êtes-vous arrangés pour le faire accuser du meurtre de Phantom Springs.
— Ça suffit ! cria le plus impatient des deux. Où est l’argent ?
— Répondez à mes questions et vous l’aurez.
L’autre bandit fondit alors sur elle et lui donna une violente bourrade. Déséquilibrée, elle trébucha en arrière et tomba. Comme elle tentait de se relever rapidement pour éviter de recevoir des coups, l’homme la saisit par la tresse.
Il tira son arme de son étui et en pointa le canon sur sa tempe. Elle voulut se dégager, mais il la retint d’une main ferme.
— Laisse-la ! ordonna soudain Quin en sortant de l’ombre.
Il s’avança à pas lents dans la clairière, un revolver dans chaque main.
Surpris par cette apparition, les deux bandits s’immobilisèrent. Le premier se dissimula derrière son complice qui tenait toujours Adrianna en respect au bout de son arme.
— Donne-nous les deux mille dollars, Cahill, et on laissera la vie à cette furie.
— Ce n’est pas moi qui ai l’argent. Vous allez la libérer, et ensuite, nous verrons.
Les deux hommes échangèrent quelques mots à voix basse. En cet instant précis, découvrir les circonstances de la mort de ses parents n’était pas la préoccupation principale de Quin ; il tenait avant tout à sauver Boston. Si, comme il le pensait, ces bandits avaient tué ses parents, il les retrouverait de toute façon tôt ou tard pour leur régler leur compte.
— Libérez-la et je vous apporterai l’argent.
— Je ne te fais pas confiance, Cahill, répliqua celui qui retenait Boston.
Profitant d’un moment d’inattention, Adrianna lui donna un violent coup de poing dans le bas-ventre. L’homme accusa le coup et la repoussa, l’envoyant rouler dans l’herbe, puis pointa de nouveau son arme sur elle.
Pour faire diversion Quin fit feu de ses deux revolvers et atteignit l’autre homme en pleine poitrine. Celui-ci tomba à genoux, mais il eut encore la force de répliquer et blessa Quin au côté avant de s’affaler sur le sol.
— Non ! cria Adrianna qui s’était immobilisée, à genoux par terre.
Malgré la brûlure qu’il ressentait, Quin mit le bandit en joue. L’homme eut un instant d’hésitation puis il détourna son revolver d’Adrianna pour le braquer sur lui.
Du coin de l’œil, il vit alors Boston tirer un couteau de sa botte et frapper l’homme à la cuisse à deux reprises. Celui-ci poussa un hurlement de douleur et lui tordit le bras pour lui faire lâcher son couteau avant de lui poser le revolver sur la tempe.
— Où est l’argent ? demanda-t-il en grimaçant.
* * *
Quin sentait ses forces l’abandonner et sa vue se troublait de façon inquiétante. Tout commençait à tourner autour de lui. Son bras se mit à trembler et il tenta de raffermir sa prise sur son revolver, en vain. Profitant de sa faiblesse, le bandit le désarma d’un coup de pied.
Ses genoux fléchirent soudain et il s’abattit dans l’herbe en songeant avec angoisse au sort de Boston qui risquait sa vie.
— Dites-moi où est l’argent, miss McKnight, ou je le tue.
— Je l’ai caché un peu plus loin, dit-elle enfin. Laissez-moi aller le chercher.
Elle désigna Quin d’un geste et ajouta :
— Il est gravement blessé et ne risque plus de vous tirer dessus. Laissez-le partir.
— Pas avant que j’aie l’argent. Alors, allez le chercher, et en vitesse ! Et surtout, pas de bêtises…
Adrianna revint deux minutes plus tard, l’enveloppe à la main.
— Prenez-la et partez, dit-elle au bandit en la lui tendant.
L’homme la saisit et commença à reculer tout en gardant un œil sur Quin.
Adrianna ne quittait pas des yeux le revolver qui avait échappé à l’homme que Quin avait abattu.
— Non, Boston ! Ne faites pas ça ! murmura Quin qui avait suivi son regard et essayait de se redresser.
Ignorant sa supplique, elle ramassa prestement le revolver et fit feu à trois reprises alors que le bandit disparaissait dans le bosquet.
Quelques instants plus tard, Quin entendit deux ou trois chevaux s’éloigner au galop dans la nuit. Il supposa que le bandit avait pris la monture de son complice par la bride et l’entraînait dans sa course. Peut-être était-il accompagné d’un troisième hors-la-loi qui attendait un peu plus loin que la fusillade se calme.
Il se traîna comme il put jusqu’à l’homme étendu à quelques pas de lui. Faisant appel à ses dernières forces, il parvint à le retourner sur le dos et à lui ôter sa cagoule, dévoilant une chevelure noire et des yeux bruns à peine entrouverts. De larges taches de sang maculaient la chemise du blessé.
— As-tu… abattu mes parents après les avoir volés ? questionna Quin en haletant.
L’homme acquiesça d’un hochement de tête.
— Ce n’était pas… seulement… un vol, balbutia-t-il. C’était aussi… un meurtre. Vous ne pouvez pas… imaginer jusqu’où remonte… le complot…
Puis sa tête retomba sur le côté et il exhala son ultime soupir.
Quin ne put réprimer un juron. Il savait maintenant que ses parents avaient été assassinés, mais il ignorait toujours pourquoi cette révélation survenait deux ans après le crime. Leur mort avait-elle un lien quelconque avec les vols de bétail et les incendies survenus aux 4C et chez Boston ? Le mystère demeurait.
— Quin, tu es blessé, dit Adrianna en s’agenouillant auprès de lui. Je suis désolée… tout cela est ma faute.
— Non, balbutia-t-il. Tu n’y es… pour rien. C’est moi… qui t’ai entraînée dans cette sale histoire.
Elle déchira un pan de sa chemise pour lui faire un pansement et l’aida à s’asseoir.
— Crois-tu que tu pourras tenir sur tes jambes ? Il faut que je t’emmène d’urgence chez le médecin.
— Je… je ne crois pas… que ce soit utile, Boston.
— Ne bouge pas d’ici, dit-elle en se relevant tout à coup.
— De toute façon… je n’ai pas le choix ! marmonna-t-il en esquissant un sourire.
Elle partit à la recherche de Cactus et le ramena vers son maître. Ensuite, elle fit à Quin un solide pansement autour de la taille et tenta sans succès de le hisser sur sa selle.
— Ecoute-moi, Quin Cahill ! dit-elle entre deux sanglots. Je t’aime très fort… et je ne veux pas te perdre… Maintenant, tu vas rassembler toutes tes forces et t’agripper à cette selle… pour l’amour de Dieu !
Sans trop savoir comment, elle parvint à le hisser sur son cheval.
Le trajet de retour fut un long calvaire pour Quin qui gémissait pour ainsi dire sans discontinuer, et pour Adrianna qui se demandait s’il survivrait à cette épreuve.
A cela s’ajoutait la culpabilité de l’avoir mis en danger dans la fusillade dont elle s’estimait responsable. Quin s’était exposé aux tirs des deux bandits pour la protéger, et elle ne se le pardonnait pas.
— Oh ! mon Dieu, Quin ! soupira-t-elle. C’est par ma faute que tu es dans cet état.
A demi-inconscient, affalé sur l’encolure de Cactus, il était bien incapable de répondre. L’avait-il seulement entendue ?
Elle songea aussi au bandit abattu qui n’avait livré que des bribes de renseignements sur les circonstances de la mort des parents Cahill. Quant à l’autre, il avait filé avec les deux mille dollars et peut-être rien de plus grave qu’une cuisse entaillée.
Ce qu’elle ignorait, c’était le rôle exact du troisième hors-la-loi qui était probablement resté caché. A vrai dire, elle n’avait pas la preuve qu’il ait été là.
Mais ce qui la tourmentait plus que tout, c’était la crainte que Quin Cahill — le seul homme qu’elle ait jamais aimé — ne résiste pas à cet éprouvant trajet à cheval. S’il venait à mourir, elle se reprocherait jusqu’à son dernier jour de l’avoir envoyé à la mort alors qu’elle voulait le protéger. Si cela pouvait le sauver, elle était prête à donner toute sa fortune.
Elle sentit son cœur se serrer en voyant son corps inerte ballotté au rythme du pas du cheval. Ils offraient un tableau sinistre sous la pâle clarté de la lune !
Accablée par ce spectacle et par sa propre culpabilité, elle fondit en larmes.
Pauvre Quin ! Non seulement il avait dû endurer la douleur d’avoir perdu ses parents, à laquelle s’ajoutait maintenant la certitude qu’il s’agissait d’un meurtre, mais il n’avait pu endiguer les rumeurs de malédiction pesant sur sa famille qui couraient en ville.
Elle se dit que si une malédiction pesait sur lui, c’était de l’avoir rencontrée, elle, et qu’il risquait de ne pas y survivre.