Quin s’entendait gémir comme s’il était à l’agonie. Il lui semblait que sa vie n’était plus qu’une flamme vacillante qui allait s’éteindre d’un instant à l’autre. Tout ce qu’il espérait, c’était que la mort serait plus douce que son calvaire.
Tandis que cette idée le hantait, il lui sembla que tout s’estompait autour de lui, comme si l’univers entier était plongé dans un épais brouillard. Une immense lassitude s’empara alors de lui et il se laissa emporter vers une bienfaisante obscurité.
Bien plus tard — des heures ? des jours ? un siècle plus tard ? — il revint à lui. En ouvrant les yeux, il se rendit compte qu’il était étendu sur un lit et reconnut l’infirmerie du Dr Lewis. Boston était à son chevet, assoupie sur une chaise.
Il fit l’effort de se tourner sur le côté et tendit la main vers son beau visage. Chaque mouvement qu’il faisait au prix d’un énorme effort lui causait de vives douleurs.
Au contact de sa main, Boston ouvrit les yeux. Elle avait les paupières rouges et gonflées, signe qu’elle avait pleuré. Ses traits tirés par la fatigue témoignaient de l’angoisse qui la hantait.
— Oh ! Quin ! Comment te sens-tu ? murmura-t-elle en le recoiffant d’une main très douce.
— J’ai l’impression de revenir de l’enfer ! Et toi, comment vas-tu ?
— C’est pareil. D’autant que je me sens coupable de t’avoir mis en danger. Je ne peux pas oublier que tu as failli te faire tuer par ma faute.
— Boston, ne dis pas de bêtises !
— En voulant t’aider, je n’ai fait qu’aggraver les choses.
— Allons, je t’ai déjà dit que tout cela n’était pas ta faute.
Elle s’agita nerveusement sur sa chaise et détourna les yeux.
— Te souviens-tu de ce que je t’ai dit pendant que je te ramenais en ville ?
— Non. Désolé. Je suppose que je devais déjà avoir perdu connaissance. Que m’as-tu dit ?
Il la vit se mordre la lèvre, puis esquisser un timide sourire.
— Je me demande si cela va améliorer ton état ou l’aggraver. Je ferais peut-être mieux de me taire.
— Allons, parle Boston ! Tu n’as jamais mâché tes mots jusqu’à présent, ce n’est pas le moment de commencer…
Elle inspira profondément, comme si elle allait plonger dans des eaux d’une profondeur insondable.
— Je t’aime, Quin !
— Est-ce que tu dis ça parce que je vais mourir ? murmura-t-il en cherchant son regard.
— Non. Je t’aimais déjà bien avant que tu sois blessé par ma faute. Et de toute façon, tu ne vas pas mourir.
— Qu’en sais-tu ?
— La balle n’a pas touché d’organe vital. Elle n’a endommagé que les muscles et les ligaments, ce qui explique tes douleurs. Le Dr Lewis a pansé la plaie et a dit que tu allais encore souffrir pendant une dizaine de jours.
Elle prit sa main dans la sienne et ajouta :
— Ce n’est pas parce que je t’aime que tu dois te sentir obligé de…
Il l’interrompit en posant son index sur ses lèvres et regretta de ne pas pouvoir bouger suffisamment pour la prendre dans ses bras.
— Moi aussi, je t’aime, Boston. Il m’est difficile de trouver les mots pour te dire tout ce que tu représentes pour moi.
En voyant son visage s’illuminer sous l’effet d’un sourire radieux, il en oublia soudain ses souffrances.
— Pourquoi ne me l’as-tu pas dit ? demanda-t-elle dans un souffle.
— Parce que je ne savais pas si tu voulais de moi, et je ne me sentais pas le droit de te troubler en te parlant d’un amour dont tu n’avais peut-être que faire…
Elle se pencha vers lui pour déposer un baiser sur ses lèvres.
— Oh ! bien sûr que je veux de toi, Quin ! Et tu ne me troubleras jamais assez en me parlant d’amour !
Ses yeux verts étincelaient lorsqu’elle déposa un nouveau baiser sur ses lèvres.
— Vas-tu me demander de t’épouser ? lui chuchota-t-elle à l’oreille.
— Non. Tous les hommes te demandent en mariage, Boston. Je ne veux pas être confondu avec eux parce que je me moque de ta fortune.
Il eut alors un sourire de séducteur et ajouta :
— Mais je n’en suis pas moins fasciné par ton intelligence, ta vivacité d’esprit et… ton corps de rêve. Par tout ce que j’aime en toi, en somme. Alors, si tu veux t’installer aux 4C pour toujours, il faudra que ce soit toi qui fasses ta demande. Tu es toute ma vie, Boston.
— Je veux être auprès de toi à chaque instant et pour toujours, Quin, répondit-elle en essuyant une larme. Epouse-moi !
— Il te suffit de dire le jour et le lieu.
— A deux conditions, toutefois…
— Ah ! nous y voilà ! Je me demande ce que tu vas exiger de moi pour que je puisse te garder…
— Tout d’abord, je veux ajouter mon troupeau de longues cornes au tien et faire avec toi la route de Dodge City. Le docteur m’a assuré que tu serais sur pied d’ici là.
Quin poussa un long soupir.
— Boston, tu ne te rends pas compte… La route de Dodge City se fait au printemps, parfois sous de violents orages, dans la débandade des troupeaux et le risque d’être rançonné par des bandits de grands chemins. Il faut aussi traverser des torrents, des rivières en crue et parfois affronter des Indiens.
Elle releva fièrement le menton, dans cette attitude de défi qui lui était familière.
— Rien de ce que tu pourras dire ne me découragera. Autant te faire tout de suite à cette idée… Tu n’iras pas à Dodge City sans moi, Cahill ! Je meurs d’envie de vivre de nouvelles aventures.
— Et moi qui croyais que notre mariage serait déjà une folle aventure ! Ça ne te suffit pas ?
— N’as-tu pas compris que je ne veux être à aucun moment séparée de toi, Quin ? Pas un jour, pas une heure, pas une seconde ! Et puis, je tiens à m’assurer que tu ne commettras pas d’imprudence après ce qui vient de t’arriver par ma faute.
Il hocha la tête en silence en se disant que, cette fois, il se sentait incapable de lui dire non.
— Soit, nous irons ensemble à Dodge City, répondit-il, de guerre lasse. Et… peut-on savoir quelle est la seconde condition, Boston ?
L’expression d’Adrianna changea brusquement et son visage devint grave.
— Je tiens à ce que tu reprennes contact avec tes frères et ta sœur. Il faut qu’ils sachent que tu as été blessé et que l’accident de charrette de vos parents n’en était pas un.
— Non ! Je ne peux pas les imaginer à mon chevet dans l’état où je suis. Je suis leur aîné et, à ce titre, je tiens à garder ma dignité. N’oublie pas non plus que le ranch des 4C est sous ma responsabilité et que…
Elle le fit taire en lui donnant un baiser fougueux.
— Je comprends ce que tu ressens, Quin. Mon père s’est trouvé dans la même situation que toi, et moi dans celle de tes frères et sœur… Je l’aimais, mais il me mettait en rage parce qu’il exigeait de moi des choses que j’estimais déraisonnables. Ce que je ne supportais pas, c’était le fait qu’il ne m’acceptait pas telle que j’étais. Il voulait me modeler à sa façon, faire de moi l’héritière irréprochable que je ne voulais pas devenir.
Maintenant qu’il la connaissait mieux, Quin ne pouvait en effet imaginer que quiconque, même un père aimant et aimé, puisse influencer un caractère aussi bien trempé. Elle était Boston, et n’aurait jamais pu devenir une autre !
— Toi aussi, tu es pris entre l’exaspération, la déception et l’amour. Mais tes frères et ta sœur sont une part de toi-même et ils comptent beaucoup à tes yeux. Tu es furieux qu’ils t’aient abandonné en te laissant toutes les responsabilités du ranch. Ils te déçoivent parce qu’ils ne partagent pas ton rêve et tes ambitions. Mais n’oublie pas une chose, Quin, chacun de nous est unique et ne peut être que ce qu’il est !
— Je sais que tu as raison. Il n’empêche qu’ils m’ont laissé seul à la tête du ranch et face aux médisances dont la famille est victime. Reconnais que la vie n’est pas facile pour moi.
— Bien sûr, mais ils ont souffert comme toi de la disparition de vos parents, répondit Adrianna. Ils ont leur mot à dire dans l’enquête que nous menons sur les causes de leur mort. Et peut-être voudront-ils la mener avec toi. Il y a au moins un homme en liberté qui sait exactement ce qui s’est passé voici deux ans. Et nous devons aussi découvrir ce qui est arrivé au quatrième homme de la bande. Celui qui a tué tes parents doit payer pour le mal qu’il a fait, à toi et à ta famille. Tes frères et sœur peuvent nous aider à faire toute la lumière sur cette affaire et servir la justice. Après tout, Bowie est shérif. Pourquoi ne pas faire appel à lui pour continuer l’enquête pendant ta convalescence ?
Elle l’embrassa alors si tendrement qu’il se sentit désarmé et ne trouva aucune objection à lui opposer. Avant même qu’elle ait fini son plaidoyer, il avait déjà admis qu’il était temps, en effet, de reprendre contact avec les siens.
A en croire l’homme qu’il avait abattu à Triple Creek, il restait encore beaucoup de choses à apprendre au sujet de la mort de ses parents.
— Je t’en prie, Quin, reprit Adrianna d’une voix très douce. Laisse ta famille t’aider à élucider ce crime et repose-toi. Ainsi, tu auras bientôt repris des forces pour te consacrer entièrement au ranch et à tes troupeaux.
Elle effleura ses lèvres d’un tendre baiser et murmura :
— T’ai-je dit… que je te t’aime ?
— Pas assez, ma douce Boston.
Il plongea son regard dans le vert insondable de ses yeux et crut y voir son avenir.
— Je t’épouserai à une condition, ajouta-t-il après un petit silence.
— Et… quelle est cette condition ?
— Que tu m’aimes jusqu’à la fin des temps !
Le sourire qui illumina alors le visage de Boston lui fit oublier toutes ses douleurs et apaisa tous ses tourments.
— D’accord, Quin ! Je vais immédiatement aller prévenir le pasteur pour qu’il nous marie dès demain matin. Rosa et Lucas seront nos témoins.
— Si tu savais comme j’ai hâte d’être à demain, mon amour ! dit-il en prenant la tresse de Boston pour l’attirer à lui. Tu n’auras plus aucune excuse pour me laisser seul.
— Je n’ai pas l’intention de te quitter, Quin. Tu ne seras plus jamais seul. Quoi qu’il arrive, tu me trouveras toujours à tes côtés.
Comme elle scellait cette promesse d’un baiser, Quin songea que dans quelques heures elle serait à lui et lui appartiendrait jusqu’à la fin de leurs jours. Il avait cependant assez de bon sens pour ne pas formuler devant cette femme si indépendante cette pensée telle qu’elle lui était venue.
* * *
Il se contenta donc de lui murmurer qu’il l’aimait comme il n’avait jamais aimé personne au monde, et il comptait bien le lui dire chaque jour. Mieux encore, il lui prouverait qu’elle était indispensable à son bonheur, maintenant et pour l’éternité.
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Si vous avez aimé cette histoire et souhaitez découvrir ce qu’il advient des autres membres de la famille Cahill, vous pourrez retrouver ces différents personnages dans le roman de Debra Cowan (collection les Historiques no 605) publié en octobre prochain.