10

La politique comme procédure
 de vérité

Quand et sous quelles conditions dit-on qu’un événement est politique ? Qu’est-ce que le « ce qui se passe » en tant qu’il se passe politiquement ?

Nous poserons qu’un événement est politique, et que la procédure qu’il engage relève d’une vérité politique, sous quelques conditions. Ces conditions s’attachent à la matière de l’événement, à l’infini, au rapport à l’état de la situation et à la numéricité de la procédure.

1. Un événement est politique si la matière de cet événement est collective, ou si l’événement est inattribuable autrement qu’à la multiplicité d’un collectif. « Collectif » n’est pas ici un concept numérique. Nous disons que l’événement est ontologiquement collectif pour autant que cet événement véhicule une réquisition virtuelle de tous. « Collectif » est immédiatement universalisant. L’effectivité de la politique relève de l’affirmation selon laquelle « pour tout x, il y a de la pensée ».

Par le mot « pensée », je désigne une procédure de vérité quelconque prise en subjectivité. « Pensée » est le nom du sujet d’une procédure de vérité. Il est donc reconnu, à travers le mot « collectif », que de cette pensée, si elle est politique, tous relèvent. Ce n’est pas seulement, comme pour les autres types de vérité, une question d’adresse. Certes, toute vérité s’adresse à tous. Mais dans le cas de la politique, l’universalité est intrinsèque, et non pas seulement destinale. Pour tous, en politique, il y a à tout moment la disponibilité possible de la pensée qui identifie le sujet. On appelle ceux qui sont constitués en sujets d’une politique les militants de la procédure. Mais « militant » est une catégorie sans frontières, une détermination subjective sans identité, ou sans concept. Que l’événement politique soit collectif prescrit que tous sont virtuellement des militants de la pensée qui procède à partir de l’événement. En ce sens, la politique est la seule procédure de vérité qui soit générique, non seulement dans son résultat, mais dans la composition locale de son sujet.

Seule la politique est intrinsèquement requise de déclarer que la pensée qu’elle est est la pensée de tous. Elle a un besoin organique de cette déclaration. Le mathématicien, par exemple, a seulement besoin d’au moins un autre mathématicien pour reconnaître que sa démonstration est sans lacune. L’amour a seulement besoin, pour s’assurer de la pensée qu’il est, de l’assomption du deux. L’artiste, en définitive, n’a besoin de personne. Science, art, amour sont des procédures de vérité aristocratiques. Certes, elles s’adressent à tous et universalisent leur singularité. Mais ce n’est pas un régime du collectif. La politique est impossible sans l’énoncé que les gens, pris indistinctement, sont capables de la pensée qui constitue le sujet politique postévénementiel. Dans cet énoncé s’énonce qu’une pensée politique est topologiquement collective, ce qui veut dire qu’elle ne peut exister que comme pensée de tous.

Que l’activité centrale de la politique soit la réunion est une métonymie locale de son être intrinsèquement collectif, et donc principiellement universel.

2. Le caractère collectif de l’événement politique a pour effet que la politique présente, comme telle, le caractère infini des situations. La politique exhibe ou convoque l’infinité de la situation. Toute politique d’émancipation réfute la finitude, réfute l’« être pour la mort ». Comme une politique inclut dans la situation la pensée de tous, elle procède à la mise en évidence de l’infinité subjective des situations.

Certes, toute situation est ontologiquement infinie. Mais seule la politique convoque immédiatement, comme universalité subjective, cette infinité.

La science, par exemple, est capture du vide et de l’infini par la lettre. Elle ne se soucie nullement de l’infinité subjective des situations. L’art présente le sensible dans la finitude d’une œuvre, il est exemplairement une production de finitude, et l’infini n’y intervient que pour autant que l’artiste destine l’infini au fini. La politique, en revanche, est ce qui traite, sous le principe du même, ou principe égalitaire, l’infini comme tel. C’est son point de départ : la situation est ouverte, jamais close, et le possible travaille son infinité subjective immanente. On dira que la numéricité de la procédure politique a l’infini comme premier terme. Alors que ce premier terme est, pour l’amour, l’un, pour la science, le vide, pour l’art, un nombre fini. L’infini intervient dans toute procédure de vérité, mais il est en position première dans la seule politique. Parce que là seulement la délibération sur le possible (et donc sur l’infinité de la situation) est le processus lui-même.

3. Quel est enfin le rapport de la politique à l’état de la situation, plus particulièrement à l’État, au sens simultanément ontologique et historique du terme ?

L’état de la situation est l’opération qui, dans la situation, codifie ses parties, ses sous-ensembles. L’état est une sorte de métastructure qui a puissance de compte sur tous les sous-ensembles de la situation. Toute situation admet un état. Toute situation est présentation d’elle-même, de ce qui la compose, de ce qui lui appartient. Mais elle est aussi donnée comme état de la situation, c’est-à-dire comme configuration interne de ses parties ou sous-ensembles, et donc comme re-présentation. En particulier, l’état de la situation re-présente des situations collectives, alors que, dans ces situations collectives, les singularités sont non pas re-présentées, mais présentées. Je renvoie sur ce point à L’Être et l’Événement, méditation 8.

Une donnée fondamentale de l’ontologie est que l’état de la situation excède toujours la situation elle-même. Il y a toujours plus de parties que d’éléments, la multiplicité représentative est de type toujours supérieur à la multiplicité présentative. Cette question est en fait celle de la puissance. La puissance de l’État est toujours supérieure à celle de la situation. L’État, et donc aussi l’économie, qui est aujourd’hui la norme de l’État, sont caractérisés par un effet structurel de séparation et de surpuissance par rapport à ce qui est simplement présenté dans la situation.

On a pu montrer, mathématiquement, que cet excès est non mesurable. Il n’y a pas de réponse à la question de savoir de combien la puissance de l’État excède l’individu, de combien la puissance de la représentation excède celle de la présentation simple. Il y a quelque chose d’errant dans cet excès. La plus simple expérience du rapport à l’État montre du reste qu’on se rapporte à lui sans jamais pouvoir assigner de mesure à sa puissance. La représentation de l’État par la puissance, en l’occurrence la puissance publique, indique d’une part son excès, d’autre part l’indétermination, ou l’errance, de cet excès.

Nous savons tous que la politique, quand elle existe, suscite aussitôt des manifestations de la puissance de l’État. C’est évident de ce que la politique est collective, et concerne donc universellement des parties de la situation, ce qui est le champ d’existence de l’état de la situation. La politique – et elle est la seule procédure de vérité à le faire directement – convoque la puissance de l’État. La figure ordinaire de cette convocation est que la politique rencontre toujours la répression. Mais la répression, qui est la forme empirique de la surpuissance errante de l’État, n’est pas le point essentiel.

La vraie caractéristique de l’événement politique et de la procédure de vérité qu’il enclenche est qu’un événement politique fixe l’errance, assigne une mesure à la surpuissance de l’État, fixe la puissance de l’État. Par conséquent, l’événement politique interrompt l’errance subjective de la puissance de l’État. Il configure l’état de la situation. Il lui donne figure, il donne figure à sa puissance, il mesure sa puissance.

Empiriquement, cela veut dire que, quand il y a un événement réellement politique, l’État se montre. Il montre son excès de puissance, c’est la dimension répressive. Mais il montre aussi une mesure de cet excès qui en temps ordinaire ne se laisse pas voir. Parce qu’il est essentiel au fonctionnement normal de l’État que sa puissance reste sans mesure, errante, inassignable. C’est à tout cela que l’événement politique met fin, en assignant à la puissance excessive de l’État une mesure visible.

La politique met l’État à distance, dans la distance de sa mesure. La résignation des temps non politiques s’alimente à ce que l’État n’est pas à distance, parce que la mesure de sa puissance est errante. On est captif de son errance inassignable. La politique est l’interruption de cette errance, elle est monstration d’une mesure de la puissance étatique. C’est en ce sens que la politique est « liberté ». L’État est en effet asservissement sans mesure des parties de la situation, asservissement dont le secret est justement l’errance de la surpuissance, son absence de mesure. La liberté est ici une mise à distance de l’État, par la fixation collective d’une mesure de l’excès. Et si l’excès est mesuré, c’est que le collectif peut s’y mesurer.

On appellera prescription politique la fixation postévénementielle d’une mesure fixe de la puissance de l’État.

Nous pouvons alors entrer dans la construction de la numéricité de la procédure politique.

Pourquoi toute procédure de vérité a-t-elle une numéricité ? C’est qu’il y a fixation du rapport de toute vérité aux divers types de multiples qui la singularisent : la situation, l’état de la situation, l’événement, et l’opération subjective. Un nombre (en y incluant des nombres cantoriens, ou infinis) exprime ce rapport. Si bien qu’il y a un schéma abstrait de la procédure, fixé dans quelques nombres typiques où se lit la « traversée » des multiples qui constituent, ontologiquement, cette procédure.

Rendons à Lacan ce qui lui est dû : il est le premier à faire un usage systématique de la numéricité, qu’il s’agisse de l’assignation du sujet au zéro comme écart entre 1 et 2 (le sujet est ce qui choit entre les signifiants primordiaux S1 et S2), ou de la portée synthétique du 3 (le nouage borroméen du réel, du symbolique et de l’imaginaire), ou à la fonction de l’infini dans la jouissance féminine.

S’agissant de la politique, nous avons dit que son premier terme, lié au caractère collectif de l’événement politique, est l’infini de la situation. C’est l’infini simple, l’infini de la présentation. Cet infini est déterminé, la valeur de sa puissance est fixe.

Nous avons également dit que la politique convoque nécessairement l’état de la situation, et donc un deuxième infini. Ce deuxième infini est en excès sur le premier, sa puissance est supérieure, mais en général nous ne pouvons pas savoir de combien. L’excès est sans mesure. Nous pouvons donc dire que le deuxième terme de la numéricité politique est un deuxième infini, celui de la puissance de l’État, et que de cet infini nous savons seulement qu’il est supérieur au premier, d’une différence qui reste indéterminée. Si l’on appelle s la cardinalité infinie fixe de la situation, et e la cardinalité qui mesure la puissance de l’État, nous n’avons pas, hors politique, les moyens de savoir autre chose que : e est supérieur à s. Cette supériorité indéterminée couvre la nature aliénante et répressive de l’état de la situation.

L’événement politique, dans la matérialité surgissante d’un collectif universalisable, prescrit une mesure au sans-mesure de l’État. Au e errant il substitue une mesure fixe, certes presque toujours encore supérieure à la puissance s de la présentation simple, mais qui n’a plus les pouvoirs aliénants et répressifs de l’indétermination. Nous symboliserons par l’expression p(e) le résultat de la prescription politique sur l’État.

La marque p désigne la fonction politique. Elle a (mais nous n’entrons pas ici dans ces détails) plusieurs espaces d’exercice, corrélés aux lieux d’une politique singulière (« lieux » au sens de Lazarus). C’est elle qui est la trace, dans la situation, de l’événement politique disparu. Nous la prenons ici dans son efficace majeur : interrompre l’indétermination de la puissance étatique.

Les trois premiers termes de la numéricité de la procédure politique, tous infinis, sont donc finalement :

1. l’infini de la situation, convoqué comme tel par la dimension collective de l’événement politique, c’est-à-dire la supposition du « pour tous » de la pensée. On le note s ;

2. l’infini de l’état de la situation, convoqué à la répression et à l’aliénation, parce qu’il est le contrôle supposé de tous les collectifs ou sous-ensembles de la situation. C’est un nombre cardinal infini indéterminé, sinon qu’il est toujours supérieur à la puissance infinie de la situation dont il est l’état. On écrira donc : ε > σ;

3. la fixation par la prescription politique, sous condition événementielle collective, d’une mesure de la puissance étatique. Par cette prescription, on interrompt l’errance de l’excès étatique, et on peut donc pratiquer et calculer dans les mots d’ordre militants une libre distance de la pensée politique à l’État. Nous écrivons ceci p(e), et cette écriture désigne un nombre cardinal infini déterminé.

Pour éclairer l’opération fondamentale de la prescription, nous pouvons donner quelques exemples. L’insurrection bolchevique de 1917 est la monstration d’un État faible, précarisé par la guerre, alors que le tsarisme était par excellence une indétermination quasi sacrée de la surpuissance de l’État. De façon générale, les pensées politiques de type insurrectionnel sont liées à une détermination postévénementielle de la puissance de l’État comme étant très faible voire inférieure à la puissance de la présentation collective simple.

En revanche, le choix maoïste de la guerre prolongée et de l’encerclement des villes par les campagnes prescrit à l’État une mesure encore fort élevée de sa puissance et calcule avec précaution la libre distance à cette puissance. C’est bien ce qui motive que la question de Mao soit encore la suivante : pourquoi le pouvoir rouge peut-il exister en Chine ? Ou : comment le plus faible peut-il au long cours l’emporter sur le plus fort ? Ce qui veut dire que pour Mao, p(e), prescription quant à la puissance de l’État, reste longuement supérieur à l’infinité s de la situation, telle que la procédure politique en organise la convocation.

C’est dire que les trois premières composantes de la numéricité, les trois infinis s, e, p(e), sont affectés à chaque séquence politique singulière et n’ont aucune espèce de détermination fixe, sinon celle de leurs rapports. Toute politique, en particulier, procède à sa propre prescription postévénementielle sur la puissance de l’État : elle est, en substance, création, dans le sillage de la levée événementielle, de la fonction politique p.

Lorsque existe la procédure politique, jusqu’au point de la prescription sur l’État, alors, et alors seulement, peut se déployer la logique du même, c’est-à-dire la maxime égalitaire, propre à toute politique d’émancipation.

La maxime égalitaire est en effet incompatible avec l’errance de l’excès étatique. La matrice de l’inégalité est justement que la surpuissance de l’État ne puisse être mesurée. Par exemple aujourd’hui, c’est au nom d’une nécessité sans mesure ni concept de l’économie libérale qu’est rendue impossible, et déclarée absurde, toute politique égalitaire. Mais ce qui caractérise cette puissance aveugle du Capital déchaîné est précisément qu’en aucun point cette puissance n’est mesurable ni fixée. Ce qu’on en sait est seulement qu’elle l’emporte absolument sur le destin subjectif des collectifs, quels qu’ils soient. Par conséquent, pour que, dans la séquence ouverte par un événement, une politique puisse pratiquer une maxime égalitaire, il faut absolument que l’état de la situation soit mis à distance, par une fixation rigide de sa puissance.

La conscience inégalitaire est une conscience sourde, captive d’une errance, captive d’une puissance dont elle n’a aucune mesure. C’est ce qui explique le caractère arrogant et péremptoire des énoncés inégalitaires, alors même que, de toute évidence, ils sont inconsistants et abjects. C’est que ces énoncés de la réaction contemporaine sont entièrement étayés sur l’errance de l’excès étatique, c’est-à-dire sur la violence entièrement déployée de l’anarchie capitaliste. C’est pourquoi les énoncés libéraux représentent un mixte de certitude quant à la puissance et d’indécision totale sur ce dont il s’agit pour la vie des gens et l’affirmation universelle des collectifs.

La logique égalitaire ne peut s’ouvrir que quand l’État est configuré, mis à distance, mesuré. C’est l’errance de l’excès qui empêche la logique égalitaire et non l’excès lui-même. Ce n’est pas du tout la simple puissance de l’état de la situation qui interdit les politiques égalitaires. C’est l’obscurité et le sans-mesure dont cette puissance s’enveloppe. Si l’événement politique autorise une clarification, une fixation, une monstration de cette puissance, alors, au moins localement, la maxime égalitaire est praticable.

Mais quel est le chiffre de l’égalité, le chiffre de ce qui prescrit qu’on traite collectivement, et dans la pensée politique, chaque singularité identiquement ? Ce chiffre est évidemment le 1. Compter enfin pour un ce qui n’est pas même compté est l’enjeu de toute pensée politique véritable, de toute prescription qui convoque le collectif comme tel. Le 1 est la numéricité du même, et produire du même est ce dont une procédure politique émancipatrice est capable. Le 1 déconfigure toute présomption inégalitaire.

Pour produire du même, compter pour un chacun universellement, il faut travailler localement, dans l’écart ouvert entre la politique et l’État, écart dont le principe est la mesure p(e). C’est ainsi que la politique maoïste peut pratiquer une esquisse de révolution agraire dans les zones libérées (celles qui sont hors de portée des armées réactionnaires), ou que la politique bolchevique peut remettre partiellement certaines opérations étatiques entre les mains des soviets, au moins là où ils en sont capables. Ce qui travaille alors est de nouveau la fonction politique p, appliquée dans les conditions de la distance prescriptive qu’elle a créée, mais cette fois aux fins de produire du même, ou de produire du réel sous la maxime égalitaire. On écrira donc : p(p(e)) ⇒ 1, pour désigner cette réduplication de la fonction politique qui, dans les conditions de liberté de pensée/pratique ouvertes par la fixation de la puissance étatique, travaille à produire de l’égalité.

Nous pouvons donc compléter la numéricité de la procédure politique. Elle est composée de trois infinis, celui de la situation, celui, indéterminé, de l’état de la situation, celui de la prescription, qui interrompt l’indétermination et permet la distance à l’État. Et elle s’achève par le 1, partiellement engendré par la fonction politique dans les conditions, elles-mêmes issues de cette fonction, de la distance à l’État. Le 1 est ici le chiffre du même et de l’égalité.

La numéricité s’écrit : s, e, p(e), p(p(e)) ⇒ 1.

Ce qui singularise la procédure politique, c’est qu’elle va de l’infini au 1. Elle fait advenir comme vérité universelle du collectif le 1 de l’égalité, par une opération prescriptive sur l’infini de l’État, opération par laquelle elle construit son autonomie, ou sa distance, et peut y effectuer sa maxime.

Remarquons au passage qu’à l’inverse, comme je l’ai établi dans Conditions, la procédure amoureuse, qui fait vérité, non du collectif, mais de la différence, ou de la sexuation, va du 1 à l’infini, dans la médiation du deux. En ce sens, et c’est un objet de méditation que je laisse au lecteur, numériquement, la politique est l’inverse de l’amour. Ou : l’amour commence là où la politique finit.

Et puisque le mot est aujourd’hui décisif, donnons pour conclure notre propre définition de la démocratie, où se lira son identité à la politique, dont nous avons déjà parlé.

La démocratie est un ajustage, toujours singulier, de la liberté et de l’égalité. Mais qu’est-ce que le moment de la liberté, en politique ? C’est celui de la mise à distance de l’État, et donc celui où la fonction politique p opère comme assignation d’une mesure à la surpuissance errante de l’état de la situation. Et qu’est-ce que l’égalité, sinon l’opération par quoi, dans la distance ainsi créée, la fonction politique s’applique derechef, cette fois à produire du 1 ? L’ajustage politique de la liberté et de l’égalité n’est donc rien d’autre, pour une procédure politique déterminée, que celui des deux derniers termes de sa numéricité. Il s’écrit : [p(e)—p(p(e)) ⇒ 1]. Autant dire que nous avons là l’écriture de la démocratie. Nos deux exemples montrent que cette écriture a eu des noms singuliers : « soviets » lors de la révolution bolchevique, « zones libérées » dans le processus maoïste. Mais la démocratie a eu bien d’autres noms dans le passé. Elle en a quelques-uns dans le présent (par exemple : « rassemblement des collectifs d’ouvriers sans-papiers des foyers et de l’Organisation politique »), elle en aura d’autres dans l’avenir.

Si rare soit-elle, la politique, donc la démocratie, a existé, existe, existera. Et, avec elle, sous son exigeante condition, la métapolitique : ce qu’une philosophie déclare, aux fins de son propre effet, être digne du nom de « politique ». Ou encore : ce qu’une pensée déclare être une pensée, sous condition de laquelle elle pense ce qu’est une pensée.