CHRONOLOGIE
1868. 1er avril : naissance d'Edmond Rostand, à Marseille, rue Monteaux (aujourd'hui rue Edmond-Rostand). Son père, Eugène Rostand, économiste et poète à ses heures, ayant commis une traduction de l'œuvre de Catulle, mise en vers, illustre parfaitement les aspirations et les activités de cette famille de la haute bourgeoisie marseillaise : le commerce et la finance, mais aussi les arts et les lettres. Les Rostand reçoivent Mistral et aident Lamartine à partir pour l'Orient où ils font du négoce. L'Orient, si présent dans La Samaritaine et dans La Princesse lointaine, Edmond le rencontre également et régulièrement à la paroisse Saint-Nicolas-de-Myre, église catholique grecque de rite byzantin, où il assiste aux messes dominicales en rite romain.
1884. Octobre : après deux années d'étude au lycée de Marseille, Rostand entre au collège Stanislas, où il griffonne, dans les marges de ses cahiers, ses premiers vers. Sa formation est classique. René Doumic, futur directeur de la Revue des Deux Mondes, est l'un de ses professeurs.
1886. Été : Rostand, en vacances avec sa famille à Luchon, rencontre Rosemonde Gérard, petite-fille du maréchal Gérard, et se lie d'abord d'amitié avec elle. C'est le début d'un important échange de lettres et de poèmes. Ils tombent rapidement amoureux, sous le regard bienveillant de leurs deux familles. Octobre : Rostand est à Paris pour suivre des études de droit, mais il est déjà décidé à devenir poète, au grand dam de ses parents.
1887. Poursuivant malgré lui ses études de droit, Rostand, poussé par son père, concourt pour le prix Maréchal de Villars, de l'Académie des arts et des lettres de Marseille. Il remporte ce prix avec un essai : Deux Romanciers de Provence : Honoré d'Urfé et Émile Zola.
1888. Août : Rostand s'est endetté – ce qui empire sa situation auprès de ses parents – pour monter au théâtre Cluny, avec son futur beau-frère, Henry Lee, un vaudeville, Le Gant rouge, dont nous ne savons pas grand-chose. La pièce, jouée pour la première fois le 24 août, tombe après dix-sept représentations. C'est un échec : Rostand ne veut plus écrire ce type de pièce, il rêve de sujets plus grands. Les études de droit sont déjà bien loin.
1889. Rosemonde Gérard publie Les Pipeaux, recueil poétique qui obtient le prix de l'Académie.
1890. Janvier : Rostand publie son premier volume de vers, Les Musardises. L'édition se fait à compte d'auteur, Rosemonde ayant payé Lemerre sans le dire à Edmond. Seulement quarante exemplaires seront vendus, mais quelques critiques évoqueront favorablement l'ouvrage… Premier succès d'estime, donc, et espoir pour le poète. Avril : Rosemonde et Edmond se marient.
1891. Rostand parvient à avoir ses entrées à la Comédie-Française auprès de Jules Claretie, son administrateur. Il propose d'abord un acte, en 1891, Les Deux Pierrots, qui sera refusé.
Naissance de son premier fils, Maurice, qui deviendra poète et dramaturge.
1894. Naissance de son fils Jean, qui sera philosophe et biologiste, puis académicien en 1959.
Mai : Rostand ne désespère pas et continue à travailler. Il parvient ainsi à faire jouer, toujours à la Comédie-Française, Les Romanesques, le 21 mai. Cette pièce, fort injustement méconnue en France, jouit d'une aura toute particulière… à Broadway, sous le titre Fantasticks, une comédie musicale qui aujourd'hui encore est jouée avec succès. L'histoire s'inspire très librement de Roméo et Juliette. La pièce, quoique fort appréciée, fut peu représentée en 1894 ; elle le fut davantage ensuite et servit souvent de première partie aux grandes productions de la Comédie-Française, quand l'usage était de jouer un texte court avant une pièce en cinq actes. Mais l'essentiel, pour Rostand, est déjà réalisé : il est joué et bénéficie d'une certaine renommée. C'est alors qu'il rencontre Coquelin et Sarah Bernhardt.
1895. Avril : séduite par ce jeune poète merveilleux, qui compose sans cesse des vers, Sarah Bernhardt, de vingt ans son aînée, enjoint Rostand de lui écrire un rôle. L'actrice est alors à l'apogée de sa carrière, et il faut bien mesurer la consécration que représente cette demande pour Rostand : deux ans avant Cyrano, le destin semble lui sourire. C'est ainsi qu'il donnera, le 5 avril 1895, La Princesse lointaine, pièce en quatre actes et en vers, mettant en scène Jaufré Rudel, troubadour ayant réellement existé, et que Rostand avait découvert à travers un essai biographique de Gaston Paris consacré à ce poète. La Princesse lointaine est un succès d'estime. Sarah Bernhardt, qui a produit la pièce, a certes finalement perdu de l'argent, mais elle croit plus que jamais en son futur grand poète.
1897. Avril : aussi l'encourage-t-elle à lui écrire une nouvelle pièce pour le vendredi saint : ce sera, le 14 avril, La Samaritaine. Évangile en trois tableaux, en vers. La pièce, qui retranscrit assez fidèlement un épisode de l'Évangile de Jean – l'arrivée de Jésus en Samarie et la conversion d'une pécheresse –, est sans doute celle où Rostand se fait le plus mystique, où sa pensée tend le plus vers un idéal : La Samaritaine, en ce sens, est la clé de son œuvre.
28 décembre : triomphe de Cyrano de Bergerac. Rostand est décoré de la Légion d'honneur lors du dernier entracte. Les mois qui suivent, la salle ne désemplit pas. Les tournées Montcharmont, du nom de leur propriétaire, forment plusieurs troupes et diffusent la pièce dans tout le pays puis à l'étranger ; traduite dans de nombreuses langues, elle fait le tour du monde et, fait surprenant, le personnage de Cyrano devient un symbole patriotique dans tous les pays où il est mis en scène.
1898. Début de la médiatisation de l'affaire Dreyfus, condamné deux ans plus tôt. Rostand sera dreyfusard, toute sa vie, même après le succès de Cyrano, même après L'Aiglon, au grand dam de ceux qui voudraient faire de lui le chantre du nationalisme français.
Avec le succès vient l'argent, mais aussi la gloire et ses revers : Rostand devient une figure du Tout-Paris et l'on s'arrache de ses nouvelles. Très sollicité, il offre tantôt une préface, tantôt un discours, et, parfois, des poèmes de circonstance publiés dans des revues aussi bien mondaines que littéraires. L'année 1898 s'écoule sans nouvelle œuvre, mais il a déjà un projet : raconter la triste fin d'un enfant, le fils de Napoléon.
1900. Création le 15 mars, au théâtre Sarah-Bernhardt, de L'Aiglon. La peur de l'échec qui l'animait a redoublé d'intensité avec le succès de Cyrano de Bergerac : parviendra-t-il à répéter ce coup de génie ? Le choix de son sujet est déjà une réponse : Rostand ne veut pas décevoir son public, qui s'attend à un certain type de pièce, un drame historique, célébrant les valeurs nationales. L'Aiglon, en réalité, est cependant plus une réflexion sur la légende napoléonienne qu'une réflexion sur l'histoire. Sarah Bernhardt est jugée merveilleuse dans le rôle d'un jeune homme qui n'a pas l'âge de son fils. La tradition fera d'ailleurs que, pendant des dizaines d'années, seules des femmes interpréteront le duc de Reichstadt. La pièce est un nouveau triomphe, à peine moins important que Cyrano. On est enthousiasmé par ce qui apparaît comme une violente charge anti-allemande et anti-autrichienne… On admire, mais finalement on ne comprend pas le message de Rostand, pacifiste : on croit que la pièce est un appel à la revanche, quand elle est un plaidoyer contre la guerre… et l'on veut de nouveau et plus encore que jamais faire de Rostand un nationaliste.
1901. Mai : le 30, Rostand est élu à l'Académie française ; il devient alors le plus jeune académicien. Mais, malade et las de la vie mondaine, il se réfugie à Cambo-les-Bains sur les conseils du docteur Grancher, repoussant sans cesse le jour de sa réception. Il ne sera finalement reçu que le 4 juin 1903.
1902. Peu à peu, Rostand s'isole, trop exposé à cause de ses succès, doutant toujours plus de ses capacités à écrire un nouveau chef-d'œuvre. Il passe par de longues phases où il ne parvient pas à écrire une seule ligne. Il ne se rend qu'épisodiquement à Paris. Pourtant, il pense déjà à sa nouvelle pièce, Chantecler : depuis cette année au moins il s'attelle à écrire cette histoire dont tous les personnages sont des animaux. La pièce est sans cesse annoncée, sans cesse repoussée. 4 mars : à l'occasion du centenaire de la naissance de Victor Hugo, Rostand publie un hommage dans Le Gaulois, « Un soir à Hernani ».
1903-1908. Ses relations avec sa femme se détériorent, en même temps que sa santé. Elle prend des amants, lui des maîtresses ; on ne sait qui a commencé. En 1911, la seconde édition des Musardises ne comptera plus les poèmes consacrés à Rosemonde. La séparation sera définitivement consommée en 1913, même s'ils ne divorcent pas, chacun gardant auprès de lui un enfant : Jean restera avec son père, et Maurice avec Rosemonde.
1906. Rostand prend possession de la superbe villa qu'il s'est fait construire, près de Cambo-les-Bains, la Villa Arnaga.
1910. 7 février : la pièce Chantecler, dont le public entend parler depuis 1903, est enfin représentée au théâtre de la Porte-Saint-Martin – mais sans Coquelin : celui qui devait interpréter le rôle-titre est mort en 1909. Chantecler est un succès populaire mais est éreintée par la critique. Le Tout-Paris siffle le soir de la générale : la pièce, particulièrement ambitieuse, ne ressemble pas assez aux précédentes. Rostand rentre donc dans sa Villa Arnaga : il ne fera plus jouer de nouvelle pièce, trop certain désormais d'être incompris.
1911. Il écrit un long poème, Le Cantique de l'Aile, en l'honneur des premiers aviateurs, héros modernes, ainsi qu'une pièce, La Dernière Nuit de Don Juan, qui commence où s'achève le Don Juan de Molière. Elle ne sera publiée qu'après sa mort, de même qu'une seconde version de La Princesse lointaine, pourtant promise à Sarah Bernhardt.
1914-1918. La guerre semble redonner un souffle nouveau au poète. Il cherche à s'engager, sûr du bon droit de son pays, mais, à son grand désespoir, il est réformé. Il manifeste son soutien aux poilus en organisant de nombreuses journées où il récolte des fonds. Il se déplace plusieurs fois au front. Ses poèmes d'alors, réunis dans le recueil Le Vol de la Marseillaise, sont cependant peu réalistes : il ne s'agit plus de dénoncer l'horreur de la guerre comme dans L'Aiglon, mais d'encourager et de soutenir le courage des héros ordinaires. La fin de la guerre étant annoncée, il se précipite à Paris, où il contracte la grippe espagnole, sans doute lors des répétitions de L'Aiglon, reprise pour fêter la victoire. Rostand s'éteint le 2 décembre 1918, à l'âge de cinquante ans.