CHAPITRE XXV
Les cellules souterraines

Eymerich n’avait aucune envie de retrouver ses compagnons de route mais il n’avait pas le choix. Il descendit le sentier en épingle à cheveux et pénétra dans la seconde cour. Il se sentait un peu faible sur ses jambes, mais il avait de nouveau les idées claires et l’esprit vif. Il se demanda comment il allait pouvoir ordonner les éléments d’un puzzle aussi complexe. Il n’y avait plus seulement des disques à la lumière verdâtre, des géants, des enfants démembrés, des femmes sans visage. Il y avait également le serpent qui s’enfouissait sous le sable, les lettres grecques, la brume, l’odeur de cinabre. De quoi faire sombrer un esprit ordinaire dans la folie.

Mais il n’était pas un esprit ordinaire. Et comme à chaque fois, il s’en sortirait. C’est en tout cas ce qu’il se disait pour dominer fatigue et perplexité. Il arriva près de la porte d’accès à la cour au moment même où le groupe arrivait, après une longue halte dans l’enceinte inférieure. Ils avaient tous l’air éméchés et certains d’entre eux étaient totalement ivres.

— Avance, bon sang, avance ! hurlait le bailli en poussant un petit âne avec deux tonneaux suspendus à son bât.

Le petit fonctionnaire territorial était complètement saoul, et la risée de ses compagnons. Quelques ivrognes s’amusaient à lui donner de temps en temps des coups de pied dans le dos. Pour garder son équilibre, Antonio Sellato était obligé de se retenir à la queue de l’âne, qui se mettait à braire. Ce qui amusait énormément la troupe.

Eymerich resta à couvert, mais fut finalement repéré. Manfredi Chiaromonte s’approcha de lui. Il avait bu comme les autres mais n’en paraissait pas aussi affecté. Peut-être parce qu’il transpirait par tous les pores de sa peau et qu’il se débarrassait ainsi de ses excès. Il donnait l’impression de s’être immergé dans un bassin, vêtu de pied en cap. Mais il se tenait cependant droit, bien campé sur ses jambes.

— Vous voilà donc, magister. Vous avez eu tort de ne pas descendre à Manfridia pour festoyer avec nous. Le vin blanc coulait à flots. Un paysan qui ne voulait pas ouvrir son tonneau a cédé dès que Guglielmo de Romagne a fait accrocher un nœud coulant au plafond. Ses filles, grâce aux lances, ont perdu leur virginité. Une bataille épique suivie d’un triomphe mérité.

— Bataille épique ?

Eymerich décida de ne pas afficher ses doutes en la matière.

— Certainement. Amiral, vous permettez que je vous pose une ou deux questions ?

— Allez-y.

— Les « trois femmes » de la chambre que j’occupe ont été vues plusieurs fois, avant mon arrivée ?

Manfredi éclata de rire. Un filet de bave coula de sa lèvre inférieure.

— Non. Jamais. C’est juste une superstition. Vous avez vu le bailli ? Regardez-le, étalé par terre. Il est le reflet des demeurés que je dois gouverner. Il se nourrit de légendes.

— Deuxième question, poursuivit Eymerich. Un certain Avakum, serbe, ex-maître de rue, est en charge de l’éducation de vos neveux. Il s’occupe également de vos enfants ?

— Oui, de temps en temps, à Palerme.

— Il est digne de confiance ? Vous le connaissez depuis longtemps ?

— Depuis des années. Il est un peu fou mais très cultivé. C’était mon esclave, je l’ai fait étudier à Bologne. Je n’ai pas à me plaindre de ses qualités de précepteur.

Le sujet n’intéressait pas vraiment Manfredi. Après avoir constaté que personne ne pouvait l’entendre, il ajouta à voix basse :

— Magister, au village j’ai eu la visite d’un messager. Vous allez bientôt être témoin d’un événement exceptionnel !

— Encore un ? demanda Eymerich sur un ton involontairement comique.

— Je vous parle d’un événement qui marquera l’histoire. Mon frère a envoyé une invitation à tous les barons pour une rencontre destinée à établir une fois pour toutes la monarchie à laquelle ils jureront fidélité. Nous n’étions guère confiants, et finalement ils ont tous accepté. Catalans et Latins. Certains d’entre eux sont déjà en route pour Mussomeli. Les Palizzi, les Ventimiglia, les Alagona, les Rosso… Dans quelques jours ils seront là.

Eymerich acquiesça.

— Bonne nouvelle. Mais quel rapport avec moi ?

— Puisque vous êtes parmi nous, vous pourrez nous donner votre bénédiction. Et vous assisterez aux rencontres en tant qu’invité de marque.

Il ne put que s’incliner en signe de remerciement.

— L’enjeu est énorme, fit-il en relevant la tête.

— Exact. Pas seulement pour la Sicile, mais pour toute la Méditerranée. Nous avons eu la chance d’avoir avec nous un représentant de la plus grande famille de Sardaigne. C’est peut-être ce qui a convaincu mes semblables de venir ici.

Le souffle court, la piquette qu’ils avaient bue n’y étant certainement pas pour rien, Manfredi Chiaromonte indiqua l’immense plaine jaune et verte qui s’étendait au-delà des fenêtres et des meurtrières, délimitée par un horizon de collines.

— Vous qui voyagez beaucoup, vous avez déjà vu une terre aussi belle et fertile ? Aussi prospère et accueillante ?

— Non, jamais, répondit Eymerich, qui ajouta aussitôt à voix basse : Dommage pour le brouillard.

Manfredi sourit.

— Quel brouillard ? Ici, il n’y en a jamais. On ne sait même pas à quoi ça ressemble.

— Vous n’avez pas vu se lever le brouillard, il y a moins d’une heure ?

— Non, et vous ne l’avez pas vu non plus. En Sicile, le brouillard est totalement inconnu.

— Bien sûr, je plaisantais, amiral.

Il se força à sourire.

— C’était juste pour souligner l’excellent climat d’une île toujours baignée par le soleil.

L’excuse était bancale mais il ne trouva rien de mieux à dire.

Manfredi le regarda d’un air perplexe, mais un concert de cris et de braiements attira son attention. Le bailli était toujours allongé par terre, sur le ventre. Un courtisan s’était approché avec une étrivière. Il faisait semblant de fouetter l’âne, mais un coup sur trois touchait l’homme à terre, qui hurlait « Aïe ! Aïe ! » en croisant les mains sur sa nuque pour essayer de se protéger. L’assemblée trouvait cela particulièrement amusant et applaudissait à chaque fois que le fouet claquait sur Antonio Sellato. L’âne sursautait, les flancs en sang, trop faible pour s’enfuir.

— Il faut que j’y aille, dit Manfredi. Je préférerais qu’ils ne me tuent pas ce malheureux. Le repas sera servi dans une demi-heure.

— Je ne pense pas venir, amiral. Ce matin, j’ai déjà trop mangé. Je suis d’un naturel frugal.

— Alors je vous attends pour le souper, père Nicolas. Reposez-vous, promenez-vous. Vous êtes ici chez vous.

Pendant leur échange, Eymerich avait aperçu Eleonora d’Arborea sur un proche rempart. Il avait eu l’impression qu’un peu de sang maculait une de ses pommettes. Peut-être une séquelle de l’aventure qu’ils avaient vécue ensemble, dans un chantier où il était facile d’hériter d’une griffure. Il vit également Avakum grimper un escalier qui allait de l’entrée du bâtiment principal vers le flanc ouest de la forteresse. Le précepteur fou gesticulait, rentrait son cou dans les épaules, se parlait à lui-même. Il n’avait pas sa canne et n’en avait apparemment pas besoin. Il titubait mais passait cependant d’un escalier à l’autre avec aisance.

Tandis que le calme revenait dans la cour, suite à l’intervention de Manfredi Chiaromonte, Eymerich trouva refuge dans la pénombre projetée par l’angle d’un mur. Il soupira en fermant les yeux. Il pouvait enfin se laisser aller à ce qu’il appréciait le plus : la solitude.

Mais la pause fut de courte durée. Quelques instants plus tard, il se retrouva face au prêtre bizarre qu’il avait remarqué en arrivant à Mussomeli. Un masque grotesque : pas un poil sur le crâne, des yeux énormes aux pupilles dilatées, des sourcils réduits à deux lignes. Aucun poil de barbe ou de favoris. Menton rentrant. Un long cou parsemé d’étranges taches, comme si une partie de sa peau s’était momifiée. Il était difficile de deviner avec précision le sexe de cette créature.

— Je m’excuse de vous déranger, magister… Je suis don Diego Garofalo, le curé des lieux. J’avais très envie de vous parler. Franchement, je ne connaissais même pas votre nom, mais je me suis renseigné et c’est pour moi un honneur de vous rencontrer.

Eymerich observa le nouveau venu avec curiosité. Ses yeux avaient une taille et une forme démentielles, mais sa voix était agréable. Il parlait un catalan parfait. L’inquisiteur indiqua la chapelle qui les dominait.

— Vous êtes le curé de cette église ?

— Non. Elle n’est pas encore consacrée. Ma paroisse est celle de San Giorgio à Manfridia. Juste au pied de Mussomeli.

— Vous étiez au village à mon arrivée ?

— Oui, mais je ne savais pas qui vous étiez.

— Maintenant que vous le savez, que voulez-vous de moi ?

Le prêtre s’assura que personne ne les écoutait. Le groupe de fêtards pénétrait dans le bâtiment principal pour aller manger, et la cour retrouvait son calme. Un domestique, Nissim Ficira, vidait l’eau d’une cruche sur le bailli pour le ranimer. L’âne avait disparu. Il ne restait plus que quelques mercenaires de basse extraction regroupés selon leurs origines linguistiques. Ils jouaient aux dés, discutaient entre eux, s’ennuyaient debout, occupés à essuyer la sueur qui ruisselait sous leur casque. Le soleil étincelait haut dans le ciel, blondissant les briques, les pierres et les pavés.

Don Diego, rassuré, dit :

— Père Nicolas, il est temps que l’Inquisition intervienne. L’Église a hélas tenu trop longtemps notre clergé dans l’excommunication. Toute institution garantissant la foi s’est écroulée. Du coup, nous assistons chaque jour à des actes de sorcellerie, pour ne pas dire des actes sataniques.

— Il y a pourtant un inquisiteur général sicilien.

Eymerich aurait dû adopter un air sévère mais il n’y parvint pas. L’étrange personnage qui lui parlait était plus ingénu que malveillant.

— Il s’appelle Simone dal Pozzo. Vous critiquez son action ?

Don Diego trembla comme si, en pleine chaleur, il avait soudain froid.

— Pas du tout ! Je respecte le père Simone et sa façon d’agir. Il publie des directives à juste titre féroces, agréables à lire. Même les barons les apprécient, d’un point de vue stylistique. Mais elles restent cependant lettre morte. Dal Pozzo est lié aux Chiaromonte, qu’il le reconnaisse ou non. Il plie facilement l’échine face à la maison la plus puissante, et face aux autres aussi d’ailleurs.

— C’est une accusation grave. Vous en êtes certain ? Je n’ai aucun pouvoir officiel en Sicile. Si ce que vous dites était prouvé, je pourrais en référer directement au pape.

— Oh, je n’en demande pas tant !

Don Diego avait l’air soudain effrayé et il écarquilla encore plus les yeux. Son visage grotesque ressembla encore plus à celui d’un malade mental.

— Le père Simone sait bien ce qui se passe dans ce château et il n’en parle à personne. Même pas une semi-déclaration. Je lui ai envoyé six lettres anonymes, et elles sont restées sans réponse !

— À qui aurait-il pu répondre, si elles étaient anonymes ?

Eymerich était à bout de patience.

Don Diego rougit. Il comprenait peut-être qu’il passait de plus en plus pour un idiot.

— Je voulais dire une réponse publique, n’importe quelle action concrète. Au lieu de cela, rien. C’est la première fois que le père Simone vient à Mussomeli, et il y vient en compagnie de celui que je dénonçais !

Eymerich croisa les bras, un geste qui chez lui n’était pas de bon augure.

— Finissons-en. Quel est ce secret que cache la forteresse ?

— Vous êtes descendu dans les cellules ?

— Non. Vous savez bien que je ne suis là que depuis ce matin. De quelles cellules parlez-vous ?

Le curé indiqua le sol.

— Là en dessous, après la salle d’armes, il existe un labyrinthe de pièces. Certaines sont occupées par les domestiques, d’autres servent d’entrepôts. Les dernières sont de véritables prisons. Cela ne vous étonne pas qu’un château relativement petit abrite un grand espace carcéral ?

— Non, c’est quelque chose d’assez courant dans une structure militaire.

Tout cela intéressait peu Eymerich.

— Vous êtes déjà allé dans les souterrains ?

— Non. Et vous ne m’y ferez jamais entrer.

— Mais vous savez qui l’on y retient prisonnier.

— Oui, et je vais vous étonner : personne !

Cette fois c’en était trop. Si Eymerich n’avait pas été aussi fatigué, il aurait donné des coups de pied à don Diego. Il se contenta de lui dire, en insistant sur chaque mot :

— À présent, ça suffit, imbécile. Je ne sais pas si vous avez décidé de vous moquer de moi ou de me faire perdre mon temps. Quelle qu’ait été votre intention, maintenant, disparaissez. Tout de suite. Si vous traînez encore une minute dans les parages, je peux vous garantir que c’est vous qui allez croupir dans ces geôles, et pour toujours.

Don Diego Garofalo recula d’un pas et écarta les bras comme s’il voulait les agiter pour s’envoler. Son visage était écarlate. Il tremblota en passant d’un pied sur l’autre. La danse d’un fou. Après cette curieuse pantomime, il s’éloigna presque au pas de course mais, avant de disparaître, il se retourna.

— Vous ne m’avez pas compris ! s’exclama-t-il d’une voix stridente. S’il n’y a personne, à qui donnent-ils à manger ?

— Que voulez-vous dire ? hurla Eymerich, intrigué par la question. Revenez ! Expliquez-vous !

C’était inutile. Le curé bondissait dans le lointain en direction de la cour inférieure. L’inquisiteur se dit qu’il n’avait jamais été confronté à une telle bande de déments. D’abord Avakum, puis le curé : difficile de dire lequel était le plus fou. Il observa le bailli du coin de l’œil. Il avait été jeté sur un chariot qu’un petit âne tirait en direction de Manfridia. Il avait repris ses esprits et se plaignait d’avoir été fouetté. Un autre idiot. Eymerich ressentit à nouveau le manque déjà prononcé d’un interlocuteur à sa mesure.

Que faire, maintenant ? Il avait envie de retourner dans sa chambre, mais l’idée de revoir les trois femmes le retenait. Il ne pouvait cependant pas faire grand-chose d’autre sinon rôtir au soleil ou participer à un banquet qui lui inspirait du dégoût, entre des convives déjà ivres avant de se mettre à table. Descendre au village sans interprète aurait été une perte de temps et une fatigue inutile.

Il se dit pourtant que s’il y avait au monde quelqu’un qui ne pouvait pas avoir peur des fantômes, c’était lui. Pour retourner à sa chambre il devait cependant pénétrer dans le bâtiment principal, au risque de croiser des fêtards. Il se devait d’essayer.

Il eut de la chance : ils étaient tous dans la salle à manger ; on y entendait un grand bruit de couverts et des rires. Dans les couloirs, il n’y avait que des valets, des esclaves, des serviteurs, presque tous à la peau brune. Il vit courir deux hommes qui portaient un immense plateau, probablement très chaud. Un agneau entier écorché y était étalé sur un lit de fruits et de légumes. Le spectacle lui donna la nausée : comment les convives pouvaient-ils se repaître d’une aussi grosse carcasse ? Ils allaient, au mieux, en mastiquer quelques lambeaux et jeter le reste.

Eymerich n’avait pas de sympathie envers les pauvres qui allaient au-delà de ce qui était prescrit par l’Évangile, mais il ne détestait pas les riches uniquement en raison de leur condition. Il eut cependant l’impression, au regard de la misère qu’il avait côtoyée pendant son voyage vers Mussomeli, d’assister à une évidente injustice. Il trouva sa chambre encore mieux rangée que lorsqu’il l’avait quittée, signe qu’un domestique était passé pour la nettoyer. Les couvertures étaient parfumées, le seau et la cruche contenaient de l’eau propre. Il faisait relativement frais et il n’y avait pas un bruit. Aucune trace de fantômes, mais surtout aucun indice qu’ils allaient apparaître. Il ferma la porte avec le loquet. Il estima qu’il était presque None. Il s’allongea sur son lit, qui sentait le muguet, et s’endormit immédiatement.

Il fut réveillé par des coups frappés à la porte et se leva paresseusement pour l’ouvrir. La pièce était encore baignée par les reflets rosés de l’après-midi finissant. Il ne devait pas avoir dormi trop longtemps.

Nissim Ficira se tenait sur le seuil, un peu intimidé.

— Excusez-moi, père, d’arriver si tard. Je savais que vous vouliez me voir le plus vite possible, mais j’étais obligé de débarrasser les restes du banquet.

— Mais je ne cherchais pas du tout à te voir ! s’exclama Eymerich, surpris. Qui t’a dit ça ?

— Don Diego Garofalo, le curé de San Giorgio. Il m’a dit que vous désiriez visiter les prisons du château.

— Pourquoi ? Tu as accès aux prisons ?

— Pratiquement. Quand je viens à Mussomeli avec mon maître, je dors dans une petite pièce juste à côté.

Eymerich hésita un bref instant.

— Je ne voudrais pas qu’on me voie.

— Personne ne vous verra. Ils dorment tous pour cuver leur vin.

— Alors, d’accord. Je te suis.

Ils retournèrent à l’extérieur, près d’une arche où, malgré les travaux en cours, quelqu’un essayait d’entretenir un petit jardin. De là partait un escalier discret mais large. Quand ils l’eurent descendu, ils empruntèrent un grand couloir mal éclairé qui donnait sur plusieurs chambres. Certaines étaient construites en pierre et mortier, d’autres creusées à même la roche. La lumière provenait de meurtrières et de fentes creusées dans la voûte, mais certaines chambrettes étaient dans l’obscurité. Il s’en dégageait des odeurs de vin, de fromage en train de moisir, de couverts ensevelis sous les cendres, et un relent d’humidité qui recouvrait le tout.

— J’entends ronfler, remarqua Eymerich. De qui s’agit-il ?

— Je vous l’ai dit, répondit Nissim. Ici dorment les gardiens et les domestiques. Un grand nombre d’entre eux a participé aux batailles et aux festivités et ils sont aussi abrutis par le vin que leurs maîtres à l’étage. Ils essaient de se dessaouler en dormant.

Le jeune juif indiqua l’extrémité du passage qu’ils franchissaient.

— Le petit peuple appelle la partie du souterrain dans laquelle nous allons pénétrer la « chambre obscure ». C’est là que se trouvent les geôles. Elle a été construite il y a peu, mais elle aurait déjà été le théâtre de terribles événements sanglants, comme si elle avait plus de mille ans.

— Elle est surveillée ?

— Oui, malgré l’absence de prisonniers. Mais je connais bien les geôliers : ils nous feront entrer sans difficulté.

Nissim sourit.

— D’après moi, les gardiens sont inutiles. L’imagination populaire est suffisante pour garder les gens éloignés de cet endroit. Une des nombreuses rumeurs qui circulent au village dit que dans la « chambre obscure » se cache un énorme serpent, si féroce que lorsqu’il n’a rien à croquer il se mord lui-même. Une fable qui décourage à elle seule les visiteurs.