CHAPITRE XXXVIII
Tandis que le ciel s’embrase

Eymerich fixa le récipient qui contenait le petit monstre. On l’entendait haleter le long des parois.

— Cette chose-là, mon fils ? Si j’avais de l’eau, je le noierais comme un chaton, dit-il d’un ton haineux.

— J’ai peut-être mal entendu, magister, susurra Nissim, la tête basse.

Il ne se rendit pas compte qu’il avait prononcé le mot interdit, magister.

— Rappelez-vous, les larves géantes de Feudo Michinese reconnaissaient également en vous une sorte de maître, sinon de père.

Eymerich ricana.

— Apparemment, j’ai des enfants, des disciples, des maîtresses et des serviteurs de la meilleure espèce. Des embryons de monstre, des corps abominables, des femmes fantômes à moitié défigurées. Je peux être fier de ma cour !

Nissim ne put s’empêcher de sourire.

— Je ne vous dirai pas le contraire. Certains membres de la horde qui vous assaille vous appellent Rex tremendae maiestatis. Vous savez pourquoi ?

— Non, et je ne suis pas pressé de le savoir. Avant d’être intégrée au Dies irae, cette expression existait dans l’alchimie la plus ancienne. Que veux-tu que je fasse de la « terrifiante majesté » si elle concerne des monstres puants ?

Nissim profita de la soudaine loquacité de l’inquisiteur pour lui poser une question qui le tarabustait.

— Qu’est-ce que l’ibbour, père ?

Eymerich le fixa droit dans les yeux.

— C’est curieux qu’un juif me pose cette question. Tu ne le sais pas ?

— Je vous jure que non !

— Dans la tradition juive et en particulier kabbalistique, l’ibbour est le transfert d’esprit d’un corps à un autre. Celui qui sait le pratiquer peut s’emparer d’un corps et, de façon temporaire ou permanente, remplacer l’esprit d’origine par son propre esprit. Dans le judaïsme le plus primitif cela équivalait à une sorte de réincarnation.

— D’après vous, Ramón de Tárrega en serait capable ?

— Tu l’as vu toi-même. Tu as entendu Avakum. Tu penses que c’était le même précepteur avant et après qu’il ait admis être Ramón ?

Eymerich se dirigea vers la porte.

— Ce démon a une maîtrise parfaite de l’ibbour. Il se pend et passe dans d’autres corps. Mais ça ne suffit pas. Il crée des représentations imaginaires, en l’occurrence porcines ou bovines. Essentiellement pour effrayer. Il y a une composante totalement grotesque dans son comportement.

— Et ça explique tout, d’après vous ? demanda Nissim.

— Non. Même pas le tiers des mystères que nous avons rencontrés jusqu’ici. La dynamique complexe de l’écheveau conçu par Ramón est cependant à portée de main. Je l’entrevois.

Eymerich s’engagea dans l’escalier.

— Nissim ! lança-t-il sur la première marche.

— À vos ordres, père !

— Fais disparaître mon soi-disant « fils » dans la cruche ! Je ne veux plus le voir. Noie-le !

— Il n’y a pas d’eau !

— Alors pisse-lui dessus. Qu’il s’étouffe dans l’urine. C’est la mort que mérite une telle ignominie. Après des siècles passés dans un vase, il t’en sera même reconnaissant !

Eymerich n’attendit pas une éventuelle réponse. Il traversa les pièces de l’étage inférieur, convaincu de trouver des hôtes et des courtisans en train de s’empiffrer de victuailles dans la salle des Barons. Il se trompait. Les maîtres, les invités, les soldats et les serviteurs étaient entassés entre le seuil et la cour. Ils criaient, parlaient entre eux dans une dizaine de langues différentes, des femmes pleuraient. Ils fixaient tous le ciel, nimbé d’une lueur rouge vif.

Lorsqu’il aperçut l’inquisiteur, Manfredi Chiaromonte se précipita à sa rencontre avec soulagement. Il le prit par le bras.

— J’allais vous envoyer chercher. Regardez ce qui se passe !

La foule s’écarta pour le laisser passer et descendre dans la cour. Eymerich n’eut qu’à lever les yeux. La partie haute du firmament, de chaque côté du soleil, paraissait en flammes. Les stries blanches étaient maintenant plus ténues. La teinte écarlate provenait d’une flotte de disques – vingt, vingt-cinq – qui fusaient vers les hauteurs, avec des lumières couleur sang. Ils plongeaient vers le sol, repartaient brusquement en sens inverse, et parfois disparaissaient. Ils semblaient engendrés par une gigantesque spirale qui tournait lentement, à l’écart, là où les traînées étaient les plus nombreuses.

— Faites quelque chose, magister ! Vous seul le pouvez !

— Je crois plutôt que je vais m’en occuper moi-même ! dit d’une voix rauque un homme âgé mais vigoureux, engoncé dans une armure peut-être un peu étroite pour sa taille. Une barbe blanche, très longue, lui descendait jusqu’à la poitrine.

Eymerich devina de qui il s’agissait grâce à l’écusson sur son justaucorps. Blasco, comte de Mistretta, doyen et tyran des Alagona. Le plus farouche opposant à l’hégémonie des Chiaromonte.

D’un simple geste, le comte fit déployer une quinzaine d’archers contre les murs de la cour. Certains s’accroupirent derrière les meurtrières, d’autres coururent sur les remparts. La foule se fit silencieuse.

— Soldats, dit Blasco de sa voix rauque mais puissante, les disques vont descendre et libérer les Lestrygons. Visez bien et décochez vos flèches avec précision. Si nous abattons un ou deux Lestrygons, les autres s’enfuiront.

Eymerich eut un geste d’impatience.

— Ça ne sert vraiment à rien.

Manfredi rebondit sur la remarque de l’inquisiteur et lança à Blasco :

— Méfiez-vous, il s’agit seulement d’illusions ! Insensibles aux flèches !

— Ah oui ? C’est ce que nous allons voir, répliqua l’Aragonais.

Il ricana, découvrant des dents jaunes et irrégulières de vieillard.

— Vous ne me paraissez pas très combatif, seigneur Chiaromonte. Et c’est vous qui allez signer la paix avec les Anjous et défendre le roi légitime ?

Manfredi ne répondit pas. Il murmura rageusement à Eymerich :

— Très bien, laissons faire cet imbécile. Il l’aura voulu.

L’inquisiteur ne l’écoutait plus vraiment car il avait aperçu Eleonora d’Arborea parmi la foule, à l’intérieur du bâtiment. Il ne l’avait pas vue depuis la veille. La jeune femme discutait avec l’un des Ventimiglia, un jeune homme aux longs cheveux blonds et bouclés. Il observa sa robe, pour voir si elle cachait un nombre incongru de jambes comme la dernière fois qu’il lui avait parlé. Tout paraissait normal. Il la rejoignit.

Dès qu’elle aperçut Eymerich, Eleonora prit congé du baron.

— Excusez-moi, seigneur, je dois voir un ami.

Elle arriva presque en courant.

— Magister ! Je suis contente de vous voir ! Que se passe-t-il ?

— Rien de nouveau, répondit Eymerich d’un ton bourru. Les prodiges se produisent de façon monotone, identiques les uns aux autres. Il n’y a que les couleurs qui changent. Seule une longue période de normalité pourrait maintenant me surprendre.

— Je ne suis pas sûre de bien vous comprendre, dit Eleonora. Moi, je me sens normale. Il risque de se produire un événement terrifiant mais je ne suis pas tellement effrayée.

— Ou vous êtes totalement inconsciente ou c’est un prodige parmi tant d’autres.

— Non, il y a une raison logique.

— Laquelle ?

— Vous êtes ici. L’assurance que vous affichez inspire confiance. Vous donnez l’impression de posséder une force extraordinaire et de pouvoir maîtriser n’importe quelle menace.

Les paroles d’Eleonora étaient si chaleureuses et sincères qu’Eymerich recula d’un pas, de peur d’être touché. Elle lui sourit.

— Je ne suis pas la seule à le penser : c’est un sentiment commun, des Chiaromonte jusqu’au dernier domestique. De manière plus ou moins consciente, nous avons confiance en vous. Et ce faisant, la terreur s’estompe. Si, il y a peu encore, on vous prenait pour un démon, maintenant c’est exactement l’inverse. Vous nous protégez.

Comme pour démentir cette affirmation, la foule amassée sur le seuil explosa en un hurlement collectif. Tous reculèrent et ceux qui étaient dans la cour rentrèrent dans le château. L’un d’eux chuta et fut piétiné. Les gens faisaient la course pour atteindre les pièces les plus reculées, qu’ils imaginaient, à tort ou à raison, mieux protégées des attaques.

Nombreux étaient ceux qui craignaient les rayons brûlants pour les avoir déjà testés sur leur propre peau ou pour avoir vu leurs amis ou leurs conjoints en faire les frais.

Eymerich plaqua son dos contre le mur et tira Eleonora par le bras pour l’obliger à faire de même.

— Attendons que le troupeau soit passé. Nous ne perdrons pas grand-chose du spectacle.

Elle ne résista pas. Elle se laissa même faire avec un évident plaisir, comme si ce geste de protection la ravissait. Ils rejoignirent le seuil dès que ce fut possible. Les frères Chiaromonte, les Lancia et les Ventimiglia étaient restés là avec quelques fidèles. Blasco Alagona était au centre de la cour et motivait ses archers, sa lourde épée dressée dans son gant de fer, tel un étendard scintillant.

— Maintenant ! Tirez ! criait le comte de Mistretta. Bien, rechargez vos armes ! Vous avez le temps d’abattre d’autres monstres.

Eymerich observa avec stupéfaction le champ de bataille. Des géants déchaînés, probablement débarqués des disques de feu, grimpaient sauvagement vers le sommet de Mussomeli. Dès qu’une flèche les touchait, ils tombaient en arrière en grognant de douleur. Ils mouraient dans la vallée, dans des flaques de sang aussi étendues que des lacs. Ils s’agitaient dans leur propre lymphe. Ils n’émettaient aucun son, mais ouvraient cependant la bouche comme s’ils voulaient le faire. Le silence était total.

Les stries blanchâtres avaient disparu de la voûte céleste, mais les disques étaient toujours là. L’énorme spirale qui les engendrait tournait toujours sur elle-même de plus en plus lentement, comme si elle s’épuisait. Ses contours devenaient transparents.

Blasco Alagona était enthousiaste. Il avait baissé son épée, étant donné son poids, et la traînait sur le sol. Sa voix puissante, bien que sombre, avait gardé quelques accents juvéniles.

— Il en arrive d’autres, mes archers. Attendez qu’ils soient à portée de tir. Puis flèches à volonté.

Manfredi Chiaromonte se rendit compte qu’Eymerich était à ses côtés. Il lui exprima sa colère.

— Qu’attendez-vous ? Grimpez sur les remparts et prononcez un exorcisme comme la dernière fois !

— Ça ne sert à rien. Les Lestrygons qui survivent et ceux qui meurent font partie de la même illusion.

— Je le sais, je l’ai compris, mais là n’est pas le problème. Blasco Alagona est en passe de se forger une victoire surnaturelle qui sera gravée dans les chroniques siciliennes. Ce qui assure aux Catalans la suprématie. Il n’y aura pas d’accords de paix parce qu’un seul parti aura gagné.

Eymerich fixa Manfredi d’un air ironique.

— Félicitations, amiral. Vous restez cynique et calculateur même lorsque votre château est attaqué par des disques de lumière rouge et des cyclopes enragés.

— Question cynisme, vous ne plaisantez pas non plus. Faites quelque chose. Il n’en va pas seulement de mon prestige. Si Blasco sort vainqueur, votre autorité en pâtira également. Personne ne vous trouvera plus nécessaire comme médiateur de la paix.

— Je vais accomplir quelque chose, dit Eymerich après une foudroyante réflexion.

Il s’adressa à Eleonora d’Arborea.

— Ma dame, ne vous éloignez pas. Nous n’avons pas fini de parler.

L’inquisiteur descendit dans la cour et put enfin embrasser la scène entière du regard. Les disques, qui volaient en dessinant des angles absurdes, bondissaient de temps en temps vers la terre. Les géants apparaissaient alors, comme s’ils sortaient de leur ventre. Furieux, tordus, couverts de haillons, ils se jetaient contre le château par paquets, la bouche déformée sur un hurlement muet. Ils faisaient des moulinets avec leurs bras, écumaient de bave. Cette fois-ci, ils n’étaient pas insensibles aux armes ennemies. Quand les flèches les transperçaient, ils se mettaient à saigner, se laissaient tomber sur les genoux, se contorsionnaient tels des forcenés à l’agonie. Les disques qui les avaient libérés fusaient alors vers les hauteurs pour danser sous la spirale rouge qui les engendrait.

Blasco Alagona était au comble de l’enthousiasme. Ruisselant de sueur, il s’était débarrassé de son armure.

— Mes braves fidèles ! La victoire est à votre portée ! Vous repoussez les monstres ! Nous ne manquons pas de flèches, ne les économisez pas. Visez la tête, les yeux, la gorge ! Ou bien la poitrine, au niveau du cœur ! Les flancs de cette colline seront bientôt transformés en cimetière !

Quand il se rendit compte de la présence d’Eymerich, son ton changea.

— Qu’est-ce que vous faites là, le prêtre ? Ici on se bat ! Retournez à l’intérieur et apprêtez-vous à réciter le Te Deum ! Dans moins d’une demi-heure nous les aurons tous exterminés, du premier au dernier !

L’inquisiteur fit comme s’il ne l’avait pas entendu. Il déambula jusqu’à une fenêtre géminée qui s’ouvrait dans le mur d’enceinte, observa le paysage et revint sur ses pas sans se presser. Il avait gardé les mains croisées derrière le dos.

— Cela suffit, se contenta-t-il de dire.

Puis il réitéra face à Blasco Alagona lorsqu’il fut près de lui.

— Cette comédie a assez duré.

— Que voulez-vous dire ? demanda le comte, l’air furieux.

Il ruisselait comme une bougie à la flamme trop vive.

— Comment osez-vous ?

Eymerich lui lança un regard méprisant.

— Ramón, j’apprécie tes dons de comédien et de meneur de troupe. Tu as organisé un remarquable spectacle. J’applaudis intérieurement. Maintenant, libère ce corps. Qu’il retrouve son habituelle stupidité. Quant à la représentation, elle commence à devenir ennuyeuse. Il est temps que ça finisse.

Le teint de Blasco devint terreux. Ses lèvres tremblaient.

— Qu’est-ce qui vous prend, prêtre, de me donner des ordres ? Vous ne pouvez m’ordonner quoi que ce soit !

— Bien sûr que je le peux, et tu le sais mieux que moi.

Eymerich découvrit ses canines en un semblant de sourire.

— Si je te garde encore en vie, c’est pour pouvoir parler avec toi plus tard. Nous avons beaucoup de choses à nous dire. Maintenant, Ramón, trouve une autre enveloppe de chair capable de t’accueillir. On se reverra sous ta nouvelle apparence.

Tout se passa en un instant. Blasco Alagona se retrouva comme sonné, la tête posée sur une épaule. Quand il reprit conscience, il parla avec difficulté.

— Que s’est-il passé ? Où suis-je ?

Ses hommes étaient tout aussi déconcertés que lui. En un clin d’œil les disques, les spirales et les corps des Lestrygons tués avaient disparu. Il n’y avait plus de cadavres entassés sous Mussomeli, ni de lacs de sang. Les rivières s’écoulaient tranquillement. Un peu plus bas, à Manfridia, tout avait l’air normal. Le soleil rougissait encore le ciel, mais ce dernier avait retrouvé en grande partie sa pureté azuréenne.

Eymerich s’était préparé à l’atroce mal de tête qui s’ensuivit. Il attendit que cela passe et réintégra le bâtiment principal. Manfredi Chiaromonte l’attendait, enthousiaste, en haut de l’escalier.

— Félicitations, magister ! Je ne sais pas quelles sont vos invocations secrètes mais vous avez tout fait rentrer dans l’ordre !

Il se tenait la tête. Il avait dû éprouver lui aussi ces furieux élancements.

— Aucune invocation. Je rétablis juste l’ordre que Dieu a voulu.

— Non, vous réalisez plus que ça ! Vous redonnez une chance à la diplomatie et à une solution équitable. Vous permettez que je vous embrasse ?

— Il ne manquerait plus que ça !

Eymerich s’écarta, horrifié à cette idée. Aussi bien lui que Manfredi suaient abondamment.

— Amiral, savez-vous si Dame d’Arborea est dans les parages ?

— La voilà. Je pense qu’elle vous a attendu.

— Alors veuillez m’excuser, je dois aller lui parler.

La dame restait dans la pénombre, abasourdie mais pas du tout apeurée, les mains sur les genoux. Elle regarda Eymerich d’un air désarmé, comme si elle ne trouvait aucune question sensée à poser. Elle était tout aussi déboussolée que les courtisans. Ces derniers marchaient en tous sens, l’air hagard. Ils essayaient de ne pas regarder l’inquisiteur, comme s’il était à l’origine de leurs problèmes, et que ceux-ci allaient réapparaître s’ils l’observaient avec trop d’insistance. De temps en temps, l’un d’eux s’approchait de la porte ou d’une fenêtre pour vérifier la disparition des bizarreries célestes ou terrestres. Il rebroussait chemin, plus calme mais pas totalement rassuré. Dans le hall, les gens parlaient peu et à voix basse.

— Allons dans un lieu moins fréquenté, proposa Eymerich.

Eleonora fit la moue.

— Je suis persuadée que tous les endroits se valent au niveau de la sécurité. Je préfère rester ici.

— Comme vous voulez. J’aimerais vous poser une question qui me trotte dans la tête depuis deux jours. Vous ne la comprendrez peut-être même pas, ma dame, mais je peux vous assurer qu’elle a sa raison d’être.

— Je vous répondrai volontiers si vous en faites d’abord autant avec quelques questions que j’aimerais, moi, vous poser.

Eymerich contempla ce visage irrégulier qui lui paraissait maintenant plus gracieux qu’à l’ordinaire. Quand elle adoptait une expression boudeuse, Eleonora embellissait un peu.

— Je vous écoute, soupira-t-il.

— Vous savez qui sont les géants plus ou moins réels que transportent les disques multicolores ?

— Oui, je le sais. J’ignore ce que sont les disques, mais la dynamique du phénomène est très claire. Elle n’est pas du tout nouvelle. Disons qu’elle occupe une position marginale dans le christianisme.

— Vous pouvez également justifier les sauts dans le temps et dans l’espace ? Comme lorsque vous naviguez vers la Sardaigne et débarquez peu après. Ou la disparition de la flotte de Beneet. Ou bien le passage instantané d’une grotte à la chambre située sous la vôtre.

— Je n’y vois aucun mystère. Le Liber Vaccae mineur, ou le second volume, si vous préférez, décrit le phénomène avec suffisamment de rigueur. Il ne s’agit pas d’un texte chrétien, en l’occurrence, mais Ramón de Tárrega se conforme à ses instructions.

— Il explique également les êtres incomplets que vous avez tués à Feudo Michinese ?

— Oui, en partie.

Eymerich croisa les bras.

— À mon tour de vous poser une question, ma dame.

— Vous êtes resté très vague, vous n’avez rien éclairci de ce que je vous ai demandé !

— Vous pouvez faire de même, je m’en fiche.

Eymerich redressa son dos. Sa grande taille devint encore plus imposante.

— Je vais vous énoncer quatre noms féminins. Je voudrais savoir si l’un d’eux vous évoque quelque souvenir enfoui.

— Je vous écoute.

— Lilith, Agrath, Mahalath et Na’amah.

En entendant le dernier nom, Na’amah, Eleonora se plia en deux, comme si elle était sur le point de s’évanouir.