CHAPITRE XXXXVII
Succès diplomatique

Au terme d’une journée et demie de discussions ininterrompues, Eymerich se sentait aux limites de l’épuisement et avait la voix enrouée. Il était cependant comblé. L’accord qui avait été adopté satisfaisait les attentes de la quasi-totalité des participants, il pouvait être accueilli sans objections par le pape Grégoire et, avec une légère réserve peut-être, par Pierre le Cérémonieux. Des flots de sueur avaient été nécessaires pour en arriver là.

L’inquisiteur se leva, pour la centième fois de la journée. Il écarta les bras.

— Ma reine Jeanne, mon roi Frédéric, et vous, chevaliers, nobles et dignitaires. Par la grâce de Notre Seigneur, ce jour, le 31 mars 1372, va entrer dans l’histoire. Une discussion franche et complète a abouti à un accord équitable, qui ne peut que conforter tout gentilhomme aspirant à obtenir la paix et le bien commun. Je vais vous en résumer les termes principaux.

Eymerich vit se fixer sur lui les yeux intelligents et pénétrants de Niccolò Spinelli da Giovinazzo, le grand chambellan de Jeanne d’Anjou, qui était intervenu au nom de sa souveraine dans les tractations. L’issue heureuse lui était en grande partie redevable. C’était un homme maigre, au visage effilé, aux cheveux sombres et bouclés. Il portait un costume noir et était coiffé d’un chapeau de la même couleur. On le remarquait facilement au milieu d’une congrégation de barons caquetants et vêtus de couleurs vives. C’est son regard qui attirait le plus, sage et intense à la fois.

Jeanne d’Anjou n’avait pas pris place à la longue table qui accueillait les participants à la réunion. Elle était assise sur un trône au fond de la salle du Maschio Angioino (Mâle angevin) – Eymerich avait appris qu’il s’agissait du nom courant pour désigner Castel Nuovo – préparée pour le concile, face à un siège identique sur lequel était assis Frédéric IV. Aucun des deux adversaires n’avait pris la parole durant cette interminable discussion. Ils étaient même restés tout le temps immobiles telles des statues de cire. Ils ne s’étaient jamais éloignés : signe que cette confrontation était pour eux d’une grande importance.

— Je résume, répéta Eymerich. Jeanne d’Anjou demeure reine de Sicile, titre qui lui revient de droit. Frédéric IV d’Aragon devient roi de Trinacrie, avec une grande autonomie dans la perception des taxes, mais lié à sa souveraine par un pacte de fidélité. Il gouvernera l’île sur son mandat. Il établira son siège à Palerme, qui reprend son titre de capitale, et consultera l’ensemble des barons pour les décisions les plus importantes. C’est bien cela, messire Spinelli ?

Le grand chambellan acquiesça, avec un sourire complice. Pour parvenir à fixer ces points d’entente, aussi bien lui que l’inquisiteur avaient dû rivaliser de patience et de subtilité face à des interlocuteurs vulgaires, la plupart du temps irascibles. Don Blasco Alagona en tête.

— Le roi de Trinacrie, Frédéric, poursuivit Eymerich, assurera par serment son obéissance à notre saint pontife Grégoire XI et à l’Église catholique, apostolique et romaine, porteuse de l’unique Vérité. En vertu de ce pacte de soumission, il s’engage à favoriser la renaissance en Sicile de l’Inquisition de l’erreur hérétique, reconnaissant l’autorité de son régisseur général, le père Simone dal Pozzo. Il fera son possible pour redonner de l’éclat à l’université et à la bibliothèque dominicaines de Palerme, centres de sagesse chrétienne dans cette partie de la Méditerranée assiégée de l’extérieur par les infidèles, et de l’intérieur par les hérésies.

Ce disant, Eymerich perçut un signe de gratitude de la part du père Simone dal Pozzo, assis à l’autre bout de la table. En tant qu’observateur, celui-ci n’était pas intervenu dans les tractations, mais il en avait suivi les évolutions avec inquiétude. À présent il paraissait totalement satisfait.

— Enfin, conclut Eymerich, un souhait qui m’est apparu commun.

Il savait qu’Eleonora d’Arborea n’était pas présente dans la salle, c’était cependant à elle qu’il s’adressait.

— La Méditerranée se prête aux échanges et au commerce. Une succession de conflits, la peste, les guerres civiles l’ont appauvrie. Il suffirait d’une courte saison de paix entre le royaume d’Aragon, les deux Siciles et la Sardaigne pour rétablir les anciennes routes marchandes et contraindre Gênes à des comportements moins belliqueux. Nous avons accompli aujourd’hui un premier pas important en ce sens. La papauté, par sa nature d’agent d’unification, fera en sorte que le processus soit mené à terme. Je m’emploierai à cette fin. La paix est conclue, la prospérité est à nos portes. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

Les participants firent le signe de croix puis applaudirent à tout rompre. Même Jeanne et Frédéric, libérés de leur immobilité, applaudirent avec fougue. Eymerich, satisfait, mais un peu gêné, se leva et remercia l’assemblée en s’inclinant. Il quitta son siège et s’achemina rapidement vers la sortie.

Dans le hall, il retrouva Eleonora d’Arborea. Pour le rejoindre, la dame dut se frayer un passage à travers une foule bruyante qui attendait depuis des heures les résultats des négociations.

Il y avait là des nobliaux, des notables, des prêtres, des fonctionnaires de bas rang, des avocats à la réputation douteuse. Il ne manquait même pas les représentants de la Naples louche fidèles aux Anjous : roturiers aux habits clinquants, chargés de parures superflues et mal assorties. Courtes épées et navajas à la ceinture, quand il ne s’agissait pas de simples couteaux.

L’interdiction d’être armé à l’intérieur des villes ne s’appliquait pas à eux. Ils avaient pour mandat de tenir le peuple sous leur coupe et de le pousser de gré ou de force à la soumission. Ils pouvaient en échange s’adonner aux pires larcins à condition qu’ils ne touchent pas aux classes aisées.

Eleonora s’agrippa à la manche de l’inquisiteur.

— Vous n’avez quasiment pas parlé de la Sardaigne et de son indépendance.

— Ce n’était pas à l’ordre du jour, ma dame.

Eymerich libéra son bras.

— Procédons par étapes. Les Anjous ne sont pas hostiles à la cause de votre père, et c’est déjà beaucoup. Vous ne pouvez pas demander à ce qu’ils le mettent par écrit. Quant à Pierre le Cérémonieux, que la paix ait pu être conclue en Sicile sans gaspiller d’argent en navires et en armées peut lui donner des idées.

— Mais Frédéric IV a dû accepter une condition de soumission !

— Mieux vaut être soumis à un pape et à un roi lointains qu’à des profiteurs trop proches. Vous, les Sardes, vous devriez également…

— Jamais ! s’exclama Eleonora.

Ses yeux brillaient.

— Alors comptez sur vos forces. Je ne peux pas vous conseiller grand-chose.

Eymerich s’éloigna de la jeune femme. Il était si fatigué qu’il ressentait le besoin impérieux de sortir, pas tant pour respirer que pour s’extraire d’une foule trop dense… et qui allait le devenir encore plus quand les nobles sortiraient de la salle de réunion. Il se rendit dans la cour sans être importuné, puis dans le petit jardin qui séparait le château de la mer.

Une surprise désagréable l’y attendait. On était en plein après-midi et le soleil, à l’ouest, encore haut au-dessus de l’horizon, grossissait lentement. Il n’y avait pas de nuages, mais le ciel n’était pas dégagé : il s’y dessinait une toile de fines stries blanchâtres qui s’entrecroisaient en nœuds relativement réguliers. Les traces étaient trop fines pour que ceux qui discutaient devant le Maschio puissent les remarquer. Ce n’était pas la seule anomalie astronomique : de petites sphères lumineuses presque imperceptibles dansaient à l’intersection des lignes, selon des trajectoires irrégulières en apparence fortuites.

Pour Eymerich, ce fut un amer retour à la réalité. L’ennemi n’avait pas été vaincu et n’était pas resté en Sicile. Il paraissait le suivre pas à pas, avec son arsenal de trucages infernaux. Dans quel corps se cachait-il, maintenant ?

— Ils sont sur le point d’attaquer, magister ?

Eymerich sursauta en entendant la voix originelle de Simone dal Pozzo. Il se ressaisit aussitôt. Sur ce front-là, il n’avait rien à craindre. Il suffisait d’observer l’expression paisible de son confrère pour comprendre qu’il ne s’agissait pas du simulacre fébrile de Mussomeli, possédé par l’ibbour.

— J’en ai bien peur, répondit-il. Et cette fois-ci, il n’y aura pas de Lestrygons, mais qui sait quel autre fantasme. Ramón s’appuie sur les symboles communs à l’imaginaire ancestral de chaque peuple. C’est en tout cas ce que je pense. Il fait donc vibrer les esprits… je ne sais pas comment dire autrement… pour que l’on fasse tous le même cauchemar.

— Ramón de Tárrega est donc ici à Naples ?

— J’espérais que non, mais je me trompais. Un souhait stupide : je n’ai pas encore identifié qui l’abrite la plupart du temps, tel un prédateur dans son nid. Ce qui veut dire que je l’amène avec moi comme une ombre et que je ne parviens pas à m’en libérer.

Le père Simone regardait le ciel en silence. Les lignes blanches et les sphérules brillantes étaient toujours là, mais n’augmentaient pas de taille et ne se rapprochaient pas. Après les avoir observés un moment, il se racla la gorge et suggéra :

— Trouver le corps qui cache l’âme de Ramón en dehors de ses transferts temporaires ne devrait pas être si difficile, magister.

— Que voulez-vous dire ? Expliquez-vous !

— Ramón de Tárrega était un juif non converti, d’après ce que vous m’avez raconté. Il est clair qu’il ne peut accepter comme hôte qu’un autre juif. Pendant combien de temps un juif accepterait-il de rester dans le corps d’un non circoncis ? Cela mettrait en péril son salut !

Eymerich fut secoué de frissons.

— Ça ne peut pas être lui. Je l’ai déjà écarté. Il n’est pas avec moi depuis Barcelone !

— J’ai l’impression que vous avez déjà à l’esprit quelqu’un de précis. S’il en est ainsi, je vous demande : L’avez-vous connu en Sicile ou avant ?

— En Sicile !

— Alors il se peut qu’avant vous ne l’ayez pas remarqué. Ou bien il se servait de son pouvoir de possession ou, plus simplement, il restait à l’écart. Combien de gens rencontrons-nous, chaque jour, sans les remarquer ? D’autres habits, une coupe de cheveux différente et le personnage devient invisible. Sans avoir besoin de se transférer dans un nouveau corps.

Eymerich hurla presque :

— Je vous dis que c’est impossible ! Ça ne peut pas être Nissim Ficira !

Simone dal Pozzo fit un sourire tranquille.

— Impossible ou improbable ? Réfléchissez-y bien. Dans le premier cas nous sommes dans une voie sans issue. Dans le second, la vérité est peut-être à portée de main.

Eymerich sentit qu’il devait poursuivre seul ses réflexions et agir simultanément. Il laissa son confrère en plan et se dirigea en courant vers le Castel de l’Œuf. Il entendit Niccolò Spinelli l’appeler, mais n’y prêta aucune attention. Le soupçon qui venait d’être éveillé en lui avait besoin d’être immédiatement éclairci.

La raison, il se l’avouait à peine. Nissim lui était sympathique, malgré son appartenance à une lignée bâtarde. Sur le terrain, il s’était montré presque à la hauteur de certains de ses compagnons d’aventure. Moins que le père Corona, bien sûr ; plus peut-être que Pedro Bagueny ou au même niveau en tout cas. Il se montrait perspicace, vif, capable d’interprétations plus subtiles que son niveau culturel. Imaginer qu’il puisse être l’apparence principale de Ramón était tragique. Et pourtant…

Le bord de mer n’était pas très fréquenté tandis qu’apparaissaient les premiers signes d’un coucher de soleil imminent. Eymerich écarta tous ceux qui voulaient lui vendre de la nourriture, il sépara des couples qui marchaient main dans la main, il traversa des groupes de musiciens. Il ne leva pas les yeux vers le ciel, il n’en avait pas le temps. Il imagina seulement qu’avec le soleil couchant les stries blanchâtres allaient être de plus en plus visibles.

Il était encore émerveillé par cette absence quasi totale de fatigue caractéristique des semaines précédentes. L’air tempétueux qui soufflait de la mer ne le déstabilisait pas, ses pas trouvaient toujours la dalle juste pour assurer son équilibre. S’il n’avait pas été aussi préoccupé, il se serait senti renaître.

Le Castel de l’Œuf était presque désert : en dehors d’une poignée de sentinelles, les soldats avaient été envoyés défendre le Maschio Angioino. Eymerich grimpa les marches qui conduisaient à l’étage supérieur sans être dérangé et poussa la porte entrouverte à côté de la sienne. Il avait de la chance : Nissim était là. Sa fougue tomba en le voyant larmoyant, assis sur le rebord du lit.

Dès qu’il vit l’inquisiteur, les yeux humides du serviteur s’écarquillèrent, pleins d’espoir. Il joignit les mains.

— Quelle chance que vous soyez venu ! Un doute terrible me hante ! Seul vous, père, pouvez le chasser.

— Quel doute ? demanda prudemment Eymerich.

Il se tenait sur ses gardes comme s’il était face à une bête sauvage capable de le blesser d’un coup de griffes.

La réponse de Nissim ne fut en rien agressive. Il manifestait plutôt un certain embarras.

— J’ai essayé de me remémorer des souvenirs de plus de douze ans. Je n’ai rien trouvé. Rien ! Uniquement des images qui m’ont été racontées ensuite. Moi, tout juste nouveau-né, enlevé par une femme éthérée aux grandes ailes transparentes.

— Lilith ?

— Oui, mais ça je ne l’ai su qu’ensuite.

Eymerich, sans s’emporter, apprécia le toupet de celui qu’il considérait désormais comme son ennemi.

— Ingénieux, Ramón. Tu veux te faire passer pour mon fils. Tu crois ainsi me surprendre et me déstabiliser. Tu n’y arriveras pas. Certains soupçons qui me tarabustaient, et que j’avais écartés trop rapidement, ont été confortés par l’analyse des événements. Tu peux arrêter de te cacher.

— Je ne suis pas Ramón ! s’insurgea Nissim.

Ses yeux se séchèrent instantanément. Si le jeune homme faisait semblant d’être étonné, la maîtrise était parfaite.

— Et de quel fils parlez-vous ? Je n’arrive pas à vous suivre !

Eymerich ricana.

— Tu y arrives très bien. Tu sais mieux que moi pourquoi je cherchais un enfant d’une douzaine d’années. J’étais sur les traces de l’expérience réussie. L’enfant né du sperme que Myriam, ou Lilith, m’a volé par ses séductions.

Tout en parlant, l’inquisiteur regardait autour de lui. En dehors du lit, il y avait une petite table, un miroir, deux chaises en bois et l’habituel seau pour les besoins corporels, avec une cruche à côté.

Sous une bougie éteinte, deux mouches volaient autour des restes d’un repas bâclé consommé sur un grand mouchoir ouvert au milieu de la nappe. Une assiette en fer contenait des restes de viande, un bout de fromage grignoté, des miettes de pain. La lame d’un couteau sale et effilé dépassait du bord de la table, près d’une tasse qui pouvait avoir contenu du vin ou une autre boisson.

— Vous devez être fou, murmura Nissim. Je ne suis rien de ce que vous dites.

— Arrête de jouer la comédie, Ramón.

Eymerich commença à se déplacer lentement vers la petite table qui se trouvait entre lui et la fenêtre. Par cette dernière pénétrait encore une faible lumière.

— Une chose demeure pour moi incompréhensible. À quoi ressemblais-tu à Barcelone, après ta mort ? Je ne parle pas du cochon. Je sais désormais que tu peux donner une apparence animale à n’importe quelle enveloppe charnelle, grâce à tes traités de nécromancie. Je parle du corps dans lequel tu t’es transféré. Celui que tu utilises encore maintenant. En quoi t’es-tu déguisé pour que je ne te remarque pas ? En vieille religieuse, peut-être ?

Nissim était bouche bée. Il lâcha les draps et faillit tomber en arrière. Eymerich en profita pour s’emparer du couteau et le cacher derrière son dos.

— Qu’est-ce que vous racontez, monsieur ?

Nissim hurlait presque. Il avait l’air terrorisé.

— Ce que vous dites n’a pas de sens. Vous êtes en train de perdre la raison !

— Ah oui, Ramon ? Qu’est-ce que tu as ressenti quand on a tué les larves, mes enfants ratés ?

Eymerich gardait son calme. Il vit une sphère brillant d’une lumière blanche traverser l’espace dans l’encadrement de la fenêtre mais n’y prêta pas attention. Son esprit était ailleurs.

— Tu dois avoir éprouvé une joie sauvage, n’est-ce pas ? Sans le savoir, je massacrais des créatures de mon sang. Je vais éprouver la même joie en t’expédiant bientôt dans les bras du démon. Mais je dois d’abord assouvir une dernière curiosité.

— Mon Dieu ! Vous divaguez complètement ! Qu’est-ce que vous avez derrière la tête ?

Nissim devait avoir aperçu le couteau qu’empoignait Eymerich. Il était plus jeune et plus fort que l’inquisiteur et il aurait pu tenter de le maîtriser. Mais quelque chose l’en empêchait.

— Je vous ai servi comme j’ai pu ! Je n’ai rien à vous avouer !

— Pourquoi as-tu voulu m’entraîner jusqu’en Sicile, Ramon ? Pourquoi as-tu accumulé des fœtus dans un bâtiment perdu en pleine campagne ? Tu ne pouvais pas faire la même chose à Barcelone ?

Nissim haleta. Il donnait l’impression de ne pas saisir le sens de la conversation. Cependant, il ne réagissait pas, n’essayait pas de désarmer l’homme qui le menaçait. Il avait plutôt tendance à se recroqueviller.

— Non, tu ne pouvais pas, Ramón. Pour que tes illusions fonctionnent tu devais m’entraîner dans la terre natale de Marie la Juive, où œuvra ton maître, Arnaud de Villeneuve. Où fut présent Raymond Lulle, artisan de la décadence putride des franciscains. Où les anciennes croyances sont plus vives qu’ailleurs, au point de donner facilement corps aux suggestions. N’est-ce pas, Ramon ?

— Je ne suis pas Ramón !

Pour hurler ces trois mots, Nissim utilisa ses dernières forces. Il adoptait toujours une attitude passive. Il mit ses mains devant son visage, comme pour protéger son visage et son cou.

Eymerich sortit le couteau de derrière son dos et l’empoigna des deux mains. Elles tremblaient. Il était très nerveux, mais faisait des efforts pour ne pas le paraître. Il scanda chaque phrase de sa sentence.

— Ramón de Tárrega ! Dieu ne me permet pas les exécutions individuelles. Je devrais te soumettre au jugement d’un tribunal légalement constitué, approuvé par un évêque. Tu as cependant déjà été condamné et il serait inutile de te soumettre de nouveau à la justice. En te perçant le cœur, je serai peut-être damné pour toujours, mais c’est mon devoir de le faire. Il n’est pas dit que le chemin que j’ai choisi me conduise au salut.

Eymerich leva le couteau au-dessus de sa tête et fit un pas vers sa victime.

Paralysé par l’effroi, Nissim murmura :

— Rex tremendae maiestatis, qui salvandos salva gratis, salva me, fons pietatis !