Comment le mental nous empêche
 de vivre

L’esprit mental nous empêche de vivre l’expérience de l’existence, il n’accepte pas le nouveau et veut tout contrôler : nous perdons ainsi la possibilité de profiter des nouvelles expériences de notre vie.

Pour nous en sortir, nous devons être conscients en permanence de la force de notre activité mentale. Nous réalisons alors que les difficultés ne viennent pas de l’extérieur, mais qu’elles s’enracinent dans l’activité mentale, à l’intérieur de notre esprit.

Bien sûr, les événements extérieurs ont de l’importance, mais celle-ci est relative à l’attention que nous leur portons. Nous avons à accepter les événements que l’existence nous envoie – ce qui ne signifie pas que nous devons les subir –, nous ne pouvons pas lutter contre ce qui est, mais nous pouvons aller dans le sens des changements du monde pour faire évoluer les situations.

L’importance que nous accordons aux événements est déterminante pour bien ou mal vivre notre existence. Soyons conscients qu’une grande part de celle-ci s’enracine dans notre interprétation et notre mental.

Les préjugés

La tendance au préjugé, c’est-à-dire au jugement porté avant expérience, se manifeste de manière inconsciente : les préjugés nous empêchent de vivre de manière très insidieuse.

Sous l’effet du préjugé, notre attention se détourne de ce qui se présente. En fait, le préjugé bloque l’expérience ; nous n’expérimentons alors que le préjugé.

La mémoire et la projection

Le commentaire sur ce que nous vivons – c’est-à-dire l’interprétation de notre existence – tient une place démesurée dans nos vies. Nous laissons parler nos conditionnements, nos préjugés et nos habitudes, ce qui laisse à la mémoire une place prépondérante.

La mémoire étend constamment un voile sur l’« actuel » : elle projette ce qu’elle connaît sur ce qui nous arrive. Il faut savoir que la mémoire s’est constituée de façon inconsciente. Aussi, dans notre Voie la nommons-nous « ignorance », car elle ignore tous les possibles qu’elle ne connaît pas.

La mémoire, les préjugés et les habitudes créent la continuité de la pensée. Cette pensée continue paralyse notre attention – nous ne voyons qu’elle – et nous déconnecte de la réalité, qui est vaguement perçue, puis immédiatement interprétée.

Confondant les pensées et commentaires de notre esprit mental et ce qui est vraiment « nous », nous nous empêchons de vivre notre vie et ne laissons pas de place au nouveau : nous fabriquons de l’ennui et de la souffrance.

Les mots sont vides (voir p. 43), mais notre regard est toujours tourné vers eux, ce qui explique que nous ne voyons rien de ce qui nous arrive et que ce qui nous arrive est différent de ce que nous voyons.

L’attente et le but

L’attente peut revêtir de nombreuses formes : elle peut être reliée à quelqu’un ou à quelque chose – elle est alors facile à reconnaître. Mais, elle peut également être liée à des objets sans que nous en ayons conscience. Tant que l’attente accapare de façon puissante notre attention et qu’elle nous empêche de vivre consciemment l’instant, elle constitue un obstacle majeur à notre avancement dans la Voie.

Le but et la recherche d’une progression linéaire sont un autre facteur central du trouble qui nous habite. Nous éprouvons du trouble parce que notre attention est soumise à la mécanique mentale. Le mécanisme du « but » nous a permis de survivre au cours de notre longue histoire… Dans les situations de danger, nous avons dû réagir très vite aux événements, et automatiquement l’objet – la situation –, le résultat et la satisfaction ou l’insatisfaction ont été associés dans notre esprit.

De ce fait sont automatiquement associés le résultat et le bonheur lié à son obtention, ainsi que les moyens d’action nécessaires à celle-ci. Ainsi, l’objet prend-il la caractéristique du bonheur.

La mécanique du but fait du bonheur une expérience conditionnée : toute l’attention se porte automatiquement sur l’objet, et nous ne voyons pas que le bonheur est l’essence même du sujet, c’est-à-dire de nous-mêmes.

Donc, par association, les événements ont acquis une charge affective. Désormais, ils structurent notre existence, et le bonheur est conditionné à certains objets et phénomènes précis. Les objets deviennent vivants car ils génèrent de l’insatisfaction ou de la satisfaction.

Nous sommes en permanence tendus vers l’obtention du but, dans une recherche de résultat.

Cette assimilation entre l’objet, le but et les moyens de l’obtenir génèrent une culture du « faire » et une confiance extrême dans la réflexion qui précède l’action.

L’outil mental permet d’ailleurs de concevoir le but, qu’il s’agisse d’un idéal de vie matériel ou d’un idéal de vie spirituel.

Mais la vie est une errance : nous sommes constamment dans les changements du monde, aussi la mécanique du but ne fait-elle que croître notre trouble et notre mal-être.

Nous sommes bloqués parce que nous attribuons de la force à l’objet : nous sommes incapables de reconnaître que c’est notre attention qui donne de la force à l’objet.

Nous sommes également tendus en permanence vers la recherche de l’objet idéal, qui serait susceptible de nous donner enfin le bonheur, c’est-à-dire une satisfaction qui aurait un caractère définitif.

En fait, nous nous maintenons en permanence dans une attente, ce qui engendre obligatoirement la déception.