Développer les qualités de l’esprit
Comprendre nos défauts nous permet de nous confronter à nos limites. Nous ne pouvons ignorer nos actions : nous nous voyons agir. Nous pouvons consciemment corriger notre comportement jusqu’à ce que celui-ci se stabilise dans le sens voulu. Nos efforts nous conduiront vers une transformation profonde, proche de notre « nous » idéal.
Devenir un être accompli demande une focalisation sur ce qui est négatif pour le corriger, puis une concentration sur ce qui est positif – nos valeurs et qualités.
Nous allons dissoudre ce qui s’est installé par habitude et, ensuite, nous reconstruire grâce à la conscience des qualités de notre idéal.
Souvent, nous connaissons mieux les défauts que les qualités. Si les défauts capitaux – que nous venons de passer en revue –, ceux qui donnent naissance à tous les états émotionnels pathologiques doivent être surveillés, le plus efficace est de nous focaliser sur les vertus correspondantes.
Ces qualités vont équilibrer les défauts. Il est possible de travailler plusieurs qualités si nous avons identifié plusieurs façons malades de fonctionner.
Fides : la foi, la confiance
C’est la croyance de notre perception. Nous devons rester en contact avec la réalité du monde pour ne pas nous perdre dans les méandres de notre imagination. La réalité, c’est la croyance commune, la perception partagée par le plus grand nombre. Elle nous donne une base partagée par tous, et même si cette réalité peut s’avérer fragile, elle constitue un repère important.
La réalité du monde est devant nous, et nous ne pouvons l’ignorer.
Pour travailler dans une voie spirituelle réelle, nous devons garder un contact avec le monde dans lequel nous vivons et assumer nos responsabilités. Nous isoler dans une pratique n’est pas une solution : nous vivons dans le monde.
Donc, fides implique d’être responsable dans notre vie de tous les jours pour pouvoir nous consacrer au spirituel. Plus les racines de notre incarnation sont solides, plus nous pouvons nous élever. Nous avons à assumer qui nous sommes et à accepter ce qui est, sans jugement ni plainte. Négliger le réel est trop souvent une fuite, par faiblesse ou par peur, qui nous empêche d’atteindre l’équilibre profond de l’être.
Parce que nous comprenons le monde, nous savons que tout va bien se passer. Spes est loin de l’espoir malade, cette « peur qui a mal tourné », disait Trungpa, mais plus proche de la constatation par espérance.
Si nous nous rappelons les moments pénibles de notre vie et sommes conscients qu’ils n’ont plus d’impact sur notre présent, nous sommes capables de réaliser que tout va mieux. Nous comprenons que le monde va dans le bon sens : celui de la résolution des déséquilibres. En revanche, nous devons être conscients que celle-ci peut être abrupte.
Spes, c’est la clarté de l’esprit entraîné. Celui-ci voit que les changements du monde portent l’homme vers une résolution des problèmes.
Plus nous constatons les possibilités de notre esprit et la cohérence du monde, plus nous pouvons adhérer au fait que « tout va bien se passer ».
Les stoïciens disent que « l’espérance est un désir qui ne dépend pas de nous », que c’est un désir dirigé vers les changements du monde pour une réalisation.
Pour Aristote, la clarté de l’esprit montre la voie d’un monde juste : la justesse est-elle la réalité ou le résultat du comportement du chercheur ?
Spes, c’est la confiance : nous nous abandonnons à la vie.
Si nous nous reconnaissons nous-mêmes dans l’autre, la charité – la volonté de l’aider – s’appuie sur notre égoïsme. Nous sommes ici loin de la compassion (du latin cum patior, « je souffre avec »), qui est l’idée de partager tendrement les malheurs avec les autres. Dans notre Voie, nous souhaitons aller bien avec les autres.
Nous parlons ici de la capacité d’agir justement parce que nous connaissons notre vraie nature. Chaque fois que nous suivons notre nature, que nous allons dans le sens de ce que nous avons compris de nous-mêmes, nous allons dans le sens de caritas.
Ainsi, caritas est aussi dirigé vers nous : nous devons nous respecter dans nos choix, aller dans notre sens. Pythagore dit dans ses Vers dorés : « Et ne pratique de chose honteuse jamais, ni avec un autre, ni en particulier ; Mais plus que tout respecte-toi toi-même. »
Le respect de nous et des autres – au sens où ils sont une partie de nous – nous offre la liberté de nous exprimer justement dans la vie, de prendre la place qui nous revient sans empiéter sur celle des autres.
Suivre les signes de la vie, accepter d’écouter ce qui est au plus profond de nous et nous fondre dans les changements du monde façonne une vie heureuse.
Caritas, c’est agir en fonction de ce que nous avons compris de nous-mêmes : cela implique d’agir sans précipitation et avec une direction.
« Ne fais rien de ce que tu ignores, mais apprends tout ce qu’il te faut, et c’est la plus agréable vie qu’ainsi tu passeras », nous rappelle encore Pythagore.
Fortis : la force
Il s’agit de la force d’agir dans le monde. Nous agissons dans le sens de nos valeurs, défiant les limites imposées par le monde.
Nous savons ce qui est juste, et cette connaissance nous donne une force intérieure qui nous permet d’agir dans le monde. Nous ferons avancer et connaître la Voie : c’est notre contribution au monde.
Pythagore dit : « Habitue-toi à mener un genre de vie pur, sans mollesse. » Il s’agit de passer à l’action sans faiblesse et non de rester dans un monde créé par nos fantasmes. Une des meilleures manières de calmer l’esprit est de passer à l’action le plus vite possible après chaque planification : quand nous agissons, l’esprit s’apaise.
La peur est aussi une limite à l’action. En effet, parce que nous avons peur d’être faibles, nous nous limitons. Pour dépasser nos peurs et aller dans le sens de notre recherche de perfection, il est nécessaire d’agir, c’est-à-dire de manifester notre intention.
Temperantia : la tempérance, la mesure
« Appliquez-vous à garder en toute chose le juste milieu. »
Kong Fu Zi.
La recherche de l’équilibre permet de ne pas se perdre dans l’excès.
Kong Fu Zi nous encourage à ne pas nous emporter pour conserver notre force au centre.
Perdre notre centre, nous « émouvoir » (du latin emovere), c’est nous laisser déborder par les émotions.
S’il est important de vivre pleinement nos émotions, il est nocif et dangereux de nous laisser chambouler par celles-ci. Les émotions sont la première cause de maladie interne dans la médecine taoïste et chinoise.
Pour combattre hubris, la démesure, les anciens philosophes grecs nous conseillent la tempérance comme qualité première.
Dans ses Vers dorés, Pythagore nous dit : « Habitue-toi à maîtriser celles-ci : l’estomac tout d’abord, et le sommeil ainsi que la sexualité et l’emportement. »
Le Tao nous enseigne de ne pas avoir de limites, mais que cette absence de limites soit équilibrée… Voilà de quoi occuper celui qui veut saisir ces concepts avec le mental !
Tout est bon, mais il faut chercher l’équilibre dans nos différentes actions.
Prudentia : la prudence
C’est l’arme principale pour atteindre l’ataraxie – l’absence de passions négatives, l’équilibre des émotions – des stoïciens. L’introspection va nous permettre de comprendre le monde et de voir les actions à entreprendre.
Cette « clairvoyance » permet de saisir les changements à venir grâce à la vision claire du moment présent.
Les passions et les émotions de longue durée ne peuvent nous blesser si nous les voyons arriver : nous avons simplement à rester vigilants pour respecter cette prudence permanente.
Attentifs à nos perceptions, présents au moment que nous vivons, notre quotidien se transforme sous l’effet de la conscience.
Prudentia est la qualité la plus facile à comprendre et la plus importante pour le travail quotidien. Cette introspection constante est soutenue par notre vigilance.
Sinceritas est l’intégrité de nous comporter en parfaite adéquation avec nos valeurs et la perception de notre nature profonde.
Elle implique la planification du passage à l’acte simple du quotidien, en cherchant à respecter le plus possible l’image idéale de soi, de celui que nous voudrions être.
Dans la pratique, nous avons à faire ce que nous savons juste. Suivre nos valeurs nous rend disponibles au monde. Ne pas le faire entraîne frustration et irritabilité.
Faire ce qui doit être fait, accepter d’aller dans le sens de notre « légende personnelle », pour reprendre l’expression de Paolo Coelho, c’est nous donner la disponibilité d’accueillir les manifestations et les phénomènes.
Nous devons développer une capacité à être simplement celui que nous avons appris à connaître : moins nous prétendons être notre personnage, plus nous sommes clairs avec nous-mêmes et avec les autres, plus nous donnons de la place à la lumière – c’est-à-dire à la recherche d’une évolution positive pour nous transformer.
Dans cette simplicité vraie, nous ne nous laissons jamais emporter, nous sommes justes et notre monde nous apparaît donc juste.
« Suum cuique tribuere », « attribuer à chacun sa part » : voilà la vision d’Aristote.
Justitia, c’est l’espace donné à chaque humain pour se réaliser dans la société.
Dans la société socratique parfaite, le groupe s’organise pour fonctionner avec une acceptation des particularités de chacun, mais dans le respect des lois de la cité.
Pour Socrate, justitia est la médecine de la société. C’est un équilibre et une osmose qui permettent de préserver la santé des groupes humains.
Justitia, pour l’humain, c’est respecter les règles de la nature et avoir une bonne hygiène de vie. Pour la société, justitia, c’est accepter les autres, mais dans le respect du groupe et de l’endroit où vit ce groupe.
Pythagore nous dit : « Ensuite exerce la justice et en acte et en parole et de te comporter en tout sans réflexion ne prends point l’habitude ; Mais sache que mourir est la destinée de tous. » Si nous sommes attentifs à la réalité, chacun et chaque chose ont une place évidente.
Si nous ne prêtons pas trop d’importance à notre ego et à notre recherche de plaisirs ponctuels, nous savons où est la part juste pour chacun.
N’acceptons jamais ce qui n’est pas à sa place : quand c’est injuste, nous nous devons d’agir si nous le pouvons.
Parfois, nous avons à nous exprimer : c’est un test de nos peurs et une confrontation à une réalité que nous ne percevons pas comme droite.
Apprenons à nous manifester davantage dans les moments où c’est nécessaire et dépassons nos peurs.
Nous voilà armés de nombreux efforts à faire en permanence dans notre vie. Avec ces informations, notre quotidien ne peut qu’évoluer.
L’enthousiasme à travailler ces qualités n’est possible que si nous sommes engagés dans une démarche de développement spirituel, mais nous pouvons garder ces informations en mémoire pour vivre plus consciemment.
Travaillons ces qualités pour devenir meilleurs et faire évoluer notre monde dans le bon sens.