enregistrement
n° 2108-10-02-008

Ma mémoire générique détecte une agence de voyage dans le quartier vers lequel nous nous dirigeons. Christine n’a pas vocalement confirmé cette destination mais je l’enregistre provisoirement et commence à réfléchir à un itinéraire idéal au cas où elle souhaiterait me laisser les commandes. Christine appuie sur la pédale de frein. Je ralentis et m’arrête à un nouveau panneau stop, une nouvelle ligne blanche tracée au sol. Sur ma gauche, mes capteurs ont repéré un véhicule biomécanique standard, marque bmw, modèle T600bm, qui approche à vive allure. Le halo de Christine ne laisse pas de place au doute : elle ne l’a pas vu. L’analyse m’indique que ce modèle ne possède pas de système de freinage qui lui permette de s’arrêter avant de me percuter quand je me serai engagée sur la route. Le pourcentage de chances pour que son système anticollision se déclenche et lui fasse changer de trajectoire est de 12. Même si celui-ci se met en marche, la probabilité pour que le ou les occupants du véhicule soient blessés au cours de la manœuvre d’évitement est très élevée. Le neuroguide de la voiture jugera donc que la collision est plus acceptable en termes de ratio bénéfices / pertes. L’analyse préliminaire conclut à un choc inévitable. J’avance sur la chaussée. Christine n’a pas remarqué mon hésitation qui a duré moins d’un dixième de seconde. La bmw me percutera dans 1,37 seconde. Je déclenche la phase préparatoire de gonflage des airbags latéraux et avant. Je libère les sangles de harnachement. Christine tourne le volant dans le sens horaire. Je commence à tourner à droite. C’est le choc. Blackout. Absence temporaire de données. La violence de la collision a rendu l’ensemble de mes capteurs inopérants pendant deux secondes. Le diagnostic indique que, durant ces deux secondes, la bmw a frappé mon flanc arrière-gauche, actionnant à l’impact le gonflage éclair des airbags et le resserrement des sangles autour de la conductrice. Les arêtes de métal plié de la bmw ont pénétré ma chair en trois points sur une dizaine de centimètres. Aucun de mes centres vitaux n’est touché, mais les alertes nerveuses pulsent avec force depuis les blessures jusqu’à mes récepteurs internes. Après le choc initial, l’énergie cinétique m’a propulsée selon une trajectoire courbe d’une vingtaine de mètres jusqu’à ce qu’un mur en béton stoppe mon mouvement. Je l’ai percuté à la vitesse de trente-cinq kilomètres à l’heure. Mon flanc droit a absorbé l’énergie du choc en compressant mes muscles. Trois de mes pattes se sont brisées sous la pression. Le frottement violent a entraîné l’arrachage de plusieurs zones de pelage et d’épiderme. En plusieurs points, les lésions atteignent l’hypoderme, voire les muscles. Le diagnostic synthétique qualifie mon état de sérieux. Nombreuses blessures nécessitant des soins rapides. Perte de sang importante. À l’intérieur, les airbags et les sangles de harnachement ont joué leur rôle d’absorption d’énergie. Je les dégonfle. Je les desserre. Christine ne présente aucune blessure apparente. D’après ses premiers mouvements, elle est indemne. J’ai ouvert la portière conducteur immédiatement après mon arrêt total. Christine sort en titubant. L’analyse visuelle, thermique et électromagnétique confirme le diagnostic préliminaire : elle est bouleversée mais elle va bien.

Christine dit : Non mais ça va pas! C’est limité à trente ici.

Elle hausse le ton en se dirigeant vers la carcasse fumante de la bmw. Je sens un liquide chaud couler sur la peau de mon flanc arrière droit. Le métal de la bmw a dû sectionner l’une de mes artères. Je perds du sang. Il coule le long de mes pattes et forme une flaque noire sur le béton du trottoir. Mes chairs sont à vif. Les fractures semblent ouvertes. La puissance de l’alerte nerveuse fait trembler tout mon corps sans possibilité de contrôle. La fiabilité de mes capteurs est de plus en plus compromise au fur et à mesure que le temps passe et que je perds du sang. Christine est debout à une vingtaine de mètres. Elle crie maintenant en direction de la bmw immobile. Mes systèmes de réception audio sont défectueux. J’entends un bruit aigu persistant qui masque tous les autres sons extérieurs. Je perds de l’énergie. Je n’ai plus la force de porter mon propre poids. Je m’affaisse sur le ventre. Le contact avec le sol m’envoie un nouvel influx nerveux qui raidit tous mes muscles et éclate temporairement dans tous mes capteurs. Je ne peux contrôler l’expulsion violente d’un filet d’air qui fait vibrer mes cordes vocales de manière incohérente. À mon tour, malgré les dispositifs de sécurité qui me l’interdisent, je hurle.