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CHAPITRE 12
NUAGE DE FEUILLE ATTRAPA UN CAMPAGNOL sur le chemin du retour et le garda bien serré entre les mâchoires. Elle voulait faire croire qu’elle était partie chasser au petit matin. Dans son esprit se mélangeaient des images du départ de sa sœur et les prophéties qui semblaient entourer Nuage d’Écureuil et Griffe de Ronce comme la brume recouvrant un buisson d’aubépine.
Une fois dans la clairière, elle entendit Poil de Souris tempêter :
« Ce Griffe de Ronce n’est qu’un paresseux ! Le soleil est levé depuis longtemps, et il dort encore. Il faut qu’il rejoigne l’équipe de chasseurs.
— Je vais le réveiller. »
Cœur Blanc, qui était assise près de Poil de Souris devant le bouquet d’orties, se leva pour gagner le repaire des guerriers.
Nuage de Feuille sentit son estomac se nouer. Qu’allait-il se passer lorsque le Clan du Tonnerre découvrirait leur disparition ? Soudain, Pelage de Poussière sortit de la pouponnière et se dirigea vers la tanière des apprentis, où Nuage Ailé et Nuage de Musaraigne prenaient le soleil.
« Bonjour, les salua-t-il. Avez-vous vu Nuage d’Écureuil ? Serait-elle malade ? D’habitude, à cette heure-ci, elle me tanne pour qu’on aille s’entraîner, avant même que j’aie pu avaler un morceau. »
Les deux apprentis échangèrent un regard surpris.
« Nous ne l’avons pas vue, déclara Nuage Ailé. Elle n’a pas dormi avec nous cette nuit.
— Qu’est-ce qu’elle a encore inventé ? » grommela le mentor, les yeux levés au ciel.
Cœur Blanc revint du repaire des guerriers en quelques bonds. Nuage de Feuille alla déposer son campagnol dans la réserve de gibier pour pouvoir écouter sa conversation avec Poil de Souris.
« Griffe de Ronce n’est pas là, annonça la chatte blanche.
— Quoi ? fit l’autre guerrière. Où est-il, alors ?
— Il a dû partir chasser seul. Ne t’en fais pas, Poil de Souris, Flocon de Neige et moi, on t’accompagne.
— D’accord. »
Dès que Flocon de Neige émergea du gîte, clignant des yeux pour chasser le sommeil, Poil de Souris alla réveiller Nuage d’Araignée, et les quatre chasseurs quittèrent le camp.
Pendant ce temps, Pelage de Poussière s’était approché de la réserve de gibier. Sur un ton irrité, il demanda au Clan des Étoiles comment il était censé former une apprentie qui n’était jamais là.
« Si tu vois ta sœur, grommela-t-il à Nuage de Feuille, dis-lui que je suis dans la pouponnière. Et elle a intérêt à avoir une bonne excuse pour être une nouvelle fois partie de son côté. »
Il s’empara d’un étourneau et retourna auprès de Fleur de Bruyère.
Nuage de Feuille le regarda s’éloigner avant de gagner le tunnel de fougères menant à la tanière de la guérisseuse, soulagée que Pelage de Poussière ne l’ait pas interrogée sur sa sœur. Mais elle savait qu’au fil du temps, elle ne pourrait éviter les questions… et elle ignorait comment y répondre.
Vers midi, les rumeurs commencèrent à se répandre dans le camp. Lorsque l’apprentie gagna la clairière principale en quête de gibier pour Museau Cendré, Étoile de Feu était en train de donner des instructions aux patrouilles désignées pour rechercher les deux disparus.
« Alors comme ça, Griffe de Ronce a un faible pour Nuage d’Écureuil ? demanda Flocon de Neige, l’air amusé. C’est vrai qu’elle est très jolie, on ne peut pas le nier.
— Je me demande ce qu’ils peuvent fabriquer. » Étoile de Feu semblait plus irrité qu’inquiet. « J’aurai deux mots à leur dire à leur retour. »
Nuage de Feuille se tapit, faisant mine de guetter une proie, tandis que les guerriers se dispersaient, laissant ses parents seul à seul.
« Tu sais, dit Tempête de Sable à Étoile de Feu, Plume Grise m’a rapporté ce qui s’est passé hier soir, quand vous les avez trouvés en train de chasser ensemble. Tout porte à croire qu’ils ne sont pas rentrés au camp depuis. Vu comme tu leur as parlé, je ne suis pas surprise qu’ils veuillent prendre leurs distances.
— Je n’ai pas pu les contrarier à ce point, tout de même ? lui demanda-t-il, inquiet. Tu crois qu’ils ont quitté le camp à cause de moi ? »
Les yeux verts de Tempête de Sable, semblables à ceux de Nuage d’Écureuil, plongèrent dans les siens.
« Je t’ai dit et répété qu’on n’arrivait à rien en critiquant Nuage d’Écureuil ou en lui donnant des ordres. Elle se braque et n’en fait qu’à sa tête.
— Je sais, soupira-t-il. Mais cette prophétie… Feu et tigre ensemble, et la forêt en danger. Je pensais que, une fois le Clan du Sang défait, nous aurions tous la paix.
— Mais la paix a duré bien des lunes, le rassura-t-elle en venant presser son museau contre sa joue. Et cela grâce à toi. Si l’avenir nous réserve d’autres ennuis, ce n’est pas ta faute. Tu sais, j’ai repensé à ce signe », poursuivit-elle en s’assurant que personne ne les écoutait.
Nuage de Feuille se demanda si elle devait quitter les ombres près de la réserve. Si elle l’avait vue, sa mère ne semblait pas se préoccuper d’elle. Après tout, elle savait déjà tout du message du Clan des Étoiles.
« Il est question du feu, d’un tigre et de problèmes, continua la guerrière. Mais rien ne dit que le feu et le tigre causeront ces problèmes, voyons. »
Un frisson parcourut la fourrure d’Étoile de Feu, la faisant onduler comme une rivière enflammée.
« Tu as raison ! murmura-t-il. La prophétie pourrait même signifier qu’ils nous aideront à régler ces problèmes.
— En effet. »
Le chef se redressa et sembla soudain ragaillardi.
« Dans ce cas, il est capital de les retrouver ! lança-t-il. Je vais mener une patrouille moi-même.
— Et je t’accompagne. » Haussant le ton, elle ajouta : « Nuage de Feuille, depuis le temps, tu as dû renifler chacune des proies de la réserve. Museau Cendré t’attend… et souviens-toi que tu as promis de ne parler à personne de cet augure.
— Oui, Tempête de Sable. »
L’apprentie attrapa un campagnol et fila vers la tanière de la guérisseuse. Elle se demanda si elle devait rapporter ce qu’elle savait à ses parents… mais elle avait également promis à Nuage d’Écureuil qu’elle ne dirait rien. Le dilemme pesait sur elle comme un orage prêt à éclater. Elle ignorait si elle réussirait à tenir ses deux promesses tout en restant fidèle au vœu qu’elle avait prononcé en tant que guérisseuse : agir uniquement pour le bien du Clan.
Le reste de la journée passa comme un éclair : Museau Cendré lui demanda de vérifier les stocks de plantes médicinales et d’estimer les besoins avant que la saison des feuilles mortes s’installe. Le soleil déclinait et l’air fraîchissait, empreint de senteurs humides, lorsqu’elle entendit un chat traverser le tunnel de fougères.
« C’est Étoile de Feu, annonça Museau Cendré en jetant un regard vers l’entrée de son gîte. Continue, je vais voir ce qui l’amène. »
Bien contente de rester cachée dans la faille du rocher pour compter les baies de genièvre, Nuage de Feuille aperçut son père dans la clairière : les rayons du soleil transformaient sa fourrure en flammes chatoyantes. Elle recula au fond de l’antre pour éviter qu’il ne la voie.
« On n’a trouvé aucune trace de leur passage, déclara-t-il, préoccupé. J’ai tenté de suivre leur odeur, mais la dernière pluie a dû la dissiper. Ils pourraient être n’importe où. Museau Cendré, que devrais-je faire, à ton avis ?
— Je ne vois pas ce que tu peux faire de plus, à part cesser de t’inquiéter. » La guérisseuse se montrait ferme, mais pleine d’empathie. « Je me souviens de deux apprentis qui trouvaient toujours une excuse pour quitter le camp en douce. Il ne leur est jamais rien arrivé de fâcheux.
— Plume Grise et moi ? C’était différent. Nuage d’Écureuil…
— Nuage d’Écureuil est avec un jeune guerrier de talent. Griffe de Ronce veillera sur elle. »
Silence. Nuage de Feuille risqua un autre coup d’œil à l’extérieur : son père était assis, la tête basse, abattu comme jamais. Sa fille eut pitié de lui. Elle aurait voulu le consoler, mais ne le pouvait sans manquer à sa parole.
« C’est ma faute, poursuivit le chef d’une voix à peine audible. Je me suis montré trop sévère avec eux. S’ils ne reviennent pas, je ne me le pardonnerai jamais.
— Mais ils reviendront ! La forêt est en endroit sûr, pour le moment. Où qu’ils soient, ils trouveront de la nourriture et un abri.
— Peut-être », souffla-t-il, peu convaincu.
Sans un mot de plus, il se leva et disparut dans le tunnel de fougères.
« Nuage de Feuille, sais-tu où se trouve ta sœur ? » s’enquit Museau Cendré en revenant à l’intérieur.
Voulant éviter le regard de son mentor, l’apprentie tendit la patte vers une baie qui avait roulé sur le sol. Lorsqu’elle pensait à Nuage d’Écureuil, elle ne ressentait qu’une impression de chaleur et de sécurité, et la présence d’autres chats. Elle devina qu’ils avaient rejoint la ferme de Nuage de Jais, sans en être tout à fait sûre. Elle répondit donc franchement :
« Non, je n’en sais rien.
— Mmmm… »
Nuage de Feuille sentait le regard de Museau Cendré sur elle. Elle leva la tête ; les yeux de son mentor, tels des puits de sagesse et de compréhension, ne reflétaient aucune colère.
« Si tu le savais, tu me le dirais, n’est-ce pas ? La loyauté d’un guérisseur n’est pas forcément la même que celle d’un guerrier mais, au bout du compte, nous sommes tous loyaux envers le Clan des Étoiles et les quatre Clans de la forêt. »
La jeune chatte hocha la tête. À son grand soulagement, la guérisseuse se détourna pour examiner leur réserve de feuilles de soucis.
Je ne lui ai pas menti, se consola-t-elle tant bien que mal. En vain. Prophétie ou pas, elle connaissait le code du guerrier aussi bien que n’importe quel chat. Le pire qu’un apprenti puisse faire, c’était mentir à son mentor ; même si ses paroles n’avaient décrit que la pure vérité, elle se sentait horriblement coupable.
Oh, Nuage d’Écureuil, gémit-elle, pourquoi a-t-il fallu que tu t’en ailles ?