LE SOLEIL NE S’ÉTAIT PAS ENCORE LEVÉ lorsque Griffe de Ronce partit avec la patrouille de l’aube. Peu après le baptême de Poil de Châtaigne, les feuilles avaient commencé à roussir et les premières fraîcheurs de la saison des feuilles mortes étaient apparues, mais il n’avait toujours pas plu. Le jeune guerrier frissonna tandis que les hautes herbes, ourlées de rosée, chatouillaient son ventre. Les toiles d’araignée recouvraient les buissons tel un voile gris, et l’air était chargé de senteurs humides. Les pépiements des oiseaux couvrirent bientôt les bruits de pas des félins.
Le frère de Cœur Blanc, Cœur d’Épines, qui menait la patrouille, fit une halte et se tourna vers Griffe de Ronce et Pelage de Granit.
« Étoile de Feu veut que nous allions inspecter les Rochers aux Serpents, miaula-t-il. Méfiez-vous des vipères. Il a fait tellement chaud qu’elles y sont plus nombreuses que jamais. »
Instinctivement, Griffe de Ronce redoubla de prudence. Les vipères se cachaient sûrement dans les failles ; dès que le soleil se lèverait, la chaleur les ferait sortir. Une seule morsure et c’était la mort assurée. Même les guérisseurs n’y pouvaient rien.
Bientôt, le jeune guerrier entendit des bruits, comme si un animal se déplaçait dans les sous-bois. Il jeta un œil derrière lui, espérant découvrir une proie facile. Il ne remarqua tout d’abord rien, puis vit des fougères frémir malgré l’absence de vent. Il huma l’air, la gueule entrouverte pour mieux identifier les odeurs, avant de pousser un long soupir.
« Sors de là, Nuage d’Écureuil », miaula-t-il.
Silence. Puis les frondes s’écartèrent, et la rouquine sortit à découvert. Dans ses yeux verts brillait une lueur de défi.
« Qu’est-ce qui se passe ? » demanda Cœur d’Épines en s’approchant, suivi de Pelage de Granit.
Griffe de Ronce désigna la chatte du bout de la queue.
« J’ai entendu du bruit derrière nous. Elle a dû nous suivre depuis le camp.
— Ne parle pas de moi comme si je n’étais pas là ! s’indigna Nuage d’Écureuil.
— Tu n’as rien à faire ici ! » rétorqua-t-il.
C’était plus fort que lui, dès que la chatte ouvrait la bouche, il avait l’impression qu’on le caressait à rebrousse-poil.
« Arrêtez de vous chamailler, vous deux, grogna Cœur d’Épines. Vous n’êtes plus des chatons. Nuage d’Écureuil, explique-toi. Tu nous apportes un message ?
— Si c’était le cas, elle ne se serait pas cachée dans les fougères ! fit remarquer Griffe de Ronce.
— Je voulais vous accompagner, c’est tout, répondit-elle en lançant un regard mauvais au jeune guerrier. Ça fait des lunes que je ne suis pas sortie patrouiller.
— Peut-être, mais personne ne t’a demandé de te joindre à nous, répliqua Cœur d’Épines. Pelage de Poussière sait-il où tu es ?
— Non, admit-elle. Hier soir, il m’a promis qu’il s’occuperait de mon entraînement, mais tout le monde sait qu’il passe ses journées dans la pouponnière avec Fleur de Bruyère et leurs petits.
— Plus maintenant, coupa Pelage de Granit. Plus depuis que les chatons ont ouvert les yeux. Nuage d’Écureuil, si Pelage de Poussière ne te trouve pas, tu vas avoir des problèmes.
— Retourne tout de suite au camp », ordonna Cœur d’Épines.
Les yeux étincelants de colère, elle fit un pas en avant et se retrouva nez à nez avec le guerrier.
« Tu n’es pas mon mentor ! Je n’ai pas d’ordres à recevoir de toi ! »
Les narines de Cœur d’Épines se dilatèrent ; il poussa un long soupir, et Griffe de Ronce admira sa patience. Si Nuage d’Écureuil lui avait tenu ce genre de discours, il lui aurait volontiers déchiré l’oreille.
Néanmoins, l’apprentie comprit qu’elle avait été trop loin.
« Je suis désolée, Cœur d’Épines, miaula-t-elle. Mais ça fait vraiment des lunes que je n’ai pas patrouillé dans la forêt. Je peux venir avec vous, s’il te plaît ? »
Cœur d’Épines échangea un regard avec les deux autres matous.
« Entendu, fit-il. Mais ne viens pas te plaindre si Pelage de Poussière te transforme en chair à corbeau à notre retour.
— Merci ! s’exclama-t-elle, ne pouvant réprimer un petit saut d’excitation. On va où ? On cherche quelque chose de spécial ? Il va y avoir de la bagarre ? »
Cœur d’Épines la fit taire d’un mouvement de la queue.
« Les Rochers du Soleil, répondit-il. Et si possible, la bagarre, on l’évite.
— Et prends garde aux vipères, ajouta Griffe de Ronce.
— Comme si je ne le savais pas ! persifla-t-elle.
— Et nous patrouillons en silence. Je ne veux plus t’entendre, sauf en cas de nécessité », lui ordonna le meneur.
Nuage d’Écureuil ouvrit la bouche pour répondre mais se ravisa juste à temps, hochant la tête.
Les félins repartirent. Griffe de Ronce dut reconnaître que, maintenant que l’apprentie avait obtenu gain de cause, elle se montrait prudente : elle suivit silencieusement les pas du meneur, à l’affût du moindre bruit.
Le soleil se trouvait bien haut dans le ciel lorsqu’ils atteignirent enfin les formes arrondies et lisses des Rochers du Soleil. Une cavité s’ouvrait au bas de l’un d’entre eux : là s’était cachée la meute de chiens. Griffe de Ronce réprima un frisson. C’est Étoile du Tigre, son propre père, qui avait tenté de mener les bêtes sanguinaires jusqu’au camp pour se venger de ses anciens camarades.
Nuage d’Écureuil remarqua son expression horrifiée.
« T’as peur des vipères ? le taquina-t-elle.
— Oui. Et toi aussi, tu devrais les craindre.
— Si tu le dis, répondit-elle en haussant les épaules. À mon avis, elles ont encore plus peur de nous. »
Avant qu’il puisse l’arrêter, elle bondit dans la clairière, prête à fureter dans la caverne.
« Arrête ! » La voix de Cœur d’Épines la figea sur place. « Pelage de Poussière ne t’a-t-il donc pas enseigné qu’on ne se précipite jamais ainsi ?
— Bien sûr que si, répondit-elle, vexée.
— Alors fais comme si tu l’avais écouté au moins une fois dans ta vie. » Cœur d’Épines rejoignit l’apprentie. « Renifle un bon coup. Dis-moi ce que tu sens. »
La jeune chatte leva la tête et inspira.
« Une odeur de souris, déclara-t-elle, toute joyeuse. Cœur d’Épines, on peut chasser ?
— Plus tard. Continue, et concentre-toi. »
Nuage d’Écureuil flaira de nouveau les environs.
« Je sens le Chemin du Tonnerre, par là, indiqua-t-elle avec un geste de la queue. Et un Bipède, avec un chien. Mais l’odeur est ténue. Elle doit dater d’hier.
— Très bien. »
Cœur d’Épines semblait impressionné ; l’apprentie courba la queue de plaisir.
« Il y a autre chose, poursuivit-elle. Une odeur horrible… je ne crois pas l’avoir déjà sentie. »
Griffe de Ronce leva la truffe à son tour. Il identifia rapidement les effluves repérés par l’apprentie.
« Un blaireau, miaula-t-il.
— Exact, confirma Cœur d’Épines. Il a dû s’installer dans la grotte des chiens.
— Pas de chance ! feula Pelage de Granit.
— Pourquoi ? s’enquit Nuage d’Écureuil. À quoi ressemblent les blaireaux ? Ils sont dangereux ?
— Pas qu’un peu ! grogna Griffe de Ronce. Ce sont les pires ennemis des chats. Si celui-ci nous voit, il nous tuera à coup sûr. »
L’apprentie écarquilla les yeux, plus impressionnée qu’effrayée.
Pelage de Granit s’approcha prudemment de l’entrée de la caverne, renifla avant de passer la tête à l’intérieur.
« Il fait noir comme dans un cœur de renard, annonça-t-il. Mais je ne crois pas que le blaireau soit chez lui. »
À nouveau Griffe de Ronce sentit l’odeur du prédateur. Cette fois, elle était bien plus forte. Il se retourna d’un bond et vit pointer entre deux arbres une tête noire rayée de blanc, de puissantes pattes dans l’herbe. Du museau, l’animal flairait le sol.
« Attention ! » cria-t-il, ses poils hérissés par la peur. Il n’avait jamais vu un blaireau d’aussi près. Il fit volte-face et fila dans la clairière. « Nuage d’Écureuil, cours ! »
Dès que Griffe de Ronce donna l’alarme, Pelage de Granit plongea dans les fourrés tandis que Cœur d’Épines allait s’abriter sous les arbres. Mais l’apprentie ne bougea pas, comme hypnotisée par l’énorme bête.
« Par là, Nuage d’Écureuil ! » l’appela Cœur d’Épines, qui revenait sur ses pas.
La jeune chatte hésitait toujours. Griffe de Ronce fonça sur elle et la poussa vers les arbres.
« Je t’ai dit de courir ! » hurla-t-il.
Les yeux verts de l’apprentie, où brillaient la peur et l’excitation, croisèrent un instant son regard. Le blaireau avançait d’un pas lourd. Ses petits yeux luisirent lorsqu’il sentit que des chats avaient pénétré sur son territoire. Nuage d’Écureuil détala vers l’orée de la clairière et grimpa au premier arbre. Elle se posta sur une branche basse, les griffes plantées dans l’écorce, la fourrure ébouriffée.
Griffe de Ronce la rejoignit aussitôt. En bas, le blaireau tournait en rond, comme s’il ne savait pas où les chats avaient disparu. Sa tête noir et blanc se balançait d’un côté, puis de l’autre, ses crocs étaient bien visibles. Le jeune guerrier savait que l’animal ne voyait pas très bien. D’habitude, les blaireaux ne sortaient qu’une fois la nuit tombée. Celui-ci revenait sans doute à son terrier après s’être fait un festin de vers et de larves.
« Tu crois qu’il nous mangerait ? demanda Nuage d’Écureuil, dans un souffle.
— Non, répondit-il, tentant de ralentir les battements de son cœur. Les renards tuent pour manger. Mais ce blaireau te massacrerait par principe. Ils ne tolèrent pas qu’on viole leur territoire. Pourquoi es-tu restée figée au lieu de courir comme on te le disait ?
— Je n’avais jamais vu de blaireau de ma vie. Pelage de Poussière dit qu’il faut profiter de chaque situation pour en apprendre le plus possible.
— Même au risque de se faire réduire en pièces ? » railla Griffe de Ronce.
Pour une fois, l’apprentie garda le silence.
Tout en parlant, le jeune guerrier n’avait pas quitté la créature des yeux. Il soupira, soulagé, en la voyant abandonner sa recherche et disparaître dans sa tanière.
Cœur d’Épines sauta de l’arbre où il s’était réfugié.
« C’était moins une, miaula-t-il tandis que les deux jeunes félins descendaient à leur tour. Où est Pelage de Granit ?
— Ici. » La tête du guerrier surgit de derrière une haie d’églantiers. « Tu crois que ce blaireau est celui qui a tué Fleur de Saule à la dernière mauvaise saison ?
— C’est possible, répondit Cœur d’Épines. Flocon de Neige et Poil de Souris l’avaient chassé du camp, mais nous n’avons jamais su où il était parti. »
Un voile de tristesse s’abattit sur Griffe de Ronce en pensant à la chatte gris argent. Fleur de Saule était la mère de Poil de Châtaigne, Pelage de Suie et Perle de Pluie, mais elle n’avait pas eu le temps de voir ses chatons devenir des guerriers.
« Qu’allons-nous faire ? s’enquit Nuage d’Écureuil, impatiente. On le suit dans sa tanière et on le tue ? À quatre contre un, ça devrait être facile ! »
Griffe de Ronce grimaça. Cœur d’Épines ferma les yeux et attendit un instant avant de lui répondre.
« Nuage d’Écureuil, on n’entre JAMAIS dans un terrier de blaireau ! Ni dans celui d’un renard, d’ailleurs. Ils attaqueraient aussitôt, il n’y a pas assez de place pour manœuvrer et il y fait tout noir.
— Mais…
— Non. Nous allons retourner au camp pour faire notre rapport. Étoile de Feu décidera des mesures à prendre. »
Sans attendre une nouvelle protestation de l’apprentie, le guerrier rebroussa chemin. Pelage de Granit le suivit, mais Nuage d’Écureuil s’arrêta à la lisière de la forêt.
« On aurait pu s’en occuper, maugréa-t-elle, lançant un dernier regard plein de regrets vers le trou béant. J’aurais pu l’attirer dehors, et là…
— Et là, il t’aurait tuée d’un seul coup de patte et, de la même façon, on aurait dû rentrer au camp faire notre rapport, miaula Griffe de Ronce pour la décourager. Et qu’est-ce qu’on aurait dit alors à ton père : “Désolés, Étoile de Feu, nous avons accidentellement laissé un blaireau massacrer ta fille” ? Et là, c’est lui qui nous aurait fait la peau. Ces bêtes-là sont dangereuses, mets-toi bien ça dans la tête.
— Peut-être, mais jamais Étoile de Feu n’aurait laissé un blaireau se balader sur le territoire du Clan du Tonnerre. »
Nuage d’Écureuil dressa sa queue en signe de défi et plongea dans les fourrés pour rattraper les deux autres.
Excédé, Griffe de Ronce leva les yeux au ciel et murmura : « Par le Clan des Étoiles ! » avant de les rejoindre.
En pénétrant dans le camp, le premier chat qu’il vit fut Pelage de Poussière. Le guerrier brun tacheté faisait les cent pas devant la tanière des apprentis. Tapis à l’ombre des fougères, Nuage d’Araignée et Nuage Ailé, deux novices, le regardaient craintivement.
Dès que Pelage de Poussière avisa Nuage d’Écureuil, il traversa la clairière à grands pas.
« Oh, oh, marmonna-t-elle.
— Alors ? » La voix du guerrier était glaciale. Griffe de Ronce grimaça : il connaissait son mauvais caractère. Seule sa compagne, Fleur de Bruyère, était épargnée par ses remarques acerbes. « Qu’as-tu à dire pour ta défense ? »
L’apprentie soutint son regard avec courage, mais répondit d’une voix mal assurée :
« J’étais en patrouille, Pelage de Poussière.
— En patrouille ! Allons donc ! Et qui t’en a donné l’ordre ? Plume Grise ? Étoile de Feu ?
— Personne. Mais je pensais…
— Ah oui ? Tu pensais ? Je t’avais dit que nous irions nous entraîner aujourd’hui. Poil de Souris et Poil de Fougère ont emmené leurs apprentis à la combe sablonneuse pour s’exercer au combat. Nous aurions dû les accompagner, mais nous n’avons pas pu à cause de toi. Tu te rends compte que tout le monde t’a recherchée dans le camp ? »
La jeune chatte secoua la tête tout en grattant le sol du bout de la patte.
« Comme tu restais introuvable, Étoile de Feu a emmené une patrouille dans la forêt pour suivre ta trace. Tu les as croisés ? »
De nouveau, elle secoua la tête. Avec la rosée qui recouvrait la forêt ce matin-là, il était presque impossible de suivre les odeurs, se dit Griffe de Ronce.
« Le chef de ton Clan a mieux à faire que de perdre son temps à rechercher des apprentis indisciplinés, poursuivit Pelage de Poussière. Cœur d’Épines, pourquoi l’avoir laissée venir ?
— Excuse-moi, Pelage de Poussière, mais je pensais qu’elle serait plus en sécurité avec nous qu’à vagabonder seule dans la forêt.
— Ce n’est pas faux, admit le mentor dans un grognement.
— Il n’est pas trop tard pour l’entraînement, suggéra Nuage d’Écureuil.
— Ah, non. Pour toi, fini les sorties jusqu’à ce que tu comprennes tes devoirs… Tu passeras le reste de la journée à aider les anciens. Assure-toi qu’ils ont assez de nourriture. Change leur litière. Vérifie qu’ils n’ont pas de tiques. » Il cligna des yeux. « Je suis sûr que Museau Cendré a plein de bile de souris à te donner.
— Oh, berk ! gémit l’apprentie, écœurée.
— Eh bien, qu’attends-tu ? »
La jeune chatte soutint son regard un instant, mais l’expression courroucée de son mentor persista. Elle fit volte-face et fila vers la tanière des anciens.
« Si Étoile de Feu est parti à la recherche de sa fille, nous attendrons son retour pour évoquer la présence du blaireau, fit remarquer Cœur d’Épines.
— Un blaireau ? Où ça ? » s’enquit Pelage de Poussière.
Tandis que Cœur d’Épines et Pelage de Granit lui rapportaient l’épisode des Rochers du Soleil, Griffe de Ronce détala à travers la clairière pour rejoindre Nuage d’Écureuil.
« Qu’est-ce que tu veux ? feula-t-elle.
— Calme-toi », miaula-t-il. Il ne pouvait s’empêcher de la plaindre, même si elle avait mérité sa punition. « Je vais t’aider à prendre soin des anciens, si tu veux. »
L’apprentie ouvrit la bouche, prête à l’envoyer balader, mais se ravisa.
« D’accord. Merci, marmonna-t-elle, maussade.
— Va chercher la bile de souris. Je m’attaque aux litières. »
Les yeux de la jeune chatte s’étrécirent malicieusement.
« Tu ne préférerais pas te charger de la bile de souris, par hasard ?
— Sûrement pas. Pelage de Poussière t’a ordonné de le faire. Il va probablement venir vérifier, non ?
— Ça coûtait rien d’essayer », rétorqua-t-elle en haussant les épaules.
Elle balança sa queue et partit rejoindre Museau Cendré.
Griffe de Ronce gagna le gîte des anciens : un carré d’herbe protégé par un arbre couché. Le tronc n’était plus qu’une carapace brûlée. Le jeune guerrier sentait encore l’odeur âcre du feu qui avait ravagé le camp plus de quatre saisons auparavant, alors qu’il n’était qu’un chaton. Mais l’herbe avait repoussé dru autour de l’arbre calciné. Elle offrait un refuge confortable à ceux qui avaient servi le Clan par le passé.
En se faufilant à travers l’herbe haute, il trouva les anciens installés au soleil. Plume Cendrée, la doyenne du Clan, dormait roulée en boule ; son pelage écaille se soulevait et s’abaissait, au rythme de sa respiration. Pelage de Givre, qui était toujours une jolie reine, jouait paresseusement avec un insecte. Perce-Neige et Longue Plume étaient allongés côte à côte et bavardaient. Griffe de Ronce avait toujours eu de la peine pour Longue Plume : le vétéran était encore jeune, mais sa vue avait commencé à baisser, si bien qu’il ne pouvait plus ni chasser ni se battre.
« Bonjour, Griffe de Ronce. » Longue Plume avait tourné la tête à son arrivée, entrouvrant les mâchoires pour sentir le nouveau venu. « Qu’est-ce qui t’amène ?
— Je viens aider Nuage d’Écureuil, expliqua-t-il. Pelage de Poussière lui a ordonné de s’occuper de vous, aujourd’hui. »
Perce-Neige émit un rire rauque.
« J’ai entendu dire qu’elle avait disparu. On a retourné le camp pour la retrouver. Mais moi, je savais qu’elle était partie seule dans la forêt.
— Elle s’est incrustée dans notre patrouille », lui apprit le jeune guerrier.
Avant qu’il puisse en dire davantage, l’herbe bruissa et Nuage d’Écureuil apparut. Elle tenait dans la gueule une brindille où pendait une boule de mousse imbibée de bile de souris. Griffe de Ronce fronça le nez en flairant l’odeur aigre.
« Bon, qui a des tiques ? marmonna l’apprentie entre ses dents.
— Tu es censée les trouver toi-même », fit remarquer le jeune guerrier.
La rouquine lui jeta un regard oblique.
« Tu peux commencer avec moi, suggéra Pelage de Givre. Je suis sûre d’en avoir une sur l’épaule. »
La jeune chatte rejoignit l’ancienne reine, inspecta sa fourrure blanche d’une patte et grommela en découvrant la tique. Elle la tamponna avec la mousse jusqu’à ce qu’elle se détache. À l’évidence, se dit Griffe de Ronce, la bile de souris dégoûtait autant les tiques que les chats.
« Ne t’en fais pas, ma petite, miaula Perce-Neige tandis que l’apprentie continuait à fouiller la robe de Pelage de Givre. Ton père s’est fait punir bien des fois lorsqu’il était apprenti. Et même après son baptême de guerrier, d’ailleurs. Jamais je n’ai vu un chat aussi doué pour s’attirer des ennuis, et regarde où il est maintenant ! »
Nuage d’Écureuil se retourna d’un bond vers son aînée. Ses yeux verts pétillants quémandaient une histoire.
« Alors, commença Perce-Neige avant de s’installer plus confortablement dans son nid d’herbes, une fois, on a découvert Étoile de Feu et Plume Grise en train de donner du gibier de notre territoire au Clan de la Rivière… »
Griffe de Ronce avait déjà entendu ce récit ; il entreprit donc de rassembler les litières usagées des anciens et de rouler la mousse en boule. En la sortant dans la clairière, il avisa Étoile de Feu qui émergeait du tunnel d’ajoncs, suivi de Tempête de Sable et de Flocon de Neige. Cœur d’Épines se hâta de les rejoindre.
« Que le Clan des Étoiles en soit remercié, Nuage d’Écureuil est saine et sauve, miaula Étoile de Feu lorsque Griffe de Ronce s’avança à son tour. Un de ces jours, elle va vraiment s’attirer des ennuis.
— C’est déjà le cas, feula Tempête de Sable. Attends que je lui mette la patte dessus !
— Pelage de Poussière l’a déjà punie, leur expliqua Cœur d’Épines, l’air amusé. Il l’a envoyée chez les anciens pour la journée.
— Très bien, dit Étoile de Feu.
— Et ce n’est pas tout, poursuivit Cœur d’Épines. Nous avons trouvé un blaireau aux Rochers du Soleil : il s’est installé à la place de la meute.
— C’est peut-être lui qui a tué Fleur de Saule, ajouta Griffe de Ronce, posant sa boule de mousse. Nous n’avons trouvé aucune autre trace de blaireau dans toute la forêt.
— J’espère bien que c’est le même, grogna Flocon de Neige. Je donnerais n’importe quoi pour lui faire tâter de mes griffes ! »
Étoile de Feu se tourna vers lui.
« Tu n’en feras rien sans en avoir reçu l’ordre, le réprimanda son oncle. Je ne veux pas perdre d’autres guerriers… Nous allons le surveiller. Avertis tout le monde qu’il ne faut pas chasser là-bas. Avec un peu de chance, il partira avant la mauvaise saison, lorsque le gibier diminuera.
— C’est ça, quand les poules auront des dents, grommela Flocon de Neige, avant de rejoindre la tanière des guerriers à grands pas. Les blaireaux et les chats ne peuvent pas cohabiter, un point c’est tout. »