Vers le piton noir, la celle-là qui a le cœur léger,
Qui a le pied léger, ma chère, qui a le pied, le cœur
Et l'œil léger.
Vers le piton noir, eh bien quoi ? vers le piton,
Vers le piton noir va la belle au cœur léger.
Va-t'en guerre, va-t'en ville, va tout,
Va tout droit devant elle.
Le doigt au gilet, le chapeau sur la nuque,
Le premier arbre dit :
« Voilà longtemps que je suis ici. »
« Voilà longtemps que je suis ici,
Les pieds croisés et l'œil mutin »
Dit le deuxième arbre.
« Voilà longtemps que je suis ici,
Dit le troisième arbre, et je m'ennuie. »
Ils mirent leurs pieds dans beaucoup de fromages blancs,
Dans beaucoup de neige et de tartes à la crème,
Dans maintes boîtes de cirage.
Mais ce fut quand même un beau voyage
Que la croisade des cent mille arbres.
Ils allaient porter leur frondaison toute fraîche
A des déserts sans rémission, et le soleil s'étonnait
Des taches d'ombre à son gilet de sable d'or.
Et ça bardait, que je ne vous dis que ça.
C'était comique comme un fantôme de colonel.
Cela fit du bien à certaines moissons, du mal à d'autres,
De toutes façons, cela fit renchérir le pain,
Cela fit surtout renchérir le cœur de chêne
Et le bois de lit, et les violons, et les armoires
Et cela dévasta les champs de pommes de terre pis que les sangliers.
Ce n'est pas à minuit, ce n'est pas à midi,
C'est à sept heures du soir en hiver,
Que la belle au cœur léger
Rencontra sur son chemin la forêt en marche
Et la belle était nue, et les arbres aussi.
La belle au cœur léger parla des capucines
Et cracha sur les capucins.
Elle évoqua le bois dont on fait les portes
Avec une serrure à la place du cœur.
Elle rigola longtemps à l'idée des chouans éventrés.
« Avec vous, portée par vous,
J'ai remonté des fleuves calmes et des fleuves tumultueux.
Parfois, nous nous arrêtions pour piller une abbaye,
Ou bien pour démolir un pont
Qui empêchait votre branchage de passer.
Nous venions, souvenez-vous-en, arbres,
D'un pays de glaces et de neiges
Et le plus bel arbre, avec ses bourgeons et ses feuilles
Y dort dans un linceul transparent
Sur un lit moelleux de feuilles des lointains automnes. »
Elle dit et se soumet
Et se livre à la forêt :
« Pénétrez-moi de vos racines aiguës
Arbres rencontrés par miracle sur ma route ! »
Et elle enlace les chênes, les bouleaux et les sapins...