L’Europe connaît au XVe siècle une phase de transition, marquée par une période de reprise économique et humaine. Dès la fin du siècle, on assiste à une augmentation démographique qui estompe partiellement les dégâts occasionnés par la Grande Peste du siècle précédent. La reprise économique accompagne cette conjoncture favorable.
Alors que les réseaux urbains et le négoce se renforcent, l’essor du capitalisme permet de mettre à la disposition des techniciens et des inventeurs les fonds nécessaires à l’aboutissement de leurs recherches. Bien que les liens directs entre les mutations économiques et l’innovation soient difficiles à établir, la société du couloir rhénan dans laquelle Johannes Gutenberg évolue est plongée dans un contexte marqué par de nombreuses évolutions techniques, ainsi que par un capitalisme monétaire et financier naissant.
Même s’il est unanimement admis que l’imprimerie qui utilise des caractères en plomb a été mise au point par Johannes Gutenberg, d’autres que lui ont mené des recherches similaires, comme Procope Waldfoghel (imprimeur germanique, mort en 1446) ou encore Laurent Coster (imprimeur hollandais, vers 1405-vers 1484). La découverte et les avancées qu’elle suscite semblent donc être dans l’air du temps.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Il existe une autre hypothèse quant à la genèse de l’imprimerie européenne. Certains affirment en effet que la technique aurait été importée d’Extrême-Orient. Chinois et Coréens avaient en effet mis au point l’impression tabellaire xylographique (processus d’impression sur papier qui utilise des planches en bois gravées) et l’impression par caractères mobiles (en bois, céramique ou en cuivre) plusieurs siècles avant les Européens.
Si l’on exclut son impact spectaculaire, notamment sur la diffusion des savoirs, pour se concentrer sur les seuls aspects techniques, l’imprimerie n’est pas à proprement parler une innovation révolutionnaire. Elle est davantage l’assemblage de nombreuses techniques artisanales et de connaissances empiriques. Invention de synthèse, l’imprimerie est ainsi fondée sur d’autres procédés préexistants plutôt que sur une réelle avancée scientifique totalement novatrice. Mais l’originalité de la typographie réside surtout dans l’articulation des techniques : le travail du métal, la composition du texte par les caractères mobiles et l’utilisation de la presse à imprimer.
En outre, l’utilisation croissante du papier est une condition indispensable pour que l’imprimerie se développe. Depuis le XIIIe siècle, son utilisation se généralise et vient pallier une demande croissante que le seul parchemin (fait à partir d’une peau animale traitée) ne peut satisfaire. Le premier espace de production du papier se situe en Italie, en liaison permanente avec le monde byzantin et le monde arabo-musulman, suivie ensuite par l’Espagne, puis par la France. En Europe centrale et rhénane, siège de l’invention de Johannes Gutenberg, le papier produit est encore de médiocre qualité.
La reproduction mécanique des livres induit une révolution capitale, qui elle-même s’ajoute à d’autres avancées majeures qu’a connues le livre, tant au niveau de la forme que du support.
Précisons tout d’abord que le livre ne peut être identifié selon sa technique de production. Avant l’invention de l’imprimerie, les livres existaient bel et bien, qu’ils soient illustrés ou non. C’était alors aux scribes de retranscrire les textes qui leur étaient confiés afin d’en réaliser des livres, ou tout simplement de copier des ouvrages déjà existants. Leurs techniques de travail ont connu plusieurs transformations, accélérées notamment par le recours aux écritures cursives, plus faciles à décrypter, et par la copie de cahiers séparés qui n’immobilisait pas l’ouvrage entier. La présentation des textes à elle aussi été améliorée au fil du temps. Le manuscrit se pare de systèmes de repérage qui facilitent grandement le travail des copistes, mais également la lecture : on voit apparaître la numérotation des feuillets, des colonnes et des lignes, ainsi que les renvois et les index, autant de perfectionnements qui donneront plus tard son aspect au livre moderne. Ces progrès sont à mettre en relation avec l’évolution de la lecture qui se développe au XIIIe siècle, et la progressive substitution de la pratique traditionnelle de la lecture à haute voix à une lecture visuelle et silencieuse rendue possible par la séparation des mots.
La demande de livres a bien évidemment joué un rôle primordial dans l’éclosion de l’invention. L’écrit prend en effet une place grandissante dans la société, et son emploi est de plus en plus généralisé au XVe siècle. Cependant, bien que l’invention soit amenée à jouer plus tard un rôle considérable dans la diffusion des connaissances, elle ne semble pas avoir voulu répondre au départ à des exigences intellectuelles. L’hypothèse d’un humanisme conquérant n’explique donc pas l’invention de l’imprimerie. C’est d’ailleurs l’Église qui est, dans un premier temps, le principal client et fournisseur de textes aux imprimeurs.
Malgré un ensemble de conditions conjoncturelles, techniques et culturelles favorables, la naissance du nouveau médium qu’est l’imprimerie n’est pas inéluctable, et la compréhension de son apparition est inséparable des recherches menées par son inventeur mayençais.