C’est au travers des résultats obtenus et des développements ultérieurs de l’art typographique qu’a pu être reconstitué le cheminement de l’invention. La minutieuse analyse des premiers travaux imprimés par Johannes Gutenberg et de sa fameuse Bible révèle que la découverte est l’aboutissement de patientes et coûteuses recherches.
Gutenberg inventant l’imprimerie, tableau de Jean Antoine Laurent, 1831.
Les composantes essentielles de l’invention de Gutenberg portent sur la fonte des caractères – ou types – et sur la technique métallurgique permettant leur fabrication en série. Chaque dessin de caractère est d’abord gravé en relief et à l’envers sur une pièce métallique afin de constituer un poinçon. Ce dernier est frappé au marteau dans un métal tendre, pour fournir un dessin en creux, c’est-à-dire une matrice. Celle-ci est ensuite utilisée pour la fonte afin de produire des types ayant la même hauteur.
Avant de parvenir à un résultat optimal, l’imprimeur a dû résoudre le problème des alliages. Aucune certitude n’a pu être avancée concernant les métaux employés à l’origine pour la création des poinçons, des matrices et des caractères. Il est cependant probable qu’il ait combiné pour la fabrication des caractères un alliage de plomb, d’étain et d’antimoine, dans des proportions qui restent cependant inconnues. Les poinçons en acier n’apparaissent et ne se généralisent que très progressivement, de même que les matrices en cuivre. Peter Schöffer aurait été le premier à utiliser les deux métaux.
UN PROCESSUS LONGTEMPS INCHANGÉ
Le processus de fabrication des matrices ne varie guère jusqu’à la fin du XIXe siècle, époque où la gravure directe des matrices au pantographe (machine servant à graver les caractères avec une grande précision) supprime la double étape de la gravure manuelle et de la frappe.
Au cours des premiers essais, plusieurs indices suggèrent que le programme éditorial de la Bible a été modifié en cours de route. Johannes Gutenberg aurait commencé à travailler sur un ouvrage à 36 lignes. Mais le fait de placer si peu de lignes sur chaque page aurait multiplié le nombre de feuillets, entraînant donc un coût en papier et en parchemin trop élevé. Il aurait alors abandonné ce premier essai au profit d’une Bible à 42 lignes, bien que cela ait nécessité la fonte de nouveaux caractères plus petits, augmentant ainsi considérablement le coût financier de l’impression.
La nouvelle technique d’impression mise au point par Gutenberg emploie la presse à imprimer, elle-même dérivée et adaptée de machines déjà existantes. Malheureusement, nous ne savons rien de la presse qu’il a utilisée, car les premières représentations d’ateliers datent de la fin du XIVe siècle. On suppose toutefois qu’elle combinait un mouvement vertical avec un mouvement horizontal : la forme était d’abord placée sur le marbre, pour être ensuite positionnée à la main sous la platine qui exerce la pression. Cette dernière était actionnée verticalement par le biais d’une vis et d’un barreau. Lors de chaque pression, il fallait humidifier une feuille, sur laquelle viendront s’imprimer les caractères, et la disposer sur la forme. L’ensemble était stabilisé, et la machine souvent étayée au plafond de la pièce. On estime qu’il a fallu quatre presses pour produire les 180 exemplaires de la Bible, actionnées par une douzaine de pressiers.
La machine connaît au milieu du XVIIe siècle ses premières innovations. On trouve alors plusieurs types de presse. La presse hollandaise accélère l’impression grâce à un mécanisme utilisant les contrepoids qui permet de relever automatiquement la platine, évitant de devoir la dévisser lors de chaque impression. La seconde modification importante est d’origine bâloise : il s’agit de la presse de Hass, du nom du libraire-imprimeur qui l’aurait inventée. Cette fois, la forme est positionnée sur un chariot mobile, actionné par une crémaillère (barre métallique munie de crans actionnée par une manivelle) qui permet de présenter sous la platine une nouvelle feuille avant chaque pression. Malgré ces quelques innovations qui améliorent surtout la pression et la bonne disposition de la feuille, la technique mise au point par Gutenberg reste inchangée jusqu’au début de la révolution industrielle (seconde moitié du XVIIIe siècle).
Gravure en bois de Jan van der Straet représentant un atelier d’impression au XVIe siècle.
La composition est l’une des opérations principales de la fabrication du livre. Une fois le texte établi et calibré, il est composé à partir d’un manuscrit ou d’une édition existante, que l’on appelle l’exemplar. Celui-ci est dérelié, et les feuillets sont placés sur un support en forme de lutrin (ou visiorum) au-dessus de la casse (casier en bois qui contient tous les caractères). Aujourd’hui encore, la Bible à 42 lignes, en deux volumes in-folio, est admirée pour la beauté du papier et des caractères typographiques employés, mais aussi pour la perfection de la mise en page sur deux colonnes, pour l’exactitude de la justification et l’attention apportée à l’ensemble de la réalisation.
Le compositeur, placé devant la casse, réunit les caractères lettre par lettre, puis ligne par ligne sur un composteur préalablement justifié, qui a précisément la longueur de la ligne souhaité, de manière à ce que les lignes successives forment un bloc. Les mots sont séparés par des espaces. La ligne n’étant en général pas pleine, il faut calibrer et caler l’ensemble. Celles-ci sont ensuite placées les unes à la suite des autres dans un plateau, appelé galée, jusqu’à constituer une page. La page ainsi créée est attachée et disposée à son tour dans la forme typographique qui réunit l’ensemble des pages dans un châssis. Cette opération est appelée l’imposition.
En analysant le travail réalisé dans l’édition de la Bible de Gutenberg, les chercheurs ont découvert qu’il n’y avait pas eu un seul compositeur, mais bien six. Ils ont en effet pu remarquer que les mêmes fautes d’orthographe reviennent systématiquement dans certains feuillets, alors qu’elles sont inexistantes dans d’autres. De même, l’espace séparant les deux colonnes de texte n’est pas uniforme tout au long du livre, laissant penser qu’il s’agit d’un travail collégial.
L’impression proprement dite nécessite la présence de deux ouvriers au moins. Le margeur encre la forme, avec des balles, puis met en place la feuille vierge. Le positionnement de celle-ci se fait avec la plus grande précision, afin que le recto et le verso se superposent parfaitement. Le pressier actionne ensuite une vis centrale par le biais d’un barreau qui assure une pression verticale alors que l’on pousse le chariot sur lequel la platine s’abaisse.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Il a été calculé que chacun des volumes sur vélin de la Bible de Gutenberg, dont les 340 feuillets mesurent 42 centimètres sur 62, aurait exigé 170 peaux. Il aurait donc fallu 15 000 peaux pour la centaine d’exemplaires réalisés.
L’encre traditionnellement utilisée en imprimerie est une encre grasse. Des recherches récentes ont montré qu’elles contenaient à l’origine des quantités significatives de plomb et de cuivre. Mais dès 1473, toute trace de métaux disparaît. Des historiens, assistés par des physiciens, ont analysé l’encre de la Bible B 42 à l’aide d’un cyclotron (accélérateur de particules). Les résultats ont démontré que l’encre utilisée était identique à celle utilisée pour certaines de ses premières publications, permettant d’attester de sa paternité avec plus de sûreté. Outre du plomb, elle contenait du titane (un élément isolé seulement en 1791), du cuivre et aussi de la céruse qui permet d’accélérer le séchage.
LE SAVIEZ-VOUS ?
L’analyse de l’encre a également permis de reconstituer la chronologie de la fabrication de la Bible. Gutenberg semble en effet avoir utilisé 294 pots d’encre différents, correspondant à autant de jours de travail. Compte tenu des jours fériés en Rhénanie, l’impression a dû prendre environ 13 mois.
Au cours des 15 premières années, l’invention se diffuse lentement. Hormis l’apparition d’ateliers d’imprimerie à Harlem et à Strasbourg vers 1458-1459, le procédé demeure relativement secret et circonscrit autour de Mayence. La situation évolue après le siège de la cité épiscopale en 1462, qui a provoqué la dispersion des anciens compagnons de Gutenberg partis chercher fortune ailleurs. De 1465 à 1475, le rythme de la diffusion de l’imprimerie s’accélère, si bien qu’à cette époque près de 60 nouvelles villes réparties dans toute l’Europe possèdent au moins un atelier d’imprimerie. Mayence se voit donc concurrencée par des centres plus puissants, tels que Nuremberg, Cologne ou Strasbourg, puis enfin par de grandes cités étrangères, comme Venise et Paris. Vers 1475, on compte près de 1 000 éditions imprimées et distribuées. Les métiers de l’imprimerie et de l’édition, étroitement liés, voient le jour au cours de ce quart de siècle.
Vers 1500, c’est toute l’Europe qui est concernée : 240 à 270 villes possèdent désormais une presse. La production d’incunables (nom donné aux impressions réalisées avant 1501) se concentre surtout en Italie (40 %) et en Allemagne (31 %), puis en France (16 %) et dans les anciens Pays-Bas (9 %). Si au cours du XVIe siècle, la copie manuelle reste une réalité, le livre imprimé est néanmoins devenu un objet commun de la culture littéraire.