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Il se tient dans le box des accusés, le procureur est plongé dans son dossier.

– Monsieur Mkezi, diriez-vous de votre ami, l’homme qui vous a acheté ces chaussures, que c’est un criminel notoire ?

Le juge l’observe, les journalistes l’observent, le public dans la tribune attend. Clifford Manuel, au milieu du petit groupe des avocats de la défense, jette un regard à Jacob Mkezi et hoche la tête.

Jacob Mkezi se redresse, les mains jointes devant lui. Un homme attentif, serein.

– C’est un partenaire.

– Dans quel sens ?

– Je vous demande pardon ?

Le procureur sourit.

– Êtes-vous associés en affaires ? Êtes-vous inscrits dans la même salle de sport ? Le même club de golf ?

– Je suis un très mauvais golfeur. Personne ne veut faire équipe avec moi.

Ça ricane dans l’assistance. Le juge lance un regard noir pour réclamer le silence.

Devant lui, en contrebas, Jacob Mkezi voit Clifford Manuel agiter l’index.

Le procureur met fin à son sourire.

– Je pense que nous connaissons tous votre handicap, monsieur Mkezi. Les journaux l’ont suffisamment rappelé. Mais comme vous le savez, ce n’était pas le sens de ma question. Je veux savoir quelle est la nature de votre relation avec cet associé.

– Nous avions des intérêts communs.

– Lesquels, par exemple ?

– Le bétail.

Un murmure parcourt la tribune. Le juge l’ignore.

Jacob Mkezi ne le quitte pas des yeux ; il perçoit sur ses lèvres un tressaillement qui pourrait être un signe d’amusement.

– On élevait tous les deux des Ngunis sur nos fermes.

– S’il vous a acheté une paire de chaussures en crocodile, cela suggère une amitié profonde entre vous.

– C’est un homme généreux.

– Très généreux. J’aimerais avoir des amis comme lui.

– Des associés, rectifie Jacob Mkezi.

– Vous saviez qu’il était impliqué dans le crime organisé ?

– Oui.

– Et cela ne vous a pas empêché de vous associer avec lui. De parler bétail. Et même de partager un déjeuner de temps en temps, n’est-ce pas ? J’ai les notes des restaurants.

Jacob Mkezi se tourne vers ses avocats. Clifford Manuel réagit en donnant un petit coup de coude au plaidant. Celui-ci se lève péniblement.

– Monsieur le juge, tout cela ne nous mène nulle part. Nous avons besoin de savoir qui est cet homme mystérieux.

– Va-t-il témoigner ? demande le juge au procureur. Je suppose que c’est là où vous voulez en venir ?

– Oui, monsieur le juge.

– Alors, le moment est peut-être venu d’entendre ce qu’il a à dire.

Jacob Mkezi grimace. Son défenseur tourne le dos au juge pour le regarder en roulant des yeux.

– Certainement, monsieur le juge, dit le procureur.

Un greffier lui tend une feuille. Il la lit. Et bafouille :

– Je… Mon Dieu…

– Qu’y a-t-il ? demande le juge. Peut-on savoir ?

– Monsieur le juge. (Le procureur lève la feuille et se racle la gorge.) Mon intention, à ce stade, était d’appeler un témoin à comparaître, l’associé de M. Mkezi. Nous avons des déclarations écrites sous serment. Des déclarations qui soulignent la nature de ses relations avec l’accusé.

– Autres que les déjeuners et les chaussures ? demande le juge.

Jacob Mkezi sourit. Le juge demeure de marbre.

– Oh, oui, monsieur le juge. Cet homme a offert à M. Mkezi des voyages à l’étranger. Il lui a prêté de l’argent. Il lui a acheté des œuvres d’art. Cet homme était très généreux dans sa relation avec M. Mkezi. Comme l’a reconnu celui-ci.

– C’est fréquent entre amis et associés.

– C’était à mon témoin de nous le dire, monsieur le juge.

– Eh bien, où est-il ?

Le procureur agite la feuille de papier.

– J’apprends qu’il nous a quittés, monsieur le juge.

– Il est mort ?

– Oui.

– Quand cela, pour l’amour du ciel ?

– La nuit dernière.

– Bon sang.

– Il a été abattu, monsieur le juge.

– Abattu ?

– Au cours d’un car-jacking.

Le procureur regarde fixement Jacob Mkezi.

Celui-ci reste impassible. Il garde les mains croisées devant lui, relâchées, comme depuis le début de la matinée.

– Monsieur le juge, dit son défenseur, si ce témoin est mort, nous ne pouvons pas vérifier ses déclarations.

– J’en suis conscient, dit le juge. Messieurs, je vous propose de me rejoindre dans mon bureau.