Fish suit Colins sur le sentier qui monte vers l’ancien fort en haut de la montagne, des branches lui cinglent le visage. L’ascension est courte jusqu’aux murets qui dominent la baie.
– Je ne suis jamais venu jusqu’ici, dit Fish. Ça ne ressemble pas trop à un fort.
– Il date de la bataille de Muizenberg.
Colins, accroupi, déplace des pierres.
– J’ai lu la pancarte, moi aussi, dit Fish en regardant le bergie extraire un sac en plastique.
Colins l’ouvre et le tend vers Fish pour qu’il voie à l’intérieur.
– Vous n’avez donc pas menti.
– Pourquoi est-ce que je vous aurais menti, gentleman ?
Fish sort la plus grosse des cornes et passe sa main sur l’extrémité qui devrait être couverte de chair et de sang séché. Rien.
– Bizarre, dit-il.
Colins a un mouvement de recul.
– Faut pas y toucher, à cause du poison.
– Hein ? (Fish pose la corne sur le muret.) Qu’est-ce que vous racontez ? C’est quoi, cette histoire de poison ?
– C’est écrit dans le journal, gentleman. (Colins sort de sa poche de veste une feuille de journal pliée en quatre.) J’ai lu ça ce matin. C’est la vérité.
Fish prend la feuille de journal, la déplie et lit le gros titre : « Vol de cornes de rhinocéros empoisonnées ». Et dessous :
Un gardien de musée a été tué hier soir quand des voleurs se sont introduits dans le musée d’Iziko du Cap pour s’emparer des cornes d’un rhinocéros blanc, d’une valeur inestimable.
Le gardien, un étranger, a été poignardé mortellement.
Les voleurs ne risquent pas seulement d’être arrêtés et condamnés : les cornes sont enduites d’arsenic et de dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT).
– Fallait me prévenir !
– C’est ce que j’ai fait.
– Trop tard.
Fish pose la coupure de journal et frotte ses mains contre les pierres, il les essuie sur son jean.
– Du DDT, mec. Ce truc, ça tue tout.
– Conséquences inattendues.
Colins a dit cela d’un air impénétrable.
– Conséquences inattendues. (Fish l’observe.) Quel baratin.
Les yeux plissés, il lit la suite de l’article :
Les responsables du musée ont annoncé qu’il pouvait y avoir des « conséquences inattendues» si les cornes volées étaient réduites en poudre et vendues comme aphrodisiaque ou traitement contre la fièvre.
Fish répète :
– Conséquences inattendues.
Et il continue à lire :
D’après le directeur d’Iziko, différents musées et d’autres institutions historiques à travers le monde ont été les cibles de criminels qui alimentent « des marchés lucratifs en objets destinés à divers usages ».
Alors que la police enquête encore sur les circonstances exactes du vol, le directeur nous a indiqué que des indices trouvés sur place laissent deviner que le vol a été « soigneusement planifié et… la vitrine choisie délibérément ». Rien d’autre n’a disparu. Les cornes d’une valeur inestimable étaient exposées depuis plus d’un siècle, sans incident.
Fish utilise le sac en plastique à la manière d’un gant pour prendre la corne et la ranger avec sa petite sœur. Il tend le sac à Colins. Et montre le trou dans le mur.
– Vous voulez que je le remette ?
– Je crois. Qu’est-ce que vous en dites, l’ami ?
Colins ne dit rien.
– Vous croyez que je devrais les apporter aux flics ?
– C’est vous le détective privé. Y a sûrement une récompense.
– Oui, sans doute.
Les deux hommes font face à la mer, ils regardent l’endroit d’où des navires de guerre britanniques, à l’ancre, avaient bombardé la montagne autrefois.
Colins claque des doigts.
– Vous voulez coincer ces types ?
– Ça pourrait être utile. Une plus grosse récompense.
Colins rit en replaçant le sac dans la cachette, avant de replacer les pierres.
– Colins, détective privé.
Fish dit :
– Voilà ce que je propose.
– Quoi donc ?
– Écoutez-moi.
Colins caresse sa barbe.
– Je pense que ces types que vous avez entendus ne vont pas revenir en plein jour. Ils vont attendre ce soir.
Colins jette un coup d’œil dans les fourrés.
– Ja ?
– Le problème, c’est que je dois filer un coup de main à un copain cet après-midi. Je ne peux pas rester ici à attendre. Pigé ? Mais vous, vous pouvez vous installer près du grillage au début du chemin et les guetter. Ils seront sûrement en voiture. Des cornes de rhino, c’est pas le genre de truc avec lequel on se balade en ville. Je vais aller vous chercher un portable. S’ils se pointent, vous m’appelez. Ne jouez pas les héros. Vous m’appelez, c’est tout. Pigé ?
Colins secoue la tête.
– Quoi ? Ça ne va pas ?
– La moitié, dit Colins.
– Quoi, la moitié ?
– La moitié du fric.
Fish réfléchit.
– Soixante/quarante.
– La moitié.
– Écoutez. C’est soixante/quarante, compris ? C’est moi qui serai en première ligne. Sans moi, vous n’avez que dalle. Soixante/quarante.
– Vous êtes dur, gentleman.
– Je vous ai donné des toasts et du café. Je vous ai même servi.
Colins repousse cet argument d’un geste.
– S’ils me voient, je suis dans la merde.
– Ils ne vous verront pas. Comme vous le disiez, vous êtes un bergie. Vous restez couché là, au début du chemin, ivre, vous cuvez votre vin. Ils s’en foutent. Ils viennent rechercher leur paquet. Si un type dans votre genre les voit, ça n’a aucune importance. C’est pas lui qui va prévenir les flics. Les bergies ne savent même pas qu’il y a eu un vol.
– Moi, je sais.
– Eh bien, vous avez du pot.
Ils redescendent de la montagne et Colins grommelle qu’il se fait arnaquer.
À force, ça tape sur les nerfs de Fish. Il se tourne vers Colins.
– Hé, bro, on n’a pas encore touché un rond, alors bouclez-la.