Fish s’est démené, il a débarrassé tout ce qui traînait sur la table : CD, joints dans le cendrier en ormeau et nacre, les PV pour excès de vitesse, les relevés de compte pas ouverts, les livres, l’ordinateur portable, les clés de voiture. Il a passé un coup de balai et fait la vaisselle.
Et ce n’est pas tout : il a sorti deux bougies du fond d’un tiroir et les a cassées en deux. Il a fait fondre de la cire dans des soucoupes et planté les morceaux de bougie dessus. Puis il a dressé la table pour deux, avec les couverts et la vaisselle Boardmans qu’il a achetés quand Vicki est entrée dans sa vie. Il a mis des sets aussi. Et des verres à vin. Il a placé une bougie au centre de la table. Les autres, il les installe sur le bord de la fenêtre, un buffet et l’évier.
Il sélectionne des CD. Jim Neversink, sa nouvelle découverte, Laurie Levine, sa valeur sûre de toujours, et Dixie Chicks. Et un truc pour Vicki : Alison Krauss et Robert Plant : Raising Sand.
Vicki arrive dans une bouffée de parfum qui lui coupe le souffle. C’est l’odeur qu’il pourrait repérer au milieu d’une foule. Elle lui donne des picotements dans les mains. Et ailleurs aussi. Cloué sur place, il la contemple, émerveillé.
Elle trimballe les produits achetés chez Giovanni, une bouteille de vin blanc, son ordinateur dans un sac à bandoulière et une mallette.
– C’est bon, Fish, dit-elle. Je peux me débrouiller.
Elle se penche pour déposer la nourriture et la bouteille sur la table. Elle remarque les bougies. Elle est très impressionnée.
– C’est quoi, ça ? Des bougies ? Oh, trésor. Ça me plaît.
Fish lui adresse un grand sourire et récupère la bouteille de vin.
– Je vais en prendre un verre, dit-elle. Dans mon bain.
– Hé ! Tu passes la nuit ici ?
Il n’en croit pas sa chance.
– Oui. C’est le week-end.
– Il se peut que je te rejoigne. Dans le bain.
Vicki lève la main.
– Non, non, mon gars. C’est mon moment à moi. Une bougie et un verre de vin, voilà ce que je veux. Toi, tu es le dessert. En attendant, fais réchauffer les plats au four.
– Ça te dit ? demande Fish en sortant le vin pétillant du frigo.
– Tu as acheté ça ?
Grand sourire de Fish.
– C’est du Méthode Cap classique, souligne Vicki.
– Si tu le dis.
– C’est très cher.
Fish hausse les épaules.
– À quoi servent les cartes de crédit ?
Il arrache la feuille d’aluminium et défait le muselet.
Vicki l’observe, amusée, lèvres entrouvertes, les yeux scintillants.
– On fête quelque chose ?
– Ouais. Nous.
Elle rit. De ce petit rire qui dévoile sa langue rose.
– Fish, mon éternel romantique.
– Exact. (Il exerce une pression sur le bouchon avec son pouce.) Tu n’en veux pas ?
– Apporte-le-moi. Dans une flûte. Je t’appellerai.
Quand elle l’appelle, elle est allongée dans la baignoire, couverte de mousse, au milieu de la vapeur. Un genou à la peau mate sort de l’eau. Elle a relevé ses cheveux, ses épaules sont mouillées, luisantes. Elle lit dans les pensées de Fish.
– Non, tu ne viens pas avec moi. (Elle claque des doigts.) Je veux bien ça, par contre.
Elle montre le verre qu’il tient dans la main. Quand elle tend le bras, son sein gauche émerge de la mousse, le mamelon a la couleur d’une noisette grillée.
Fish déglutit. Il pourrait rester là toute la nuit à le contempler.
– Les bulles.
Il lui donne le verre.
– Hé, dit-elle, tu pourrais me regarder dans les yeux.
Il s’exécute. En pensant : vivement le dessert.
– Trésor. (Elle boit.) À la tienne.
Le vin brille sur ses lèvres.
– Maintenant, accorde-moi un petit moment d’intimité.
Fish tue le temps avec un verre de vin pétillant et Laurie sur sa chaîne Sony chicos, l’esprit occupé par l’idée qu’il va servir de dessert. Il se dit qu’il commencera par les nichons, pour descendre ensuite. Il se glissera sous elle et la laissera choisir le rythme. Elle aimait ça. C’est sans doute ma position préférée, a-t-il décrété : les femmes dessus. Vous pouviez rester couché sur le dos, mater leurs nichons et voir leurs visages se décomposer.
Vicki débarque dans la cuisine, les cheveux encore attachés, vêtue d’un pull et d’un pantalon de jogging appartenant à Fish. Il sait qu’elle n’a rien dessous. Il voit ses mamelons tendre les torsades. Il n’a qu’une envie : glisser ses mains sous la ceinture élastique du pantalon et palper son cul. Il boit une gorgée de vin pour s’en empêcher.
– Mangeons, dit Vicki. Va chercher les plats, trésor. Je meurs de faim.
Ils dînent. Vicki bavarde la bouche pleine. Sa rencontre avec Jacob Mkezi. Le lendemain, le voilà libre. Un type poli, il avait connu sa tante, paraît-il. Et le témoin de l’accusation qui meurt dans un car-jacking. Clifford complètement muet sur ce coup-là. Quelle coïncidence ! Comme si c’était vraiment un car-jacking ! À qui ils espèrent faire gober ça ? Sauf que Jacob Mkezi n’avait pas l’air d’être ce genre de type. Tout ça avait dû se passer pendant qu’ils buvaient un verre au Cullinan. Et puis, ce type sorti de son passé, Cake Mullins, qui la harcelait pour jouer au poker. Elle a eu beau lui dire qu’elle ne touchait plus aux cartes, Cake ne la lâchait plus au sujet de cette partie. Il paraîtrait que quelqu’un voulait absolument jouer contre elle.
Fish l’écoute, il intervient en entendant prononcer le nom de Cake Mullins.
– C’est la deuxième fois que son nom apparaît aujourd’hui. Je suis allé chercher Daro chez ce type, Cake Mullins.
– Quelque part à Constantia ?
– Une très belle maison.
– C’est bien lui.
Fish revient à l’histoire de la partie de poker.
– Tu vas refuser ?
– Évidemment. Je suis un programme de désintoxication, tu le sais bien, Fish.
Vicki épluche une crevette et finit le vin pétillant. Elle met la crevette dans sa bouche.
– Je suis tentée, pourtant.
Elle observe Fish qui la regarde sans trop savoir si elle le fait marcher ou pas.
Elle se penche au-dessus de la table et lui prend la main.
– Je plaisante, trésor. Pas la peine de me regarder en plissant les yeux. (Elle lâche la main de Fish pour choisir une autre crevette.) Et toi, ta vie ?
– Intéressante.
Il lui parle de Colins le bergie, des cornes de rhinocéros et de leur arrangement.
– Nom d’un chien, Fish ! Tu les as laissées là-bas ? Tu n’as pas prévenu la police ?
Vicki se redresse sur sa chaise, sourcils froncés.
– Non. On ne peut pas leur faire confiance. (Fish débouche le vin qu’elle a apporté et remplit leurs verres.) Ils sont capables de faire foirer un coup pareil. Ou de paumer les cornes. Tu vois ce que je veux dire : quelqu’un va se barrer avec.
Il boit une gorgée et ajoute :
– Ça arrive tout le temps de nos jours.
– Ce n’est pas nouveau.
Fish hausse les épaules.
– Oui, sans doute.
– C’est fréquent. Comment ton ami mort s’est-il retrouvé à dealer de la drogue ?
– C’est un des avantages du boulot.
– Exact. Alors, qu’est-ce qui va arriver si ce bergie fiche le camp avec les cornes ?
– Il ne fera pas ça. Il aurait déjà pu le faire.
– Ou si les méchants le tuent ? Ils ont déjà tué un gardien au musée.
– Aucun risque. C’est un bergie. Ils ne le verront même pas.
– C’est vrai.
Vicki tend le bras et lui prend la main.
Fish regarde Vicki qui le regarde. Il perçoit cette étincelle dans ses yeux. Un tressaillement sur les lèvres. Elle fait ce truc avec sa langue sur ses dents. Elle touche sa boucle d’oreille. Et dit :
– Viens, j’ai une autre idée.
Fish sourit.
– Cool.