La sonnerie de son portable le réveille : lundi matin, une heure. Mart Velaze reste couché, sans le regarder. Il réfléchit : doit-il répondre ? À cette heure-ci, un lundi, ça peut être un tas de gens. À commencer par Jacob Mkezi.
Sauf qu’il a passé presque une heure, entre 10 et 11, à parler au téléphone avec Jacob Mkezi. Ou plutôt, à écouter Jacob Mkezi lui raconter l’étrange conte de fées des cornes de rhinocéros perdues. À croire qu’il avait passé le week-end dans un univers parallèle. À se balader avec Indiana Jones.
Jacob Mkezi lui a demandé de s’occuper, dès le lendemain matin à la première heure, d’envoyer des camions chercher des cornes de rhinocéros dans une grotte. Une grotte dans des collines. Quelles collines, où ça ? avait réussi à placer Mart Velaze.
– Je sais pas. En Angola, quelque part. Peut-être qu’il faudra expédier directement la marchandise par avion. Trouve-nous un avion-cargo, un Airbus, un Beluga devrait faire l’affaire, ou un Antonov, le petit, celui à turbopropulseur.
On aurait dit que Jacob Mkezi avait avalé des champignons hallucinogènes.
– On en reparlera demain matin, avait-il dit. Disons 9 heures. Chez moi.
Mart Velaze avait hésité un moment.
– Trop tôt, avait-il dit. J’ai rendez-vous avec ton vendeur de bagnoles. Ce Daro Attilane.
Jacob Mkezi avait fait claquer sa langue, il se souvenait de cette requête.
– Oh, ja, oui. OK, c’est important. En attendant, mets des gars sur le coup. Non, laisse tomber. Je m’en charge.
Maintenant, Mart Velaze, couché dans son lit, écoute sonner son portable. Il regarde le réveil posé sur la table de chevet, puis l’écran du téléphone qui palpite. Et le nom qui s’affiche : Lord Mkezi. Après le père, le fils. Mart Velaze soupire, longuement, et répond.
– Hé, Mart, dit Lord.
Deux mots, c’est assez pour que Mart Velaze comprenne que Lord a perdu les pédales.
– Oui, Lord. Qu’y a-t-il ?
Il sait que c’est forcément du sérieux, un lundi à cette heure-ci.
– J’ai écrasé quelqu’un.
– Des détails, Lord.
– Là, à l’instant.
Mart Velaze fait une tentative :
– Tu participais à une course ?
Sanglot de Lord.
– Avec la nouvelle bagnole ?
La nouvelle voiture qui n’est pas encore enregistrée et qui va mener tout droit à Daro Attilane, si quelqu’un a relevé le numéro d’immatriculation, et la piste va s’achever dans le bureau de l’ancien chef de la police Jacob Mkezi. Bien joué, Lord.
Nouveau sanglot.
– La personne que tu as écrasée, qu’est-ce que tu peux m’en dire ?
– Rien.
– Tu t’es enfui ?
Sanglot.
Mart Velaze pense : Béni soit le Seigneur, le vrai. Il dit à l’autre Lord :
– Laisse la bagnole au garage. Ne dis rien à personne. Je vais régler ça.
Lord sanglote toujours.
– Et mon père ?
– Je vais régler ça, répète Mart Velaze.
Et il le fait. Il découvre dans quel hôpital a été admise la victime. Et apprend que le type est dans le coma. Il s’appelle Fortune Appollis.
Il contacte Clifford Manuel. Il est maintenant 3 heures du matin. Il ne donne aucun avantage à Manuel.
– Clifford, on a un problème.
Il résume la situation et ajoute :
– Vous avez quelqu’un qui peut défendre la victime à titre gratuit ? Histoire de se blinder de ce côté-là ? J’aimerais que ce soit Vicki Kahn.
– Oui, répond Clifford Manuel. Elle pourrait vous aider.
– Ne lui dites rien. Briefez-la comme si c’était une vraie affaire.