Vicki a installé son bureau au Knead. Dehors, sur le trottoir, sous un chauffage à gaz rugissant. Par une matinée pareille, une matinée paradisiaque, qui a envie de rester enfermé ? Même si l’ombre de l’hiver plane, on a envie d’être dehors et de respirer l’ozone.
Elle aime le Knead, c’est un endroit idéal, surtout quand il y a des vagues et des surfeurs. Des garçons à moitié nus passent devant pour se rendre à la boutique de surf, des garçons aux ventres plats avec des tablettes de chocolat. Une chair jeune et ferme que vous aimeriez caresser, juste pour la sensation. Mais au lieu de promener ses mains, Vicki promène son regard.
Passe-temps sexy. Qui ne déplaît pas à Fish non plus, en général. Mater les filles, s’entend. Leurs combinaisons moulent leurs cuisses et pendent à la taille ; les minuscules hauts de bikini remplissent tout juste leur fonction. Fish aime bien les reluquer en douce.
« Tu te rinces l’œil », lui dirait Vicki.
Il rougirait. Car cet homme rougit. C’est adorable. Et il rétorquerait :
« Pourquoi tu as le droit, toi ? »
Elle lui adresserait un grand sourire et tendrait la main pour lui palper la cuisse.
Là, elle dépose sur la table son sac à main, son ordinateur, son iPhone et ses clés de voiture. Elle garde son manteau au col en fourrure. En vraie fourrure. Pas de faux pour Vicki. Un animal a peut-être porté cette peau autrefois, maintenant c’est à son tour.
Elle commande un cappuccino à la serveuse nigériane au sourire de fée. Et demande :
– Mon mec est dans l’eau, je suppose ?
– Depuis presque une heure.
– Il est temps qu’il rentre.
Elle allume son ordinateur et connecte une clé 3G. Elle a reçu un mail de Clifford Manuel :
« Concernant l’affaire Fortune Appollis, je vous serais reconnaissant de me tenir au parfum. »
Je vous serais reconnaissant… C’est sa façon de dire : je vous ordonne. Au parfum. Clifford s’essaye au langage branché.
Qu’entendait-il exactement par « au parfum » dans une défense à titre gratuit ? Il voulait tous les détails ? Des notes ? Quoi ?
Il lui a téléphoné à 7 h 30, pour dire :
« Pouvez-vous prendre une affaire à titre gratuit ? »
Sous-entendu : vous allez le faire.
« Bien sûr, a-t-elle répondu. Ça va me rapporter des points ? Ça apparaîtra dans mes bonus ?
– Évidemment. »
Clifford Manuel lui a fait le topo, en ajoutant ; « Voyez ce que vous pouvez en tirer ».
Et maintenant, il lui envoie ce mail. Tenez-moi au parfum. Pourquoi ? Fortune Appollis n’était rien. Un simple passant. Un jeune gars ordinaire issu d’une famille ordinaire. Un gamin qui voulait vivre l’excitation des courses automobiles urbaines. Pourquoi le sort de Fortune Appollis aurait-il le moindre intérêt pour Clifford Manuel ? Vicki Kahn pianote sur son ordinateur avec ses ongles noirs, en contemplant les montagnes, éclatantes sous le soleil hivernal.
Elle voit une superbe apparition en combinaison, pieds nus, dégoulinante, debout à côté de sa planche comme s’il s’agissait d’un bouclier, avec un grand sourire.
– Fish, lance-t-elle, habille-toi. (Elle aimerait qu’il puisse rester dans cette tenue pourtant.) J’ai un boulot pour toi.
Elle appelle la serveuse.
– Apportez-lui un petit déjeuner. Celui avec le bacon et les saucisses. Et un cappuccino.