– Cake, mon ami, dit Mart Velaze. Pas maintenant. Je suis dans une situation délicate. Je te rappelle.
– Ça pourrait poser un problème, il faut bien que tu le comprennes, répond Cake Mullins. Je ne suis pas très content.
– Je te rappelle. Le moment est mal choisi, Cake, tu me suis ?
À cet instant, Mart Velaze coupe la communication.
La « situation délicate» de Mart Velaze est une jeune femme étendue sur son lit, nue. Elle est allemande et travaille pour le consulat. Ils ont trouvé qu’un petit coup vite fait à l’heure du déjeuner, c’était une bonne idée.
« J’ai un appartement dans Marine Drive, a-t-il dit. À dix minutes du centre.
– Je peux attendre dix minutes », a répondu la mädchen.
En vérité, elle attend un peu plus parce que Mart Velaze est au téléphone. Pour la seconde fois. Elle se met à genoux et tend les mains pour défaire sa ceinture.
Mart Velaze trouvait ses seins ravissants quand elle était allongée ; il se dit qu’ils sont encore plus beaux maintenant qu’il a une vue plongeante dessus. Il se penche pour pincer un mamelon.
La fonctionnaire du consulat d’Allemagne baisse sa fermeture éclair.
Cake Mullins, lui, n’est pas dans une situation délicate, il a un souci. Deux soucis : un gros et un petit. Le petit, c’est Fish Pescado qui le harcèle. Le gros lui a été livré par coursier. À l’intérieur de l’enveloppe : la photo d’un jeune garçon montant dans un Hummer. Le Hummer de Jacob Mkezi. Et une photo prise à l’hôtel : lui, Clifford Manuel, Vicki Kahn, Tol Visagie, Jacob Mkezi. C’est celle-ci qui inquiète Cake Mullins.
La première photo pourrait être un montage, mais il ne le pense pas. Avec l’entreprise hasardeuse des cornes de rhinocéros, il ne faut pas que des photos de Jacob Mkezi en compagnie de jeunes prostitués circulent. Cake Mullins sent que cette histoire peut devenir incontrôlable. Et son rôle minime pourrait être dévoilé. « Merdier » est le mot qui lui vient à l’esprit.
Debout sur le bord de sa piscine, il regarde le robot dégueuler des détritus de feuilles en se disant que non, il ne va pas attendre que Mart Velaze le rappelle. Celui-ci a la réputation de ne jamais rappeler, surtout quand il n’en voit pas l’intérêt.
Ce qui inquiète Cake Mullins, en l’occurrence, c’est sa propre réputation. Cake Mullins en pantalon blanc bien repassé, chaussures de bateau, un pull autour des épaules sur une chemise ouverte pour laisser voir un crucifix en argent, n’a pas besoin de complications dans sa vie. Il vit sur les investissements. Désormais, il est irréprochable. Même ses soirées poker restent sages. Mais hier soir, avec Jacob Mkezi et Vicki Kahn, il a vu clignoter le mot « danger ». Il ne veut surtout pas que ses parties de golf, ses déjeuners entre potes, ses mercredis après-midi de voile au Royal Cape, soient souillés par la moindre éclaboussure. Comme celles que peut provoquer une association avec Jacob Mkezi, au moment où ce dernier organise une vente de cornes de rhinocéros. Voilà pourquoi Cake Mullins rappelle immédiatement Mart Velaze.
Qui ne répond pas.
Car la fonctionnaire du consulat d’Allemagne fait des choses avec sa bouche et ses mains qui accaparent toute l’attention de Mart Velaze. L’espace d’un instant, il ferme les yeux et s’abandonne aux ténèbres. Mais pas longtemps. Le voilà qui reluque ses seins, se lèche les doigts et pince un mamelon de nouveau. Il tient son portable dans l’autre main. Et laisse la boîte vocale prendre le relais.
La femme arrête de sucer, pour dire :
– Je te veux en moi.
– J’y étais.
Elle rejette ses cheveux en arrière, s’allonge sur le dos et tend les bras vers lui.
– Viens.
Il n’a jamais vu une femme au pubis aussi poilu. Il pense au nom utilisé par les Américains. Sa chatte. Sa touffe. Il a envie d’enfouir ses doigts dans les boucles, de les caresser.
Mart Velaze ôte son pantalon, déboutonne sa chemise et l’étend soigneusement sur une chaise. Il dépose son téléphone sur la table de chevet.
L’appareil annonce la réception d’un SMS. Mart Velaze l’ignore, il regarde la jeune femme en souriant.
Il enfonce les doigts dans le tapis de poils pubiens et décolle la main pour évaluer leur longueur. Ils mesurent quatre ou cinq centimètres. Soyeux.
– Tu n’aimes pas te raser ?
Elle fait non de la tête.
– Tu sais brouter ?
Il acquiesce.
– S’il te plaît.
Le portable sonne de nouveau.
– Désolé. Une prochaine fois.
Au lieu de cela, il s’allonge sur la femme et s’introduit en elle. Elle pousse un petit cri. Elle gémit sous ses coups de reins.
Avec la main droite, Mart Velaze prend son portable et constate que c’est encore Cake Mullins.
– Je te rappelle, Cake. Je te l’ai dit.
– Non. Écoute-moi. Il y a un certain Fish Pescado, un détective, qui me menace au sujet de Vicki Kahn. Il voulait qu’on parle de Jacob Mkezi. Et j’ai reçu une photo d’un jeune tapin montant dans la bagnole de Jacob. Tu ferais bien de voir avec lui ce qu’il en est. Il t’écoute, toi. Moi, il ne m’écoutera pas. Dis-lui que je me retire. Je disparais des écrans radar.
La femme couchée sous Mart Velaze est une brailleuse.
– Ce n’est pas mon rôle, répond Mart Velaze. Je suis un simple soldat, Cake, comme toi. J’obéis aux ordres. Si tu as quelque chose à lui dire, vas-y.
La femme se frotte furieusement contre lui. Il est obligé de fermer les yeux pour se concentrer.
– Je… te… rappelle.
Il prononce ces mots entre deux coups de bassin de sa partenaire. Il se réjouit qu’elle soit poilue car sans ce coussin naturel, elle lui ferait mal. Il coupe la communication et glisse le portable sous l’oreiller. Ça peut attendre sept minutes.
À l’autre bout de la ville, dans les vignobles périphériques, Cake Mullins, debout au bord de sa piscine, regarde son téléphone muet. Salopard de Mart Velaze. Toujours en train de baiser. Il s’envoie en l’air avec une nana, alors que ça merde sérieusement. Il s’assoit à la table installée dans le belvédère pour déjeuner. Il boit une longue gorgée d’un grand verre de rock shandy, il sent le goût de l’angostura derrière le soda et la limonade. Il mastique bruyamment une tranche de ciabatta tartinée de pesto. Voilà ce qu’il demande à la vie : s’asseoir ici à côté de sa piscine pour déjeuner tranquillement. Ensuite, une petite virée au yacht-club éventuellement, par une magnifique journée d’hiver comme celle-ci. Ce qu’il ne veut pas, c’est se faire du souci à cause d’individus tels que Marty Velaze et Tol Visagie. Ou des emmerdeurs comme ce Fish Pescado.
Un quart d’heure plus tard, son portable sonne : Mart Velaze.