– Qu’est-ce qui t’a pris, Jacob ? Tu as mis ma santé en danger ! Tu m’as exposée au sida ! Tu es devenu fou ou quoi ?
Remontée comme une pendule, Mellanie brandit les photos l’une après l’autre.
– Des jeunes prostitués, nom d’un chien ! Ils sont complètement toxiques. Tous malades. Oh, seigneur, quelle horreur !
Elle lance les photos sur la table basse.
Elle est dans le salon de Jacob Mkezi. Celui-ci, debout devant les portes vitrées coulissantes, regarde les premiers rayons du soleil éclairer sa pelouse et capter les gouttes de rosée prisonnières des toiles d’araignées. Il entend Mellanie, mais ne l’écoute pas.
– Tu es un pervers ? Un pédophile ? Un baiseur d’enfants ? C’est écœurant, Jacob. Tu es un dépravé. Tu es allé beaucoup, beaucoup trop loin. Trop loin pour moi. Je ne donne pas là-dedans, Jacob. Je ne sors pas les gens de ce genre de pétrin. Des jeunes garçons ! Des gamins des rues. Bon Dieu. Comment veux-tu que je gère ça ? Émotionnellement, en pensant que j’ai ce virus dans le sang, qui est en train de me tuer. Et professionnellement, comment veux-tu que je gère une histoire pareille ? Hein ? Tu peux me le dire ? Moi, je vais te le dire : impossible.
Mellanie fait les cent pas dans la pièce. Mellanie en tenue de combat : tailleur pantalon noir et chaussures pointues. Mellanie l’amante furieuse. Mellanie la spécialiste des relations publiques et son client dévoyé. Elle serre les poings et essaye une autre tactique.
– Bon sang, Jacob. Tu me plaisais bien. J’ai craqué pour toi. Pauvre idiote de Mellanie. La blonde stupide. Qui croit avoir une relation forte avec M. Chaussures en croco. Mais il se trouve qu’il préfère les petits garçons. Il la garde pour épater la galerie, comme une poupée. Félicitations, monsieur Mkezi, et merci beaucoup. Il n’y a rien de plus agréable que d’être une simple maîtresse. Une potiche qui prouve à tout le monde que Jacob Mkezi attire les femmes. Jacob Mkezi le baiseur d’enfants ! Qui refile le sida à sa blonde débile !
Elle s’immobilise enfin, les épaules basses.
– Regarde-moi. Regarde-moi, Jacob. (Elle montre les photos.) Dis-moi que ce sont des photomontages.
Il se tourne vers elle.
– C’est des photomontages.
– Non. Tu mens. C’est ta voiture. Là, on voit ce gamin monter dedans. Et là, c’est toi qui descends pour entrer dans la pharmacie. Ne me mens pas, Jacob.
– C’est un coup monté.
– Je peux retrouver ce garçon, Jacob. Je peux aller là-bas immédiatement et le retrouver. Pour l’interroger.
Jacob Mkezi hausse les épaules.
– Tu peux. Peut-être que tu le trouveras. Peut-être que non. Ces gamins changent d’endroit.
Il s’approche de Mellanie et pose la main sur son bras. Elle le repousse et s’éloigne. Jacob Mkezi sourit.
– Supposons que tu le retrouves, supposons que tu lui montres une photo de moi, et qu’il te dise : oui, c’est l’homme qui conduit le Hummer. C’est l’homme qui m’a payé un hamburger. C’est l’homme qui m’a acheté des médocs. Il te dira tout ce que tu veux entendre. Et tu sais pourquoi ? Parce qu’il sait que tu lui fileras cinquante ou cent dollars. Il te dira ce qu’il pense que tu veux savoir.
Jacob Mkezi remonte ses manches et observe Mellanie. Jacob Mkezi détendu, en jean délavé et mocassins en cuir, le businessman décontracté.
– Ils veulent m’éjecter, dit-il. J’en sais trop.
– Qui ça, « ils » ? Qui, Jacob ? Donne des noms.
– Non, pas question.
– Alors, comment veux-tu que je te croie ?
– Tu ne me croirais pas, de toute façon.
– Essaye toujours.
– Laisse tomber.
– Les chefs du parti ? Le président ? Dis-moi qui, Jacob. Qui ?
– Laisse tomber, je t’ai dit.
Jacob s’étend sur un canapé, les mains derrière la tête.
Mellanie le dévisage, un bras devant la poitrine, l’autre posée dessus, la main sur le menton, un doigt sur la bouche. L’œil noir.
– Tu n’es pas croyable, comme type. Qu’est-ce qui m’a pris de te choisir ? Tu es un criminel. Un sale voyou, Jacob Mkezi. Tu t’es servi de moi, dans les grandes largeurs.
Il rit.
– Et ça ne t’a pas plu ? Ah, arrête un peu. Redescends sur terre. C’est ce qui t’excite, sisi. Savoir que tu es tout près des magouilles. Des méchants. Des voyous. Mellanie s’offre des frissons. Elle prend son pied. Elle se frotte aux caïds qui ont le pouvoir. Pas vrai, Mellanie ? Sens l’odeur de l’argent, sisi. C’est génial. C’est fort. Tout le monde s’éclate. Tout le monde touche sa part.
Mellanie, mains levées, secoue la tête et dit :
– Non, non, non. Va te faire foutre. Compris, Jacob ? Va te faire foutre ! Trouve-toi une autre spécialiste des relations publiques. Trouve-toi une autre femme pour te masser la bite. Ta bite molle. Quelqu’un d’autre à qui tu pourras refiler le sida.
Elle sort en coup de vent.
Laissant Jacob Mkezi avec un sourire figé sur le visage. Il entend claquer la porte d’entrée. Il appelle Mart Velaze. Et tombe sur la boîte vocale.
– On en est où, camarade ? Qu’est-ce que tu peux me dire sur Vusi Bopape ?