En 1674 paraissent les Nouveaux contes, sans privilège ni permission. Cette édition subreptice s’explique dès que l’on entame la lecture des textes, qui se démarquent des contes précédents par une progression dans l’audace et dans le libertinage.
Ainsi que pour les fables du deuxième recueil, qu’il publiera en 1679, La Fontaine semble vouloir parfaire le genre et en reculer les limites. De ce point de vue, l’ouvrage présente une cohérence plus serrée que les trois ensembles antérieurs. La forme générale du volume est plus homogène : un seul conte, Janot et Catin, se différencie des autres, et aucune pièce n’est rapportée d’ailleurs. Quant à la matière, l’obsession libertine s’affiche avec une belle santé, non sans une prédilection pour les nonnains dont les aventures dégagent une grâce que le conteur ne trouve pas ailleurs (Le Psautier). La Fontaine est également plus présent : dans les prologues qui gonflent et se multiplient et, il parle à son public et s’explique sans crainte de s’étaler et de revenir sur ce qu’il vient d’affirmer cinq contes plus tôt (Les Lunettes et Le Psautier) : jamais il n’a semblé plus en verve ni plus heureux de conter.
Cependant, très vite, le 5 avril 1675, une sentence de police signée par le lieutenant général de Police de Paris, La Reynie, ordonne la saisie de l’édition et l’interdiction de la vente des Nouveaux contes :
Sur ce qui nous a été remontré par le procureur du roi qu’il a eu avis que certains libraires de cette ville débitaient un petit livre imprimé sans privilège ni permission, sous le titre de Nouveaux contes de M. de La Fontaine, qui se trouve rempli de termes indiscrets et malhonnêtes, et dont la lecture ne peut avoir d’autre effet que celui de corrompre les bonnes mœurs et d’inspirer le libertinage […]. Faisons très expresses défenses à tous libraires, imprimeurs et colporteurs, et à tous autres d’avoir, vendre, ou débiter ledit livre, sous les peines portées par les ordonnances.
Plus que les trois autres recueils, ce sont les Nouveaux contes qui lui feront une réputation de libertin qu’il traînera toute sa vie. On verra plus loin avec quelle hargne ils lui seront reprochés lorsqu’il voudra entrer à l’Académie1. Et un peu plus tard, lorsqu’il siégera parmi les Immortels, c’est encore à ces Nouveaux contes que s’attaquera violemment son ancien ami Furetière, qui ne lui pardonnera pas d’avoir voté son exclusion de l’Académie2 :
On lui reprocha qu’il avait été obligé de faire imprimer clandestinement ses ouvrages, craignant la censure et la punition des Magistrats de Police. Je ne sais pas par quel bonheur il l’a évitée ; car dans les contes dont il se pare le plus, il y a des choses si scandaleuses qu’elles choquent absolument les bonnes Lois et notre Religion […]. Aussi n’en a-t-il pu infecter le public que par l’entremise d’une Comédienne [la Champmeslé] qui a été la digne commissionnaire pour faire le débit de cette marchandise de contrebande.
En revanche et à la même époque, Bayle l’encense : « Ni les Grecs ni les Romains, écrit-il, n’ont rien produit qui soit de la force des Contes de M. de La Fontaine » ; tandis que de son côté Bussy-Rabutin défend La Fontaine : « C’est le plus agréable faiseur de contes qu’il y ait jamais eu en France », écrit-il à Furetière.
Ces éloges qui se multiplient parmi les esprits éclairés ne lui éviteront pas, peu avant sa mort, de devoir renier ses Contes dont il n’imaginait pourtant pas, selon le R. P. Pouget, qu’ils étaient si pernicieux3.
La postérité fera justice de cette hostilité. Deux siècles plus tard, Alfred de Musset écrit à sa marraine :
Que ne demandez-vous un conte à La Fontaine ?
C’est avec celui-là qu’il est bon de veiller ;
Ouvrez-le sur votre oreiller,
Vous verrez se lever l’aurore.