LE SONGE DE VAUX


En 1659, Foucquet demande à La Fontaine de lui composer une œuvre à la gloire de Vaux. Bien avant Versailles, c’est Vaux qui sera bientôt le plus beau château de France. En le bâtissant, les artistes qui feront la gloire du palais du Roi-Soleil créent leur premier chef-d’œuvre : c’est Louis Le Vau, en 1656, qui trace les plans et entreprend l’édification du monument ; c’est Le Brun qui dirige la décoration et peint lui-même le plafond du salon des Muses, que La Fontaine s’abandonne à contempler dans sa rêverie ; c’est enfin Le Nôtre qui dessine les jardins. Pour répondre à l’impatience du surintendant, dix-huit mille ouvriers travailleront sur le chantier : au bout d’une année, le gros œuvre est pratiquement achevé ; un an plus tard le château est habitable, et en 1659, Mazarin venu en visite est ébloui.

Le Songe de Vaux n’est pas une description du site, mais la traduction littéraire et onirique de son éclat. Œuvre composite que l’on ne peut rattacher à aucun genre déterminé, le Songe alterne le vers et la prose, mêle le souffle héroïque à l’envolée lyrique, confond la narration historique avec les épisodes mythologiques tournés en rimes galantes et fondus dans le rêve. Ainsi qu’il le fera pour l’évocation de Versailles dans Psyché, La Fontaine néglige la vue d’ensemble pour s’attacher aux sculptures, grottes, rocailles et clairs-obscurs de feuillages rafraîchis par le « cristal liquide ». S’immergeant dans la mythologie antique, le poète tisse une trame allégorique dans laquelle il instille ses émotions personnelles : sous sa plume, la merveille de Vaux glisse dans la féerie.

Reflet littéraire du château de Foucquet, la composition du Songe de Vaux s’interrompt avec l’arrestation du surintendant, en 1661. De cette œuvre inachevée, il ne nous est parvenu que neuf fragments que La Fontaine n’a jamais publiés ensemble : en 1665, il insère Les Amours de Mars et de Vénus (chapitre IX) dans les Contes et nouvelles en vers ; les chapitres I (Acante rend visite au Sommeil), II (L’Architecture, la Peinture, le Jardinage et la Poésie haranguent les Juges et contestent le prix proposé) et III (Aventure d’un Saumon et d’un Esturgeon) seront publiés en 1671 dans le recueil des Fables nouvelles ; quant aux cinq autres fragments ils ne paraîtront qu’après sa mort, en 1729.

Suspendu entre les diverses aspirations littéraires du poète, le Songe de Vaux se détache d’Adonis et de Clymène et annonce Psyché, les Contes et les Fables.