« Nom de Dieu ! m’exclamai-je. Comment ? Où ?
– Au pied du bâtiment réservé aux officiers supérieurs et aux diplomates en visite où il était logé.
– Et vous pensez le trouver ici ? s’indigna Sam. C’est pour ça que vous voulez perquisitionner ma maison ? Auriez-vous perdu la tête, monsieur le directeur ?
– Sir ! Votre feu vert pour la fouille, sir ! »
La réaction pavlovienne du lieutenant attira tous les regards.
« Oh, fermez-la, Osborne ! dit McCulloch. Vous pensez vraiment que Me Campbell cache votre major disparu sous son lit ? »
Tous étaient suspendus aux lèvres du lieutenant. Je le sentais au bord de l’explosion.
« Je ne sais pas, sir ! Je ne fais qu’obéir aux ordres, sir ! »
Sam se leva. Les autres en firent autant.
« J’admire votre persévérance, lieutenant. Vous obéissez aux ordres – même quand ils sont idiots. Je vous donne donc la permission d’aller regarder sous mon lit. Et même sous tous les lits. D’avance, je vous prie de m’excuser pour les moutons : c’est le jour de repos de ma femme de ménage. »
La puissante mâchoire du lieutenant se contracta davantage. Peut-être voyait-il dans ces moutons un danger potentiel, comme si Sam avait placé des engins piégés sous les lits plutôt que simplement omis de balayer. Son regard fit la navette entre le directeur et elle, torturé d’indécision. Il devait craindre que ces foutus Anglais ne se liguent contre lui s’il quittait la pièce.
Sam l’invita à se retirer en agitant les deux mains.
« Allez-y ! Et emmenez vos charmants soldats. » Elle pointa le doigt sur Sangster, qui tressaillit. « J’aimerais que vous les accompagniez, inspecteur-chef, pour vérifier qu’ils ne plantent pas de baïonnettes dans mes oreillers de plume. » Elle se rassit. « Quant à vous, monsieur le directeur, racontez-nous tout en détail, et nous verrons si nous pouvons vous aider. »
Le lieutenant adressa un salut militaire à la cantonade, pivota en claquant des talons et se mit à aboyer des ordres à ses hommes. Sangster rafla sa casquette et les suivit. Ils montèrent l’escalier en criant, à l’affût des moutons. Sam abandonna sa mine sereine.
« Je vais vous clouer à la porte de la Haute Cour, Malcolm. Un cirque pareil devant chez moi, un samedi matin à l’aube ! C’était totalement inutile, et je ne laisserai pas passer ça. Tout le quartier a dû courir aux abris. Quel ramdam ! Bon, dites-nous tout – et vous avez intérêt à bien plaider votre cause. »
Le directeur desserra du bout des doigts son col de chemise, puis entreprit de s’expliquer.
Après nous avoir fait coffrer, Salinger avait téléphoné à son ambassade pour demander à être reçu en urgence. Il s’était envolé le soir même et avait été installé dans un appartement de fonction proche de la représentation américaine. La veille, à peu près à l’heure où Danny et moi étions libérés de la prison militaire de Prestwick, Salinger avait été enlevé et jeté à l’arrière d’une camionnette de Harrods alors qu’il se dirigeait à pied vers l’ambassade pour son rendez-vous de neuf heures. Selon deux passants, la camionnette était repartie à toute allure. Le service de livraison du grand magasin n’était pas en cause : le véhicule avait été volé peu de temps auparavant, puis abandonné près de Regent’s Park en fin de matinée. On n’avait plus aucune nouvelle de Salinger depuis.
Sam écouta McCulloch jusqu’au bout, avant de m’ôter les mots de la bouche :
« Malcolm, je pense que vous conviendrez avec moi que Douglas et Danny ont un alibi en béton pour hier matin. »
McCulloch était au supplice. Il sentait qu’il allait dans le mur.
« Je me range évidemment à votre argument, maître. Mais je n’ai pas eu le choix tout à l’heure : la consigne est tombée du cabinet du ministère de l’Intérieur, via le MI6 et le secrétariat d’État à l’Écosse. Il a bien fallu que je suive les ordres.
– On dirait que vous êtes aussi obtus qu’Osborne ! Mais lui, au moins, a une excuse : c’est un Marine. »
McCulloch bomba le torse.
« Vous rendez-vous compte qu’il s’agit d’un incident international majeur ? Et qu’on aura du mal à invoquer une coïncidence pour justifier que le major Salinger ait été enlevé le lendemain du jour où il a été menacé par Brodie et McRae ? Il y a un lien entre les deux, c’est évident ! »
J’intervins :
« Malcolm, pendant que vos amis néandertaliens brassent de la poussière dans les chambres, puis-je vous confirmer que le major Salinger est bien le régulateur local de la route des rats écossaise ? C’est l’homme que vous et moi cherchons depuis des semaines.
– On m’a prévenu que vous diriez ça, Brodie. Mais, selon les informations du secrétaire d’État, vous ne disposez d’aucune preuve.
– Est-ce qu’il en a parlé à Sillitoe ? Et vous-même ? »
Ce qui me rappela que je n’avais toujours pas contacté sir Percy. Eh merde ! Était-il au courant ?
McCulloch secoua la tête.
« Comme vous pouvez l’imaginer, je n’ai pas eu le temps de prendre beaucoup d’initiatives entre le savon téléphonique que m’ont passé deux ministres du gouvernement et les coups frappés à ma porte par le corps des Marines à quatre heures du matin.
– Vous voulez des preuves ? Je commencerais par en toucher un mot – un mot discret – à Donald Campbell… Oui, l’archevêque de Glasgow. »
McCulloch épongea son front plissé.
« Ensuite, appelez Sillitoe et expliquez-lui que ses confrères du MI6 lui ont dissimulé des informations sur les activités de la CIA. Que les Américains ont implanté un réseau en Écosse pour offrir à leurs nazis préférés une deuxième vie en Amérique du Sud. »
À cet instant, Sangster et les Marines revinrent.
« Alors, lieutenant, demanda McCulloch, vous avez trouvé quelqu’un ?
– Aucune trace, sir. Mais on a découvert ça. »
Osborne déposa mon revolver de service et le Webley du père de Sam sur la table, puis se retourna pour prendre les deux splendides fusils de chasse Dickson que lui tendait un de ses hommes. On aurait dit un bouledogue en attente de petites tapes sur le crâne après avoir rapporté des bâtons.
« C’est mon revolver de service, lieutenant. Celui qui va avec ce holster vide. Il appartient à l’armée britannique. Je le reprends.
– Et ça, renchérit Sam, ce sont les fusils de mon père. Si jamais vous avez forcé la porte de mon râtelier, je porterai plainte contre l’armée des États-Unis pour vol par effraction. Posez-les immédiatement !
– Je ne peux pas, madame. J’ai ordre de confisquer toutes les armes.
– De les voler ? Je ne crois pas, non. Posez-les. »
Je reconnus le ton calme et froidement menaçant qu’elle utilisait en audience pour déstabiliser les témoins de la partie adverse. Je la soutins :
« Lieutenant, vous outrepassez le cadre de vos fonctions sous l’autorité d’un civil – je parle du directeur de la police ici présent. Vous avez fouillé la maison, vous n’avez rien trouvé, donc vous pouvez dès à présent annoncer à vos supérieurs que vous avez accompli votre mission. Posez ces fusils avec mon revolver sur la table et allez-vous-en.
– Bon Dieu, Osborne, faites ce qu’ils disent ! » ordonna McCulloch.
*
* *
Dans la clarté blafarde d’une aube détrempée, nous assistâmes au départ de toute la clique avant de nous replier dans la cuisine. Je déboutonnai ma tunique. Le thé fut servi. Il était à peine sept heures, mais je me serais cru à midi.
« Pauvre Salinger, dit Danny sans excès de compassion.
– Tu crois que c’est encore l’Irgoun ? demandai-je.
– Ça saute aux yeux, non ?
– Mais comment se sont-ils débrouillés ? Je veux dire, comment ont-ils fait pour savoir, primo, que c’était Salinger, et secundo, où le trouver ?
– Ma main au feu que Langefeld a été plus bavard avec Malachi et ces deux gars de l’Irgoun que ce que Mal nous a dit.
– Possible. Mais même s’il leur a donné son nom, comment ont-ils pu apprendre que Salinger était à Londres ?
– Peut-être qu’ils sont allés traîner à Prestwick. Et qu’ils ont mis l’ambassade des États-Unis à Londres sous surveillance dès qu’ils ont eu son nom. Ces types-là sont très forts, Brodie. Regarde comment a été préparé l’attentat de l’hôtel King David…
– Je vais peut-être passer un coup de fil à Duncan, pour essayer de savoir où est détenu Malachi. Ce serait bien qu’il aille lui poser deux ou trois questions sur Langefeld. Sur ce qu’ils lui ont fait cracher.
– Oh, merde ! lâcha Sam. Je ne te l’ai pas dit, Douglas ? L’audience préliminaire de Malachi a lieu lundi.
– Tu penses qu’on devrait y aller ?
– Je n’ai pas le choix.
– Pourquoi ?
– Il m’a demandé de le défendre.
– Tu ne peux pas ! Tu es… je ne sais pas, moi… impliquée.
– Pas du tout. Mais toi, oui. Je vais devoir te citer – vous citer tous les deux – comme témoin.
– C’est du délire, Sam ! Je retourne me coucher. Il est évident que je suis en plein cauchemar. Avec un peu de chance, si je m’allonge je me rendrai compte à mon réveil que cette matinée n’aura été qu’un rêve atroce… Aïe ! Mais pourquoi tu me pinces ?
– Tu ne dors pas. »