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ÉTAT DES LIEUX
Les EMI souffrent pour l’instant de plusieurs maux.
Du fait de leur complexité, elles sont souvent l’objet d’une vulgarisation superficielle qui les a toujours fait méconnaître (sinon mépriser) des communautés médicale et scientifique.
L’attrait du grand public pour les titres à sensation fait que les notions de survie de l’âme après la mort sont devenues un véritable baobab cachant non une forêt mais une probable mine d’or pour qui veut avancer dans l’exploration de la conscience.
D’inclassables savonnettes
Mais avant tout elles posent un problème essentiel, qui a pour l’instant – hormis les études statistiques, nécessaires pour établir la réalité de leur existence – freiné toute recherche sérieuse : dans la mesure où même les plus pointues de nos connaissances actuelles ont atteint leurs limites de compétence vis-à-vis des EMI sans pouvoir en donner une interprétation satisfaisante, ces dernières sont totalement inclassables.
Pour les scientifiques, médecins ou non, ces expériences sont de véritables savonnettes, qui vous glissent entre les doigts quand vous essayez de les attraper !
L’approche médicale
Médecins et psychologues se sont frottés à ce sujet avec des approches diverses, qui se classent schématiquement en deux catégories.
Dans la première, nous trouvons ceux qui, en fonction de leur spécialité, proposent une hypothèse neurobiologique – sécrétion d’endorphines par un cerveau mourant (Cary 1981), dysfonctionnement du système limbique (Cary 1982, Lempert 1994), postdécharges épileptiformes se propageant depuis l’hippocampe et l’amygdale via des connections limbiques (Saavedra-Aguilar et Gomez-Jeria 1989), hypoxie cérébrale et désinhibition neuronale (Blackmore et Troscianko 1988), phénomène de neuroprotection (Jansen 1990) –, ou psychologique (Noyes et Kletti 1976, Dewavrin 1980, Blackmore 1991-1996).
Avant de poser un diagnostic et de proposer un traitement, et afin d’identifier une affection avec certitude, il est nécessaire pour un médecin d’éliminer les pathologies qui pourraient prêter à confusion par des symptômes similaires : c’est ce que l’on appelle un diagnostic différentiel. Il est de même primordial, avant de pouvoir prétendre que les EMI sont inexplicables par nos connaissances actuelles, d’avoir envisagé toutes les hypothèses possibles. Chaque idée, proposition ou modèle ne pouvant qu’aider à cerner un peu mieux le problème, il est tout à fait honorable de proposer une piste de recherche, quelle qu’elle soit. C’est ce que font par exemple des chercheurs comme Buzzi (2002) ou Nelson (2006) dont les études permettent de comparer les EMI avec les phénomènes biologiques connus qui s’en rapprochent le plus.
Cependant, ne connaissant le phénomène que de très loin et n’ayant souvent rencontré que très peu de témoins (sinon aucun), certains considèrent leur théorie comme une explication plus ou moins définitive, avec comme sous-entendu « si vous m’aviez demandé plus tôt, vous auriez évité de perdre du temps »… Souvent mal informés ou n’ayant pas procédé à une enquête approfondie, ils voient les EMI comme une curiosité de la littérature médicale que leur propre réverbère peut éclairer en en faisant des expériences purement internes et subjectives résultant de l’activité désordonnée d’un cerveau agonisant. En tout état de cause, ils ignorent ou ne tiennent pas compte de la présence répétitive de détails objectifs dans certains témoignages, et ne retiennent souvent que l’aspect « transcendant » de l’expérience, évidemment plus aisé à interpréter comme une hallucination. Pour prendre un exemple dans ce registre, la neurologie n’échappe pas aux conclusions hâtives : un neurologue allemand étudiant les phénomènes moteurs durant des syncopes provoquées dit avoir été impressionné par ce qu’il nomme des « similarités entre les hallucinations syncopales et les EMI ». Il commence ainsi un petit article paru dans The Lancet (Lempert 1994) : « L’existence des EMI n’est plus discutable. Cependant, leur origine est toujours sujette à controverse : des explications physiologiques, psychologiques et transcendantales ont été proposées. (…) »
Il montre ensuite que la fréquence de ce qu’il nomme à l’avance des « éléments hallucinatoires » est plus ou moins similaire à celle que l’on retrouve dans les EMI, pour conclure : « (…) Des cas d’EMI lors de syncopes ont été rapportées de manière anecdotique. Notre expérimentation confirme la capacité que possède l’hypoxie cérébrale d’induire des expériences de mort imminente, qui pourraient représenter un syndrome d’agonie limbique plutôt que l’aperçu d’une vie après la vie. »
Dans l’échantillon étudié par Lempert, 16 % des volontaires ont décrit une expérience de décorporation, 40 % des perceptions visuelles, 60 % des perceptions de bruits ou de voix. Mais l’auteur ne donne aucun détail. En l’absence de précisions sur une éventuelle acquisition d’informations, rien ne permet de classer les impressions de décorporation dans une catégorie ou une autre. Pas plus de détails sur les perceptions visuelles dont nous ne savons si elles sont ce que l’on trouve habituellement dans une anoxie brutale de courte durée – flashes lumineux et motifs géométriques liés effectivement à une désinhibition neuronale –, des éléments visuels élaborés ou une vision précise de l’environnement. Il en est de même pour les perceptions auditives : bruits divers liés à une activité neuronale désordonnée ou perception de dialogues précis comme dans une EMI. Et en tout état de cause, les syncopes, quelle que soit leur origine, sont effectivement pourvoyeuses d’EMI tout à fait classiques, au même titre que n’importe quelle perte de connaissance.
Le manque d’informations sur les EMI a encore frappé : l’auteur ignore les cas documentés d’EMI survenues dans des circonstances où ni le système limbique ni d’ailleurs quoi que ce soit dans le cerveau n’était à l’agonie, il oublie aussi tous les cas rapportant des détails vérifiés qu’aucune hallucination ne peut expliquer. Enfin et surtout, il est comme beaucoup victime du syndrome « vie après la vie », ne laissant guère de choix entre une explication hallucinatoire neurologique et la vision simpliste habituellement proposée au public.
Le problème peut résider, pour un médecin pourtant ouvert, dans la difficulté qu’il y a à interpréter ces expériences dans un cadre classique, quitte à l’élargir au maximum pour lui en faire accepter les caractéristiques essentielles. Un exemple en est cet extrait d’une interview1 du psychiatre et psychothérapeute Philippe Wallon, auteur de plusieurs ouvrages sur les phénomènes dits paranormaux (Wallon 2002) :
« Pour aborder les phénomènes paranormaux et notamment les NDE, Philippe Wallon nous propose une topologie de l’inconscient, plus large que celle actuellement acceptée. Pour lui, l’inconscient ne se limite pas à ce que Freud en a dit : un magma d’éléments et de représentations refoulées, tout droit issu de notre vécu. Dans le café parisien où l’entretien se déroule, il prend papier et crayon, et à l’aide de schémas simples, se lance dans l’explication ! D’un côté la conscience, de l’autre l’inconscient, certes, mais un inconscient avec un grand I, inconscient à plusieurs niveaux : une première couche, l’inconscient tel que Freud l’a conçu, soit notre refoulé personnel en quelque sorte. Puis une deuxième couche, qui correspondrait plus à l’inconscient jungien, ouvert aux dimensions du groupe, de la culture, et aux symboles universels. Puis, plus on va en avant dans les couches de plus en plus profondes et de plus en plus insaisissables de l’inconscient, plus on s’approche d’un inconscient élargi aux dimensions de l’univers, jusqu’au degré ultime, le centre, le Tout parfait des mystiques, le divin des religieux.
La dynamique est donc simple, dans le fond : plus on tend vers la conscience, la réalité objective, plus on rentre dans une dimension individuelle. À l’inverse, plus on va vers les couches profondes de l’inconscient, et plus on aborde des dimensions universelles.
Que se passe-t-il alors au niveau des NDE ? Lors d’une NDE, la personne est dans un état caractérisée par la mise hors circuit de la conscience. Le sujet est dans un état hypnagogique, durant lequel l’inconscient semble s’ouvrir totalement et laisse apparaître ses productions (des différentes couches tel que présentées ci-dessus). Pour Philippe Wallon, ces productions prennent en fait la forme d’hallucinations (surtout visuelle et auditives), “hallucination” n’étant pas utilisée ici au sens pathologique du terme, mais au sens de production de l’Inconscient. Une fois en phase avec ces productions inconscientes, le sujet évolue dans un univers sans espace-temps (tel dans le rêve), et la plupart du temps, toute localisation est quasi impossible. Or, bien souvent, lors des récits de NDE, on s’aperçoit qu’aux questions très précises sur la localisation, le sujet ne peut répondre. Il se situe dans une dimension totalement différente. Les sujets n’ont pas de mots pour décrire leur expérience ; cela se situe hors logique, hors pensée rationnelle.
Mais quelle différence dans ce cas avec les hallucinations psychotiques ? Sommes-nous dans le même registre ?
La réponse se trouve au niveau du contenant. Pour pouvoir accueillir, gérer et intégrer les afflux de l’Inconscient, le sujet doit pouvoir faire valoir d’une structure de personnalité suffisamment développée, consistante, “contenante” pour ne pas être submergé ni disloqué par ces éléments. Or le psychotique n’a pas, par définition, de structure cohérente. Il est placé sous le signe de la dissociation. Il est incapable de gérer ses hallucinations, qui viennent le perturber au plus haut point dans son rapport à la réalité. Ici, le vécu de l’Inconscient est source d’angoisse. Il fragilise, et entrave fortement la stabilité psychique du sujet.
En revanche, les NDE peuvent être considérées psychologiquement parlant comme un accès momentané dans les couches les plus profondes de l’Inconscient (couches touchant à l’universel au monde et à l’Homme dans sa dimension spirituelle également). Cette expérience, bien que laissant souvent chez le sujet des interrogations, et le sentiment d’avoir vécu quelque chose d’extraordinaire, ne vient pas entraver la vie “réelle”, quotidienne du sujet. Ce dernier est apte à recevoir les informations et contenus de cet Inconscient profond, avec des données parfois surprenantes sur ce qui lui est arrivé : capacité de décrire ce qui se passait dans la salle d’opération, ou sur le lieu de l’accident par exemple. »
Des cliniciens en première ligne
D’un autre côté, nous trouvons des médecins cliniciens qui ont été confrontés dans leur pratique quotidienne à l’évidence répétitive d’un phénomène incompréhensible. Ils ont été amenés à en dégager des éléments essentiels, en termes de fréquence, de circonstances de survenue et de phénoménologie, ce qui permet au moins de poser le problème de façon claire : les EMI sont une réalité dont la fréquence augmente avec les progrès de la réanimation, et elles ne peuvent plus être négligées. La plupart continuent leurs recherches et se posent de nombreuses questions, ce qui semble montrer que plus on étudie ces expériences de près, moins les explications simples et péremptoires sont satisfaisantes.
Nous avons déjà parlé du Dr Sabom, cardiologue qui était à l’origine parfaitement sceptique et a mené sa première étude (1983) dans le but avoué de démontrer l’inexistence – ou l’absence d’intérêt – des EMI. Il est depuis l’un des chercheurs les plus actifs dans ce domaine, avec le pédiatre Melvin Morse qui a passé une bonne partie de sa carrière à étudier les EMI chez les enfants (Morse 1989-1994) et le psychiatre Bruce Greyson, directeur de la recherche de IANDS-USA qui est à l’origine de l’échelle d’évaluation des EMI qui porte son nom2 (Greyson 1983-2000).
Les dernières publications en date dans des revues médicales montrent une évolution certaine. Le psychiatre Bruce Greyson, dans la prestigieuse revue médicale The Lancet (2000), reste ouvert mais prudent en s’en tenant au concept de dissociation non pathologique :
« Bien que les EMI soient en général considérées comme des expériences positives, des problèmes émotionnels peuvent émerger de la difficulté à les intégrer dans la conscience normale d’un individu. Bien que des hypothèses aient été émises sur les mécanismes neurochimiques des EMI, les données empiriques ne sont pas en faveur de telles spéculations (Greyson 1998). La question de la signification individuelle des EMI et celle de savoir si elles permettent un aperçu personnel ou mystique d’une après-vie est au-delà du champ de cette étude ; en fait, certains jugent qu’elles sont au-delà du cadre de la science… La conclusion que nous formulons ici, que les EMI sont une réponse psychophysiologique normale au stress, n’apporte aucun argument pour ou contre cette position.
Cette étude soutient la vue selon laquelle les EMI impliquent un déplacement de l’attention depuis l’environnement physique vers un état de conscience altéré dans lequel perception, fonctions cognitives, états émotionnels et sens de l’identité peuvent être partiellement ou en totalité déconnectés du flux habituel de la conscience. Les EMI ne semblent pas être un type pathologique de dissociation ou une manifestation de trouble dissociatif. Elles semblent être une expérience non pathologique impliquant un mécanisme psychologique de dissociation en tant que réponse normale à un traumatisme intolérable. Une meilleure compréhension de la dynamique et de la physiopathologie de la dissociation devrait ainsi apporter un meilleur éclairage sur les EMI et par extension, sur les autres états de conscience mystiques ou transcendantaux. »
Les internistes, cardiologues et réanimateurs qui sont en première ligne face aux EMI peuvent difficilement se contenter d’explications qui ne collent manifestement pas avec leur expérience directe du phénomène. À la suite de leur étude prospective sur 63 survivants d’arrêts cardiaques, Parnia et al. (2001) vont donc, dans une revue médicale destinée aux réanimateurs, poser des questions plutôt dérangeantes :
« Les données suggèrent que, dans ce modèle de l’arrêt cardiaque, les EMI surviennent durant la période d’inconscience. C’est une conclusion surprenante, car quand le cerveau est dans un état de dysfonction tel que le patient est en coma profond, les structures cérébrales qui sous-tendent l’expérience subjective et la mémoire doivent être gravement perturbées. Des expériences complexes telles qu’il en est rapporté lors des EMI ne devraient pouvoir se produire ni être mémorisées. On s’attendrait à ce que de tels malades n’aient aucune expérience subjective (ce qui est le cas pour 88,8 % des patients de notre étude), ou, au mieux, un état confusionnel s’il persistait un minimum de fonctionnement cérébral. Même si le cerveau inconscient est submergé de neurotransmetteurs, cela ne peut produire des expériences claires, lucides et mémorisées, car les modules cérébraux qui génèrent l’expérience consciente et qui sous-tendent la mémoire sont dégradés par l’anoxie cérébrale. Le fait que durant un arrêt cardiaque la perte des fonctions corticales précède la perte rapide de l’activité du tronc cérébral corrobore encore plus cette opinion. »
Ce qu’ils résument très simplement : « La survenue d’EMI durant des arrêts cardiaques soulève la question des relations possibles entre l’esprit (mind) et le cerveau. »
Dans un article publié dans The Lancet 3 à la suite de leur étude prospective sur 344 patients en arrêt cardiaque, le cardiologue hollandais Pim van Lommel et ses collègues (2001), après avoir passé en revue les diverses théories faisant reposer les EMI sur des phénomènes purement neurobiologiques, ont le même courage pour soulever ce qui semble être les questions fondamentales posées par les EMI :
« Compte tenu du manque de preuves pour quelque autre théorie que ce soit, le concept jusqu’à présent supposé – mais jamais prouvé – que la conscience et la mémoire sont localisées dans le cerveau, doit être discuté. Comment peut-on expérimenter une conscience claire hors de son propre corps à un moment où le cerveau ne fonctionne plus, durant une période de mort clinique avec un EEG plat ? Durant un arrêt cardiaque, l’EEG devient habituellement plat dans la plupart des cas dans les dix secondes suivant le début de la perte de connaissance. En outre, des personnes aveugles ont décrit des perceptions véridiques lors d’une décorporation durant ces expériences. Les EMI poussent à leurs limites les conceptions de la médecine sur le champ de la conscience humaine et les relations entre esprit et cerveau. »
Résumons-nous
Au travers de nombreux témoignages et extraits, j’ai essayé dans la première partie de cet ouvrage de procurer au lecteur honnête tous les éléments lui permettant de nourrir sa propre réflexion et éventuellement de se forger une opinion sur un sujet qui s’avère beaucoup plus complexe – et riche – qu’il ne paraît au premier abord. J’ai tenté aussi, au travers de diverses tentatives d’analyse, de dégager certaines pistes qui pourront permettre d’explorer ces expériences avec les moyens et les concepts de la méthode scientifique, sans jamais sortir du cadre de nos connaissances actuelles.
Mais ces dernières, si elles doivent évidemment être mises à contribution jusqu’à épuisement de leurs capacités, semblent dépassées par un phénomène qui présente des caractéristiques pour l’instant inexplicables.
La plus évidente est une indéniable acquisition d’informations concernant des détails précis, parfaitement triviaux compte tenu des circonstances, non connus ni connaissables auparavant. Dans nombre de cas, ils sont situables dans le temps à un moment précis qui correspond à une période d’inconscience apparente pour la personne qui vit l’expérience et s’inscrivent dans la grande majorité des cas dans une continuité temporelle logique. Le moment de l’expérience est en effet le plus souvent aisé à situer à l’examen des témoignages. Il est clair que dans la plupart des cas ces perceptions ne peuvent être réduites à une hallucination ni à une reconstruction à partir d’éléments connus – consciemment ou inconsciemment – des témoins.
Ces derniers sont-ils tous des menteurs ou des affabulateurs ? L’honnêteté n’est pas une quantité mesurable, néanmoins il me semble que le lecteur aura pu en juger par lui-même à la lecture des témoignages. Il est évident que sans cette acquisition d’informations objectives et inexplicables les EMI pourraient – et devraient probablement – être considérées comme des expériences subjectives, internes, c’est-à-dire n’impliquant aucune interaction avec quoi que ce soit d’extérieur. Leur intérêt sur le plan médical n’en serait d’ailleurs guère diminué, le simple fait que l’on puisse vivre et mémoriser une expérience quelconque – fût-elle purement subjective – à un moment où l’état cérébral ne le permet tout simplement pas restant une énigme sans réponse. Il en est de même sur le plan humain, au vu des changements radicaux qu’elles sont susceptibles d’entraîner sur le plan des valeurs et de l’éthique personnelle.
La seconde, moins apparente au premier regard, est le fait que l’expérience peut survenir alors que le cerveau se trouve dans des états physiologiques extrêmement variés. L’état de conscience rapporté par les témoins est remarquablement similaire d’une expérience à l’autre. Tous parlent d’une conscience extrêmement lucide, qu’il s’agisse de personnes en parfaite santé, d’un coma profond, d’une anoxie aiguë, de la prise de drogues allant jusqu’à l’overdose, voire d’une hypothermie profonde documentée ou d’un arrêt cardiaque prolongé durant lesquels aucune activité cérébrale n’est possible. Cette constatation va à l’encontre de tout ce que nous savons sur le fonctionnement cérébral et sur les corrélations habituelles entre ce dernier et l’état de conscience éprouvé. Cette lucidité est aussi totalement incompatible avec l’état de conscience pour le moins nébuleux qui est habituel au réveil d’un coma ou d’une quelconque période d’inconscience.
Nous pouvons prudemment résumer cela en remarquant que tout se passe comme si le vécu de l’expérience et l’état de conscience correspondant étaient indépendants de l’état physiologique et fonctionnel du cerveau au moment de cette dernière (Jourdan 1982, 2000, 2001).
Un fait nouveau dans le champ de la recherche
Il semble donc, et j’espère en avoir convaincu le lecteur, que les EMI soient bien un fait nouveau pour la science et la connaissance, dans la mesure où les deux caractéristiques que nous venons de résumer rendent caduques toutes les tentatives d’explication, qu’elles soient psychologiques, psychiatriques ou neurobiologiques. Les dernières études et publications émanant de psychiatres, internistes, cardiologues et réanimateurs hospitaliers parviennent aux mêmes conclusions.
Ce phénomène nouveau, nous l’avons décrit, caractérisé, largement illustré, en avons dégagé en partie les points essentiels, c’est-à-dire les invariants, et… nous nous trouvons devant beaucoup de questions sans réponse.
Aller plus loin ?
Doit-on, dans un tel cas, baisser les bras et admettre une fois pour toutes que les EMI sont au-delà du champ de la science, tout en cultivant précieusement le délicieux frisson procuré par leur étrangeté et leurs manifestes implications ?
Ou essayons nous d’aller plus loin ? Et si oui, comment ?
Nous pourrions survoler des théories « alternatives », parler de conscience holographique, quantique, holistique, expialidociouscalifragilistique, en résumé nous gargariser de mots ronflants, de concepts détournés et mal compris que le niouâge a depuis longtemps transformé en affirmations gratuites et rémunératrices…
Nous pourrions nous contenter de supputations métaphysiques ou mystiques en passant en revue toutes les théories et systèmes de pensée qui découlent d’une vision dualiste a priori, que l’on pourrait résumer en une phrase : les EMI prouvent l’existence d’une âme® qui survit à la matière ou la transcende.
C’est possible. Ou pas. Les EMI posent évidemment ce genre de question, la controverse ne date pas d’hier, elle n’est pas prête de prendre fin, et pas plus que les discussions sur le sexe des anges elle ne fait avancer nos connaissances. Certes, entrer dans ce jeu permettrait de donner à ce livre un titre qui multiplierait ses ventes par dix, mais ne ferait pas avancer notre compréhension d’un quart de millipoil et reviendrait à nous trouver une fois de plus le nez collé au baobab.
Pourquoi ne tenterions-nous pas de contourner l’arbre pour essayer de voir ce qu’il peut bien cacher ?
Le problème est que les EMI, une fois examinées sous (presque) toutes les coutures comme nous l’avons fait, ne sont toujours pas reproductibles sur une paillasse, bien que quelques expérimentations en aient produit des ersatz, dont la ressemblance superficielle nous a au moins permis de définir ce qu’elles ne sont pas.
Un phénomène à modéliser
Nous en sommes donc réduits à devoir nous contenter des témoignages, tout en essayant d’appliquer la méthode scientifique, qui est pour l’instant ce que l’on a trouvé de mieux pour progresser dans la connaissance.
Pour essayer de cerner un phénomène qu’elle ne peut expliquer ni reproduire en laboratoire4, cette dernière dispose d’un ultime outil : la modélisation.
Un modèle, au sens où je l’entends, n’est pas une explication. Il n’est pas non plus une théorie, même s’il peut, une fois validé, en être à l’origine. Il est avant tout, dans le cas qui nous intéresse, un artifice permettant de réfléchir, et éventuellement de mieux comprendre un fait nouveau ne rentrant dans aucun cadre connu.
Modéliser un phénomène consiste donc à définir un nouveau cadre, cohérent, aussi simple que possible, faisant appel à un minimum d’hypothèses, et rendant compte de l’ensemble des caractéristiques du phénomène étudié. Ce sont donc ces dernières qui doivent lui servir de point de départ, et dans le cas présent nous allons essentiellement nous fier à ce que disent les témoins.
Souvenez-vous de la supposition que nous avons décidé d’explorer jusqu’à son terme :
… Les témoins disent la/leur vérité. Quoi que soit ou cache ce qu’ils ont vécu, ils essaient de nous le raconter. Nous allons donc prendre leurs récits au pied de la lettre.
… Ce qu’ils ont vécu est le reflet d’une réalité.
Et surtout :
Cela signifie aussi que nous allons admettre qu’ils aient pu réellement se trouver hors de l’espace et du temps…
Ou, en tout état de cause, que les particularités cognitives de leur expérience aient pu leur en donner la certitude.
Un modèle ne doit évidemment pas être contredit par tel ou tel fait d’observation, ce qui le rendrait caduc ou pour le moins incomplet. Un modèle construit de bric et de broc, accumulant les hypothèses au fur et à mesure de son élaboration est en général mauvais, ne collant aux faits que grâce à des artifices. Un bon modèle, s’il n’est qu’une représentation schématique et non obligatoirement un reflet de la réalité des choses, peut être jugé sur sa valeur prédictive, qui mesure son adéquation au phénomène étudié. Il doit aussi reposer sur des bases solides, essentiellement des lois connues et maîtrisées.
Mais, aussi séduisant soit-il, il ne doit pas non plus devenir un second baobab.
Dans les pages qui vont suivre, nous allons donc regarder les récits d’un peu plus près, ce qui va nous permettre de dégager de nouveaux invariants. Si l’on considère la diversité culturelle et éducative de leurs auteurs, ils sont encore plus étonnants que les précédents, de par leur cohérence, leur précision et leur similarité d’un témoignage à l’autre.
L’espace et le temps
Ils sont essentiellement d’ordre cognitif et concernent la perception de l’espace et du temps. Nous allons voir que les particularités constantes et apparemment irrationnelles de cette dernière sont suffisamment riches pour être à la base d’une modélisation en termes d’acquisition d’informations. Bien que ce dernier terme recouvre des concepts parfois très complexes, les chapitres suivants ne nous demanderont pas de connaissances particulières, un peu d’imagination suffira.
En effet, ce que nous allons détailler peut se résumer à la comparaison de deux regards.
Tout d’abord, le regard tout à fait banal que vous et moi pouvons avoir sur un tableau, une photo, un poster ou de n’importe quel « univers » similaire sans épaisseur, univers dont toute l’information est contenue dans deux dimensions : il peut s’y promener, se focaliser sur un détail tout en nous permettant de le percevoir dans son intégralité d’un seul coup d’œil.
La perception/acquisition d’informations que nous avons d’un univers à deux dimensions est globale et non séquentielle.
Imaginons maintenant un être conscient appartenant à la surface de cet « univers » Il peut, en se déplaçant, en explorer les différentes parties, faire le tour des obstacles qu’il contient, mais il ne peut le connaître que « de l’intérieur », car il en est partie intégrante et ne peut en sortir. Quelle que soit la quantité d’informations qu’il aura pu acquérir sur lui, elle l’aura été de manière séquentielle. En effet, il ne peut se trouver à plusieurs endroits à la fois, pas plus que vous ni moi dans notre propre monde.
Nous allons enfin imaginer que cet être bidimensionnel puisse pendant quelques instants disposer de notre regard pour observer son propre univers. Tout simplement.
Comment va-t-il intégrer, comprendre, et surtout, ayant retrouvé son état normal, décrire ce qu’il a perçu ?
Avant d’aller plus loin, je prie le lecteur de garder à l’esprit que si les récits ainsi que les extraits qui illustreront le modèle exposé dans les chapitres suivants en sont les bases essentielles, ils peuvent certainement, comme tous ceux qui précèdent, être abordés ou compris d’une autre manière et éventuellement servir à l’élaboration d’un modèle totalement différent.
Celui que je vais maintenant proposer rend compte de pratiquement toutes les particularités perceptives et cognitives rencontrées lors de la phase de décorporation. Il permet aussi par extension de comprendre une bonne partie de ce que l’on rencontre lors de la phase transcendante, et risque donc d’être interprété comme une tentative d’« explication » définitive des EMI.
Il n’en est rien, et quel que soit son pouvoir explicatif il peut et doit être remis en question. Je le propose avant tout comme un cadre de réflexion, et je prie le lecteur de rajouter aussi souvent que nécessaire les « tout se passe comme si » avec lesquels je n’ai pas voulu alourdir le texte.
1- Yahoo ! Actualités santé du 4 avril 2000.
2- Voir Annexes.
3- Qui est la revue médicale de référence mondiale, connue pour son sérieux parfois même exagéré.
4- Quand elle est possible, la reproductibilité d’un phénomène est bien entendu essentielle, mais contrairement à une idée reçue et tenace, elle n’a jamais été un critère sine qua non. On n’a par exemple jamais reproduit de quasar ni de trou noir en laboratoire.