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ZOOM
RETOUR SUR LA PERCEPTION
Pour votre gouverne, je vous signale que dans votre univers vous évoluez librement dans trois dimensions que vous appelez l’espace. Vous évoluez en ligne droite selon une quatrième que vous appelez le temps, et restez immobiles dans une cinquième, qui est la base essentielle de la probabilité. Pour le reste, ça se complique un brin, et il y a tout un tas de trucs qui se déroulent entre les dimensions 13 et 22 qu’il vaut mieux que vous ignoriez. Tout ce que vous avez besoin de savoir pour le moment, c’est que l’univers est bien plus compliqué que vous ne pourriez l’imaginer, même en vous fondant sur l’a priori qu’il est déjà bougrement complexe. Je peux sans problème m’abstenir d’employer des termes comme « bougrement » si ça vous choque.
Douglas ADAMS1
Dans notre exploration à la recherche d’invariants, nous allons maintenant nous intéresser à ce que nous disent les témoins concernant ce qui se passe quand ils s’intéressent à quelque chose de particulier, objet, scène ou détail.
Une question de regard
Nous avons déjà mis en évidence le fait qu’une perception était différente selon son degré ou son mode de focalisation. Cette particularité n’a rien d’étonnant, car c’est de cette façon-là que nous fonctionnons en temps normal. Nous l’avons vu, qu’il s’agisse de la perception de notre propre corps ou de perceptions auditives et visuelles, nous sentons, entendons et voyons en permanence ce qui nous entoure de façon relativement large et globale, jusqu’à ce qu’un événement particulier (démangeaison, bruit, intérêt particulier pour un objet dans notre champ visuel, etc.) focalise notre attention.
Voyez l’endroit où vous vous trouvez dans son ensemble, sans rien regarder de particulier. Regardez maintenant un objet quelconque – un tableau au mur ou un bibelot sur une table, n’importe quoi fera l’affaire – ou simplement un paragraphe de cette page. Puis un détail de cet objet, ou un mot de ce paragraphe. Et maintenant un détail encore plus fin, un reflet, une texture de surface, un grain de poussière, ou une simple lettre. Dans ce dernier cas, par exemple, vous allez pour la première fois prendre conscience de sa forme particulière, qui dépend de la police utilisée par l’imprimeur. Et pourtant depuis le début de votre lecture vous en avez vu quelques dizaines de milliers parfaitement identiques. Vous aviez vu, mais non regardé avec un intérêt particulier la lettre ou les détails de l’objet sur lequel vous venez de focaliser votre attention. Durant cette dernière opération, votre champ visuel n’a pourtant absolument pas changé, votre œil ne s’est pas non plus déplacé. C’est le champ de votre attention qui a modifié votre perception des choses. Votre attention, en se concentrant sur un objet particulier, vous permet de prendre conscience des détails de sa forme, de sa couleur, de sa texture, de son utilité éventuelle, qu’elle soit pratique ou décorative, de sa provenance, de son histoire, et en fait de tout ce qui y est rattaché.
Tout cela par un simple « geste » de votre conscience, et non par un quelconque mouvement physique.
L’analogie avec le regard, que j’ai utilisée plus haut pour expliciter la non-localité lors d’une EMI, puis pour permettre de comprendre la perception d’un univers à N dimensions depuis la N+1e, semble en fait tout à fait adaptée à la compréhension des dires des témoins. Toutes les particularités en apparence saugrenues que présentent leurs déclarations deviennent logiques dans ce cadre.
Déplacement ou focalisation ?
Il semble que lors d’une EMI l’attention du témoin puisse se concentrer de la même manière qu’un simple regard, ce qui dans certains cas rend difficile la discrimination entre déplacement réel du point de perception et simple focalisation de l’attention sur un objet ou un environnement particulier.
Nous avons vu que bon nombre se rendaient compte qu’ils « étaient » partout à la fois, l’un d’entre eux, nous l’avons vu, a même insisté sur l’inutilité de se déplacer :
« Ma vision semblait plus large, j’aurais pu sans difficultés entendre, comprendre et suivre plusieurs conversations si j’avais voulu… C’était très bizarre car il me semblait être partout à la fois et nulle part et avec une telle lucidité…
Q. – Avez-vous eu la sensation de vous déplacer ?
Non, pas l’impression de m’être déplacé car je pouvais être partout à la fois. Sauf à mon “retour” vers le bas….
Q. – Était-ce volontaire ou non ?
Je n’avais qu’à le désirer…
Q. – Comment cela s’est-il passé (instantané ou non, sensation de déplacement, impression de vitesse, plutôt impression de zoom sans réel déplacement, etc.) ?
Instantané mais, comme dit plus haut, je n’avais qu’à le désirer mais pourquoi me déplacer car je pouvais être partout ?
Q. – Voyiez-vous sous un angle précis comme d’ordinaire ? (c’est-à-dire depuis un point précis, comme avec les yeux).
Quand je le voulais oui. » (M.Q.)
« Q. – Vous êtes-vous déplacée en dehors de votre corps et si oui comment ?
Oui. C’est difficile à expliquer. Par la pensée. Vous pensez que vous êtes à tel ou tel endroit et vous y êtes, instantanément. On est partout.
On est, tout simplement.
Il n’y a pas les contraintes physiques et matérielles de la vie terrestre. » (C.P.)
Instantané
En tout état de cause, quand il y a une impression de déplacement, celui-ci est le plus souvent perçu comme instantané :
« Les déplacements se font comme si le temps n’existait plus (ou presque). On “pense” à où on voudrait être et on fait un effort de volonté et on y est instantanément (ou presque, car il y a quand même une sensation de déplacement, mais très rapide). » (D.U.)
« Il m’a toujours semblé logique d’être là où il fallait pour voir ce que je voulais voir. Aucune impression de déplacement. Je me trouvais toujours là où mon attention se portait. » (L.T.)
« La première fois a été lorsque je me suis élevée en sortant de mon corps (j’ai été aspirée vers le haut). La deuxième fois, le déplacement m’a paru instantané (comme par magie). » (E.D.)
« À la séparation de mon esprit de mon corps, j’ai entendu les pompiers discuter entre eux tout en veillant sur ma personne. Avant la séparation de mon esprit de mon corps, je n’entendais pas. J’étais inconscient. Là je pouvais entendre, voir ce que je voulais. Écouter des conversations, voir le paysage (du Gers) environnant et me déplacer dans un espace et temps en une fraction de seconde et sans aucun effort.
Si j’ai décidé d’écouter ce qui se dit où se passe à tel endroit, mon esprit dans une fraction de seconde écoute à l’emplacement choisi. S’il n’y a pas de temps le déplacement physique n’existe pas. C’est la volonté qui détermine la finalité et non les conditions/actions d’un point à un autre. » (R.H.)
« Sensation de déplacement, mais ultrarapide. » (M.L.)
« Déplacement : d’un seul coup. » (F.U.)
« C’est une chose qui m’a le plus frappé, c’est ça ! Cette communication entre les êtres mais sans parler, tout en sachant et en allant très vite d’un endroit à un autre.
Q. – Comment ça, d’un endroit à un autre ?
Là vous voyez ça, puis ailleurs vous voyez autre chose, vous savez tout, dans un endroit à l’autre du coin où on se trouve. J’étais bien, j’étais dans un cadre bien, mais dans ce cadre. Par exemple là, si je veux aller à la fenêtre, il faut que je me déplace. Mais là, vous ne bougez pas, vous êtes partout. C’est incroyable, mais c’est formidable ! » (J.-M.W.)
Dédé a fait fortune
Tout cela est parfaitement logique si nous considérons que les témoins perçoivent des scènes de notre monde ordinaire depuis un point situé à l’extérieur de ce dernier. Que cela soit J.M.P. changeant d’étage dans sa clinique ou J.M. visitant l’hôpital, nul besoin pour eux de s’être déplacés.
Tiens, revoilà Dédé… Il a apparemment utilisé sa petite fortune pour faire bâtir une maison, en deux dimensions, bien entendu… Nul besoin de toit ni de plafonds. En ce moment, il fait la sieste.
Pas sur son lit, il n’y a ni dessus ni dessous dans son monde. Simplement, le gris est une couleur confortable pour dormir. Et hop, il fait une rechute, ce qui lui arrive de temps en temps depuis son expérience. Lors de sa décorporation, il se retrouve exactement… à l’emplacement de votre œil, et il « est » une fois de plus partout à la fois.
Il « voit » bien entendu tous les côtés de sa maison simultanément, il « est » dans sa chambre, où il voit son corps inanimé, mais il « est » aussi de l’autre côté du mur. Là, il réalise que sa belle-mère a une fois de plus emprunté sa Ferrari et l’a garée à sa façon. Un détail l’intrigue : instantanément il « est » à l’avant de la voiture et comprend qu’elle a comme à l’habitude grillé un stop. Ce qui a dû lui creuser l’estomac, puisqu’elle est déjà dans la cuisine, en train de regarder ce qu’il y a dans le frigo. Il « est » là encore instantanément auprès d’elle, et voit qu’elle a encore fait des frais d’esthétique, sa coiffure est encore plus extravagante que lors de sa dernière visite…
Il « est » partout.
Zoom
Quand votre regard accompagne Dédé dans sa visite, qu’est-ce qui se déplace dans la maison ? Rien, mis à part un concept parfaitement virtuel qui n’est ni une chose, ni une vapeur immatérielle ni un pur esprit : c’est simplement votre centre d’intérêt. Vos yeux, pas plus que notre héros, ne sont localisés nulle part dans l’univers qu’ils observent. Le seul mouvement qui puisse être identifié dans tout cela est une rotation de vos yeux de quelques degrés, et encore cette dernière est-elle due au fait que seule la partie centrale2 de notre rétine permet une analyse fine de ce qui s’y projette.
De même, vous pouvez voir aussi bien sa maison (ultraplate) dans son entier que n’importe quel détail si celui-ci vous intéresse, comme si vous pouviez « zoomer » dessus. Mais ce zoom, quasi omniprésent quand les témoins essaient d’analyser leur perception visuelle, n’est pas dû au changement de focale d’un quelconque objectif. Quand un point particulier attire leur attention, c’est elle qui se focalise dessus :
« Comme un iris qui s’ouvre ou se ferme, avec une fonction zoom instantané et en plusieurs points de vision différents tout en étant une seule et même vision, ma vue englobait la scène. » (X.S.)
« Ma vision pendant que ceci se passait, a été très spéciale. Je ne sais trop comment la décrire… je voyais tout, d’une vision totale : le lac, les montagnes, les gens sur le quai d’Évian, la texture des tissus les habillant, dans les bateaux ; les maisons, les montagnes, les petits animaux dans les terriers, les racines, les brins d’herbe, je voyais tout à la fois et si je me concentrais sur une chose, je voyais cette chose à travers n’importe quel obstacle et dans tous ses détails, de sa surface à l’agencement de ses atomes, vraiment une vision globale et détaillée. » (M.L.)
Nous avons vu dans un précédent chapitre que nous étions habitués à percevoir depuis l’endroit où nous nous trouvons, et réciproquement, ce qui est un truisme ! Mais cette plus qu’évidente banalité a un corollaire : se trouver quelque part et percevoir depuis ce point précis sont deux choses tellement associées dans notre vie quotidienne que la réciproque semble naturelle, y compris lors d’une décorporation. Dans ce dernier cas, percevoir un détail quelconque est automatiquement associé à l’impression de se trouver près de l’objet observé. En effet, n’oublions pas que les témoignages sur lesquels nous nous basons concernent une expérience qui a été mémorisée, très probablement remaniée par nos systèmes de traitement de l’information, classée par ces derniers dans les catégories les plus adéquates, puis verbalisée le plus souvent avec difficulté du fait de limitations conceptuelles et de restrictions liées au manque d’un vocabulaire adapté, sans oublier les inévitables réinterprétations liées à la culture et aux habitudes. Tout cela se traduit par une difficulté majeure, les témoins ayant beaucoup de mal à faire la distinction entre un déplacement réel3 et un déplacement de l’attention lié à la focalisation de cette dernière.
Cette ambiguïté entre déplacement et focalisation de l’attention n’a pas échappé à bon nombre de témoins, certains font même le parallèle avec un regard et ses propriétés :
« Ma conscience, telle un faisceau lumineux, peut se déplacer très rapidement, quasi instantanément. (…) Ce regard tout comme la pensée, a en plus la possibilité de se déplacer extrêmement rapidement, d’un endroit à un autre très éloigné. » (P.C.)
« Une sorte de glissement, déplacement en zoom. » (J.-Y.C.)
« Q. – Comment ce déplacement s’est-il passé ? (instantané ou non, sensation de déplacement, impression de vitesse, plutôt impression de zoom sans réel déplacement, etc.)
Ce déplacement fut instantané – mais la question : “Plutôt impression de zoom sans réel déplacement”, me remue – et il semble plutôt que ce déplacement s’est effectué ainsi… Ce qui me fait (peut-être) comprendre pourquoi j’ai récemment apprécié un jeu PC où le héros “Predator” utilisait souvent la faculté “zoom” pour se déplacer – et à chaque fois que j’appuyais sur la touche “zoom”, j’étais troublée et à la fois heureuse d’utiliser cette faculté… qui me rappelait en fait cet état. Peut-être est-ce pour cela que je me sentais si légère… (peut-être qu’après tout, je ne bougeais pas, peut-être était-ce ma vue très développée qui me donnait la sensation de me déplacer…).
Je me rappelle bien de la paroi du rideau, et cela ressemblait à un zoom rapproché de cet endroit opaque. Le rideau était d’un écru plutôt sale. Sa texture était lisse. » (F.E.)
Be.N. utilise l’expression « être projeté », qui se rapporte à un déplacement physique en l’associant à l’impression de zoomer, ce qui montre bien la difficulté à rapporter une perception plutôt inhabituelle :
« Je vois partout à la fois, sauf quand je vise un objectif vers lequel je suis “projeté” à grande vitesse comme si je zoomais dessus, j’ai parfois l’impression qu’on est tous ensemble, que l’on voit la même chose, que l’on vise le même objectif, je ne suis ébloui par rien, je n’ai pas de limite d’acuité.
Q. – Avez-vous eu la sensation de vous déplacer ?
Heu ? je ne sais pas, c’est comme un zoom rapide pour être là où je regardais. Comme un zoom très rapide, je ne me rappelle pas vraiment si c’est un déplacement, ou juste un zoom, mais je suis là où je visais, donc il y a déplacement… enfin je ne sais pas mais c’est agréable et très gai. » (Be.N.)
« Mes déplacements étaient soumis à ma volonté, avec un effet instantané. Zoom instantané de ma vision, sans déplacement de ma part. Quand j’étais à l’extérieur, dans le parc à hauteur des arbres, je me souviens très nettement avoir eu cet effet de zoom, puisque sans me déplacer j’ai pu voir l’intérieur d’un arbre, puis le porche de l’hôpital qui était éclairé, de plus près que je n’aurais pu le voir normalement. » (J.M.)
« Ce qu’il faut aussi comprendre, c’est que ça fonctionne à la fois comme un déplacement et comme un zoom. Quand on veut aller quelque part ou quand on s’intéresse à quelque chose, c’est comme si on faisait un coup de zoom, c’est à la fois le déplacement et la perception qui le permettent. Il est difficile de séparer les deux, dans la mesure où il n’y a pas de notion de temps, donc pas de temps de déplacement. Il y a toutefois une certaine notion d’espace, mais pas d’un espace avec des limites ou des bornes comme l’espace habituel. De la même façon qu’il n’y a pas de sens définis, cloisonnés, les notions d’espace et de temps ne sont pas cloisonnées, c’est difficile à expliquer. » (A.S.)
Nous voici donc avec quelques repères de plus et le nouvel élément qu’est cette faculté de focalisation variable de l’attention, permettant de « voir » une scène globalement aussi bien que dans ses moindres détails. Si les témoins perçoivent notre monde de l’extérieur, ils peuvent focaliser leur attention sur tel ou tel point exactement comme nous voyons et regardons depuis une certaine distance ce qui se trouve sur une page, une photo, un plan.
Les effets que nous venons de passer en revue ne concernent que ce qui est susceptible d’être traduit en termes de perception visuelle. Ils sont extrêmement importants du fait de leur cohérence et de leur répétition d’un témoignage à l’autre, ils nous ont permis de construire puis de conforter un modèle simple – autant que possible – dans lequel ils trouvent une certaine logique.
Récapitulons…
Quand vous regardez un poster, vous pouvez (a) changer de point de vue en vous rapprochant ou en vous éloignant de ce dernier. Vous pouvez aussi le regarder sous un angle variable, de face ou presque par la tranche.
De chacun de ces points de vue, où votre œil a différentes positions dans un espace extérieur au poster, et votre regard différentes directions, vous pouvez (b) le voir de manière globale, dans son ensemble, ou tourner votre regard vers une zone intéressante et plus ou moins focaliser votre attention sur un point précis.
Cette analogie géométrique nous permet d’analyser deux effets qui peuvent évidemment se combiner :
1) Tout d’abord une perception depuis un point variable, géométriquement extérieur à notre univers – sa localisation nécessiterait une cinquième coordonnée –, ce qui se traduit par des effets de perspective liés à une distance plus ou moins grande ainsi qu’à un angle de vue variable, dans cette hypothétique dimension supplémentaire, par rapport à ce qui est observé dans notre monde habituel.
Puis, ce point pouvant être fixe :
2) Une focalisation plus ou moins importante de la perception, ce qui se traduit par un effet de « zoom/déplacement instantané ».
Ces deux effets sont différents et indépendants, même si en pratique ils peuvent bien entendu se produire simultanément.
Mais nous avons vu que lors d’une EMI la perception était beaucoup plus large et globale que celle que nous connaissons d’ordinaire, qui transite par des organes sensoriels précis.
Retour sur la perception
Cette perception, je vous avais promis d’y revenir. Nous avons maintenant à notre disposition quelques concepts supplémentaires qui vont nous aider, si j’ose m’exprimer ainsi, à y voir plus clair.
Dans le chapitre consacré à ce sujet, nous avons vu qu’il n’était pas indispensable d’avoir des yeux pour voir, pas plus que des oreilles pour entendre. Ces derniers ne sont que des transducteurs qui perçoivent tout ce qui est à leur portée. En temps normal ce sont les aires cérébrales spécialisées dans l’interprétation et la mise en forme de l’information qui extraient ce qui est pertinent et apportent à notre conscience, sous une forme ou sous une autre, uniquement ce qui lui est utile ou intéressant.
Une perception profonde et complexe
Le contenu d’une information acquise et mémorisée lors d’une EMI est manifestement compris et traduit de la manière la plus adéquate, donc la plus proche de nos habitudes perceptives : une communication ou une information d’ordre sémantique sera traduite et comprise comme auditive, l’information portant sur l’environnement physique sera, elle, interprétée en termes de vision. Nous avons vu en détail que les témoins étaient dans leur grande majorité parfaitement conscients du fait que, lors de l’expérience, il ne s’agissait en réalité ni de l’un ni de l’autre, mais de quelque chose de beaucoup plus complexe et global.
Revenons encore une fois à Dédé, qui a pris quelques vacances et se trouve dans le poster que nous regardions à l’instant. Comparez ce qu’il perçoit comme information sur son environnement, quand il y est intégré, à ce qu’un banal regard avec un minimum de recul peut nous apporter : il n’y a pas de commune mesure. Comparez maintenant la présence réelle à vos côtés de la personne que vous aimez à une photo de cette dernière…
Si nous transposons cette différence à nos témoins en rajoutant simplement, pour l’instant, une dimension et donc un degré de liberté – et de perception – supplémentaires, nous aurons une idée de ce que permettrait une perception possédant un ordre de grandeur de plus.
À défaut de pouvoir saisir comment toute cette information parvient à notre mémoire et y est apparemment stockée pour devenir un souvenir indélébile, ce qui reste pour l’instant une énigme, l’honnêteté nous oblige donc à nous demander de quelle manière elle peut bien avoir été acquise et surtout comprise.
Pour essayer de répondre au moins partiellement à cette question, nous ne pouvons, une fois de plus, que nous fier aux témoignages. Un regard purement physique avec une dimension de plus montrerait certes l’intérieur de tout ce qui se trouve dans son champ, le tout depuis partout à la fois. Mais il ne montrerait que l’aspect physique des choses, et, même avec la faculté de plonger au cœur le plus intime de la matière, il ne ferait que voir. Et voir n’est pas obligatoirement comprendre.
Identification, personnification, fusion…
Les déclarations des témoins convergent en fait vers une notion de perception intime pour le moins originale, étrangère à nos perceptions « normales » : il s’agit le plus souvent d’une impression d’identification plus ou moins complète, voire même parfois de fusion.
Nous manquons manifestement de mots et de concepts pour décrire de telles sensations, mais le premier des témoins suivants s’en sort plutôt bien, avec la juxtaposition des verbes « voir/être/sentir ». Ce qui semble s’appliquer à la matière en général, qu’elle soit organique ou inerte :
« Je vois/suis/sens cette matière de ma “vue d’en haut” je vois/suis/sens cette matière vue d’en bas, je vois/suis/sens cette matière qui remplit la pièce de plus en plus, je vois/suis de côté, de profil, en dessous, devant, derrière, de partout, je suis spectateur/acteur/scène. » (X.S.)
« Un état de légèreté, de lumière intense, mais agréable, la sensation d’appartenir à tout ce qui m’entourait, de fusion avec tout ce que je perçois. Je fais partie d’un tout. » (J-M.M.)
« Plutôt comme une connaissance immédiate, une prise de conscience, c’est le rapport observateur/chose observée qui change, il n’y avait pas cette distinction habituelle intérieur/extérieur. » (D.D.)
« On est spectateur et en même temps, on est en fusion puisque l’on ressent instantanément toutes les émotions. » (C.P.)
« C’est incroyable. J’étais moi et j’étais tout le monde, j’étais dans le présent, dans le passé, dans le futur, j’étais… enfin, c’est une sensation absolument incroyable, un bonheur inouï. Quelque chose qu’on ne peut jamais atteindre sur Terre. C’est pas possible. Un état de plénitude incroyable, incroyable. » (M.-P.S.)
« Il y a eu une forêt… J’ai d’abord eu une vue panoramique de la forêt, puis ensuite cette impression d’“entrer” dans le détail des arbres, jusqu’à la cellule, cette impression d’arriver à l’intimité de l’arbre. C’est plus que visuel, c’est une impression de… personnification. Ça ne s’est pas passé que pour les arbres, mais aussi pour les rochers, pour une simple vitrine de magasin. C’est assez curieux, c’est une impression de comprendre la matière, l’impression d’être les deux à la fois, moi-même et l’arbre, les rochers… Par exemple, quand j’étais l’arbre, j’avais la notion qu’autour de moi il y avait des espèces hostiles. Le problème, sur le moment, c’est qu’il y a une espèce de consensus, on a une espèce de connaissance totale. Tout semble évident, donc il est difficile d’être curieux… mais c’est ce qu’on en rapporte… il faudrait pouvoir tout noter, mais il est impossible de tout ramener !
Je me suis trouvé dans une grotte. Elle n’était pas éclairée, pourtant tout était clair, parfaitement clair sans aucune lumière… C’était la grotte des Trois Frères, je l’ai su après. Ça s’est passé de la même façon que pour les arbres ou les rochers : les peintures, les symboles qui étaient sur les parois et leur signification étaient évidents pour moi, ils faisaient partie de moi. En fait, il y a à la fois le fait d’observer quelque chose, de le sentir, et de l’utiliser… Vous venez de découvrir un signe, en même temps vous en comprenez immédiatement la signification, comme si vous le reconnaissiez, et en même temps vous avez la conscience de l’avoir utilisé. Plusieurs années après – le sujet ne m’avait jamais intéressé avant de vivre cette expérience – je suis allé à une conférence où une spécialiste devait parler de la symbolique des peintures rupestres. Je suis resté pour discuter avec elle après sa conférence, elle m’a demandé sur quel chantier je travaillais ! Comment lui expliquer que je n’avais jamais mis les pieds dans une grotte, ni lu le moindre livre là-dessus ? » (A.S.)
Essayant d’analyser ses perceptions lors de l’expérience, ce dernier témoin décrit parfaitement une perception globale, résultant d’une synthèse entre vision, ressentir et identification. Il utilise pratiquement les mêmes termes que X.S. :
« (…) On perçoit et entend tout ce qui se passe très clairement, mais pas dans le corps. Ce n’est pas lui qui perçoit, c’est très différent. Les impressions sont plutôt d’ordre visuel, mais je ne suis pas capable de dire comment on perçoit, ce ne sont pas les sens habituels, y compris la vue, je ne peux dire si c’était la vue ou autre chose. Comme si on voyait à la fois devant et derrière soi, à travers les objets, une vue holographique. Il n’y a pas de cloisonnement entre les sens. On est à la fois soi-même et ce qu’on observe. Il y a à la fois la vue et le ressenti, une espèce de contact, de perception intime de la chose qu’on observe. » (A.S.)
Interaction ?
Les sensations que décrivent ces premiers extraits peuvent nous aider à résoudre un problème de taille. En effet, comme nous l’avons vu dans un précédent chapitre, dans l’état actuel de nos connaissances toute perception suppose une interaction physique. Et dans le cadre du modèle géométrique qui nous sert de fil conducteur cette interaction devrait se produire à l’extérieur de notre univers.
À quatre-vingt-dix degrés de lui, très probablement…
La dimension spatiale (pour l’instant, restons simples…) supplémentaire qui nous sert de cadre est un artifice qui n’a pour l’instant d’existence que dans mon imagination, même si un nombre croissant de physiciens et cosmologistes sont à la recherche, précisément, de celles qui permettraient de comprendre la structure de notre univers et de la matière qui le compose4. Ils y mettent les moyens, et le plus simple, pour commencer, est de chercher une fuite. Il semble que si le moindre photon, la moindre énergie acoustique ou le moindre quoi-que-ce-soit5 pouvaient s’échapper de notre univers pour se perdre dans l’une de ces dimensions, ils l’auraient mis en évidence et mesuré depuis longtemps. Le champagne aurait coulé à flots et la face du monde en serait d’ores et déjà changée.
Pourtant, me direz-vous, rien ne s’échappe de la page qui est le monde de Dédé. Les photons composant notre lumière ambiante sont plus ou moins absorbés par l’encre et réfléchis par le papier, nous permettant de voir son univers quand ils atteignent notre rétine. Nous pourrions envisager, par analogie, une sorte d’hyperlumière composée d’hyperphotons, indétectables pour nous, issus de cette dimension et rebondissant plus ou moins sur les objets de notre monde, permettant à un hyperœil pentadimensionnel doté bien entendu d’une hyper-rétine hypersphérique, sans oublier un hypercerveau6 et tout le reste, d’avoir une vue sur nos affaires courantes.
Pourquoi pas ? C’est juste un peu compliqué et tiré par les cheveux, mais il y a peut-être plus simple, sinon sur le plan pratique, du moins sur un plan conceptuel.
Retournons à Dédé, au moment où il perçoit son univers depuis un point extérieur :
Il vit dans un plan, sa rétine n’a pas plus d’épaisseur que cette parenthèse (et ne possède donc qu’une dimension). Le schéma ci-dessus montre son champ visuel, tout à fait adapté à son (ultra) plat pays.
N’oublions pas qu’il ne peut ni lever ni abaisser les yeux : s’il avait la possibilité de « sortir » physiquement de son univers, il ne verrait de ce dernier qu’une coupe linéaire située dans le même plan que lui. Cette coupe serait de plus totalement arbitraire, ne dépendant que de sa position et de l’angle qu’il ferait avec son univers d’origine.
Pour « voir » ce dernier plus ou moins de la même façon que nous, il serait obligé (comme le fait un scanner) de balayer ce qu’il regarde soit en avançant, soit en tournant sur lui-même :
Voici, toujours en ajoutant une certaine épaisseur pour nous permettre d’y voir quelque chose, quelques échantillons de ce qu’il verrait7 en balayant le QU©i du regard :
Ses aires visuelles ne peuvent traiter que des images monodimensionnelles, et pour reconstruire une vision claire à partir de ces coupes multiples, il serait obligé de faire appel à sa mémoire pour les « recoller » ensemble. Mais y comprendrait-il quelque chose pour autant ? De même, si nos témoins disposaient lors de leur expérience de leur vision physique habituelle, ils ne verraient de notre monde que des coupes bidimensionnelles arbitraires et probablement totalement incompréhensibles.
Or aucun témoignage ne fait état de telles perceptions.
Dans l’analogie que j’ai utilisée jusqu’à présent, nous supposons implicitement que lors de sa décorporation Dédé dispose d’une capacité visuelle similaire à la nôtre8 : ce sont évidemment vos yeux et surtout le cerveau qui est derrière qui perçoivent pour lui. Mais contrairement à lui, vous êtes un être habitué à trois dimensions d’espace, et la compréhension de cette vue d’un monde bidimensionnel depuis une certaine distance ne vous pose aucun problème.
Le lecteur attentif aura donc certainement jugé cette analogie simpliste, puisqu’elle a pour l’instant éludé un problème de taille : même si Dédé, qui ne peut concevoir que deux dimensions (plus le temps) percevait son monde comme nous le voyons, qu’en pourrait-il comprendre ? Car, en fait, l’aspect d’un objet quelconque vu depuis un point extérieur à l’univers auquel il appartient :
n’a manifestement aucun rapport avec les multiples vues que l’on peut en avoir depuis cet univers, dont voici un exemple :
Mais nous avons vu, en analysant en détail les modes perceptifs lors de l’expérience, que la notion de vision est clairement métaphorique plus que réelle. Il s’agit lors d’une EMI d’une perception ou d’une prise de conscience (awareness) d’informations apparemment beaucoup plus globale. Même en n’en considérant que l’aspect purement visuel, ce dernier comprend une multitude de points de vue incluant les faces cachées et parfois une vue de l’intérieur des choses.
Représentation mentale
Revenons à Dédé. L’information qu’il perçoit ne concerne certes que son univers, donc rien qu’il ne puisse comprendre. Le problème qui subsiste donc est le suivant : comment peut-il avoir – comme vous et moi – clairement conscience d’une information globale (QU©i) alors qu’il est habitué à ne voir que ce qui lui fait face (- - - -) ?
Pour répondre à cette question capitale, la notion de représentation mentale – ou interne – que nous avons très superficiellement abordée à la fin du chapitre consacré aux perceptions va s’avérer particulièrement utile.
Rappelez-vous l’énigmatique monument construit par le duc de Trémince. Les amateurs géomètres et arpenteurs font le tour de chaque lettre, mesurant angles et distances et les reportant sur leurs calepins filiformes. Certains taillent des miniatures de chaque caractère qu’ils peuvent manipuler à leur guise.
Si aucun ne peut voir le monument autrement qu’en en faisant le tour de toutes les façons possibles, à partir de ces différentes vues tous en construisent et affinent progressivement une image mentale bidimensionnelle qui en comprend tous les reliefs et toutes les caractéristiques. Au bout du compte, ils s’élaborent une représentation interne globale aussi proche que possible de la réalité.
Ils ne peuvent bien entendu se représenter que ce qui leur est accessible, et il subsiste des zones d’incertitude pour lesquelles manque une information suffisante. L’intérieur des lettres fermées est donc imprécis, ainsi que l’épaisseur des « murs ». Néanmoins les contours sont parfaitement nets, puisqu’ils disposent de toute l’information possible à leur sujet. Voici donc à quoi ressemble cette représentation mentale, pour un être comme Dédé :
Cela vous rappelle-t-il quelque chose ? Dédé vit dans un monde à deux dimensions d’espace, et bien qu’il ne puisse en voir que des projections monodimensionnelles successives, la représentation interne qu’il a de tout ce qu’il en connaît est bidimensionnelle et correspond à la réalité, au moins pour ce qui est accessible à ses sens. Sur un plan purement visuel, le cerveau de Dédé ne peut comprendre que des images monodimensionnelles. Si cette représentation n’est donc pas à proprement parler visuelle, il peut parfaitement l’explorer mentalement, faire le tour de chaque lettre, la voir virtuellement de l’intérieur ou de l’extérieur, exactement de la même façon que vous pouvez imaginer explorer le lieu où vous vivez et en voir n’importe quel détail sous un angle quelconque.
Lors de son EMI, Dédé a apparemment eu accès à une information globale tout à fait comparable à la représentation mentale qu’il peut avoir de son monde.
La différence est que cette information était complète, lui permettant d’apprendre ce qu’il y avait à l’intérieur des lettres fermées, ainsi que la composition (la couleur) de l’intérieur des murs :
« J’ai eu envie d’aller contre le mur, je ne sais pourquoi, et je me suis rendu compte que le mur ne me résistait pas et que je l’ai traversé. Il n’y avait ni trou ni fente, c’est la matière que j’ai traversée : la brique rouge, la pierre de Garonne et le ciment avec ses petits points brillants, les grains de mica. » (J.M.)
Il en va de même pour nous. Quelle représentation avez-vous d’un dé à jouer ? Vous ne pourrez jamais en voir plus de trois faces simultanément, mais la conscience que vous en avez est beaucoup plus qu’une compilation de vues sous différents angles. Plus que tridimensionnelle, elle est celle du dé dans son ensemble : sa taille, son poids, sa consistance, les points qui sont peints ou en relief, sa forme que vous avez pu aussi appréhender en le faisant tourner entre vos doigts, le bruit qu’il fait en roulant, les jeux dans lesquels il est utilisé.
Nos représentations internes sont globales, construites en temps normal à partir de différentes perceptions qui apportent chacune une partie de l’information.
Imaginez encore un objet quelconque, sans pour l’instant chercher à le voir, par exemple une cocotte-minute. Vous ne le saviez pas, mais elle se trouve en totalité dans votre cerveau : vous avez conscience de sa forme, de son poids, du froid du métal, du fait qu’elle est creuse, de la présence d’un couvercle, de poignées, de joints et de soupapes, vous êtes conscient aussi de l’utilisation que l’on peut en faire, de son sifflement quand elle est chauffée.
Le point important est que vous êtes parfaitement capable d’en être conscient comme d’un tout et non comme une juxtaposition d’informations disparates.
Comme il s’agit d’une représentation aussi proche que possible de la réalité, vous pouvez l’explorer mentalement et la voir sous l’angle que vous désirez, vous pouvez l’imaginer vue de l’intérieur, de dessus ou de dessous, la faire tourner, etc. Dans ce cas, vous analyserez la représentation que vous en avez avec votre sens visuel. Mais si vous la soupesez ou la touchez virtuellement pour sentir le grain du métal ou la température, vous l’explorez avec le toucher, si vous imaginez le bruit qu’elle fait c’est votre sens auditif qui en analyse votre représentation interne.
Un chirurgien dispose d’une représentation anatomique et fonctionnelle en quatre dimensions du corps humain, un mécanicien pourra avoir la même connaissance tout ce qui compose un moteur ou une boîte de vitesses. Quatre dimensions, parce que le temps fait partie de cette représentation : un cœur bat, les poumons respirent, l’estomac se contracte, l’arbre à cames tourne, les pistons ont un mouvement alternatif, la cocotte met un certain temps à chauffer.
Ce concept global est très bien décrit dans l’extrait suivant :
« Imaginez un observateur qui observe un signe comme s’il venait de le découvrir, mais qui en même temps en comprend la signification, immédiatement, et a simultanément la conscience de l’avoir utilisé… Ce qui donne cette impression, en fait… c’est qu’on ne sait pas à quel niveau du temps ou de l’espace ça se situe. Par exemple, vous n’avez jamais vu d’avion. On vous emmène à un meeting aérien, vous découvrez ce que c’est pour la première fois. Mais si un jour dans votre vie vous avez piloté un de ces trucs-là, vous en avez une autre connaissance, non seulement vous savez parfaitement ce qu’est un avion, mais vous avez aussi la réminiscence de toutes les sensations que procure son pilotage. Eh bien là c’est pareil ! » (A.S.)
Vous ne pouvez voir que la moitié de la pièce dans laquelle vous vous trouvez, mais sans bouger de votre place vous pouvez parfaitement être conscient de l’ensemble de votre appartement, vous y promener mentalement et voir n’importe quelle pièce sous l’angle que vous désirez : notre conscience est habituée à situer ses perceptions dans le cadre de cette représentation interne du monde qui nous entoure. Un aveugle se déplacera sans hésitation dans un lieu connu, en évitant des obstacles fixes que pourtant il ne peut voir. S’il s’en sort aussi bien que nous qui avons l’habitude de naviguer à vue, c’est parce que sa représentation mentale est un reflet parfait de la réalité, pour autant que celle-ci n’ait pas été modifiée à son insu.
Tout cela dépasse donc largement la notion de vision : cette représentation est globale et non uniquement visuelle, et ne provient pas d’un point de vue préférentiel.
Notre monde interne n’est pas un monde d’images successives, mais un reflet global du monde réel. Si l’on y réfléchit un peu, certaines caractéristiques des EMI comme la vision « depuis partout » ne sont d’ailleurs étranges que parce que nous sommes habitués à voir depuis un point précis de l’espace. Le problème ne se pose pas pour un aveugle, qui « regarde » un objet avec ses doigts. Ce faisant, il peut en explorer et donc en « voir » simultanément des faces opposées, ce qui active et alimente une représentation mentale globale, sans point de vue préférentiel.
Or ce que nos témoins perçoivent lors de la phase « hors du corps » concerne des scènes ou des objets de notre monde à 3+1 dimensions, rien de plus. La plupart le disent, ils n’ont pas réellement vu, mais bien acquis de l’information, et ce d’une manière tout à fait compréhensible pour eux car ressemblant furieusement à leurs représentations internes, habituellement construites à partir de multiples perceptions.
Il est donc clair que notre conscience et – quand il analyse le souvenir de l’expérience – notre système perceptif ont les moyens de concevoir et de comprendre une perception globale sans pour autant se livrer à des contorsions inhabituelles.
Les seules différences, certes d’importance, sont que lors d’une EMI cette information ne semble pas acquise progressivement mais globalement, sans le secours d’organes sensoriels, et surtout quelle apporte des éléments supplémentaires tout à fait réels et objectifs, vérifiables mais théoriquement impossibles à connaître au vu des circonstances.
Demain on informe gratis !
Il est donc clair que quand nous parlons de perceptions il s’agit avant tout d’une acquisition d’informations. Or, entre la magnifique organisation des mots qui composent cette page (sans parler des choses tout à fait farfelues qu’ils véhiculent…) et une tache noire biscornue présentant la même surface d’encre, il n’y a, pour un capteur optique, pas le moindre picojoule de différence dans la quantité d’énergie émise ou reflétée. Pour un lecteur ne comprenant que l’albanais, l’information acquise par sa lecture sera tout simplement nulle. Nous pourrions par conséquent envisager que le transport de l’information soit gratuit, qu’il y ait ou non quelqu’un pour l’utiliser. Il est gratuit car rien n’est transporté, l’information n’étant pas une chose mais restant une simple potentialité jusqu’à ce qu’un décodage et une analyse l’extraient de ce qui était un magma informe.
Ces notions9 peuvent être utiles pour une réflexion philosophique, mais je me suis engagé à respecter les sources dont je dispose, et à éviter toute spéculation superflue.
Voir ou être ?
« Nous devons accepter l’idée que l’on ne peut pas toujours concevoir le monde comme formé de sous-systèmes séparés, aux propriétés physiques définies localement et qui ne s’influenceraient pas lorsque les sous-systèmes sont séparés au sens relativiste. Il nous faut renoncer à la vision dite « réaliste locale » du monde que défendait Einstein10 ».
Si donc nous nous en tenons strictement à ce que déclarent les témoins, les notions de fusion ou d’identification sont les seules dont nous disposions pour essayer de comprendre ce qui peut se passer.
En temps normal, vous êtes vous-même (enfin, j’espère !). Vous n’avez donc aucun besoin de vous envoyer des photons ou des ondes sonores à travers l’espace pour tout savoir (ou presque) sur votre personne.
Si, comme un certain nombre l’ont remarqué, il est possible pour leur « je » d’« être » de près ou de loin ce qui les intéresse, les témoins n’ont eu besoin d’aucun artefact pentadimensionnel et hyperspatial compliqué pour percevoir ce qu’ils disent avoir vu. Ils n’ont rien vu, ils disent avoir été, au moins dans une certaine mesure. Ce qui n’empêche pas l’information acquise par ce moyen d’être interprétée au retour, par un cerveau qui fait ce qu’il peut avec les moyens du bord pour classer tout cela et le rendre intelligible, comme l’exploration en termes visuels, sémantiques ou même émotionnels d’une représentation interne mise au jour.
Cette faculté de perception/identification est manifestement variable et semble présenter les mêmes caractéristiques qu’un regard : de même que ce dernier peut se focaliser sur un détail ou voir l’ensemble de ce qui se trouve dans son champ visuel, ce regard/identification peut « regarder/être » à tous les niveaux de focalisation. Le fait de « voir/être/sentir », comme le décrit X.S., peut s’appliquer à l’ensemble de l’environnement aussi bien qu’au moindre détail, ce qui, en termes visuels, se traduira par l’impression de voir de loin ou de près, avec pour résultat manifeste les effets de perspective que nous avons décryptés.
États d’âme…
Un objet n’a pas d’états d’âme. Sa perception correspondra donc essentiellement à sa structure physique. Mais nous avons vu que la représentation mentale que nous avons de ce qui nous entoure est globale. Quand il s’agit d’un être humain, nous avons conscience de son comportement habituel, de ce que nous savons de son caractère, et de ce que nous pouvons supposer de son état psychologique et émotionnel. Tout cela peut nous permettre de comprendre que quand il concerne des êtres vivants, ce regard un peu particulier caractéristique des EMI semble permettre bien plus qu’un équivalent de perception visuelle :
« Ce qui est quand même très important, c’est que tout en étant moi – je n’ai jamais perdu la notion d’être moi – c’est comme si mon moi s’était agrandi, agrandi, agrandi… et j’étais en même temps mon mari, je savais tout ce qu’il pensait. C’est au-delà de la télépathie parce que la télépathie c’est finalement la transmission de pensée à pensée, tandis que là j’étais dans le cœur de mon mari, j’étais ses sentiments, j’étais ses émotions, j’étais ses pensées, c’était une communion totale avec lui. J’étais lui et moi en même temps et je le connaissais en temps qu’être humain, en tant qu’essence, et j’étais déçue parce qu’il ne se faisait pas de souci pour moi, il ignorait que mon état de santé s’était aggravé durant l’opération (on a dû me faire une hystérectomie), et qu’une seconde hémorragie s’est déclarée et c’est là que je suis arrivée paraît-il entre 2 et 3 de tension et que mon cœur s’est arrêté de battre. Mais il l’ignorait totalement donc il attendait simplement pour qu’on lui dise bon, tout est fini. » (N.D.) (Phase de décorporation.)
« (…) et là cet enfant était là mais c’était plus un bébé, c’était un jeune homme avec des traits physiques mais resplendissant de lumière et alors je ne comprends pas car il n’y a eu aucun doute, je l’ai reconnu tout de suite et je ne peux pas l’expliquer. Je pense que c’est une reconnaissance d’âme à âme, d’essence à essence et tout de suite aussi c’est une communion totale. J’étais lui et il était moi. » (N.D.) (Phase transcendante.)
« Il était couché sur moi, en moi, et comme je l’aimais, je suis devenue lui, comme si je le transperçais et il n’y avait plus moi, plus lui, juste ça, la lumière !
Je suis partie dans lui, comment dire, je me sentais moi, seule, puis moi dans lui, puis je me sentais être la lumière à travers lui. Il n’y avait plus moi, plus lui, juste la lumière et ma conscience. » (C.I.)
« On est spectateur et en même temps, on est en fusion puisque l’on ressent instantanément toutes les émotions.
Q. – Avez-vous ressenti les émotions du personnel hospitalier, de membres de votre famille ?
Oui, tout à fait. On ressent instantanément les émotions des autres personnes autour de soi. On ressent les émotions de l’autre mais on n’est pas l’autre. Même si ce ressenti est instantané, je reste moi et l’autre reste une personne distincte à part entière. Sur Terre, l’âme est “cachée” par le corps physique. Elle s’exprime par la parole. Vous êtes donc dépendant de ce que vous dit l’autre.
Là, il n’y a plus cette barrière physique, bien que chaque âme reste une entité unique. Donc vous avez un accès direct à l’âme de l’autre. Vous savez instantanément ce qu’elle pense et ressent. Il n’y a plus de mensonge possible, de manipulation ni d’hypocrisie. Tout est beaucoup plus simple. C’est comme si tout le mauvais côté de l’homme disparaissait. » (C.P.)
« Comment dire, on est soi, et en même temps on est la foule des gens, on fait partie de la foule. » (M.M.)
« La pensée me semble être la perception la plus développée, elle est rapide, puissante, parfois partagée, ressentie comme moyen de communication.
On entend les pensées des autres, on communique avec eux complètement, même que parfois les décisions sont communes comme s’il n’y avait qu’une pensée.
L’union totale est quelque chose d’exceptionnel, d’agréable, d’inoubliable, et pas facilement descriptible. C’est se fondre en l’autre, et lui en moi, j’ai du mal à l’expliquer sans entrer dans des métaphores poétiques ou essayer d’idéaliser une relation humaine, alors que ça n’a rien à voir. Je ne sais pas si on sort indemne de cette union, j’ai le sentiment, et surtout la phrase en tête : “Un peu de moi en toi, un peu de toi en moi”. Je ne m’explique pas cette phrase, mais son sens est celui que j’ai ressenti et que je ressens toujours. » (Be.N.)
Mais il ne s’agit pas toujours d’humains. Que diriez-vous de faire une sieste féline ? Voici une déclaration qui pourra, le jour ou nous pourrons reproduire le phénomène à volonté, se révéler le remède ultime au stress :
« Au début de l’expérience, je me suis sentie dans le corps de mon chat, j’avais l’impression d’être lui. » (M.Z.)
Communication ?
Quand ils essaient de décrire le mode de communication « directe » que nous avons découvert plus haut concernant la phase transcendante, un certain nombre de témoins utilisent le mot « télépathie ». Cette notion, mise à toutes les sauces dans la littérature ésotérique et relativement familière dans la science-fiction, est la seule dont dispose notre langage pour décrire une communication ne passant pas par les canaux usuels.
Mais, là encore, s’agit-il vraiment de communication au sens où nous l’entendons habituellement ? Les extraits qui précèdent semblent indiquer que ce concept, dont l’acception populaire sous-entend une communication à distance, pourrait lui aussi être revu et envisagé comme le résultat de cette acquisition globale d’informations interprétée comme une capacité d’identification ou de fusion avec l’autre. La recherche du médiateur ou du mécanisme éventuel d’une transmission d’informations pourrait être superflue, puisque dans l’hypothèse d’une réelle identification il n’y a plus ni distance ni transmission de quoi que ce soit. Il y a encore une fois cette faculté d’« être/sentir » ce que l’on observe, qui expliquerait aussi cette caractéristique répétitive qu’est la perception des émotions et états d’esprit des personnes présentes lors de la décorporation. Remarquons que les expressions utilisées (en particulier le verbe ressentir) concernent généralement une perception intime et interne, ce qui est cohérent avec les notions que nous venons d’analyser :
« Les sentiments des autres dans mon esprit, dans mon ressentir, les sentiments ressentis par les autres suite à mes actions, ça je l’ignorais complètement.
L’union totale avec un autre est pour moi quelque chose de nouveau, inconnu ici.
La pensée d’un autre mêlée à la mienne, c’est un fait inconnu, ici on est seul dans notre esprit. » (Be.N.)
« En réa, il y avait une dame qui était en train de mourir (derrière un mur). Je me demandais pourquoi elle était en train de mourir. J’ai vu les instruments, les gestes des médecins et leur conversation, je pouvais voir à travers les rideaux qui doublaient la cloison vitrée. Cette dame, je ressentais son agonie, sa souffrance. » (J.P.L.)
« Ensuite, la chose qui était vraiment surprenante était que je pouvais “lire” dans les pensées des gens… Autrement dit, je connaissais, ou plutôt j’entendais à l’avance les paroles que les gens qui étaient autour de moi allaient prononcer. Il y a aussi une personne qui est tombée dans les pommes, j’ai senti son malaise à l’avance et su qu’elle allait s’évanouir avant qu’elle ne s’affaisse. Vérification faite auprès du chirurgien, une infirmière s’est bien évanouie lors de mon opération. J’ai senti le malaise de l’infirmière, comme quand on a un malaise vagal, je me suis dit : “La petite, elle ne va pas tarder à tomber”, et elle s’est effondrée, elle est tombée dans les pommes. Elle est tombée sur les genoux puis elle a roulé par terre.
À un autre moment, on a mis dans la main du chirurgien un instrument qui n’était pas le bon, j’ai senti la colère monter en lui avant qu’il ne manifeste quoi que ce soit. Je l’ai senti très nettement avant. » (J.M.)
« J’ai eu l’impression aussi d’une certaine perméabilité à l’égard des émotions des autres, j’ai ressenti la peur de mon père très vivement.
Q. – Quelles sont les vérifications que vous avez pu en faire ?
J’ai pu vérifier auprès de ma sœur et de mon père les impressions de sensations de leurs propres pensées affectives que j’avais pu avoir lors de cette sortie. Le côté extraordinairement introspectif et centré sur elle-même de ma sœur décorant un livre ; la distraction de mon père lisant, puis son inquiétude grandissante… » (M.L.K.)
« Et je ne comprenais rien du tout parce que je me voyais comme ça et je me disais mais qu’est-ce qu’il se passe, et puis un truc très drôle qui m’est arrivé c’est que j’ai vu ce que pensaient mes parents et ma femme… qui après s’est réalisé… enfin s’est concrétisé par rapport à ce que j’avais pu percevoir. Donc, j’ai vu ma femme penser : “J’espère qu’il va y passer.” Et mes parents complètement attristés en essayant de… Ma mère était surveillante générale à l’hôpital donc elle connaissait les histoires et elle voulait absolument faire quelque chose, mon père qui était militaire, lui il voulait que tout le monde fasse…, bon vous imaginez un peu comment ça se passait. J’ai vu les sentiments qu’ils avaient les uns et les autres. Et je n’ai pas voulu le croire après mais la vie m’a donné raison, enfin dans ce que j’avais vu tout, au moins.
Q. – Quand vous dites vu, c’est… ?
Perçu. C’est bizarre parce que je les voyais mais je sentais quelque chose qu’ils pensaient. C’est ce que je ne comprenais pas, parce qu’au niveau des entretiens on voit la personne, on imagine, on projette alors que là, c’était pas ça ; je le voyais… est-ce que c’est “voyais” ? Je sentais. Je voyais physiquement les personnes telles qu’elles étaient et d’autre part, je les déshabillais quoi quelque part, je sentais ce qu’ils pensaient. » (S-D.G.)
« Je ne comprends pas moi-même. Il y avait la porte à côté de moi, mais mon lit tournait le dos à cette porte – l’évier était juste à côté de cette porte – donc derrière moi aussi. Alors que j’étais allongée et inerte, je suppose que j’aurais dû me souvenir de ce mur, seulement, et pas plus. Ainsi que les bavardages du personnel. Mais je me souviens très bien de ce médecin en blouse blanche accablé et à la fois… impuissant, courbé devant cet évier en train de se défaire des gants ensanglantés, et se laver les mains. Ce médecin avait les cheveux bruns. Mais ce dont je me souviens davantage, c’est sa terrible impuissance et son désarroi, comme un profond sentiment d’échec qui émanait de lui, et cette image violente de l’évier rougi par le sang. » (F.E.)
« J’entendais différemment, oui je crois que c’était différent. J’avais l’impression d’être partout à la fois, et même de savoir ce que pensaient les gens. Pas de toucher ni d’olfaction. C’est la perception des choses qui est la plus sensible. C’est à la fois visuel et auditif. Mais c’est quand même différent de la réalité présente.
Je voyais aussi derrière moi, enfin j’avais l’impression que tout était… que je voyais tout. Je faisais partie d’un tout. Tout était très clair, très lumineux et c’est un peu comme si on faisait partie du cosmos et qu’on était partout à la fois. Pratiquement comme si on était Dieu, quoi c’est très difficile à comprendre si on n’a pas vécu la chose parce qu’on a beau avoir fait l’expérience, mais pour la communiquer à quelqu’un d’autre c’est difficile, un peu !
Personnellement, ça ne me serait jamais arrivé j’aurais peut-être dit aussi… c’est des histoires. » (A.L.)
« Mon corps était inconscient mais j’entendais tout ce qui se disait dans la chambre. Ces voix me venaient comme en écho. J’entendais ma mère pleurer en me parlant à l’oreille, me dire qu’elle m’aimait, de revenir… Toutes des choses du genre… Je comprenais sa peine, je savais pourquoi elle était aussi triste, mais ça ne me touchait pas. Je ne ressentais pas ces émotions comme la peur, la tristesse, la souffrance mais je les comprenais. J’en ai reparlé aux gens impliqués et ils étaient très surpris que je sache exactement ce qu’ils m’avaient dit lors de ces moments. Tout comme l’infirmière à qui j’ai nommé ceux et celles qui étaient venus me voir et qui pensait que quelqu’un me l’avait dit… C’est comme si tous mes sens avaient été décuplés. Je pouvais “sentir” les gens, les “deviner” (chose qui m’arrive encore souvent). » (M.Q)
« J’ai senti, plus que je n’ai vu, j’ai eu la sensation de ma mère qui priait très fort. » (M.-H.W.)
La cause et l’effet
Au bout du compte, comment comprendre ces notions de fusion, d’identification, de faire partie d’un tout ? Il est clair maintenant que ce « regard », depuis l’extérieur de notre univers, ne regarde pas simplement comme le ferait un « hyper-œil » pentadimensionnel.
Il est envisageable que la faculté de perception globale que décrivent nos témoins soit susceptible de leur faire appréhender l’objet de leur attention avec une telle profondeur qu’elle puisse parfois se confondre avec le fait d’être ce qui est observé, mais, pour philosopher quelque peu, nous pourrions aussi nous poser la question suivante : peut-on dans une telle éventualité distinguer la cause et l’effet ?
En d’autres termes, cette perception est-elle aussi complète tout simplement parce qu’elle est avant tout une réelle identification : on sait tout sur quelque chose parce qu’on est ce quelque chose…
Ou bien cette impression d’identification est-elle le résultat d’une connaissance profonde et totale de ce qui est observé : on a l’impression d’être quelque chose parce qu’on en sait tout, de manière intime.
L’illusion du « je » ?
Aucun de nos témoins n’est un mystique, et beaucoup sont de parfaits agnostiques ou athées, matérialistes convaincus. Cependant, rejoignant en cela certaines traditions spirituelles, quelques témoignages laissent envisager que la notion d’être des individus séparés, qui se traduit par le fait de pouvoir dire « je », pourrait être une simple illusion. Il est évident que cette impression, qui peut a priori sembler farfelue11, est compréhensible et légitime pour qui a expérimenté le fait d’“être à la fois soi-même et ce que l’on observe” :
« J’ai appris une chose sidérante pour la jeune fille que j’étais, j’ai appris qu’on pouvait avoir des sentiments de compassion, ou de peur et d’anxiété hors de son enveloppe physique, alors que je pensais les “émotions” liées à des questions métaboliques. J’ai conforté aussi une vision de la vie comme un passage d’expérimentation de la communication entre individualités différentes, éléments qui me semblent disparaître complètement après la vie ; la vie m’apparaît aujourd’hui comme un passage pour accroître la conscience. (…) J’ai ressenti très vivement l’impression que je n’étais pas prête, qu’il me fallait vivre davantage avant de partir. J’ai eu une impression de nécessité de complétude personnelle (y compris au sens réalisation d’un destin personnel et amélioration de la conscience du bien et du mal) avant de pouvoir rejoindre la lumière. » (M.L.K.)
« Eux étaient eux, et moi moi, mais cet échange direct donnait une impression de ne faire qu’un (ce qui n’était cependant pas le cas). Une impression aussi d’être réintégré dans l’harmonie universelle. (Ce qui est Un, c’est cette harmonie). » (A.T.)
« J’ai appris que tout est dans tout et que nous faisons partie de ce tout. J’ai perçu une information sur l’existence d’une autre dimension. J’ai appris que je faisais partie d’un tout. Même au niveau atomique. En plongeant dans cette source de vie, j’ai pris conscience que mon âme était connectée à la source de vie et que je n’étais rien sans les autres atomes composant cette source. Tout est dans tout… » (I.H.)
« Je ressentais également les sentiments des autres personnes. Dans le monde ordinaire, on ne sait pas ce que pensent les autres. Pendant l’expérience, on sait instantanément ce que pense l’autre.
On fait partie d’un tout. On est le tout. C’est ce qui ressemble le mieux à ce que l’on ressent. » (C.P.)
« Je n’ai pas de description physique mais c’est une énergie, une conscience capable de voir à 360°, de ressentir une infinité de choses dépassant les sens communément admis par le corps médical, et faisant partie d’un tout.
Je crois aussi que je faisais partie de cet univers parce que justement pendant qu’ils m’enseignaient, à un moment j’ai fusionné dans la lumière, et j’étais vraiment dans tout ce… cet amour, cette joie, et sans le vouloir, je me suis à nouveau retrouvée sur le parvis, avec ces deux êtres qui étaient devant moi. À nouveau ils m’ont parlé de beaucoup de choses, enseigné, c’était, je savais tout, je savais, je savais que je savais tout ; c’était direct c’était même pas un enseignement, c’était direct, une fusion.
Oui, c’était très beau, parce que de la même manière que je me suis sentie fondre dans la lumière, fusionner avec elle j’étais fondue et je fusionnais aussi avec ces êtres de lumière quand… quand on communiquait, c’était vraiment, je fondais en eux ; c’était pas vraiment un contact, c’était vraiment autre chose (rire). Il n’y a plus d’individualité. On n’est pas un individu en face de deux autres individus, ou de mille autres, peu importe.
Il y a… On est un, voilà, c’est ça, on est un, on est tous de la… c’est la même source qui est là, et cette source c’est la lumière, c’est les êtres de lumière ; à ce moment-là comme on est lumière, on fait tous partie du même océan de lumière. Tout ce que j’ai pu apprendre là-bas, ça m’a été justement dans cette fusion, ça m’a été appris pendant cette fusion. » (C.N.)
« La lumière m’a donné l’impression d’un espace confondant où l’individu disparaissait pour se fondre à un ensemble… » (M.L.K.)
Récréation : Il est indispensable de s’amuser avec les choses sérieuses, sinon elles deviennent vite extrêmement ennuyeuses. Dans un accès de mégalomanie ludique, je me suis donc pris pour Dieu… enfin, ce que Dédé et ses copains appellent comme ça.
Voici donc le Bout des Doigts (tridimensionnels) du Grand Tout sur la surface (bidimensionnelle) de la vitre d’un scanner.
Après tout, pourquoi ne serions-nous pas nous-mêmes le bout des tentacules d’un sacréboudiou12 ? Ce qui permettrait incidemment de résoudre la question métaphysique de l’injustice : le fait de se gratter le derrière ou de se donner un coup de marteau en essayant de planter un clou ne signifie pas que l’on en veuille particulièrement au doigt concerné…
Une hypothèse fromagère
Nous avons maintenant suffisamment d’éléments pour nous permettre d’oser une synthèse très simple, qui ne prétend pas « expliquer », mais simplement illustrer ce que pourrait être une EMI dans le cadre que nous explorons.
Vous regardez un documentaire ou un film absolument passionnant sur votre télé, et rien ne peut vous en distraire. Puis c’est la panne. Rien ne vous empêche de continuer à regarder l’écran noir en attendant que le son et l’image reviennent, mais vous pouvez aussi profiter de cette « interruption momentanée des programmes » pour vous lever, vous étirer, aller faire un tour dehors, vous servir à boire, mettre le couvert, aller soulager un besoin naturel, consulter votre courrier, donner des croquettes au chat, passer un coup de téléphone, toutes choses qui n’ont rien à voir avec le programme que vous suiviez il y a quelques instants, qui, aussi intéressant qu’il soit, n’a qu’une importance relative dans l’ensemble de votre vie.
Allons donc un peu plus loin et envisageons qu’en temps normal, tout se passe comme si ce que nous pouvons essayer de concevoir comme une « conscience »13 pure, probablement non individuelle au sens où nous l’entendons, puisse être parfaitement et totalement identifiée à nous par l’intermédiaire de notre cerveau, percevant donc toutes les nuances de son fonctionnement, ses émotions, les variations de son état d’éveil, ses perceptions sensorielles, ses pensées, etc. Tout cela est apparemment extrêmement intéressant, voire fascinant, cette identification ne semblant pas souffrir de distraction tout au long de notre vie.
Cependant, si pour une raison ou une autre l’état fonctionnel de notre matière grise est suffisamment perturbé – ce qui se traduit, comme nous l’avons vu, par un état d’inconscience manifeste pour tout observateur extérieur – cette « conscience » se retrouve subitement « identifiée » à un objet inerte présentant à peu près le même intérêt que le même poids de fromage blanc.
Ce qui n’est pas particulièrement passionnant.
Il serait alors compréhensible qu’elle cesse d’« être » ce cerveau et recouvre une certaine liberté dans ce qui semble être son milieu naturel, vivant alors ce que nous appelons une EMI.
Le « retour » de l’expérience se produit tout simplement quand la panne prend fin et que le fromage blanc, à nouveau fonctionnel, redevient digne d’intérêt.
La transcendance n’est peut-être qu’une question de point de vue
Remarquons une fois de plus que ces notions, qui ont jusqu’à présent relevé de la métaphysique plus que de la science, sont tout à fait cohérentes avec celle de non-localité qui découle de la perception depuis une dimension supplémentaire, et en résultent même de façon logique.
Tant que nous vivons dans notre univers habituel et rassurant, nous sommes évidemment des individus, par définition séparés. Mais si, d’une manière ou d’une autre, nous avons la possibilité d’« exister » et de percevoir notre monde depuis une distance quelconque dans une direction qui lui est perpendiculaire, nous ne sommes plus localisés où que ce soit dans cet univers. Nous pouvons cependant focaliser plus ou moins notre intérêt ou notre attention sur ce qui s’y trouve.
Dans cette hypothèse, le regard/identification que nous pourrons porter sur lui doit logiquement nous permettre d’« être » tout ce que nous en observons, y compris apparemment l’univers entier. De fait, si nous en sommes suffisamment « loin », nous ne sommes plus identifiés à quoi que ce soit d’exclusif qui lui appartienne. Remarquons que dans cette éventualité la « taille » de notre ego doit être inversement proportionnelle à cette même distance ! Et si, comme cela semble être le cas lors d’une EMI, nous conservons néanmoins une notion d’identité, cela se traduira par le fait de nous percevoir comme une simple partie de ce tout.
Vous devez bien avoir un vieil album de Tintin sur une étagère. Ouvrez-le donc et lisez-en quelques pages.
Le héros, le fil conducteur en est bien entendu l’indestructible journaliste. Inconsciemment, quand vous lisez ses aventures, c’est à lui que vous vous identifiez, du début à la fin. L’histoire se passe de son point de vue, et il est normal que ce soit celui que vous adoptiez : ce sont les aventures de Tintin, pas celles du capitaine Haddock, de la Castafiore ou du général Tapioca. Ces derniers font partie de l’histoire à certains moments, ils évoluent autour du personnage principal, mais à aucun moment vous n’allez lire l’épisode de leur point de vue, ni donc vous identifier à l’un d’entre eux.
Mais il peut arriver que Tintin se fasse assommer ou soit retenu prisonnier pendant plusieurs pages. Il disparaît alors, mais l’histoire continue. À ce moment-là, votre attention n’est plus focalisée sur lui et sur ce qui lui arrive, et faute de mieux vous pouvez vous intéresser un peu plus au décor ou aux personnages secondaires, tout en gardant à l’esprit que ce sont toujours les aventures de Tintin, qu’il est toujours quelque part, et que ce qui se passe le concerne d’une façon ou d’une autre…
En résumé, et bien entendu à la condition de bien vouloir écouter ce que les principaux intéressés ont à dire, ces notions permettent une certaine compréhension de la perception lors d’une EMI, même si nous sommes loin d’avoir la clé de l’énigme. Nous avons le besoin et l’habitude de classer, de répertorier les faits, nous aimons bien les tiroirs avec des étiquettes précises et tout cela est évidemment dérangeant pour un esprit se voulant rationnel. Mais si nous nous en tenions à la raison et au bon sens, nous en serions probablement encore à habiter dans les cocotiers (ce qui est une option tout à fait honorable, et pas obligatoirement la plus désagréable…) pour quelques centaines de milliers d’années.
Et puis l’hypothèse de départ de ce livre n’est-elle pas de supposer que ce que disent les témoins est le reflet d’une réalité ? Nous sommes donc obligés de les suivre jusqu’au bout, même si cela nous donne le vertige. Autant nous habituer tout de suite, car ce n’est pas terminé.
Cela va même s’aggraver quelque peu14.
1- Globalement inoffensive, tome V du Guide galactique (Denoël, 1994).
2- Si ce n’était pas le cas, vos nerfs optiques auraient le diamètre de votre pouce, et vos aires visuelles occipitales la taille d’un ballon de hand-ball.
3- Un déplacement « réel » du point de perception se traduit par exemple par l’impression, vue au chapitre précédent, du plafond qui semble reculer.
4- Les physiciens comptent beaucoup sur le LHC qui, dans quelques années (et quelques milliards d’euros) permettra peut-être de les mettre enfin en évidence.
5- Ce quoi-que-ce-soit pourrait être la gravitation, qui est de plusieurs ordres de grandeur plus faible que toutes les autres interactions mises en évidence à ce jour. Certaines théories expliquent cet état de fait en supposant que seule une très faible partie de cette force est confinée dans notre univers, le reste se perdant, précisément, dans une dimension supplémentaire. Des expériences en cours essaient de mettre ce phénomène en évidence.
6- Tout cela étant disponible en location pour la durée de l’EMI…
7- Remarquons au passage un effet intéressant : le fait qu’il possède deux yeux lui permet de percevoir en deux dimensions, son système nerveux composant deux images légèrement différentes pour reconstruire la profondeur. Mais dès lors qu’il se trouve à l’extérieur de son univers, ce qu’il verra sera totalement dépourvu de cette dernière. Vu d’en haut, son univers se révèle totalement plat.
8- Parallèlement, nos témoins devraient donc disposer des capacités d’un être possédant une dimension de plus…
9- Qui peuvent être résumées par la célèbre question (sans réponse) « quel bruit fait un arbre qui tombe s’il n’y a personne pour l’entendre ? »…
10- Alain Aspect et Philippe Grangier, Des intuitions d’Einstein aux bits quantiques (Pour la Science no 326, décembre 2004). Alain Aspect a réalisé en 1982 l’expérience fondamentale, largement confirmée depuis, qui a montré en violant les inégalités de Bell, que le « réel » n’est pas toujours local. Mais il ne s’agit ici, je le répète, que d’un parallèle et non d’une justification. Nous ne sommes pas des photons, et, malgré tout son talent, Alain Aspect n’a pas encore trouvé le super-cristal non linéaire qui transformerait une belle-mère de soixante-dix ans en deux jumelles parfaites de trente-cinq ans qui sortiraient nonchalamment du laboratoire par des portes opposées en ondulant des hanches…
11- Les gourous new-âgeux y ont d’ailleurs trouvé un marché très porteur…
12- Selon Douglas Adams (Le Guide galactique, tome I, p. 49, Denoël), le sacréboudiou est une ombre vague super-intelligente et de couleur bleue. Voir aussi (avec un moteur de recherche) Le Monstre en spaghetti volant ou La Licorne rose invisible…
13- J’ai bien pensé utiliser le mot « essence », mais au prix où elle est…
14- Si vous éprouvez le besoin très compréhensible de vous aérer les neurones avant de poursuivre, lisez donc les cinq tomes du Guide galactique avec lequel je vous bassine depuis quelques chapitres.