Nous avions rencontré deux axes, de signifiance et de subjectivation. C’étaient deux sémiotiques très différentes, ou même deux strates. Mais la signifiance ne va pas sans un mur blanc sur lequel elle inscrit ses signes et ses redondances. La subjectivation ne va pas sans un trou noir où elle loge sa conscience, sa passion, ses redondances. Comme il n’y a que des sémiotiques mixtes, ou que les strates vont au moins par deux, on ne doit pas s’étonner du montage d’un dispositif très spécial à leur croisement. C’est pourtant curieux, un visage : système mur blanc-trou noir. Large visage aux joues blanches, visage de craie percé des yeux comme trou noir. Tête de clown, clown blanc, pierrot lunaire, ange de la mort, saint suaire. Le visage n’est pas une enveloppe extérieure à celui qui parle, qui pense ou qui ressent. La forme du signifiant dans le langage, ses unités mêmes resteraient indéterminées si l’auditeur éventuel ne guidait ses choix sur le visage de celui qui parle (« tiens, il a l’air en colère... », « il n’a pas pu dire cela... », « tu vois mon visage quand je te cause... », « regarde-moi bien... »). Un enfant, une femme, une mère de famille, un homme, un père, un chef, un instituteur, un policier ne parlent pas une langue en général, mais une langue dont les traits signifiants sont indexés sur des traits de visagéité spécifiques. Les visages ne sont pas d’abord individuels, ils définissent des zones de fréquence ou de probabilité, délimitent un champ qui neutralise d’avance les expressions et connexions rebelles aux significations conformes. De même la forme de la subjectivité, conscience ou passion, resterait absolument vide si les visages ne formaient des lieux de résonance qui sélectionnent le réel mental ou senti, le rendant d’avance conforme à une réalité dominante. Le visage est lui-même redondance. Et il fait lui-même redondance avec les redondances de signifiance ou de fréquence, comme avec celles de résonance ou de subjectivité. Le visage construit le mur dont le signifiant a besoin pour rebondir, il constitue le mur du signifiant, le cadre ou l’écran. Le visage creuse le trou dont la subjectivation a besoin pour percer, il constitue le trou noir de la subjectivité comme conscience ou passion, la caméra, le troisième œil.
Ou bien faut-il dire les choses autrement ? Ce n’est pas exactement le visage qui constitue le mur du signifiant, ni le trou de la subjectivité. Le visage, du moins le visage concret, commencerait à se dessiner vaguement sur le mur blanc. Il commencerait à apparaître vaguement dans le trou noir. Le gros plan de visage au cinéma a comme deux pôles, faire que le visage réfléchisse la lumière, ou au contraire en accuser les ombres jusqu’à le plonger « dans une impitoyable obscurité1 ». Un psychologue disait que le visage est un percept visuel qui se cristallise à partir « des diverses variétés de luminosités vagues, sans forme ni dimension ». Suggestive blancheur, trou capturant, visage. Le trou noir sans dimension, le mur blanc sans forme seraient déjà d’abord là. Et dans ce système, beaucoup de combinaisons seraient déjà possibles : ou bien des trous noirs se répartissent sur le mur blanc ; ou bien le mur blanc s’effile et va vers un trou noir qui les réunit tous, les précipite ou les « accrête ». Tantôt des visages apparaîtraient sur le mur, avec leurs trous ; tantôt ils apparaîtraient dans le trou, avec leur mur linéarisé, enroulé. Conte de terreur, mais le visage est un conte de terreur. Il est certain que le signifiant ne construit pas tout seul le mur qui lui est nécessaire ; il est certain que la subjectivité ne creuse pas toute seule son trou. Mais ce ne sont pas non plus les visages concrets qu’on pourrait se donner tout faits. Les visages concrets naissent d’une machine abstraite de visagéité, qui va les produire en même temps qu’elle donne au signifiant son mur blanc, à la subjectivité son trou noir. Le système trou noir-mur blanc ne serait donc pas déjà un visage, il serait la machine abstraite qui en produit, d’après les combinaisons déformables de ses rouages. Ne nous attendons pas à ce que la machine abstraite ressemble à ce qu’elle produit, à ce qu’elle va produire.
La machine abstraite surgit quand on ne l’attend pas, au détour d’un endormissement, d’un état crépusculaire, d’une hallucination, d’une expérience de physique amusante... La nouvelle de Kafka, Blumfeld : le célibataire rentre chez lui le soir, et trouve deux petites balles de ping-pong qui sautent d’elles-mêmes sur le « mur » du plancher, rebondissent partout, essaient même de l’atteindre au visage, et semblent contenir d’autres balles électriques encore plus petites. Blumfeld réussit finalement à les enfermer dans le trou noir d’un cagibi. La scène se poursuit le lendemain quand Blumfeld essaie de donner les balles à un petit garçon débile et à deux petites filles grimaçantes, puis au bureau, où il retrouve ses deux stagiaires grimaçants et débiles qui veulent s’emparer d’un balai. Dans un admirable ballet de Debussy et Nijinsky, une petite balle de tennis vient rebondir sur la scène au crépuscule ; une autre balle surgira de même à la fin. Entre les deux, cette fois, deux jeunes filles et un garçon qui les observe développent leurs traits passionnels de danse et de visage sous des luminosités vagues (curiosité, dépit, ironie, extase...2). Il n’y a rien à expliquer, rien à interpréter. Pure machine abstraite d’état crépusculaire. Mur blanc-trou noir ? Mais, d’après les combinaisons, ce peut être aussi bien le mur qui est noir, le trou qui est blanc. Les balles peuvent rebondir sur un mur, ou filer dans un trou. Elles peuvent même dans leur impact avoir un rôle relatif de trou par rapport au mur, comme dans leur parcours effilé avoir un rôle relatif de mur par rapport au trou vers lequel elles se dirigent. Elles circulent dans le système mur blanc-trou noir. Rien ne ressemble ici à un visage, et pourtant les visages se distribuent dans tout le système, les traits de visagéité s’organisent. Et pourtant encore, cette machine abstraite peut sûrement s’effectuer dans autre chose que des visages ; mais pas dans n’importe quel ordre, ni sans raisons nécessaires.
La psychologie américaine s’est beaucoup occupée de visage, notamment dans le rapport de l’enfant avec sa mère, eye-to-eye contact. Machine à quatre yeux ? Rappelons certaines étapes dans ces recherches : 1) les études d’Isakower sur l’endormissement, où des sensations dites proprioceptives, manuelles, buccales, cutanées, ou même vaguement visuelles, renvoient au rapport infantile bouche-sein ; 2) la découverte de Lewin d’un écran blanc du rêve, ordinairement recouvert par les contenus visuels, mais qui reste blanc lorsque le rêve n’a pour contenus que des sensations proprioceptives (cet écran ou ce mur blanc, ce serait encore le sein s’approchant, grandissant, s’aplatissant) ; 3) l’interprétation de Spitz selon laquelle l’écran blanc n’en est pas moins déjà un percept visuel, impliquant un minimum de distance, et qui va faire apparaître à ce titre le visage maternel sur lequel l’enfant se guide pour prendre le sein, plutôt qu’il ne représente le sein lui-même comme objet de sensation tactile ou de contact. Il y aurait donc combinaison de deux sortes d’éléments très différents : les sensations proprioceptives manuelles, buccales et cutanées ; la perception visuelle du visage vu de face sur écran blanc, avec le dessin des yeux comme trous noirs. Cette perception visuelle prend très vite une importance décisive par rapport à l’acte de se nourrir, par rapport au sein comme volume et à la bouche comme cavité éprouvés tactilement3.
Nous pouvons alors proposer la distinction suivante : le visage fait partie d’un système surface-trous, surface trouée. Mais ce système ne doit surtout pas être confondu avec le système volume-cavité, propre au corps (proprioceptif). La tête est comprise dans le corps, mais pas le visage. Le visage est une surface : traits, lignes, rides du visage, visage long, carré, triangulaire, le visage est une carte, même s’il s’applique et s’enroule sur un volume, même s’il entoure et borde des cavités qui n’existent plus que comme trous. Même humaine, la tête n’est pas forcément un visage. Le visage ne se produit que lorsque la tête cesse de faire partie du corps, lorsqu’elle cesse d’être codée par le corps, lorsqu’elle cesse elle-même d’avoir un code corporel polyvoque multidimensionnel – lorsque le corps, tête comprise, se trouve décodé et doit être surcodé par quelque chose qu’on appellera Visage. Autant dire que la tête, tous les éléments volume-cavité de la tête, doivent être visagéifiés. Ils le seront par l’écran troué, par le mur blanc-trou noir, la machine abstraite qui va produire du visage. Mais l’opération ne s’arrête pas là : la tête et ses éléments ne seront pas visagéifiés sans que le corps tout entier ne puisse l’être, ne soit amené à l’être, dans un processus inévitable. La bouche et le nez, et d’abord les yeux, ne deviennent pas une surface trouée sans appeler tous les autres volumes et toutes les autres cavités du corps. Opération digne du Dr Moreau : horrible et splendide. La main, le sein, le ventre, le pénis et le vagin, la cuisse, la jambe et le pied seront visagéifiés. Le fétichisme, l’érotomanie, etc., sont inséparables de ces processus de visagéification. Il ne s’agit pas du tout de prendre une partie du corps pour la faire ressembler à un visage, ou faire jouer un visage de rêve comme dans un nuage. Aucun anthropomorphisme. La visagéification n’opère pas par ressemblance, mais par ordre des raisons. C’est une opération beaucoup plus inconsciente et machinique qui fait passer tout le corps par la surface trouée, et où le visage n’a pas le rôle de modèle ou d’image, mais celui de surcodage pour toutes les parties décodées. Tout reste sexuel, aucune sublimation, mais de nouvelles coordonnées. C’est précisément parce que le visage dépend d’une machine abstraite qu’il ne se contentera pas de recouvrir la tête, mais affectera les autres parties du corps, et même au besoin d’autres objets sans ressemblance. La question dès lors est de savoir dans quelles circonstances cette machine est déclenchée, qui produit visage et visagéification. Si la tête, même humaine, n’est pas forcément visage, le visage est produit dans l’humanité, mais par une nécessité qui n’est pas celle des hommes « en général ». Le visage n’est pas animal, mais il n’est pas plus humain en général, il y a même quelque chose d’absolument inhumain dans le visage. C’est une erreur de faire comme si le visage ne devenait inhumain qu’à partir d’un certain seuil : gros plan, grossissement exagéré, expression insolite, etc. Inhumain dans l’homme, le visage l’est dès le début, il est par nature gros plan, avec ses surfaces blanches inanimées, ses trous noirs brillants, son vide et son ennui. Visage-bunker. Au point que si l’homme a un destin, ce sera plutôt d’échapper au visage, défaire le visage et les visagéifications, devenir imperceptible, devenir clandestin, non pas par un retour à l’animalité, ni même par des retours à la tête, mais par des devenirs-animaux très spirituels et très spéciaux, par d’étranges devenirs en vérité qui franchiront le mur et sortiront des trous noirs, qui feront que les traits de visagéité même se soustraient enfin à l’organisation du visage, ne se laissent plus subsumer par le visage, taches de rousseur qui filent à l’horizon, cheveux emportés par le vent, yeux qu’on traverse au lieu de s’y regarder, ou de les regarder dans le morne face-à-face des subjectivités signifiantes. « Je ne regarde plus dans les yeux de la femme que je tiens dans mes bras, mais je les traverse à la nage, tête, bras et jambes en entier, et je vois que derrière les orbites de ces yeux s’étend un monde inexploré, monde des choses futures, et de ce monde toute logique est absente. (...) J’ai brisé le mur (...), mes yeux ne me servent à rien, car ils ne me renvoient que l’image du connu. Mon corps entier doit devenir rayon perpétuel de lumière, se mouvant à une vitesse toujours plus grande, sans répit, sans retour, sans faiblesse. (...) Je scelle donc mes oreilles, mes yeux, mes lèvres4. » CsO. Oui, le visage a un grand avenir, à condition d’être détruit, défait. En route vers l’asignifiant, vers l’asubjectif. Mais nous n’avons rien expliqué encore de ce que nous sentons.
Du système corps-tête au système visage, il n’y a pas d’évolution, pas de stades génétiques. Ni de positions phénoménologiques. Ni d’intégrations d’objets partiels, avec des organisations structurales ou structurantes. Pas davantage renvoi à un sujet qui serait déjà là, ou serait amené à l’être, sans passer par cette machine propre de visagéité. Dans la littérature du visage, le texte de Sartre sur le regard et celui de Lacan sur le miroir ont le tort de renvoyer à une forme de subjectivité, d’humanité réfléchie dans un champ phénoménologique, ou clivée dans un champ structural. Mais le regard n’est que second par rapport aux yeux sans regard, au trou noir de la visagéité. Le miroir n’est que second par rapport au mur blanc de la visagéité. On ne parlera pas non plus d’axe génétique, ni d’intégration d’objets partiels. La pensée des stades dans l’ontogenèse est une pensée d’arbitre : on croit que le plus rapide est premier, quitte à servir de base ou de tremplin à ce qui vient ensuite. Quant aux objets partiels, c’est une pensée pire encore, celle d’un expérimentateur dément qui dépèce, découpe, anatomise en tous sens, quitte à recoudre n’importe comment. On peut faire une liste quelconque d’objets partiels : la main, le sein, la bouche, les yeux... On ne sort pas de Frankenstein. Nous n’avons pas à considérer des organes sans corps, corps morcelé, mais d’abord un corps sans organes, animé de différents mouvements intensifs qui détermineront la nature et la place des organes en question, qui feront de ce corps un organisme, ou même un système de strates dont l’organisme n’est qu’une partie. Du coup, le mouvement le plus lent n’est pas le moins intense, ni le dernier à se produire ou à arriver. Et le plus rapide peut déjà converger vers lui, se connecter avec lui, dans le déséquilibre d’un développement dissynchronique de strates pourtant simultanées, de vitesses différentes, sans succession de stades. Le corps n’est pas question d’objets partiels, mais de vitesses différentielles.
Ces mouvements sont des mouvements de déterritorialisation. C’est eux qui « font » au corps un organisme, animal ou humain. Par exemple, la main préhensive implique une déterritorialisation relative non seulement de la patte antérieure, mais de la main locomotrice. Elle a elle-même un corrélat, qui est l’objet d’usage ou l’outil : le bâton comme branche déterritorialisée. Le sein de la femme à stature verticale indique une déterritorialisation de la glande mammaire animale ; la bouche de l’enfant, garnie de lèvres par retroussement de la muqueuse à l’extérieur, marque une déterritorialisation de la gueule ou de la bouche animales. Et lèvres-sein, chacun sert de corrélat à l’autre5. La tête humaine implique une déterritorialisation par rapport à l’animal, en même temps qu’elle a pour corrélat l’organisation d’un monde comme milieu lui-même déterritorialisé (la steppe est le premier « monde » par opposition au milieu forestier). Mais le visage à son tour représente une déterritorialisation beaucoup plus intense, même si elle est plus lente. On pourrait dire que c’est une déterritorialisation absolue : elle cesse d’être relative, parce qu’elle fait sortir la tête de la strate d’organisme, humain non moins qu’animal, pour la connecter à d’autres strates comme celles de signifiance ou de subjectivation. Or le visage a un corrélat d’une grande importance, le paysage, qui n’est pas seulement un milieu mais un monde déterritorialisé. Multiples sont les corrélations visage-paysage, à ce niveau « supérieur ». L’éducation chrétienne exerce à la fois le contrôle spirituel de la visagéité et de la paysagéité : composez les uns comme les autres, coloriez-les, complétez-les, arrangez-les, dans une complémentarité qui renvoie paysages et visages6. Les manuels de visage et de paysage forment une pédagogie, sévère discipline, et qui inspire les arts autant qu’ils l’inspirent. L’architecture place ses ensembles, maisons, villages ou villes, monuments ou usines, qui fonctionnent comme visages dans un paysage qu’elle transforme. La peinture reprend le même mouvement, mais le renverse aussi, plaçant un paysage en fonction du visage, en traitant l’un comme l’autre : « traité du visage et du paysage ». Le gros plan de cinéma traite avant tout le visage comme un paysage, il se définit ainsi, trou noir et mur blanc, écran et caméra. Mais déjà les autres arts, l’architecture, la peinture, même le roman : gros plans qui les animent en inventant toutes les corrélations. Et ta mère, c’est un paysage ou un visage ? un visage ou une usine ? (Godard). Pas un visage qui n’enveloppe un paysage inconnu, inexploré, pas de paysage qui ne se peuple d’un visage aimé ou rêvé, qui ne développe un visage à venir ou déjà passé. Quel visage n’a pas appelé les paysages qu’il amalgamait, la mer et la montagne, quel paysage n’a pas évoqué le visage qui l’aurait complété, qui lui aurait fourni le complément inattendu de ses lignes et de ses traits ? Même quand la peinture devient abstraite, elle ne fait que retrouver le trou noir et le mur blanc, la grande composition de la toile blanche et de la fente noire. Déchirement, mais aussi étirement de la toile par axe de fuite, point de fuite, diagonale, coups de couteau, fente ou trou : la machine est déjà là, qui fonctionne toujours en produisant visages et paysages, même les plus abstraits. Le Titien commençait par peindre noir et blanc, non pas pour former des contours à remplir, mais comme matrice de chaque couleur à venir.
Le roman – Perceval vit un vol d’oies sauvages que la neige avait éblouies. (...) Le faucon en a trouvé une, abandonnée de cette troupe. Il l’a frappée, il l’a heurtée si fort qu’elle s’en est abattue. (...) Et Perceval voit à ses pieds la neige où elle s’est posée et le sang encore apparent. Et il s’appuie dessus sa lance afin de contempler l’aspect du sang et de la neige ensemble. Cette fraîche couleur lui semble celle qui est le visage de son amie. Il oublie tout tant il y pense, car c’est bien ainsi qu’il voyait sur le visage de sa mie, le vermeil posé sur le blanc comme les trois gouttes de sang sur la neige paraissaient. (...) Nous avons vu un chevalier qui dort debout sur sa monture. Tout y est : la redondance propre au visage et au paysage, le mur blanc neigeux du paysage-visage, le trou noir du faucon ou des trois gouttes distribuées sur le mur ; ou bien en même temps la ligne argentée du paysage-visage qui file vers le trou noir du chevalier, profonde catatonie. Et parfois aussi, dans certaines circonstances, le chevalier ne pourra-t-il pas pousser le mouvement toujours plus loin, traversant le trou noir, perçant le mur blanc, défaisant le visage, même si la tentative retombe7 ? Tout ceci ne marque nullement une fin du genre romanesque, mais est là dès le début et lui appartient essentiellement. Il est faux de voir dans Don Quichotte la fin du roman de chevalerie, en invoquant les hallucinations, les fuites d’idées, les états hypnotiques ou cataleptiques du héros. Il est faux de voir dans les romans de Beckett la fin du roman en général, en invoquant les trous noirs, la ligne de déterritorialisation des personnages, les promenades schizophréniques de Molloy ou de l’Innommable, leur perte de nom, de souvenir ou de projet. Il y a bien une évolution du roman, mais elle n’est sûrement pas là. Le roman n’a pas cessé de se définir par l’aventure de personnages perdus, qui ne savent plus leur nom, ce qu’ils cherchent ni ce qu’ils font, amnésiques, ataxiques, catatoniques. C’est eux qui font la différence entre le genre romanesque et les genres dramatiques ou épiques (quand le héros épique ou dramatique est frappé de déraison, d’oubli, etc., il l’est d’une tout autre manière). La princesse de Clèves est un roman précisément pour la raison qui parut paradoxale aux contemporains, les états d’absence ou de « repos », les sommeils qui frappent les personnages : il y a toujours une éducation chrétienne dans le roman. Molloy est le début du genre romanesque. Quand le roman commence, par exemple avec Chrétien de Troyes, il commence par le personnage essentiel qui l’accompagnera dans tout son cours : le chevalier du roman courtois passe son temps à oublier son nom, ce qu’il fait, ce qu’on lui dit, ne sait où il va ni à qui il parle, ne cesse de tracer une ligne de déterritorialisation absolue, mais aussi d’y perdre son chemin, de s’arrêter et de tomber dans des trous noirs. « Il attend chevalerie et aventure. » Ouvrez Chrétien de Troyes à n’importe quelle page, vous trouverez un chevalier catatonique assis sur son cheval, appuyé sur sa lance, qui attend, qui voit dans le paysage le visage de sa belle, et qu’il faut frapper pour qu’il réponde. Lancelot devant le blanc visage de la reine ne sent pas son cheval s’enfoncer dans la rivière ; ou bien il monte dans une charrette qui passe, il se trouve que c’est la charrette d’infamie. Il y a un ensemble visage-paysage qui appartient au roman, et où tantôt les trous noirs se distribuent sur un mur blanc, tantôt la ligne blanche d’horizon file vers un trou noir, et les deux à la fois.
1er théorème : On ne se déterritorialise jamais tout seul, mais à deux termes au moins, main-objet d’usage, bouche-sein, visage-paysage. Et chacun des deux termes se reterritorialise sur l’autre. Si bien qu’il ne faut pas confondre la reterritorialisation avec le retour à une territorialité primitive ou plus ancienne : elle implique forcément un ensemble d’artifices par lesquels un élément, lui-même déterritorialisé, sert de territorialité nouvelle à l’autre qui n’a pas moins perdu la sienne. D’où tout un système de reterritorialisations horizontales et complémentaires, entre la main et l’outil, la bouche et le sein, le visage et le paysage. – 2e théorème : De deux éléments ou mouvement de déterritorialisation, le plus rapide n’est pas forcément le plus intense ou le plus déterritorialisé. L’intensité de déterritorialisation ne doit pas être confondue avec la vitesse de mouvement ou de développement. Si bien que le plus rapide connecte son intensité avec l’intensité du plus lent, laquelle, en tant qu’intensité, ne lui succède pas, mais travaille simultanément sur une autre strate ou sur un autre plan. C’est ainsi que le rapport sein-bouche se guide déjà sur un plan de visagéité. – 3e théorème : On peut même en conclure que le moins déterritorialisé se reterritorialise sur le plus déterritorialisé. Apparaît ici un second système de reterritorialisations, vertical, de bas en haut. C’est en ce sens que non seulement la bouche, mais le sein, la main, le corps tout entier, l’outil lui-même, sont « visagéifiés ». En règle générale, les déterritorialisations relatives (transcodage) se reterritorialisent sur une déterritorialisation absolue à tel ou tel égard (surcodage). Or nous avons vu que la déterritorialisation de la tête en visage était absolue, bien qu’elle demeurât négative, en tant qu’elle passait d’une strate à une autre, de la strate d’organisme à celles de signifiance ou de subjectivation. La main, le sein se reterritorialisent sur le visage, dans le paysage : ils sont visagéifiés en même temps que paysagéifiés. Même un objet d’usage sera visagéifié : d’une maison, d’un ustensile ou d’un objet, d’un vêtement, etc., on dira qu’ils me regardent, non pas parce qu’ils ressembleraient à un visage, mais parce qu’ils sont pris dans le processus mur blanc-trou noir, parce qu’ils se connectent à la machine abstraite de visagéification. Le gros plan de cinéma porte aussi bien sur un couteau, une tasse, une horloge, une bouilloire, que sur un visage ou un élément de visage ; ainsi Griffith, la bouilloire me regarde. N’est-il pas juste alors de dire qu’il y a des gros plans de roman, comme lorsque Dickens écrit la première phrase du Grillon du foyer : « C’est la bouilloire qui a commencé...8 » et la peinture, comment une nature morte devient du dedans un visage-paysage, ou comment un ustensile, une tasse sur la nappe, une théière, sont visagéifiés, chez Bonnard, Vuillard. – 4e théorème : La machine abstraite ne s’effectue donc pas seulement dans des visages qu’elle produit, mais, à des degrés divers dans des parties du corps, des vêtements, des objets qu’elle visagéifie suivant un ordre des raisons (non pas une organisation de ressemblance).
En effet, la question demeure : quand est-ce que la machine abstraite de visagéité entre en jeu ? quand est-elle déclenchée ? Prenons des exemples simples : le pouvoir maternel qui passe par le visage au cours même de l’allaitement ; le pouvoir passionnel qui passe par le visage de l’aimé, même dans des attouchements ; le pouvoir politique qui passe par le visage du chef, banderolles, icônes et photos, même dans les actions de masse ; le pouvoir du cinéma qui passe par le visage de la star et le gros plan, le pouvoir de la télé... Le visage n’agit pas ici comme individuel, c’est l’individuation qui résulte de la nécessité qu’il y ait du visage. Ce qui compte, ce n’est pas l’individualité du visage, mais l’efficacité du chiffrage qu’il permet d’opérer, et dans quels cas. Ce n’est pas affaire d’idéologie, mais d’économie et d’organisation de pouvoir. Nous ne disons certes pas que le visage, la puissance du visage, engendre le pouvoir et l’explique. En revanche, certains agencements de pouvoir ont besoin de production de visage, d’autres non. Si l’on considère les sociétés primitives, peu de choses passent par le visage : leur sémiotique est non signifiante, non subjective, essentiellement collective, polyvoque et corporelle, jouant de formes et de substances d’expression très diverses. La polyvocité passe par les corps, leurs volumes, leurs cavités internes, leurs connexions et coordonnées extérieures variables (territorialités). Un fragment de sémiotique manuelle, une séquence manuelle se coordonne sans subordination ni unification à une séquence orale, ou cutanée, ou rythmique, etc. Lizot montre par exemple comment « la dissociation du devoir, du rite et de la vie quotidienne est quasi parfaite (...), étrange, inconcevable à nos esprits » : dans un comportement de deuil, certains disent des plaisanteries obscènes pendant que d’autres pleurent ; ou bien un Indien s’arrête brusquement de pleurer pour réparer sa flûte ; ou bien tout le monde s’endort9. De même pour l’inceste, il n’y a pas de prohibition de l’inceste, il y a des séquences incestueuses qui se connectent avec des séquences de prohibition suivant telles ou telles coordonnées. Les peintures, les tatouages, les marques sur la peau épousent la multidimensionnalité des corps. Même les masques assurent l’appartenance de la tête au corps plutôt qu’ils n’en exhaussent un visage. Sans doute de profonds mouvements de déterritorialisation s’opèrent, qui bouleverseront les coordonnées du corps et esquissent des agencements particuliers de pouvoir ; cependant, c’est en mettant le corps en connexion non pas avec la visagéité, mais avec des devenirs animaux, notamment à l’aide de drogues. Il n’y a certes pas moins de spiritualité : car les devenirs-animaux portent sur un Esprit animal, esprit-jaguar, esprit-oiseau, esprit-ocelot, esprit-toucan, qui prennent possession du dedans du corps, entrent dans ses cavités, remplissent des volumes, au lieu de lui faire un visage. Les cas de possession expriment un rapport direct des Voix avec le corps, non pas avec le visage. Les organisations de pouvoir du chaman, du guerrier, du chasseur, fragiles et précaires, sont d’autant plus spirituelles qu’elles passent par la corporéité, l’animalité, la végétabilité. Quand nous disions que la tête humaine appartient encore à la strate d’organisme, évidemment nous ne récusions pas l’existence d’une culture et d’une société, nous disions seulement que les codes de ces cultures et de ces sociétés portent sur les corps, sur l’appartenance des têtes aux corps, sur l’aptitude du système corps-tête à devenir, à recevoir des âmes, les recevoir en amies et repousser les âmes ennemies. Les « primitifs » peuvent avoir les têtes les plus humaines, les plus belles et les plus spirituelles, ils n’ont pas de visage et n’en ont pas besoin.
Et pour une raison simple. Le visage n’est pas un universel. Ce n’est même pas celui de l’homme blanc, c’est l’Homme blanc lui-même, avec ses larges joues blanches et le trou noir des yeux. Le visage, c’est le Christ. Le visage, c’est l’Européen type, ce qu’Ezra Pound appelait l’homme sensuel quelconque, bref l’Érotomane ordinaire (les psychiatres du XIXe siècle avaient raison de dire que l’érotomanie, à la différence de la nymphomanie, restait souvent pure et chaste ; c’est qu’elle passe par le visage et la visagéification). Pas universel, mais facies totius universi. Jésus superstar : il invente la visagéification de tout le corps et la transmet partout (la Passion de Jeanne d’Arc, en gros plan). Le visage est donc une idée tout à fait particulière dans sa nature, ce qui ne l’empêche pas d’avoir acquis et d’exercer la fonction la plus générale. C’est une fonction de bi-univocisation, de binarisation. Il y a là deux aspects : la machine abstraite de visagéité, telle qu’elle est composée par trou noir-mur blanc, fonctionne de deux façons dont l’une concerne les unités ou éléments, l’autre les choix. D’après le premier aspect, le trou noir agit comme un ordinateur central, Christ, troisième œil, qui se déplace sur le mur ou l’écran blanc comme surface générale de référence. Quel que soit le contenu qu’on lui donne, la machine va procéder à la constitution d’une unité de visage, d’un visage élémentaire en relation bi-univoque avec un autre : c’est un homme ou une femme, un riche ou un pauvre, un adulte ou un enfant, un chef ou un sujet, « un x ou un y ». Le déplacement du trou noir sur l’écran, le parcours du troisième œil sur la surface de référence constitue autant de dichotomies ou d’arborescences, comme des machines à quatre yeux qui sont des visages élémentaires liés deux par deux. Visage d’institutrice et d’élève, de père et de fils, d’ouvrier et de patron, de flic et de citoyen, d’accusé et de juge (« le juge avait un air sévère, ses yeux n’avaient pas d’horizon... ») : les visages concrets individués se produisent et se transforment autour de ces unités, de ces combinaisons d’unités, tel ce visage d’un enfant de riche où l’on discerne déjà la vocation militaire, la nuque saint-cyrienne. On se coule dans un visage plutôt qu’on n’en possède un.
D’après l’autre aspect, la machine abstraite de visagéité prend un rôle de réponse sélective ou de choix : un visage concret étant donné, la machine juge s’il passe ou ne passe pas, s’il va ou ne va pas, d’après les unités de visages élémentaires. La relation binaire cette fois est du type « oui-non ». L’œil vide du trou noir absorbe ou rejette, comme un despote à moitié gâteux fait encore un signe d’acquiescement ou de refus. Tel visage d’institutrice est parcouru de tics et se couvre d’une anxiété qui fait que « ça ne va plus ». Un accusé, un sujet présentent une soumission trop affectée qui devient insolence. Ou bien : trop poli pour être honnête. Tel visage n’est celui ni d’un homme ni d’une femme. Ou encore ce n’est ni un pauvre ni un riche, est-ce un déclassé qui a perdu sa fortune ? À chaque instant, la machine rejette des visages non conformes ou des airs louches. Mais seulement à tel niveau de choix. Car il faudra produire successivement des écarts-types de déviance pour tout ce qui échappe aux relations bi-univoques, et instaurer des rapports binaires entre ce qui est accepté à un premier choix et ce qui n’est que toléré à un second, à un troisième, etc. Le mur blanc ne cesse de croître, en même temps que le trou noir fonctionne plusieurs fois. L’institutrice est devenue folle ; mais la folie est un visage conforme de nième choix (pas le dernier pourtant, puisqu’il y a encore des visages de fous non conformes à la folie telle qu’on la suppose devoir être). Ah, ce n’est ni un homme ni une femme, c’est un travesti : le rapport binaire s’établit entre le « non » de première catégorie et un « oui » de catégorie suivante qui peut aussi bien marquer une tolérance sous certaines conditions qu’indiquer un ennemi qu’il faut abattre à tout prix. De toute manière, on t’a reconnu, la machine abstraite t’a inscrit dans l’ensemble de son quadrillage. On voit bien que, dans son nouveau rôle de détection des déviances, la machine de visagéité ne se contente pas de cas individuels, mais procède aussi généralement que dans son premier rôle d’ordination des normalités. Si le visage est bien le Christ, c’est-à-dire l’Homme blanc moyen quelconque, les premières déviances, les premiers écarts-types sont raciaux : homme jaune, homme noir, hommes de deuxième ou troisième catégorie. Eux aussi seront inscrits sur le mur, distribués par le trou. Ils doivent être christianisés, c’est-à-dire visagéifiés. Le racisme européen comme prétention de l’homme blanc n’a jamais procédé par exclusion, ni assignation de quelqu’un désigné comme Autre : ce serait plutôt dans les sociétés primitives qu’on saisit l’étranger comme un « autre10 ». Le racisme procède par détermination des écarts de déviance, en fonction du visage Homme blanc qui prétend intégrer dans des ondes de plus en plus excentriques et retardées les traits qui ne sont pas conformes, tantôt pour les tolérer à telle place et dans telles conditions, dans tel ghetto, tantôt pour les effacer sur le mur qui ne supporte jamais l’altérité (c’est un juif, c’est un arabe, c’est un nègre, c’est un fou..., etc.). Du point de vue du racisme, il n’y a pas d’extérieur, il n’y a pas de gens du dehors. Il n’y a que des gens qui devraient être comme nous, et dont le crime est de ne pas l’être. La coupure ne passe plus entre un dedans et un dehors, mais à l’intérieur des chaînes signifiantes simultanées et des choix subjectifs successifs. Le racisme ne détecte jamais les particules de l’autre, il propage les ondes du même jusqu’à l’extinction de ce qui ne se laisse pas identifier (ou qui ne se laisse identifier qu’à partir de tel ou tel écart). Sa cruauté n’a d’égale que son incompétence ou sa naïveté.
D’une manière plus gaie, la peinture a joué de toutes les ressources du Christ-visage. La machine abstraite de visagéité, mur blanc-trou noir, elle s’en est servi dans tous les sens pour produire avec le visage du Christ toutes les unités de visage, mais aussi tous les écarts de déviance. Il y a une jubilation de la peinture à cet égard, du Moyen Âge à la Renaissance, comme une liberté effrénée. Non seulement le Christ préside à la visagéification de tout le corps (son propre corps), à la paysagéification de tous les milieux (ses propres milieux), mais il compose tous les visages élémentaires, et dispose de tous les écarts : Christ-athlète de foire, Christ-maniériste pédé, Christ nègre, ou du moins Vierge noire en marge du mur. Les plus grandes folies apparaissent sur la toile, à travers le code catholique. Un seul exemple parmi tant d’autres : sur fond blanc de paysage, et trou bleu-noir du ciel, le Christ crucifié, devenu machine cerf-volant, envoie par rayons des stigmates à saint François ; les stigmates opèrent la visagéification du corps du saint, à l’image de celui du Christ ; mais aussi les rayons qui apportent les stigmates au saint sont les fils par lesquels celui-ci meut le cerf-volant divin. C’est sous le signe de la croix qu’on a su triturer le visage dans tous les sens, et les processus de visagéification.
La théorie de l’information se donne un ensemble homogène de messages signifiants tout faits qui sont déjà pris comme éléments dans des relations bi-univoques, ou dont les éléments sont organisés d’un message à l’autre d’après de telles relations. En second lieu, le tirage d’une combinaison dépend d’un certain nombre de choix binaires subjectifs qui croissent en proportion du nombre des éléments. Mais la question est : toute cette bi-univocisation, toute cette binarisation (qui ne dépend pas seulement, comme on le dit, d’une plus grande facilité pour le calcul) supposent déjà l’étalement d’un mur ou d’un écran, l’installation d’un trou central ordinateur sans lesquels aucun message ne serait discernable, aucun choix effectuable. Il faut déjà que le système trou noir-mur blanc quadrille tout l’espace, dessine ses arborescences ou ses dichotomies, pour que le signifiant et la subjectivité puissent seulement rendre concevable la possibilité des leurs. La sémiotique mixte de signifiance et de subjectivation a singulièrement besoin d’être protégée contre toute intrusion du dehors. Il faut même qu’il n’y ait plus d’extérieur : aucune machine nomade, aucune polyvocité primitive ne doit surgir, avec leurs combinaisons de substances d’expression hétérogènes. Il faut une seule substance d’expression comme condition de toute traductibilité. On ne peut constituer des chaînes signifiantes procédant par éléments discrets, digitalisés, déterritorialisés, qu’à condition de disposer d’un écran sémiologique, d’un mur qui les protège. On ne peut opérer des choix subjectifs entre deux chaînes ou à chaque point d’une chaîne qu’à la condition qu’aucune tempête extérieure n’entraîne les chaînes et les sujets. On ne peut former une trame de subjectivités que si l’on possède un œil central, trou noir qui capture tout ce qui excéderait, tout ce qui transformerait les affects assignés non moins que les significations dominantes. Bien plus, il est absurde de croire que le langage en tant que tel puisse véhiculer un message. Une langue est toujours prise dans des visages qui en annoncent les énoncés, qui les lestent par rapport aux signifiants en cours et aux sujets concernés. C’est sur les visages que les choix se guident et que les éléments s’organisent : jamais la grammaire commune n’est séparable d’une éducation des visages. Le visage est un véritable porte-voix. Ce n’est donc pas seulement la machine abstraite de visagéité qui doit fournir un écran protecteur et un trou noir ordinateur, ce sont les visages qu’elle produit qui tracent toutes sortes d’arborescences et de dichotomies, sans lesquelles le signifiant et le subjectif ne pourraient pas faire fonctionner celles qui leur reviennent dans le langage. Et sans doute les binarités et bi-univocités de visage ne sont pas les mêmes que celles du langage, de ses éléments et de ses sujets. Elles ne se ressemblent nullement. Mais les premières sous-tendent les secondes. En effet, traduisant des contenus formés quelconques en une seule substance d’expression, la machine de visagéité les soumet déjà à la forme exclusive d’expression signifiante et subjective. Elle procède au quadrillage préalable qui rend possible la discernabilisation d’éléments signifiants, l’effectuation de choix subjectifs. La machine de visagéité n’est pas une annexe du signifiant et du sujet, elle en est plutôt connexe, et conditionnante : les bi-univocités, les binarités de visage doublent les autres, les redondances de visage font redondance avec les redondances signifiantes et subjectives. Précisément parce que le visage dépend d’une machine abstraite, il ne suppose pas un sujet ni un signifiant déjà là ; mais il leur est connexe, et leur donne la substance nécessaire. Ce n’est pas un sujet qui choisit des visages, comme dans le test de Szondi, ce sont les visages qui choisissent leurs sujets. Ce n’est pas un signifiant qui interprète la figure tache noire-trou blanc, ou page blanche-trou noir, comme dans le test de Rorschach, c’est cette figure qui programme les signifiants.
Nous avons avancé dans la question : qu’est-ce qui déclenche la machine abstraite de visagéité, puisqu’elle ne s’exerce pas toujours, ni dans n’importe quelles formations sociales ? Certaines formations sociales ont besoin de visage, et aussi de paysage11. C’est toute une histoire. S’est produit, à des dates très diverses, un effondrement généralisé de toutes les sémiotiques primitives, polyvoques, hétérogènes, jouant de substances et de formes d’expression très diverses, au profit d’une sémiotique de signifiance et de subjectivation. Quelles que soient les différences entre la signifiance et la subjectivation, quelle que soit la prévalence de l’une ou de l’autre dans tel ou tel cas, quelles que soient les figures variables de leur mixité de fait, elles ont précisément en commun d’écraser toute polyvocité, d’ériger le langage en forme d’expression exclusive, de procéder par bi-univocisation signifiante et par binarisation subjective. La sur-linéarité propre au langage cesse d’être coordonnée avec des figures multidimensionnelles : elle aplatit maintenant tous les volumes, elle se subordonne toutes les lignes. Est-ce un hasard si la linguistique rencontre toujours, et très vite, le problème de l’homonymie ou des énoncés ambigus qu’elle va traiter par un ensemble de réductions binaires ? Plus généralement, aucune polyvocité, aucun trait de rhizome ne peuvent être supportés : un enfant qui court, qui joue, qui danse, qui dessine, ne peut pas concentrer son attention sur le langage et l’écriture, il ne sera jamais non plus un bon sujet. Bref, la nouvelle sémiotique a besoin de détruire systématiquement toute la multiplicité des sémiotiques primitives, même si elle en garde des débris dans des enclos bien déterminés.
Toutefois, ce ne sont pas les sémiotiques qui se font ainsi la guerre, avec leurs seules armes. Ce sont des agencements de pouvoir très particuliers qui imposent la signifiance et la subjectivation comme leur forme d’expression déterminée, en présupposition réciproque avec de nouveaux contenus : pas de signifiance sans un agencement despotique, pas de subjectivation sans un agencement autoritaire, pas de mixité des deux sans des agencements de pouvoir qui agissent précisément par signifiants, et s’exercent sur des âmes ou des sujets. Or ce sont ces agencements de pouvoir, ces formations despotiques ou autoritaires, qui donnent à la nouvelle sémiotique les moyens de son impérialisme, c’est-à-dire à la fois les moyens d’écraser les autres et de se protéger contre toute menace venue du dehors. Il s’agit d’une abolition concertée du corps et des coordonnées corporelles par lesquelles passaient les sémiotiques polyvoques ou multidimensionnelles. On disciplinera les corps, on défera la corporéité, on fera la chasse aux devenirs-animaux, on poussera la déterritorialisation jusqu’à un nouveau seuil, puisqu’on sautera des strates organiques aux strates de signifiance et de subjectivation. On produira une seule substance d’expression. On construira le système mur blanc-trou noir, ou plutôt on déclenchera cette machine abstraite qui doit justement permettre et garantir la toute-puissance du signifiant, comme l’autonomie du sujet. Vous serez épinglés sur le mur blanc, enfoncés dans le trou noir. Cette machine est dite de visagéité parce qu’elle est production sociale de visage, parce qu’elle opère une visagéification de tout le corps, de ses entours et de ses objets, une paysagéification de tous les mondes et milieux. La déterritorialisation du corps implique une reterritorialisation sur le visage ; le décodage du corps implique un surcodage par le visage ; l’effondrement des coordonnées corporelles ou des milieux implique une constitution de paysage. La sémiotique du signifiant et du subjectif ne passe jamais par les corps. C’est une absurdité de prétendre mettre le signifiant en rapport avec le corps. Ou du moins ce n’est qu’avec un corps déjà tout entier visagéifié. La différence entre nos uniformes et vêtements d’une part, d’autre part les peintures et vêtures primitives, c’est que les premiers opèrent une visagéification du corps, avec le trou noir des boutons et le mur blanc de l’étoffe. Même le masque trouve ici une nouvelle fonction, juste le contraire de la précédente. Car il n’y a aucune fonction unitaire du masque, sauf négative (en aucun cas le masque ne sert à dissimuler, à cacher, même en montrant ou révélant). Ou bien le masque assure l’appartenance de la tête au corps, et son devenir-animal, comme dans les sémiotiques primitives. Ou bien au contraire, comme maintenant, le masque assure l’érection, l’exhaussement du visage, la visagéification de la tête et du corps : le masque est alors le visage en lui-même, l’abstraction ou l’opération du visage. Inhumanité du visage. Jamais le visage ne suppose un signifiant ou un sujet préalables. L’ordre est tout à fait différent : agencement concret de pouvoir despotique et autoritaire ⟶ déclenchement de la machine abstraite de visagéité, mur blanc-trou noir ⟶ installation de la nouvelle sémiotique de signifiance et de subjectivation, sur cette surface trouée. C’est pourquoi nous n’avons pas cessé de considérer deux problèmes exclusivement : le rapport du visage avec la machine abstraite qui le produit ; le rapport du visage avec les agencements de pouvoir qui ont besoin de cette production sociale. Le visage est une politique.
Bien sûr, nous avons vu ailleurs que la signifiance et la subjectivation étaient des sémiotiques tout à fait distinctes en droit, avec leur régime différent (irradiation circulaire, linéarité segmentaire), avec leur appareil de pouvoir différent (l’esclavage généralisé despotique, le contrat-procès autoritaire). Et aucune des deux ne commencent avec le Christ, avec l’Homme blanc comme universel chrétien : il y a des formations despotiques de signifiance asiatiques, nègres ou indiennes ; le processus autoritaire de subjectivation apparaît le plus purement dans le destin du peuple juif. Mais, quelle que soit la différence de ces sémiotiques, elles n’en forment pas moins un mixte de fait, et c’est même au niveau de ce mixte qu’elles font valoir leur impérialisme, c’est-à-dire leur prétention commune à écraser toutes les autres sémiotiques. Pas de signifiance qui ne comporte un germe de subjectivité ; pas de subjectivation qui n’entraîne des restes de signifiant. Si le signifiant rebondit avant tout sur un mur, si la subjectivité file avant tout vers un trou, il faut dire que le mur du signifiant comporte déjà des trous noirs, et que le trou noir de la subjectivité emporte encore des lambeaux de mur : le mixte est donc bien fondé dans la machine indissociable mur blanc-trou noir, et les deux sémiotiques ne cessent de se mélanger par croisement, recoupement, branchement de l’une sur l’autre, comme entre « l’Hébreu et le Pharaon ». Seulement, il y a plus encore, parce que la nature des mélanges peut être très variable. Si nous pouvons dater la machine de visagéité, en lui assignant l’année zéro du Christ et le développement historique de l’Homme blanc, c’est que le mélange cesse alors d’être un recoupement ou un entrecroisement pour devenir une pénétration complète où chaque élément imprègne l’autre, comme des gouttes de vin rouge-noir dans une eau blanche. Notre sémiotique d’Hommes blancs modernes, celle-là même du capitalisme, a atteint cet état de mélange où la signifiance et la subjectivation s’étendent effectivement l’une à travers l’autre. C’est donc là que la visagéité, ou le système mur blanc-trou noir, prend toute son extension. Nous devons cependant distinguer les états de mixité, et la proportion variable des éléments. Que ce soit dans l’état chrétien, mais aussi dans les états préchrétiens, un élément peut l’emporter sur l’autre, être plus ou moins puissant. On est alors amené à définir des visages-limites, qui ne se confondent pas avec les unités de visage ni avec les écarts de visage définis précédemment.
I. Ici, le trou noir est sur le mur blanc. Ce n’est pas une unité, puisque le trou noir ne cesse de se déplacer sur le mur, et procède par binarisation. Deux trous noirs, quatre trous noirs, n trous noirs se distribuent comme des yeux. La visagéité est toujours une multiplicité. On peuplera le paysage d’yeux ou de trous noirs, comme dans un tableau d’Ernst, comme dans un dessin d’Aloïse ou de Wölfli. Sur le mur blanc, on inscrit des cercles qui bordent un trou : partout où il y a un tel cercle, on peut mettre un œil. On peut même proposer comme loi : plus un trou est bordé, plus l’effet de bord est d’augmenter la surface sur laquelle il coulisse, et de donner à cette surface une force de capture. Le cas le plus pur est peut-être donné dans les rouleaux populaires éthiopiens, qui représentent des démons : deux trous noirs sur la surface blanche du parchemin, ou du visage rectangulaire ou rond qui s’y dessine, mais ces trous noirs essaiment et se reproduisent, ils font redondance, et chaque fois qu’on borde un cercle secondaire, on constitue un nouveau trou noir, on y met un œil12. Effet de capture d’une surface qui se referme d’autant plus qu’elle est agrandie. C’est le visage despotique signifiant, et sa multiplication propre, sa prolifération, sa redondance de fréquence. Multiplication des yeux. Le despote ou ses représentants sont partout. C’est le visage vu de face, vu par un sujet qui, lui-même, voit moins qu’il n’est happé par les trous noirs. C’est une figure du destin, le destin terrestre, le destin signifiant objectif. Le gros plan de cinéma connaît bien cette figure : gros plan Griffith, sur un visage, un élément de visage ou un objet visagéifié qui prennent alors une valeur temporelle anticipatrice (les aiguilles de la pendule annoncent quelque chose).
II. Là, au contraire, le mur blanc s’est effilé, fil d’argent qui va vers le trou noir. Un trou noir « accrête » tous les trous noirs, tous les yeux, tous les visages, en même temps que le paysage est un fil qui s’enroule à son extrémité finale autour du trou. C’est toujours une multiplicité, mais c’est une autre figure du destin, le destin subjectif, passionnel, réfléchi. C’est le visage, ou le paysage maritime : il suit la ligne de séparation du ciel et des eaux, ou de la terre et des eaux. Ce visage autoritaire est de profil, et file vers le trou noir. Ou bien deux visages face à face, mais de profil pour l’observateur, et dont la réunion se trouve déjà marquée d’une séparation illimitée. Ou bien les visages qui se détournent, sous la trahison qui les emporte. Tristan, Ysolde, Ysolde, Tristan, dans la barque qui les pousse jusqu’au trou noir de la trahison et de la mort. Visagéité de la conscience et de la passion, redondance de résonance ou de couplage. Cette fois le gros plan n’a plus pour effet d’augmenter une surface qu’il referme en même temps, il n’a plus pour fonction une valeur temporelle anticipatrice. Il marque l’origine d’une échelle d’intensité, ou fait partie de cette échelle, il échauffe la ligne que les visages suivent, à mesure aussi qu’ils s’approchent du trou noir comme terminaison : gros plan Eisenstein contre gros plan Griffith (la montée intensive du chagrin, ou de la colère, dans les gros plans du Cuirassé Potemkine13). Là encore, on voit bien que toutes les combinaisons sont possibles entre les deux figures-limites du visage. Dans la Lulu de Pabst, le visage despotique de Lulu déchue se connecte avec l’image du couteau à pain, image de valeur anticipatrice qui annonce le meurtre ; mais aussi le visage autoritaire de Jack l’Éventreur passe par toute une échelle d’intensités qui le mène vers le couteau, et à l’assassinat de Lulu.
Visage autoritaire subjectif maritime
(d’après Tristan et Ysolde)
Plus généralement, on remarquera des caractères communs aux deux figures-limites. D’une part, le mur blanc, les larges joues blanches ont beau être l’élément substantiel du signifiant, et le trou noir, les yeux, ont beau être l’élément réfléchi de la subjectivité, ils vont toujours ensemble, mais sous les deux modes où, tantôt, des trous noirs se répartissent et se multiplient sur le mur blanc, tantôt au contraire le mur, réduit à sa crête ou son fil d’horizon, se précipite vers un trou noir qui les accrête tous. Pas de mur sans trous noirs, pas de trou sans mur blanc. D’autre part, dans un cas comme dans l’autre, le trou noir est essentiellement bordé, et même sur-bordé ; la bordure ayant pour effet, soit d’augmenter la surface du mur, soit de rendre plus intense la ligne ; et jamais le trou noir n’est dans les yeux (pupille), il est toujours à l’intérieur de la bordure, et les yeux sont toujours à l’intérieur du trou : yeux morts, qui voient d’autant mieux qu’ils sont dans le trou noir14. Ces caractères communs n’empêchent pas la différence-limite des deux figures de visage, et les proportions d’après lesquelles tantôt l’une, tantôt l’autre l’emportent dans la sémiotique mixte – le visage despotique signifiant terrestre, le visage autoritaire passionnel et subjectif maritime (le désert peut être aussi mer de la terre). Deux figures du destin, deux états de la machine de visagéité. Jean Paris a bien montré l’exercice de ces pôles dans la peinture, du Christ despotique au Christ passionnel : d’une part, le visage du Christ vu de face, comme dans une mosaïque byzantine, avec le trou noir des yeux sur fond d’or, toute la profondeur étant projetée par devant ; d’autre part, les visages qui se croisent et se détournent, de trois quarts ou de profil, comme dans une toile du Quattrocento, avec des regards obliques traçant des lignes multiples, intégrant la profondeur dans le tableau lui-même (on peut prendre des exemples arbitraires de transition et de mixité : l’Appel des apôtres, de Duccio, sur paysage aquatique, où la seconde formule emporte déjà le Christ et le premier pêcheur, tandis que le deuxième pêcheur reste pris dans le code byzantin15).
Un amour de Swann : Proust a su faire résonner visage, paysage, peinture, musique, etc. Trois moments dans l’histoire Swann-Odette. D’abord, tout un dispositif signifiant s’établit. Visage d’Odette aux larges joues blanches ou jaunes, et yeux comme trous noirs. Mais ce visage lui-même ne cesse de renvoyer à d’autres choses, également disposées sur le mur. C’est cela, l’esthétisme, l’amateurisme de Swann : il faut toujours que quelque chose lui rappelle autre chose, dans un réseau d’interprétations sous le signe du signifiant. Un visage renvoie à un paysage. Un visage doit lui « rappeler » un tableau, un fragment de tableau. Une musique doit laisser échapper une petite phrase qui se connecte avec le visage d’Odette, au point que la petite phrase n’est plus qu’un signal. Le mur blanc se peuple, les trous noirs se disposent. Tout ce dispositif de signifiance, dans un renvoi d’interprétations, prépare le second moment, subjectif passionnel, où la jalousie, la quérulance, l’érotomanie de Swann vont se développer. Voilà maintenant que le visage d’Odette file sur une ligne qui se précipite vers un seul trou noir, celui de la Passion de Swann. Les autres lignes aussi, de paysagéité, de picturalité, de musicalité, se hâtent vers ce trou catatonique et s’enroulent autour, pour le border plusieurs fois.
Mais, troisième moment, à l’issue de sa longue passion, Swann va dans une réception où il voit d’abord le visage des domestiques et des invités se défaire en traits esthétiques autonomes : comme si la ligne de picturalité retrouvait une indépendance, à la fois par-delà le mur et hors du trou noir. Puis c’est la petite phrase de Vinteuil qui retrouve sa transcendance et renoue avec une ligne de musicalité pure encore plus intense, asignifiante, asubjective. Et Swann sait qu’il n’aime plus Odette, et surtout qu’Odette ne l’aimera plus jamais. – Fallait-il ce salut par l’art, puisque Swann, pas plus que Proust, ne sera sauvé ? Fallait-il cette manière de percer le mur ou de sortir du trou, en renonçant à l’amour ? Cet amour n’était-il pas pourri dès le début, fait de signifiance et de jalousie ? Autre chose était-il possible, compte tenu de la médiocre Odette et de Swann esthète ? La madeleine, d’une certaine façon, c’est la même histoire. Le narrateur mâchouille sa madeleine : redondance, trou noir du souvenir involontaire. Comment sortira-t-il de là ? Avant tout, c’est quelque chose dont il faut sortir, à quoi il faut échapper. Proust le sait bien, quoique ses commentateurs ne le sachent plus. Mais il en sortira par l’art, seulement par l’art.
Comment sortir du trou noir ? comment percer le mur ? comment défaire le visage ? Quel que soit le génie du roman français, ce n’est pas son affaire. Il est trop occupé à mesurer le mur, ou même à le construire, à sonder les trous noirs, à composer les visages. Le roman français est profondément pessimiste, idéaliste, « critique de la vie plutôt que créateur de vie ». Il enfonce ses personnages dans le trou, il les fait rebondir sur le mur. Il ne conçoit que des voyages organisés, et de salut que par l’art. C’est encore un salut catholique, c’est-à-dire par l’éternité. Il passe son temps à faire le point, au lieu de tracer des lignes, lignes de fuite active ou de déterritorialisation positive. Tout autre est le roman anglo-américain. « Partir, partir, s’évader... traverser l’horizon...16 » De Thomas Hardy à Lawrence, de Melville à Miller, la même question retentit, traverser, sortir, percer, faire la ligne et pas le point. Trouver la ligne de séparation, la suivre ou la créer, jusqu’à la traîtrise. C’est pourquoi ils ont avec le voyage, avec la manière de voyager, avec les autres civilisations, Orient, Amérique du Sud, et aussi avec la drogue, avec les voyages sur place, un tout autre rapport que les Français. Ils savent à quel point c’est difficile de sortir du trou noir de la subjectivité, de la conscience et de la mémoire, du couple et de la conjugalité. Combien l’on est tenté de s’y laisser prendre, et de s’y bercer, de se raccrocher à un visage... « Enfermée dans ce trou noir, (...) elle y puisait une sorte de phosphorescence cuivrée, fondue, (...) les mots sortaient de sa bouche comme la lave, tout son corps se tendait comme une sorte de serre vorace, cherchant la prise, un point solide et substantiel où se percher, un asile où rentrer et se reposer un instant. (...) Je pris d’abord cela pour de la passion, pour l’extase, (...) je crus que j’avais découvert un volcan vivant, il ne me vint pas à l’idée que ce pût être un navire s’abîmant dans un océan de désespoir, dans les Sargasses de la faiblesse et de l’impuissance. Aujourd’hui, quand je pense à cet astre noir qui rayonnait par le trou dans le plafond, à cet astre fixe qui pendait sur notre cellule conjugale, plus fixe, plus distant que l’Absolu, je sais que c’était elle, vidée de tout ce qui la faisait être soi à proprement parler, soleil noir et mort, sans aspect17. » Phosphorescence cuivrée comme le visage au fond d’un trou noir. Il s’agit d’en sortir, non pas en art, c’est-à-dire en esprit, mais en vie, en vie réelle. Ne m’ôtez pas la force d’aimer. Ils savent aussi, les romanciers anglais américains, comme c’est difficile de percer le mur du signifiant. Beaucoup de gens le tentèrent, depuis le Christ, à commencer par le Christ. Mais le Christ lui-même a raté la traversée, le saut, il a rebondi sur le mur, et, « comme un ressort qui revient brusquement en arrière, toute la saleté du flot négatif reflua, tout l’élan négatif de l’humanité parut se ramasser en une masse inerte et monstrueuse pour donner naissance au type du nombre entier humain, le chiffre un, l’indivisible unité » – le Visage18. Passer le mur, les Chinois peut-être, à quel prix ? Au prix d’un devenir-animal, d’un devenir-fleur ou rocher, et, plus encore, d’un étrange devenir-imperceptible, d’un devenir-dur qui ne fait plus qu’un avec aimer19. C’est une question de vitesse, même sur place. Est-ce cela aussi, défaire le visage, ou, comme disait Miller, ne plus regarder les yeux ni dans les yeux, mais les traverser à la nage, fermer ses propres yeux, et faire de son corps un rayon de lumière qui se meut à une vitesse toujours plus grande ? Bien sûr, il y faut toutes les ressources de l’art, et de l’art le plus haut. Il y faut toute une ligne d’écriture, toute une ligne de picturalité, toute une ligne de musicalité... Car c’est par l’écriture qu’on devient animal, c’est par la couleur qu’on devient imperceptible, c’est par la musique qu’on devient dur et sans souvenir, à la fois animal et imperceptible : amoureux. Mais l’art n’est jamais une fin, il n’est qu’un instrument pour tracer les lignes de vie, c’est-à-dire tous ces devenirs réels, qui ne se produisent pas simplement dans l’art, toutes ces fuites actives, qui ne consistent pas à fuir dans l’art, à se réfugier dans l’art, ces déterritorialisations positives, qui ne vont pas se reterritorialiser sur l’art, mais bien plutôt l’emporter avec elles, vers les régions de l’asignifiant, de l’asubjectif et du sans-visage.
Défaire le visage, ce n’est pas une petite affaire. On y risque bien la folie : est-ce par hasard que le schizo perd en même temps le sens du visage, de son propre visage et de celui des autres, le sens du paysage, le sens du langage et de ses significations dominantes ? C’est que le visage est une forte organisation. On peut dire que le visage prend dans son rectangle ou son rond tout un ensemble de traits, traits de visagéité qu’il va subsumer, et mettre au service de la signifiance et de la subjectivation. Qu’est-ce qu’un tic ? C’est précisément la lutte toujours recommencée entre un trait de visagéité qui tente d’échapper à l’organisation souveraine du visage, et le visage lui-même qui se referme sur ce trait, le ressaisit, lui barre sa ligne de fuite, lui ré-impose son organisation. (Dans la distinction médicale entre le tic clonique ou convulsif, et le tic tonique ou spasmodique, peut-être faut-il voir dans le premier cas la prévalence du trait de visagéité qui tente de fuir, dans le second cas celle de l’organisation de visage qui cherche à refermer, à immobiliser). Pourtant, si défaire le visage est une grande affaire, c’est parce que ce n’est pas une simple histoire de tics, ni une aventure d’amateur ou d’esthète. Si le visage est une politique, défaire le visage en est une aussi, qui engage les devenirs réels, tout un devenir-clandestin. Défaire le visage, c’est la même chose que percer le mur du signifiant, sortir du trou noir de la subjectivité. Le programme, le slogan de la schizo-analyse devient ici : cherchez vos trous noirs et vos murs blancs, connaissez-les, connaissez vos visages, vous ne les déferez pas autrement, vous ne tracerez pas autrement vos lignes de fuite20.
C’est que, maintenant encore, nous devons multiplier les prudences pratiques. D’abord il ne s’agit jamais d’un retour à... Il ne s’agit pas de « revenir » aux sémiotiques présignifiantes et présubjectives des primitifs. Nous échouerons toujours à faire le Nègre ou l’Indien, même le Chinois, et ce n’est pas un voyage dans les mers du Sud, si dures soient les conditions, qui nous fera passer le mur, sortir du trou ou perdre le visage. Jamais nous ne pourrons nous refaire une tête et un corps primitifs, une tête humaine, spirituelle et sans visage. Au contraire, ce sera un moyen de refaire des photos, de rebondir sur le mur, on y trouvera toujours des reterritorialisations, ô ma petite île déserte où je retrouve la Closerie des lilas, ô mon océan profond qui reflète le lac du bois de Boulogne, ô la petite phrase de Vinteuil qui me rappelle un doux moment. Exercices physiques et spirituels d’Orient, mais qu’on fait en couple, comme un lit conjugal qu’on borderait d’un drap chinois : as-tu bien fait ton exercice aujourd’hui ? Lawrence n’en veut à Melville que pour une chose : avoir su traverser le visage, les yeux et l’horizon, le mur et le trou, mieux que personne ne sut le faire, mais en même temps avoir confondu cette traversée, cette ligne créatrice, avec un « impossible retour », retour aux sauvages à Typee, manière encore d’être artiste, et de haïr la vie, manière assurée d’entretenir la nostalgie du Pays natal (« Melville avait la nostalgie de sa Maison et de sa Mère, ces choses mêmes qu’il avait fuies aussi loin qu’avaient pu le porter des bateaux. (...) Il revint au port pour affronter sa longue existence. (...) Il refuse la vie. (...) Il se cramponne à son idéal d’union parfaite, d’amour absolu, alors qu’une union vraiment parfaite, est celle où chacun accepte qu’il y ait en l’autre de grands espaces inconnus. (...) Melville était au fond un mystique et un idéaliste. Il se cramponna à ses armes idéales. Moi, j’abandonne les miennes, et je dis : que les vieilles armes pourrissent. Faites-en de nouvelles, et tirez juste21 »).
Nous ne pouvons pas revenir en arrière. Seuls les névrosés, ou, comme dit Lawrence les « renégats », les tricheurs, tentent une régression. C’est que le mur blanc du signifiant, le trou noir de la subjectivité, la machine de visage sont bien des impasses, la mesure de nos soumissions, de nos assujettissements ; mais nous sommes né là-dedans, et c’est là-dessus qu’il faut nous débattre. Pas au sens d’un moment nécessaire, mais au sens d’un instrument pour lequel il faut inventer un nouvel usage. C’est seulement à travers le mur du signifiant qu’on fera passer les lignes d’asignifiance qui annulent tout souvenir, tout renvoi, toute signification possible et toute interprétation donnable. C’est seulement dans le trou noir de la conscience et de la passion subjectives qu’on découvrira les particules capturées, échauffées, transformées qu’il faut relancer pour un amour vivant, non subjectif, où chacun se connecte aux espaces inconnus de l’autre sans y entrer ni les conquérir, où les lignes se composent comme des lignes brisées. C’est seulement au sein du visage, du fond de son trou noir et sur son mur blanc, qu’on pourra libérer les traits de visagéité, comme des oiseaux, non pas revenir à une tête primitive, mais inventer les combinaisons où ces traits se connectent à des traits de paysagéité, eux-mêmes libérés du paysage, à des traits de picturalité, de musicalité, eux-mêmes libérés de leurs codes respectifs. Avec quelle joie, qui n’était pas seulement d’un désir de peindre, mais celle de tous les désirs, les peintres se sont servi du visage même du Christ dans tous les sens et toutes les directions. Et le chevalier du roman courtois, peut-on dire si sa catatonie vient de ce qu’il est au fond du trou noir, ou de ce qu’il chevauche déjà les particules qui l’en font sortir pour un nouveau voyage ? Lawrence, qui fut comparé à Lancelot, écrit : « Être seul, sans esprit, sans mémoire, près de la mer. (...) Aussi seul et absent et présent qu’un indigène, brun noir sur le sable ensoleillé. (...) Loin, très loin, comme s’il avait touché terre sur une autre planète, comme un homme prenant pied après la mort. (...) Le paysage ? Il se moquait du paysage. (...) L’humanité ? N’existait pas. La pensée ? tombée comme pierre dans l’eau. L’immense, le chatoyant passé ? Appauvri et usé, frêle, frêle et translucide écaille rejetée sur la plage22. » Moment incertain où le système mur blanc-trou noir, point noir-plage blanche, comme sur une estampe japonaise, ne fait plus qu’un avec sa propre sortie, sa propre échappée, sa traversée.
C’est que nous avons vu les deux états très différents de la machine abstraite : tantôt prise dans les strates où elle assure des déterritorialisations seulement relatives, ou bien des déterritorialisations absolues qui restent pourtant négatives ; tantôt au contraire développée sur un plan de consistance qui lui confère une fonction « diagrammatique », une valeur de déterritorialisation positive, comme la force de former de nouvelles machines abstraites. Tantôt la machine abstraite, en tant qu’elle est de visagéité, va rabattre les flux sur des signifiances et des subjectivations, sur des nœuds d’arborescence et des trous d’abolition ; tantôt au contraire, en tant qu’elle opère une véritable « dévisagéification », elle libère en quelque sorte des têtes chercheuses qui défont sur leur passage les strates, qui percent les murs de signifiance et jaillissent des trous de subjectivité, abattent les arbres au profit de véritables rhizomes, et pilotent les flux sur des lignes de déterritorialisation positive ou de fuite créatrice. Il n’y a plus de strates organisées concentriquement, il n’y a plus de trous noirs autour desquels les lignes s’enroulent pour les border, plus de murs où s’accrochent les dichotomies, les binarités, les valeurs bipolaires. Il n’y a plus un visage qui fait redondance avec un paysage, un tableau, une petite phrase musicale, et où perpétuellement l’un fait penser à l’autre, sur la surface unifiée du mur ou dans le tournoiement central du trou noir. Mais chaque trait libéré de visagéité fait rhizome avec un trait libéré de paysagéité, de picturalité, de musicalité : non pas une collection d’objets partiels, mais un bloc vivant, une connexion de tiges où les traits d’un visage entrent dans une multiplicité réelle, dans un diagramme, avec un trait de paysage inconnu, un trait de peinture ou de musique qui se trouvent alors effectivement produits, créés, suivant des quanta de déterritorialisation positive absolue, et non plus évoqués ni rappelés d’après des systèmes de reterritorialisation. Un trait de guêpe et un trait d’orchidée. Quanta qui marquent autant de mutations de machines abstraites, les unes en fonction des autres. S’ouvre un possible rhizomatique, opérant une potentialisation du possible, contre le possible arborescent qui marquait une fermeture, une impuissance.
Visage, quelle horreur, il est naturellement paysage lunaire, avec ses pores, ses méplats, ses mats, ses brillants, ses blancheurs et ses trous : il n’y a pas besoin d’en faire un gros plan pour le rendre inhumain, il est gros plan naturellement, et naturellement inhumain, monstrueuse cagoule. Forcément, puisqu’il est produit par une machine, et pour les exigences d’un appareil de pouvoir spécial qui la déclenche, qui pousse la déterritorialisation à l’absolu tout en la maintenant dans le négatif. Mais nous tombions dans la nostalgie du retour ou de la régression quand nous opposions la tête humaine, spirituelle et primitive, au visage inhumain. En vérité, il n’y a que des inhumanités, l’homme est seulement fait d’inhumanités, mais très différentes, et suivant des natures et à des vitesses très différentes. L’inhumanité primitive, celle du pré-visage, c’est toute la polyvocité d’une sémiotique qui fait de la tête une appartenance au corps, à un corps déjà relativement déterritorialisé, en branchement avec des devenirs spirituels-animaux. Au-delà du visage, une tout autre inhumanité encore : non plus celle de la tête primitive, mais celle des « têtes chercheuses » où les pointes de déterritorialisation deviennent opératoires, les lignes de déterritorialisation deviennent positives absolues, formant d’étranges devenirs nouveaux, de nouvelles polyvocités. Devenir-clandestin, partout faire rhizome, pour la merveille d’une vie non humaine à créer. Visage mon amour, mais enfin devenu tête chercheuse... Année zen, année omega, année ω... Faut-il ainsi finir sur trois états, pas plus, têtes primitives, visage-christ et têtes chercheuses ?
1. Josef von Sternberg, Souvenirs d’un montreur d’ombres, Laffont, p. 342-343.
2. Sur ce ballet, cf. le Debussy de Jean Barraqué, Éd. du Seuil, qui cite le texte de l’argument, p. 166-171.
3. Cf. Isakower, « Contribution à la psychopathologie des phénomènes associés à l’endormissement », Nouvelle revue de psychanalyse, no 5, 1972 ; Lewin, « Le sommeil, la bouche et l’écran du rêve », ibid. ; Spitz, De la naissance à la parole, P.U.F., p. 57-63.
4. Henry Miller, Tropique du Capricorne, Éd. du Chêne, p. 177-179.
5. Klaatsch, « L’évolution du genre humain », in L’Univers et l’humanité, par Kreomer, t. II : « C’est en vain que nous avons essayé de trouver une trace de liséré rouge des lèvres chez les jeunes chimpanzés vivants qui, pour le reste, ressemblent tant à l’homme. (...) Que serait le visage le plus gracieux d’une jeune fille si la bouche apparaissait comme une raie entre deux bords blancs ? (...) D’autre part, la région pectorale chez l’anthropoïde porte les deux mamelons des glandes mammaires, mais il ne s’y forme jamais de bourrelets de graisse comparables aux seins. » Et la formule d’Émile Devaux, L’espèce, l’instinct, l’homme, Éd. Le François, p. 264 : « C’est l’enfant qui a fait le sein de la femme et c’est la mère qui a fait les lèvres de l’enfant. »
6. Les exercices de visage jouent un rôle essentiel dans les principes pédagogiques de J.-B. de la Salle. Mais déjà Ignace de Loyola avait joint à son enseignement des exercices de paysage ou des « compositions de lieu », concernant la vie du Christ, l’enfer, le monde, etc. : il s’agit, comme dit Barthes, d’images squelettiques subordonnées à un langage, mais aussi de schèmes actifs à compléter, à colorier, tels qu’on les retrouvera dans les catéchismes et manuels pieux.
7. Chrétien de Troyes, Perceval ou le roman du Graal, Gallimard, « Folio », p. 110-111. Dans le roman de Malcolm Lowry, Ultramarine (Denoël, p. 182-196), on trouve une scène semblable, dominée par la « machinerie » du bateau : un pigeon se noie dans l’eau infestée de requins, « feuille rouge tombée sur un torrent blanc », et qui va évoquer irrésistiblement un visage sanglant. La scène de Lowry est prise dans des éléments tellement différents, organisée si spécialement qu’il n’y a aucune influence, mais seulement rencontre avec la scène de Chrétien de Troyes. C’est d’autant plus la confirmation d’une véritable machine abstraite trou noir ou tache rouge-mur blanc (neige ou eau).
8. Eisenstein, Film Form, Meridian Books, p. 194-199 : « C’est la bouilloire qui a commencé... La première phrase de Dickens dans Le grillon du foyer. Quoi de plus éloigné des films ? Mais, pour étrange que cela paraisse, le cinéma aussi se mit à bouillir dans cette bouilloire. (...) Dès que nous y reconnaissons un gros plan typique, nous nous écrions : C’est du pur Griffith, évidemment... Cette bouilloire est un gros plan typiquement griffithien. Un gros plan saturé de cette atmosphère à la Dickens dont Griffith, avec une égale maîtrise, peut entourer la figure austère de la vie dans Loin à l’est, et la figure morale glacée des personnages, qui poussait la coupable Anna sur la surface mobile d’un bloc de glace qui bascule » (on retrouve ici le mur blanc).
9. Jacques Lizot, Le cercle des feux, Éd. du Seuil, p. 34 sq.
10. Sur la saisie de l’étranger comme Autre, cf. Haudricourt, « L’origine des clones et des clans », in L’Homme, janvier 1964, p. 98-102. Et Jaulin, Gens du soi, gens de l’autre, 10-18 (préface, p. 20).
11. Maurice Ronai montre comment le paysage, dans sa réalité non moins que dans sa notion, renvoie à une sémiotique et à des appareils de pouvoir très particuliers : la géographie y trouve une de ses sources, mais aussi un principe de sa dépendance politique (le paysage comme « visage de la patrie ou de la nation »). Cf. « Paysages », in Herodote, no 1, janvier 1976.
12. Cf. Jacques Mercier, Rouleaux magiques éthiopiens, Éd. du Seuil. Et « Les peintures des rouleaux protecteurs éthiopiens », Journal of Ethiopian Studies, XII, juillet 1974 ; « Étude stylistique des peintures de rouleaux protecteurs éthiopiens », Objets et mondes, XIV, été 1974 (« L’œil vaut pour le visage qui vaut pour le corps. (...) Dans les espaces intérieurs sont dessinées des pupilles. (...) C’est pourquoi il faut parler de directions de sens magiques à base d’yeux et de visages, les motifs décoratifs traditionnels tels que croisillons, damiers, étoiles à quatre branches, etc., étant utilisés »). Le pouvoir du Négus, avec son ascendance solomonienne, avec sa cour de magiciens, passait par des yeux de braise, agissant comme trou noir, ange ou démon. L’ensemble des études de J. Mercier forment un apport essentiel pour toute analyse des fonctions du visage.
13. Sur la manière dont Eisenstein lui-même distingue sa conception du gros plan et celle de Griffith, cf. Film Form.
14. C’est un thème courant du roman de terreur et de la science-fiction : les yeux sont dans le trou noir, et non l’inverse (« je vois un disque lumineux émerger de ce trou noir, on dirait des yeux »). Les bandes dessinées, par exemple Circus no 2, présentent un trou noir peuplé de visages et d’yeux et la traversée de ce trou noir. Sur le rapport des yeux avec les trous et les murs, cf. les textes et dessins de J.-L. Parant, notamment Les yeux MMDVI, Bourgois.
15. Cf. Les analyses de Jean Paris, L’espace et le regard, Éd. du Seuil, I, ch. I (de même, l’évolution de la Vierge et la variation des rapports de son visage avec celui de l’enfant Jésus : II, ch. II).
16. D.H. Lawrence, Études sur la littérature classique américaine, Éd. du Seuil, « Hermann Melville ou l’impossible retour » : le texte de Lawrence commence par une belle distinction des yeux terrestres et des yeux maritimes.
17. Henry Miller, Tropique du Capricorne, p. 345.
18. Ibid., p. 95.
19. P. 96.
20. L’Analyse caractérielle de Reich (Payot) considère le visage et les traits de visagéité comme une des premières pièces de la « cuirasse » de caractère et des résistances du moi (cf. « l’anneau oculaire », puis « l’anneau oral »). L’organisation de ces anneaux se fait sur des plans perpendiculaires au « courant orgonotique », et s’oppose au libre mouvement de ce courant dans tout le corps. D’où l’importance d’éliminer la cuirasse ou de « résoudre les anneaux ». Cf. p. 311 sq.
21. D.H. Lawrence, Ibid.
22. Lawrence, Kangourou, Gallimard.