L’érotisme est répandu partout de la même façon… mais différemment. Pour comprendre l’érotisme chinois, il faut d’abord le replacer dans son contexte culturel et essayer de faire abstraction du nôtre.

En Occident, l’érotisme est le péché par excellence. Certaines expressions sont révélatrices : nous disons simplement, ou plutôt disions, « cette femme a péché » pour signifier qu’elle avait fait l’amour en dehors du mariage. L’incident de la femme adultère et la rencontre de Jésus avec Marie-Madeleine indiquent que les Évangiles réagissaient contre l’hypocrisie des sépulcres blanchis, la lapidation des femmes adultères.

Mais quand le christianisme s’est institutionnalisé en Église avec sa hiérarchie, et a constitué une idéologie, il a repris à son compte les condamnations de la Bible, comme le fera également le Coran. L’humanisme de l’Antiquité gréco-romaine était définitivement enterré. Une invention terrible, celle de l’enfer éternel, allait refréner toute velléité de libération, car elle était liée à une peur commune, celle de la mort. La peinture occidentale nous en apprend aussi sur les mentalités : le tableau représentant l’enfer qui se trouve au Museu Nacional de Arte Antigua de Lisbonne et qui est reproduit – ce n’est pas un hasard – dans plusieurs livres sur l’érotisme, dévoile des corps de femmes nus, suppliciés dans un sadisme délirant, devant un Lucifer assis sur son trône et qui jouit du spectacle. Combien d’autres tableaux montrent des femmes nues ou parées de beaux atours comme si elles n’existaient que pour entraîner les hommes vers la damnation ? Cette confusion entre érotisme et péché a engendré la croyance qu’Ève, en faisant croquer la pomme à Adam, l’a initié à la luxure et que ce péché les a fait chasser du paradis. Or le texte de la Bible indique que c’est pour avoir voulu goûter au fruit de l’arbre de la Connaissance que Dieu les a châtiés.

Dès lors, en Occident, l’érotisme va être la conquête de la femme, c’est-à-dire la lutte contre la peur du péché et de l’enfer, à la fois dans l’esprit du séducteur et de celle qu’il va séduire. Tel est le sens du mythe de don Juan, si important pour comprendre nos mentalités. L’attirance pour l’érotisme repose sur la joie d’enfreindre le tabou au goût de soufre, ancré au plus profond de l’âme ; don Juan est celui qui se mesure au Commandeur, émissaire de l’enfer. Quand l’idée de Dieu commença à disparaître dans un flou plus ou moins nuageux, il resta le bovarysme qui conduisit Emma au suicide ; et les interdits de papes vieillissants, qui profitent du désarroi ambiant pour priver l’humanité des plaisirs qu’eux-mêmes ont laissés passer. Certains ont cru se libérer en créant le naturisme, c’est-à-dire en privant l’érotisme de son aura culturelle : rien ne pouvait être plus sinistre, car l’érotisme c’est la sexualité transfigurée par une culture.