J’ai commencé ma collection par de l’art bidimensionnel, dont je me sentais le plus proche en tant qu’artiste peintre. Grâce à ma formation aux beaux-arts, je me suis essayé en outre à la restauration d’œuvres abîmées. Peu à peu, le domaine de ma collection s’est étendu, entre autres, aux statuettes en porcelaine, aux sculptures en ivoire, aux peintures fixées sous verre, aux boîtes ornées d’incrustations, à la céramique. Toutes ces pièces proviennent d’un monde qui n’existe plus. Elles sont l’œuvre d’experts, façonnées avec amour et attention, chacune d’entre elles ayant sa propre histoire. Elles expriment une poésie qui enrichit l’existence humaine en ramenant le passé à la vie. Elles composent le monde idéal du collectionneur. Un de mes projets est d’ailleurs de réaliser un autre livre qui s’attacherait plus spécialement aux objets d’art érotique chinois. Au début de ma quête, j’ai fait quelques erreurs dues à ma connaissance limitée en la matière. Il me semblait évident de revendre certains objets qui, pour une raison ou une autre, me plaisaient moins à ce moment-là. De cette manière, je pouvais conserver mes pièces de prédilection. De surcroît, l’argent obtenu me permettait de supporter les frais de nouveaux achats. Plus tard, je l’ai terriblement regretté lorsque, l’œil mieux aguerri, je me suis rendu compte de ce que j’avais bradé. Auparavant, par manque d’éléments suffisants de comparaison, j’avais beaucoup plus de mal à reconnaître la qualité d’une pièce, à l’estimer à sa juste valeur, comme j’ai pu le faire plus tard, après avoir eu tant d’objets d’art entre les mains. Heureusement, j’ai eu la chance de pouvoir racheter quelques tableaux.
Collectionner est une question d’apprentissage. Le regard s’élargit et, lentement, on commence à observer les choses différemment. Au départ, on commet des erreurs monumentales, qui permettent toutefois d’évoluer. Il faut apprendre à ses dépens. Petit à petit, collectionner devient une aventure, une quête qui amène chaque jour sa nouvelle découverte.
Quand j’ai acheté ma première statuette en bronze, j’étais entièrement satisfait de son esthétique, de sa patine, de ses fines décorations. Peu de temps après, un ami, conservateur dans un musée anthropologique, est passé me voir. Il était encore à quelques mètres de l’objet lorsqu’il s’est écrié : « Qu’as-tu acheté là ? Tu as trouvé ça chez un ferrailleur ? » Complètement désarçonné, je me suis demandé : « Mais que voit donc cet homme que je ne vois pas ? » Ce n’est que bien plus tard qu’on se rend compte avec joie et étonnement qu’on a soi-même développé ce regard.
Constituer une collection n’est pas seulement une question de choix dans les achats, il faut aussi apprendre à sélectionner les objets que l’on possède déjà. Certaines œuvres ne résistent plus à l’épreuve de la critique et il faut donc les éliminer. Tous les collectionneurs, ou presque, deviennent ainsi un peu commerçants, car éliminer signifie vendre dans le but d’améliorer la collection, pour nourrir de plus grands projets. Je dois néanmoins préciser que cette sélection ne s’attache pas uniquement à la qualité, mais aussi à la diversité.
En effet, il est important de représenter différents styles et courants au sein d’une collection, même si certains d’entre eux sont peut-être de moindre qualité artistique. De cette manière, tout se cristallise patiemment, avec soin et aussi, hormis l’expertise, selon sa propre optique personnelle.