Il était perdu. Perdu dans un tourbillon d’extase vermillon. Une tornade de guérison, de faim et de désir. Perdu, jusqu’à ce que le somptueux élixir qui réveillait sa force vitale et soulageait sa douleur parvienne enfin à chasser la brume qui voilait son esprit. Oui, cette morsure le ramenait à la vie et apaisait la douleur qui engourdissait son esprit, mais elle remplaçait cette brume par une soif tout aussi enivrante. Avec un effort surhumain, il parvint enfin à retirer ses canines acérées de la peau douce d’Anna. Il leva les yeux vers elle.
Elle le regardait, les yeux alanguis par l’effet analgésique du baiser du vampire et de la passion qui l’accompagnait. Pour ceux de son espèce, le sang et le sexe étaient deux besoins vitaux si mêlés qu’assouvir l’un nourrissait le besoin d’assouvir l’autre. Il en était de même pour les victimes. Partager son sang était un acte aussi intime que l’acte d’amour. Peut-être même plus. Une expérience d’une rare puissance. En plongeant son regard dans celui d’Anna, il comprit qu’il la désirait. Elle, ivre de la morsure qu’il venait de lui faire, semblait le supplier du regard. Résistant à son désir ardent, il secoua la tête et la repoussa.
— Non.
Mais elle saisit l’ourlet de son T-shirt et le passa par-dessus sa tête. Ses seins ronds jaillirent vers la liberté.
Elle se pencha vers lui de nouveau. Ses lèvres trouvèrent sa bouche et commencèrent leur exploration avec voracité.
— Je te désire depuis toujours…
Il n’avait plus le choix. Il n’était pas fait de pierre. Il était une créature de passion ! Le sang et le sexe se mêlaient en lui. Cela faisait partie de son identité profonde. Inutile de résister. Jamais il n’avait ressenti un tel désir de sa vie. Jamais. Pas même avec Cassandra. Passant ses bras autour d’Anna, il répondit à son baiser. Il sentit aussitôt le brasier de l’enfer se mettre à rugir, les enveloppant tous les deux.
Pourtant, il avait l’impression d’être au paradis.
* * *
Anna perdit la tête. Ne restaient plus que son corps et ses sens surchauffés. Et le plaisir. Un plaisir exaltant qui la laissait frissonnante et presque sans force. Lentement, elle finit par reprendre ses esprits. Elle était nue, allongée contre Diego. Elle venait de faire l’amour pendant des heures avec un homme qui avait été à l’article de la mort.
Non, pas un homme. Un vampire.
Son esprit refusait encore cette vérité, mais elle ne voyait aucune autre façon d’expliquer la situation. Elle posa une main sur son cou. Oui, il y avait bien là deux petites blessures. Deux trous minuscules encore sensibles. Il avait avoué la vérité. Et, comme si cela n’avait pas suffi, il l’avait mordue au cou. Il avait bu son sang.
C’était un vampire.
Pourtant, elle n’avait pas peur de lui. Elle ne ressentait pas le besoin de s’enfuir. En réalité… Jamais elle ne s’était sentie aussi bien de sa vie. Il lui avait dévoilé sa véritable nature et avait entrouvert la porte vers son monde secret et solitaire.
Malgré le peu de temps qui lui restait, elle accueillait cette réalité. Quelle différence cela ferait-il quand elle serait morte ? Elle se redressa sur son coude et le regarda en souriant. Il ne bougeait pas.
— Diego ?
Il restait immobile. Absolument immobile.
— Diego ? Ça ne va pas ? demanda-t-elle en lui touchant l’épaule. Diego, réveille-toi !
Aucune réponse.
Elle le secoua avec force. Rien. Elle l’avait tué ! Dans le feu de leur passion, le garrot avait dû se détacher et… Elle commença à examiner son bras avec inquiétude. Le garrot était toujours en place, mais la blessure… La blessure avait déjà commencé à disparaître.
Elle se frotta les yeux, puis s’approcha pour constater l’impossible. La coupure était en train de guérir. Quelques minutes plus tard, elle ne vit plus qu’une mince ligne rouge, qui pâlissait à vue d’œil. Avec précaution, retenant son souffle, elle desserra le garrot sans quitter le bras des yeux. L’hémorragie avait cessé. Il n’y avait plus de blessure.
Si je tiens jusqu’au matin, tout ira bien.
Ce devait être le matin. Il semblait que, la journée, ses blessures guérissaient. Le plus étrange était cependant qu’il ne paraissait même plus vivant. Il ressemblait à un cadavre. Sans la raideur. Ni le contact glacé. D’ailleurs, sa peau semblait plus colorée que jamais.
Lentement, sans le quitter des yeux, elle se glissa hors du lit. Comment savoir s’il était vivant ou mort ? Elle recula d’un pas. Elle allait devoir attendre la tombée de la nuit. Alors, elle saurait. S’il ne se réveillait pas, il lui faudrait l’enterrer. Les larmes aux yeux, elle le serra dans ses bras.
— Ne meurs pas, Diego ! Je t’en prie. Je me moque bien de ce que tu peux être. Tu m’as sauvé la vie. Plus que ça, même. Tu m’as convaincue de vivre, pour le peu de temps qu’il me reste. Je t’en serai toujours reconnaissante. Tu es mon ange gardien, même si certains te qualifieraient de démon. Je ne veux pas te perdre. Je t’en prie, ne meurs pas. Diego ? S’il te plaît…
Elle pleura comme jamais elle n’avait pleuré auparavant, même le jour où elle avait appris la nouvelle de sa mort, et finit par s’endormir, la tête posée sur sa poitrine. Elle dormit pendant la plus grande partie de la journée.
* * *
Lorsqu’elle se réveilla enfin, il était dix-neuf heures passées, mais c’était l’été et le soleil ne se coucherait pas avant quelques heures encore. Diego ne réagissait toujours pas, mais elle gardait espoir en attendant la nuit. Elle-même se sentait reposée et dans une forme incompréhensible. Elle savait qu’il se réveillerait. Il n’avait pas le choix.
Elle ne parvenait pas à s’empêcher de sourire. Elle se sentait si joyeuse qu’elle avait hâte que Diego se réveille, afin de pouvoir partager avec lui une seconde nuit aussi délicieuse. En attendant, elle décida de tuer le temps du mieux qu’elle put.
Elle commença par prendre une longue douche chaude dans la luxueuse salle de bains. Ensuite, elle essaya plusieurs coiffures devant le miroir et finit par opter pour un chignon lâche, qui laissait s’échapper quelques mèches folles et soyeuses dans son cou. Elle se fit un sarong d’un jeté de lit de soie fauve qu’elle trouvait terriblement romantique. Elle fouilla la maison à la recherche de bougies, dont elle parsema la chambre à coucher. Une demi-heure avant le coucher du soleil, elle se rendit compte qu’elle mourait de faim et se composa un repas de fruits, but un grand verre d’eau, se lava les dents et retourna dans la chambre.
Là, elle alluma les bougies, puis essaya de trouver dans quelle pose il allait la trouver en ouvrant les yeux. Quelques minutes s’égrainèrent lentement. Puis d’autres. Elle commença à redouter qu’il ne soit finalement mort. Puis elle le vit froncer le nez, une fois, puis deux. Soudain, il ouvrit les yeux et s’assit sur son lit en hurlant :
— Au feu !
— Non ! s’écria-t-elle en se précipitant vers lui. Non, Diego, ce sont des bougies. Il n’y a pas d’incendie.
Il regarda la chambre, les yeux fous, avant de bondir du lit sans même un regard pour Anna. Il resta un instant à contempler les petites flammes qui l’entouraient, puis son regard trouva le sien et il sembla s’apaiser un peu.
— Dieu merci, dit-elle avec un sourire soulagé en se levant. Je ne savais pas si tu allais te réveiller ou pas. Quand tu dors, on dirait que… Mais j’ai vu que la blessure guérissait et… Oh ! je suis si heureuse que tu sois en vie, Diego.
Elle s’était approchée de lui en parlant et avait appuyé sa tête sur sa poitrine. Il posa les mains sur ses épaules, mais ne la serra pas contre lui. Il semblait hésitant. Sans doute n’avait-il pas encore repris ses esprits…
— Il faut que tu éteignes ces bougies, Anna. Je le ferais bien moi-même, mais je prends feu si facilement que…
— Prendre feu ? Mais…
— Après la nuit dernière, je crois que tu n’as plus le moindre doute sur ce que je suis vraiment.
Elle eut un sourire timide et toucha son cou.
— Les marques ! s’écria-t-elle. Elles ont disparu !
— Elles guérissent dès qu’un rayon de soleil les touche.
— Oh… Comme tes blessures, alors.
— Non, les miennes guérissent pendant le sommeil diurne. Le soleil aurait un effet très différent sur moi.
— Je vois. Et le feu ?
— Les vampires sont inflammables. Les bougies ne me servent qu’en cas de panne de courant.
— Je ne savais pas. Je suis désolée…
Elle souffla les bougies une à une et la pièce fut bientôt plongée dans l’obscurité.
— As-tu mangé ? demanda Diego en ouvrant la porte de la chambre.
— Oui. Merci.
— Bien. La traversée ne devrait prendre que quatre heures. J’aurai donc le temps de rentrer avant le lever du soleil, si nous partons dans l’heure qui…
— La traversée ?
Il s’arrêta en haut des marches pour la regarder.
— Pour retourner sur le continent. As-tu oublié que je te ramenais là-bas cette nuit ?
Elle ferma les yeux un instant, encaissant le coup. Elle avait l’impression qu’on venait de lui enfoncer une lame en plein cœur.
— Tu devrais…, lança-t-il en regardant pour la première fois son habit de fortune, ce négligé de séductrice improvisée qui n’était déjà plus qu’un jeté de lit noué. Tu devrais te changer.
— Je croyais que… Après ce qui s’est passé hier… Ce que nous avons vécu…
— Ce n’était que l’appel du sang, Anna, expliqua-t-il en détournant les yeux.
Sans doute était-il incapable de la regarder en face, car il savait qu’il se montrait d’une brutalité monstrueuse.
— Lorsqu’un vampire se nourrit d’un être vivant, le désir sexuel est… une sorte d’effet secondaire. C’est presque irrésistible.
Anna sentit des larmes lui brûler les yeux.
— C’est tout ce que c’était pour toi ? Cela aurait pu se produire avec… n’importe qui ?
— Non, pas avec n’importe qui. Mais avec n’importe quelle belle femme, sans doute.
— Alors, cela ne voulait rien dire…
— Cela ne voulait pas dire ce que tu aurais voulu. Peut-on en rester là ?
Elle ne dit rien, mais au fond d’elle-même, là où il ne pouvait sans doute pas le voir, elle bouillait de rage, d’humiliation et de colère.
— Je t’ai donné mon sang, reprit-elle doucement. Et mon corps. Et toi, tu ne veux même pas m’accorder quelques semaines sur ta petite île précieuse avant que je meure ?
— Je te rendrai de nouveau visite avant ta mort, dit-il sans la regarder. Je paierai ma dette en te rendant le même service. En attendant, il vaut mieux que tu partes.
Elle baissa la tête.
— Je vois.
Soudain, elle eut l’impression que quelqu’un était en train de fouiller dans son esprit. Elle leva la tête et vit que Diego était en train de la regarder avec intensité. Essayait-il de lire dans ses pensées ? Incertaine, elle décida de remplir son esprit d’images de la plage, de la maison, de l’île.
— Si cela ne t’ennuie pas, j’aimerais rester seule quelques minutes. Je vais aller sur la plage pour ramasser les affaires qui se sont peut-être échouées pendant la journée.
Il sembla se détendre un peu.
— C’est une bonne idée. J’ai quelques préparatifs à faire pour le voyage, de toute façon. Je te retrouve au voilier dans… disons, une demi-heure ?
Elle acquiesça et il quitta la chambre. Restée seule, Anna enfila ses vêtements. Avant de sortir, elle s’empara du briquet posé sur la table de nuit. Elle était déterminée à rester sur l’île. Jusqu’à la fin de ses jours. D’après ses calculs, il lui restait peut-être six semaines. Elle les passerait ici, que cela plaise ou non à son vampire de gardien.