Vivi fut réveillée par un chant. Elle s’extirpa d’un sommeil profond en se laissant porter par ce son, le plus beau qu’elle ait jamais entendu. C’était une voix… mais la plus pure, la plus cristalline et la plus enchanteresse qui soit. Elle l’enveloppait, la drapait de lumière. Vivi finit par ouvrir les yeux. C’était la nuit. Elle cligna plusieurs fois des yeux jusqu’à distinguer ce qui ressemblait à une chambre d’hôpital. Il n’y avait qu’un seul lit, une table de chevet montée sur roulettes et une télévision fixée au mur. Assis sur une de ces horribles chaises en plastique que l’on trouve toujours dans ces chambres, elle vit l’homme roux au visage d’ange qui pinçait les cordes d’une guitare, posant sur elle ses yeux couleur d’aurore.
— Vous…, tenta-t-elle de proférer, mais sa voix était comme rouillée.
Elle avait mal à la gorge et au cou. Elle avait mal partout. Son corps lui sembla d’une raideur peu familière, lorsqu’elle tenta de se mettre assise.
— Doucement, doucement, dit l’homme en se levant.
Sa voix. C’était lui qu’elle avait entendu chanter.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle, stupéfaite.
Un sourire illumina son visage à la beauté boudeuse.
— Un sac d’ennuis, répondit-il. Enfin, il paraît. Te souviens-tu de ce qui s’est passé ?
Lorsqu’elle ferma les yeux, tous ses souvenirs lui revinrent pêle-mêle, dans un torrent furieux de colère et de peur. Elle ne reverrait sans doute plus jamais Justin…
— Où est Justin ? Il n’a rien ?
— Il en faut plus que ça pour le tuer. C’est plutôt toi qui l’inquiétais. Vous autres, singes parlants, êtes plutôt du genre fragile… Même les jolies guerrières dures à cuire, ajouta-t-il avec un sourire malin. Belle technique.
— Merci, coassa-t-elle. Et… où suis-je ?
— Plus tard. Je dois continuer à chanter une berceuse aux gardes, pour qu’ils continuent à dormir.
— Les gardes ? Quels gardes ?
— Ton patron, Desmond, a ordonné que tu sois surveillée jusqu’à ce que la situation soit tirée au clair. Il pense ainsi te protéger des copains de Marina au sein de la Guilde. Et de nous aussi. Il n’est pas trop bête, pour un humain.
Après lui avoir adressé une petite révérence moqueuse, il sortit de la chambre en pinçant les cordes de sa guitare. Par la porte entrouverte, elle aperçut un instant quelques silhouettes allongées dans le couloir et entendit des ronflements. La porte se referma.
— Vivi.
Sa voix lui sembla aussi douce que celle de l’homme roux. Justin surgit des ombres près de la fenêtre. Il était plus beau que jamais, son ténébreux roi vampire, mais son regard était prudent. Enfin, jusqu’à ce que Vivi parle.
— Viens ici tout de suite, dit-elle en ouvrant les bras.
Il fut près d’elle en un instant. Le simple contact de son corps contre le sien la remplit d’une joie qu’elle avait toujours crue réservée aux romances et aux contes de fées. Elle enfouit le visage dans son cou pour humer son parfum.
— Pas vraiment, répondit-il d’une voix bourrue en la serrant contre lui. La première nuit, lorsque j’ai laissé Adam filer, je savais qu’il causerait des ennuis. Je n’avais pas envisagé qu’il puisse me trahir en me donnant aux Chasseurs.
— Si ça peut te consoler, moi non plus. C’est un coup bas, même pour le genre de vampires que je pourchasse.
Toutes les horreurs qu’elle avait vécues s’estompaient.
— Il a bien failli t’emporter la moitié du cou, expliqua-t-il avec une angoisse visible. Je voulais te donner ce choix, mais il a failli tout gâcher. Je te surveille de près. Tommy a même menacé de me planter un pieu dans le cœur si j’osais simplement regarder ton cou, mais…
— Le choix ? s’enquit Vivi, avant de comprendre. Mais tu m’aurais sauvée en me transformant en vampire.
— Pas exactement. Je voulais simplement que tu ne me haïsses pas pour ça, répliqua Justin en lui embrassant le front, puis la joue, puis les lèvres. Je t’aime. Je sais que le contrat disait de ne pas s’attacher, mais il est presque impossible de ne pas tomber amoureux de toi.
Il resta silencieux un instant. Lorsqu’il reprit, ses yeux étaient noirs comme la nuit.
— Je veux que tu restes avec moi. Mais je ne pouvais t’imposer ce choix.
Vivi se laissa le temps de réfléchir, mais se rendit compte que rien ne lui faisait plus envie que de se réveiller chaque jour aux côtés de Justin. Chaque nuit, plutôt. Pour toujours.
— Un peu comme des vacances prolongées, c’est ça ? demanda-t-elle avec un sourire.
— Très prolongées, oui, répondit-il en repoussant avec tendresse une mèche de cheveux derrière son oreille.
Le sourire de Vivi disparut lorsqu’elle pensa soudain à ses parents et à son frère. Elle ne pouvait disparaître ainsi de leur vie. D’ailleurs, elle n’en avait pas envie. L’idée de faire partie du monde de Justin la fascinait. Elle appartenait au monde de la nuit depuis si longtemps qu’elle ne craignait pas de passer de l’autre côté. Elle soupçonnait même qu’elle se sentirait chez elle à Terra Noctem. Plus que parmi les Chasseurs, sans doute. Cependant, elle ne pouvait laisser toute sa vie derrière elle. Justin sembla le comprendre avant qu’elle n’en parle.
— Je veux rencontrer ta famille, dit-il. Je ne veux pas te priver de ceux que tu aimes. Tu pourras les voir chaque fois que tu en auras envie. Tout ce que tu voudras, tout ce dont tu auras besoin, je te l’offre. J’ai laissé mon devoir et mon travail dominer ma vie trop longtemps. Nous pourrons voyager. Explorer le monde ensemble… Tu es tout ce que j’ai jamais pu souhaiter. Je t’aime, Vivi. Je ne veux pas affronter l’éternité sans toi.
C’était exactement ce qu’elle avait besoin d’entendre. Tous les doutes qui pouvaient subsister s’envolèrent devant la certitude de ce qui les attendait. Elle se vit en train d’installer une machine à karaoké dans son bureau, elle imagina le grand chien baveur qu’elle adopterait pour lui tenir compagnie lorsque Justin serait occupé. Elle se vit passant ses journées à essayer de l’attirer dans des recoins sombres pour pouvoir le toucher. Il serait sien et elle serait sienne.
— Je t’aime, dit-elle. Je vais sans doute te faire tourner en bourrique, mais je t’aime. Assez pour des vacances permanentes. Assez pour l’éternité.
— J’ai déjà hâte d’y être, assura Justin d’une voix douce avant de l’embrasser.