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— Arrêtez !

Le front en sueur, les muscles tressaillant sous l’effort, Roarke luttait pour recouvrer la maîtrise de lui-même. Elle lui avait hurlé d’arrêter. Plusieurs fois. Il devait lui obéir. Il ne pouvait la prendre contre sa volonté. Il avait beau être une bête, il n’était pas un monstre. Prenant appui sur le dossier du canapé, il se releva. Soudain, elle se cambra vers lui, enroulant ses jambes autour de sa taille.

— Non…, murmura-t-elle, haletant avec peine. Ne vous arrêtez pas… Attendez… Juste une minute…

Roarke savait que son membre était imposant et que la plupart des femmes avaient besoin de temps pour s’y adapter. Or, Patricia ne l’avait pas encore laissé entrer en elle.

— Que… ?

— Comment vous appelez-vous ? demanda-t-elle, le visage cramoisi. Je ne connais même pas votre nom…

— Roarke…

Quelque chose le retint d’en révéler davantage. Cela n’avait rien à voir avec les accords de confidentialité de chez E. Graves Finances. C’était plutôt un instinct de survie. Si elle ne savait pas où il habitait et ne connaissait pas son nom de famille, elle ne serait pas en mesure de le retrouver. Elle ne pourrait avertir quiconque si elle finissait par découvrir qui il était vraiment. C’était étrange… Il n’avait pas voulu prendre le risque de lui faire l’amour, persuadé qu’il ne parviendrait pas à se maîtriser. Pourtant, il s’était arrêté, presque immédiatement, lorsqu’elle le lui avait demandé. Peut-être en était-il capable, après tout.

— Je dois savoir…, reprit-elle. Je dois savoir quel nom crier lorsque vous me ferez jouir.

Ces simples mots faillirent le faire exploser. Sentant sa volonté s’effriter, il plongea dans ses profondeurs humides. Elle se cambra pour mieux l’accueillir tout entier, serrant son membre sur toute sa longueur. Elle venait à sa rencontre à chaque va-et-vient, le recevant toujours plus profondément en elle. Il enfouit son visage contre son épaule, mais prit bien soin de garder les lèvres fermées sur ses canines. Il mourait d’envie de la goûter, de savourer plus que sa peau ou son parfum. Il voulait boire son essence même : son sang. Impossible. Il ne mordait pas les humains, se contentant d’un ersatz sans goût pour survivre. Jusqu’à présent, il n’avait jamais compris pourquoi les autres membres de la Société cédaient à leurs pulsions les plus primaires. Avant elle, il n’avait jamais connu une faim aussi intense. Patricia se crispa, les ongles plantés dans son dos tandis qu’elle jouissait de nouveau. Comme elle l’avait promis, elle cria son nom.

— Roarke !

Il accéléra la cadence jusqu’à jouir à son tour.

— Patricia…

Son corps, si doux et si souple quelques secondes auparavant, se crispa sous lui. Des regrets ? Il comprenait qu’elle puisse en avoir à cet instant, surtout après la méfiance et l’agressivité dont il avait fait preuve à son égard.

— Arrête…, dit-il.

Il éloigna ses dents de la tentation de sa gorge pour venir goûter la douceur de ses lèvres.

— Arrête de réfléchir, chuchota-t-il encore, le souffle court.

Ses yeux constellés de paillettes dorées se posèrent sur lui.

— Profite de ce que tu ressens…

Encore enfoui en elle, il se sentait déjà durcir et reprit ses mouvements. Avec un gémissement, elle se cambra de nouveau vers lui, plaquant ses hanches contre les siennes. Elle s’agrippa à ses épaules comme une désespérée.

— Ce sont tes vacances, lui rappela-t-il, au creux de son oreille. Il n’y a que nous deux sur cette île.

Elle frissonna.

— Si je comprends bien, murmura-t-elle, plus amusée qu’inquiète, ce qui se passe ici ne sort pas d’ici ?

Déjà, il avait envie qu’elle reste plus longtemps que ces quinze jours promis, mais il ne pouvait la forcer à rester pour toujours. Lorsque ses vacances seraient terminées, elle retournerait à sa vie à Zantrax. Roarke, lui, retournerait à la promesse posthume qu’il avait faite à son cousin : venger sa mort en tuant celle qui l’avait tué.

*  *  *

Si les vacances ressemblaient à ça, alors Piper regrettait de ne pas en avoir pris plus tôt. Le peu de temps libre qu’elle avait eu entre deux séances photo, elle l’avait consacré à ses études. Ensuite, après le début du cauchemar, elle n’avait plus osé. Non seulement elle craignait que quelqu’un ne la reconnaisse, mais elle redoutait ces moments de détente, qui risquaient de lui remémorer trop de souvenirs. En revanche, faire l’amour avec Roarke n’avait rien à voir avec tout cela. D’ailleurs, elle ne parvenait plus à penser. Seules les sensations comptaient.

Il était tellement agréable à toucher. Ses muscles fermes roulaient sous sa peau souple, lorsqu’elle laissait ses doigts glisser sur lui… le long de son large dos, de ses épaules, de son torse où quelques boucles venaient lui chatouiller la paume. La pointe de sa langue vint agacer la commissure de ses lèvres jusqu’à ce qu’elle entrouvre la bouche, puis se mit à suivre les allées et venues qu’il effectuait en elle. Elle suivit son rythme, répondant à chacune de ses avancées par un mouvement de bassin et un coup de langue. C’était tellement bon. Elle n’était pas vierge. Avant qu’elle ne se réfugie dans l’anonymat, elle avait eu quelques petits amis qui évoluaient dans les mêmes cercles qu’elle. Ce n’était que des garçons sans maturité. Roarke, lui, était un homme. Un homme qui savait parfaitement comment satisfaire une femme. Jamais Piper ne s’était sentie aussi bien. Jamais elle n’avait connu un plaisir aussi intense que celui qu’il lui procurait.

Roarke glissa une main entre eux, caressant du pouce l’endroit où leurs deux corps se joignaient. Il écarta sa bouche de la sienne pour venir goûter ses seins, passant sa langue sur les bouts roses et érigés, tandis que son pouce poursuivait ses caresses de plus belle. Piper jouit dans un feu d’artifice d’extase. Elle s’agrippa à lui de toutes ses forces, le serrant en elle pour l’attirer plus profondément, laissant le plaisir se répandre en longs frissons le long de son corps. Ses orteils se recroquevillèrent. Roarke jouit à son tour, la remplissant de son plaisir, criant le même mensonge que la première fois. Ce mensonge qui la fit se crisper sous le coup de la culpabilité. Le mensonge qu’elle avait créé.

— Patricia !

La culpabilité lui gâchait le bien-être laissé par le plaisir qu’il lui avait donné. Un plaisir qu’il lui aurait refusé s’il n’avait pas cru à ses mensonges. Un plaisir qu’elle lui volait donc, avec la confiance qu’elle ne méritait pas. Bien sûr, elle avait menti pour se protéger, car elle soupçonnait qu’elle serait en danger si elle avouait sa véritable identité. Elle n’avait jamais envisagé qu’elle puisse un jour représenter un danger. Le cauchemar lui était revenu dans cette brume rouge. Rouge sang ? Oui, mais le sang de qui ? Roarke lui caressa la joue du doigt, puis lui prit le menton pour la forcer à le regarder, les yeux pleins de sollicitude.

— Ça va ? Je ne t’ai pas fait mal, au moins ?

Elle fit signe que non. A en croire Roarke, Piper l’avait blessé. A en croire le chagrin qu’elle pouvait lire sur son visage, cela avait dû être très douloureux.

— Cela faisait longtemps, pour moi, avoua-t-il. J’espère que je n’ai pas été trop brutal.

Ses doigts dansaient sur sa peau, comme à la recherche d’éventuels bleus.

— Qui était-ce ? demanda-t-elle, désireuse de savoir.

— De qui parles-tu ? Il n’y a que nous deux sur cette île.

— Qui as-tu perdu ?

Elle devait savoir s’il s’agissait d’une épouse ou d’une amante. Y avait-il eu un fantôme entre eux lorsqu’ils avaient fait l’amour ? Avait-il pensé à une autre ?

— Qui crois-tu que cette Piper ait tué ? demanda-t-il en se retirant à la fois physiquement et mentalement.

Elle le sentit se crisper et il s’écarta d’elle pour enfiler son pantalon. Peut-être ses mains tremblaient-elles trop pour le reboutonner, car il le laissa ouvert, dévoilant ses hanches et les muscles de son ventre. Elle le désirait encore. Déjà. Jamais on ne lui avait fait l’amour de façon aussi totale. Jamais on ne l’avait haïe avec autant de force, non plus. L’intensité de sa colère, de la vengeance et du chagrin était de nouveau visible sur le visage de Roarke.

— Je sais que c’est elle qui l’a tué.

— Qui ça ?

— Mon cousin. Mon meilleur ami…

C’est moi, Rick Monterusso, dit l’homme en souriant.

Roarke, lui, ne souriait pas. L’homme auquel elle pensait souriait pourtant lorsqu’il s’était présenté à elle, comme si elle était censée le reconnaître. Il l’avait regardée comme s’ils étaient déjà intimes, alors qu’elle ne l’avait jamais vu de sa vie. Comment était-il entré dans l’appartement ? Elle sentit son cœur battre plus vite, sous l’effet d’une peur panique. Les souvenirs affluèrent. De vrais souvenirs, pas de simples fragments d’un cauchemar qu’elle n’avait jamais été capable d’oublier. Les sensations recouvraient les images, si bien qu’elle ne parvenait pas à se concentrer. De nouveau, le voile rouge l’aveuglait. Elle se mit à trembler, avec une violence rare, comme prise de convulsions.

— Patricia ! s’écria Roarke.

Sa voix lui parvenait très vaguement. Il semblait si loin. A moins que ce ne soit elle qui partait à la dérive ?

— Que puis-je faire ? Comment puis-je t’aider ?

Elle lutta pour respirer, puis parvint à articuler, malgré ses lèvres qui tremblaient de façon incontrôlable.

— Je… Mon sac.

— Sac ? répéta-t-il, sans comprendre.

— Sur les marches… J’ai besoin d’un médicament dedans.

Cela faisait trop longtemps qu’elle n’avait pas pris son médicament. C’est pour cela qu’elle était si faible et qu’elle tremblait ainsi. Si elle n’avalait pas un comprimé bientôt, elle savait ce qui allait se produire. Le trou noir complet. Pendant plusieurs heures. Le médecin qui lui avait prescrit ces cachets avait été clair : si elle persistait à les oublier, elle risquait un jour de ne plus être capable de se réveiller. Sur le point de s’évanouir, elle eut le temps d’une dernière pensée : avait-elle attendu trop longtemps ? Etait-il déjà trop tard ?

*  *  *

Roarke s’empara du sac sur le perron et se rua de nouveau dans le bureau, laissant la porte ouverte derrière lui. Les créatures de la nuit savaient qu’il valait mieux éviter de pénétrer dans sa maison. Il n’avait pas peur de ce qui pouvait être tapi dehors. Ce qui l’inquiétait plus, c’était ce qui se passait à l’intérieur.

Il avait déjà remarqué la pâleur de sa peau, mais à présent Patricia était tout simplement livide. Son corps d’un blanc parfait semblait sans vie sur le cuir noir du canapé. Il se pencha sur elle, mais ne perçut aucun souffle s’échappant de ses lèvres. Sa poitrine ne se soulevait pas non plus. Posant une main sur sa gorge, il se mit à chercher un pouls. Son cœur qui, quelques minutes plus tôt, battait la chamade semblait à présent faible et incertain. Elle était vivante. Mais à peine… Etait-ce de sa faute ? Avait-il été trop brutal avec elle ? Il n’avait pas la moindre idée de sa maladie… Ce devait être chronique, car elle avait des médicaments prescrits pour cela.

Sans se soucier de la fermeture Eclair, il éventra le sac pour en répandre le contenu sur le plancher. Un flacon de verre teinté roula d’une pile de robes légères. Il s’en empara. Sans réfléchir, il arracha le couvercle avec sécurité, enfant qui rebondit à travers la pièce. Quelques comprimés se répandirent sur le sol. Il s’empressa de les ramasser. De quoi s’agissait-il ? Ils étaient certainement trop gros pour qu’elle puisse les avaler ainsi, à moitié inconsciente. Quel choix avait-il, pourtant ? Il approcha un comprimé de sa bouche, se frayant un passage entre ses lèvres, puis il força un doigt jusqu’à sa gorge pour s’assurer qu’elle l’avalait bien. Et qu’elle ne s’étranglait pas avec.

Un comprimé suffisait-il ? Etant donné leur taille, sans doute… Elle avait soudainement été prise de convulsions violentes, avant de perdre connaissance. Inquiet, il tâta de nouveau son pouls. Encore très faible. Il s’approcha, frôlant sa bouche de sa joue, mais ne perçut toujours aucun souffle. Avait-elle besoin d’un second comprimé ? Il scruta l’étiquette sur le flacon. La posologie était vague : « selon les besoins ». Oui, mais quels besoins ?

Il avait menti, lorsqu’il avait affirmé ne pas avoir le téléphone. Il possédait un téléphone satellitaire, enfermé avec son ordinateur portable. De cette façon, il pouvait communiquer n’importe où avec l’extérieur. Il allait donc appeler son médecin pour savoir quels étaient ces comprimés et pourquoi Patricia avait besoin de les prendre. Retournant le flacon d’une main tremblante, il aperçut le nom du médecin. Inutile, cependant, de chercher son numéro. Il le connaissait déjà par cœur… Comme tous les autres membres de la Société secrète des vampires.

Le Dr Benjamin Davison était autrefois un cardiologue de renommée internationale, avant de se mettre à travailler… pour la Société secrète des vampires. Depuis, il traitait exclusivement les vampires et les autres créatures de l’obscurité. Pourquoi diable Davison avait-il prescrit des médicaments à une humaine ? A moins que…

Roarke avait admis que Patricia Reynolds n’était pas Piper. En revanche, peut-être était-elle bien plus qu’une simple comptable…