6

Quel bonheur, ces vacances ! Un érotisme qui faisait encore vibrer son corps de plaisir, malgré son état de faiblesse. Du sable chaud sous ses pieds. Une douce brise jouant dans ses cheveux et sur ses épaules nues. Piper poussa un soupir de soulagement. Malgré les avertissements du Dr Davison, elle s’était réveillée. Un peu désorientée, certes, et incapable de se souvenir de l’endroit où elle se trouvait.

Dans un lit. Un grand lit très doux. Le lit de Roarke.

Celui-ci n’avait pas dormi avec elle. Elle soupçonnait qu’il se trouvait toujours dans son bureau, son antre. La double porte en acajou était encore fermée lorsqu’elle était passée devant, dans l’entrée. Elle n’avait pas la moindre idée du temps écoulé depuis qu’elle avait perdu connaissance. Le soleil était couché. On ne voyait qu’une lueur féerique danser sur l’eau. Les premières lueurs de l’aube ou les derniers éclats du crépuscule ? L’eau, d’une teinte vieil or dans cette lumière magique, s’étendait vers l’infini. Aucune autre terre en vue. Aucun signe de vie. Les vagues venaient mourir sur le rivage, léchant ses pieds qui se recroquevillaient dans le sable chaud. Peut-être ne s’était-elle pas réveillée, après tout. Peut-être était-elle morte et montée au ciel. Dans ce cas, elle n’était sans doute pas la meurtrière que Roarke imaginait. Sinon, elle serait descendue tout droit en enfer.

Son esprit laissa enfin les souvenirs du cauchemar refaire surface. L’eau vira au rouge sang et envahit tout. Ses pieds. Ses épaules. Ses bras. Puis ses mains. Elles étaient couvertes de sang. Le sang de cet homme. Elle se laissa tomber à genoux dans le sable. L’eau s’enroula autour de ses jambes nues, mouillant la robe qu’elle avait trouvée étalée sur le lit lorsqu’elle s’était réveillée. Pourtant, l’océan ne pouvait laver ce sang. Ni l’image qui s’imposait à son esprit et semblait se refléter sur la surface scintillante de l’eau.

Il ne ressemblait pas à Roarke. Il était même tout l’opposé. Blond. Yeux bleus. Plus petit et plus svelte. Pourtant il était d’une force phénoménale… Une douleur sombre s’empara de ses membres, tandis qu’elle se remémorait leur lutte. Il lui avait saisi les poignets avec une telle force qu’elle avait cru que ses os allaient se briser. Cherchait-il à l’agresser ou simplement à se défendre ? Au final, c’était elle qui était vivante. Et lui, mort. Il semblait la contempler depuis les profondeurs de l’océan, les yeux écarquillés d’effroi et de chagrin. Du sang coulait sur son corps, jaillissant d’une large plaie sur son torse. Son cœur avait cessé de battre. Comme ça. Son regard s’était voilé de mort.

Patricia se mit à hurler en se rendant compte qu’il ne s’agissait pas là de ce qui lui était arrivé à elle, mais bien de ce qu’elle avait fait. Roarke avait raison.

Elle était une meurtrière.

*  *  *

Il sentit son sang se glacer en entendant son cri. Plus encore que lorsqu’il avait découvert son lit désert. Ils se trouvaient sur une île de quelques hectares, bon sang ! Ou avait-elle bien pu aller ? Il aurait dû rester à son chevet, veiller sur elle. Au lieu de quoi, il était allé téléphoner au médecin, mais Ben Davison n’avait pas décroché. Son répondeur annonçait qu’il avait été appelé en urgence et qu’il rappellerait dès que possible. Roarke ne pouvait attendre. Il devait savoir pourquoi Patricia avait consulté un médecin qu’aucun autre humain n’avait vu depuis des années. Puisqu’il ne pouvait parler à Ben, il lui faudrait demander à Patricia. S’il parvenait à la trouver.

Si elle parvenait encore à parler.

Depuis que son cri l’avait fait sortir de la maison, il n’avait plus rien entendu. Pas un pépiement d’oiseau, pas même le bruissement de la brise dans les arbres. Il suivit ses empreintes de pas dans le sable. Elle semblait avoir marché jusqu’à la plage. Elle était seule. Elle n’avait fui devant personne. Elle n’avait pas cherché à lui échapper. Ensuite, ses empreintes disparaissaient, avalées par les vagues qui brouillaient les pistes.

— Patricia ! appela-t-il. Patricia !

Des oiseaux s’envolèrent dans un grand tumulte d’ailes, dérangés par son cri. Enfin, il l’aperçut. Elle était immobile, agenouillée dans le tourbillon des vagues, ses vêtements trempés. Penchée en avant, elle semblait prier. A moins qu’elle ne soit sur le point de se jeter dans les flots.

— Patricia ! cria-t-il en courant vers elle.

Il tendit une main vers elle, mais eut un brusque mouvement de recul en apercevant sur son cou une cicatrice que ses cheveux longs masquaient en temps normal. La forme de cette cicatrice lui était étrangement familière… Deux marques rapprochées et rondes, comme deux poinçons… Il eut à peine le temps d’effleurer sa peau qu’elle sursauta avec violence, comme de nouveau prise de convulsions. Puis, son corps s’apaisa et elle leva vers lui son beau regard doré.

— Ça va ? demanda-t-il.

Ses yeux se remplirent de larmes. Il s’agenouilla à ses côtés sur le sable pour prendre son visage à deux mains.

— Que se passe-t-il ?

Etait-elle mourante ? Etait-ce pour cela qu’elle avait besoin de ces médicaments ? Il espérait que le Dr Davison ne tarderait pas à rappeler, sinon, il devrait retourner à Zantrax. Il devait parler à Ben, le convaincre de venir l’ausculter. Il ne lui faudrait que quelques minutes pour voler jusque-là, mais il refusait de laisser Patricia seule. Peut-être ne serait-elle plus en vie lorsqu’il reviendrait.

— Je vais trouver de l’aide, promit-il en la serrant contre lui.

Elle résista, le repoussant avec force, au point qu’il fut obligé de lâcher prise. Il manqua de perdre l’équilibre, tandis qu’elle se dressait dans les vagues qui battaient sans relâche le rivage. Elle semblait plus forte, à présent. Peut-être les comprimés avaient-ils enfin fait effet. Qu’était-ce que ces médicaments, à la fin ?

— Je n’ai pas besoin d’aide, assura-t-elle, les yeux toujours brillants de larmes. J’ai juste besoin de…

— De quoi ?

Peu importait ce dont il s’agissait, il voulait le lui donner. Il ne voulait qu’elle. Même après avoir fait deux fois l’amour avec elle, l’intensité de son désir n’avait pas faibli. Au contraire, il la désirait davantage, à présent qu’il savait que leurs deux corps s’assemblaient à la perfection pour se procurer mutuellement un plaisir inouï.

— De quoi as-tu besoin ?

— De toi.

Il en resta muet de stupeur.

— Je te veux, murmura-t-elle, les yeux pleins d’impatience.

Le lien entre eux était si puissant. Plus fort que tout ce qu’il avait pu connaître au cours des siècles passés. Il était heureux de ne jamais être tombé amoureux de personne, de ne jamais avoir cédé à cette vulnérabilité. Après la mort de son cousin, il était devenu encore plus déterminé à rester détaché de tout et tous. Isolé. Sur son île privée. Puis, il avait fait amener cette femme, persuadé qu’elle était une meurtrière sans remords. Persuadé qu’il ne risquerait rien. Il s’était trompé. Sur son identité et sur ses charmes.

— Moi aussi, répondit-il en tendant une main vers elle.

— Non, c’est faux, dit-elle en reculant d’un pas dans l’eau.

— Au début, peut-être…, avoua-t-il. Je pensais que je voulais obtenir justice. A présent, je ne veux plus que toi…

— Je suis toute à toi, assura-t-elle en s’avançant vers lui.

Lorsqu’elle se blottit contre lui, le contact frais de sa robe humide sur sa peau le surprit. Lui-même n’avait pas pris le temps de boutonner sa chemise en sortant à la hâte de la maison. Patricia frissonna. Roarke passa ses bras autour d’elle pour tenter de la réchauffer, de chasser ce frisson, mais lui aussi avait froid. Une étrange sensation lui courait le long du dos, comme un mauvais pressentiment. Il ne parvenait pas à oublier ces mystérieux médicaments.

— Arrête de réfléchir, suggéra-t-elle, comme il l’avait fait quelques heures plus tôt.

Posant une main sur ses paupières, elle le força à fermer les yeux.

— Contente-toi de ressentir…

Il sentit ses lèvres effleurer les siennes, puis ses dents qui mordillaient sa lèvre inférieure, ouvrant sa bouche pour une invasion audacieuse de sa langue. Il resserra son étreinte et répondit à son baiser avec feu. Soudain, elle s’écarta. Il aurait voulu ouvrir les yeux pour protester, mais elle l’en empêchait de ses baisers. Ses mains couraient partout sur son corps, sur son torse, ses épaules, pour lui retirer sa chemise. Soudain, ses doigts effleurèrent son érection et un léger bruit de métal se fit entendre. Elle venait de descendre sa fermeture Eclair.

Suivant le chemin de ses mains, sa bouche se mit à parcourir tout son corps. Le long de son cou, sur son torse. Sa langue passa, fugace, sur le bout de son sein, avant de s’autoriser un petit coup de dents qui le transperça comme une épée de feu. Lorsque ses mains douces se refermèrent sur son sexe érigé, il faillit ne plus pouvoir se contenir. Mais, déjà, ses lèvres les rejoignirent, embrassant l’extrémité de son membre avant de le prendre dans sa bouche. Il lui passa une main dans les cheveux, cherchant à l’éloigner, mais elle résista.

Il ne parvenait même plus à réfléchir. Il ne pensait plus qu’à Patricia en train de lui faire l’amour avec sa bouche. Le plaisir était si intense que c’en était presque douloureux, comme une tension insupportable en lui. Tous ses muscles se crispaient sous son effet, comme suppliant d’être soulagés. Lorsque après une dernière caresse de la langue elle le prit profondément dans sa bouche, il ne put plus se retenir. Il jouit en criant son nom.

— Patricia !

Comment avait-il pu la confondre avec Piper ? Elle était si généreuse. Il finit par tomber à genoux devant elle et passa les bras autour de ses épaules nues. Sa peau était toujours glacée et humide. Son visage aussi était mouillé, mais de larmes. Il sentit quelque chose se nouer dans sa poitrine.

— Ne pleure pas, supplia-t-il. Je t’en prie, ne pleure pas…

La voir ainsi, si effrayée et en détresse, l’affectait presque de façon violente, comme si une main invisible était entrée de force en lui pour lui broyer les entrailles.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-il d’une voix dévorée d’inquiétude.

Quel que soit le problème, il le réglerait. Il lui donnerait tout ce qu’elle désirait. Même si elle désirait partir ? L’idée le rendait aussi malade que ses larmes. Cela lui ferait un mal de chien, peut-être même pire que lorsqu’il avait perdu son cousin, mais il la laisserait repartir. Si c’était vraiment ce qu’elle voulait. Elle ne semblait plus vouloir de lui. Elle lui avait donné du plaisir, certes. Mais, au lieu de le laisser lui faire l’amour, elle s’était écartée pour fuir ses bras. Soudain, elle se mit à courir sur la plage dans la direction opposée à la maison.

A quoi bon ? L’île étant ronde, elle finirait tôt ou tard par revenir à son point de départ. A leur point de départ : le perron de sa maison. Il remonta son pantalon et se lança à sa poursuite. Il n’eut aucune peine à la rattraper. Il la serra contre lui, les mains plaquées sur son ventre pour la retenir, puis il remonta les mains pour s’emparer de ses seins. Le tissu mouillé de sa robe dévoilait sa peau et les pointes dures de ses seins, sur lesquelles il fit jouer son pouce. Elles durcirent de plus belle. Patricia frissonna contre lui.

— Laisse-moi te donner du plaisir, chuchota-t-il en faisant courir ses lèvres le long de sa nuque.

Cela lui plairait-il s’il la mordillait… juste un petit coup de canines ? Non, il ne serait jamais capable de s’en tenir à ça. Il devrait la mordre, la goûter pour de bon… Il ne pouvait se montrer aussi égoïste en prenant son plaisir au prix de sa douleur. Ses mains descendirent le long de son corps jusqu’à l’ourlet de sa robe. Il releva le tissu mouillé, afin de pouvoir la toucher de façon aussi intime qu’elle l’avait touché, passant sa main sur son mont de Vénus pour dénicher le bouton tendu de son excitation. Patricia lui saisit le poignet pour repousser sa main.

— Laisse-moi te faire l’amour, Patricia…

— Arrête…, chuchota-t-elle.

— Laisse-moi te donner autant de plaisir que tu m’en as donné.

Déjà, il craignait d’être en train de tomber amoureux. Se retournant dans ses bras, elle posa un doigt sur ses lèvres.

— Arrête, répéta-t-elle, les yeux brillants de larmes et de regrets. Arrête de m’appeler Patricia.

Le mauvais pressentiment l’envahit de nouveau, lui glaçant le sang.

— Pourquoi ?

— Parce que Patricia n’est pas mon vrai nom, avoua-t-elle.

— Qui es-tu ?

Il connaissait déjà la réponse. Il l’avait toujours connue et s’était menti à lui-même, acceptant son mensonge.

— Tu avais raison depuis le début, dit-elle, confirmant ce qui était soudain devenu sa pire crainte.

Alors même qu’il savait qu’elle lui avouait enfin la vérité, il secoua la tête, refusant d’y croire.

— Non…

— Je suis Piper, lâcha-t-elle dans un soupir. Je suis celle qui a tué ton cousin.