L’arrivée d’un enfant est un véritable bouleversement pour les futurs parents. Ce chamboulement commence bien avant la naissance, car devenir parent ne se fait pas sans un profond réaménagement identitaire qui ressemble peu ou prou à celui que l’on vit à l’adolescence.
Le bouleversement le plus important tient au fait que les futurs parents ne seront plus désormais les enfants de leurs parents, mais à leur tour parents eux-mêmes. Ce passage peut s’avérer difficile, car les liens familiaux vont devoir être réécrits, et ils le seront d’une façon différente dans chaque famille. Cette différence sera inscrite dans la vie du nouveau-né.
Les futurs parents échafaudent parfois un désir d’enfant selon un plan de vie conforme à leurs idéaux personnels, familiaux et sociaux. Mais dans bien des cas, la grossesse se passe de projet programmé, dévoilant ainsi la force des désirs inconscients.
Souvent, il existe une contiguïté dans le temps entre un événement charnière et la survenue de la grossesse. On remarque ainsi que les dates de conception et de naissance correspondent fréquemment à des moments anni ver saires saillants dans l’histoire de la future mère. Ainsi, l’annonce d’une maladie ou la mort de ses propres parents peuvent être suivis d’une conception inopinée, comme si le déclin d’une génération appelait au renouvellement de la vie. Enfin, des rencontres éblouissantes ou le risque, réel ou imaginé, de rupture ou d’éloignement d’une relation de couple signent, dans nombre de cas, le début d’une grossesse, comme si l’enfant était attendu pour sceller, stabiliser ou restau rer les liens entre les futurs parents.
« MA FILLE A ÉTÉ CONÇUE À LA DATE ANNIVERSAIRE DE NOTRE RENCONTRE »
MINELLI19, FORUM
aufeminin
Bien sûr, cela a été voulu… Après avoir eu une période difficile dans notre couple, nous avons par la suite connu du mieux, et nous avons voulu avoir un bébé. Cela tombait juste le mois où nous nous étions rencontrés, presque jour pour jour. Cela nous a même surpris que cela fonctionne aussi bien, car je suis tombée enceinte tout de suite. Aujourd’hui, Prune a 7 mois et nous sommes ravis… un peu fatigués, mais très contents tous les trois. Pour moi, cette histoire de date, c’est peut-être un hasard, mais en fait, c’est très important.
LE MOMENT IDÉAL
Que la conception fasse l’objet d’un projet programmé ou qu’elle corresponde à la précipitation de désirs et de besoins inconscients, toute grossesse advient à un moment qui a un sens pour chacun des futurs parents.
La conception d’un enfant a été grandement modifiée au cours du XXe siècle. L’efficacité et l’usage répandu de la contraception ont donné aux femmes et aux couples le sentiment de contrôler la venue d’un enfant dans leur vie. Simultanément, la place de l’enfant dans notre société s’est progressivement modifiée pour de nombreux adultes, qui le considèrent désormais comme l’un des fruits de leur réalisation personnelle. Cette illusion de maîtrise et ces attentes quant à l’enfant sont démenties par la réalité de la conception et de la rencontre avec un bébé, qui nous rappelle que personne ne contrôle la transmis sion de la vie, et qu’être parent implique un libre renoncement aux besoins des adultes.
Se préparer totalement à la conception est illusoire, car une naissance est par définition l’un des événements de la vie dont on ne contrôle pas le déroulement, même si la science tente de maîtriser la reproduction humaine.
En revanche, il est important de se préparer à un bouleversement : la grossesse et la naissance pourront renvoyer la mère ou le père à leur passé, à leur enfance, et l’arrivée de l’enfant leur demandera sans doute des aménagements psychologiques inattendus.
« ENVIE DE RIRE ET DE PLEURER À LA FOIS »
FANNY 71400, FORUM
aufeminin
Je viens d’apprendre cet aprèsmidi que je suis enceinte. Je suis tellement excitée que j’ai envie de le dire à tout monde. J’ai bien sûr téléphoné au futur papa. Et ce soir, j’ai demandé à ma meilleure copine de passer, j’aimerais qu’elle soit la marraine. J’ai très envie de rire et de pleurer à la fois…
Sur le plan de l’intimité psychique, la conception, qu’il a rendue possible en faisant l’amour avec sa compagne, vient bouleverser l’identité d’homme que le futur père s’est forgée au cours de son enfance et de son adolescence.
Les futurs pères peuvent ressentir une angoisse de transgression d’être pères à la place de leurs propres parents, voire une hostilité envieuse à l’égard de leur compagne et de l’intérieur de son ventre. Ces sentiments sont responsables d’un certain nombre de fuites, de ruptures conjugales, de manifestations d’angoisse, voire de violences faites aux femmes enceintes.
Par ailleurs, la grossesse étant le seul moment du cycle de la vie où la femme porte en elle les parties masculines et féminines nécessaires à la construction d’un nouvel être humain, certains hommes (mais ils sont rares) peuvent éprouver un sentiment de dévalorisation de leur masculinité, de dépossession d’une partie essentielle d’eux-mêmes.
Le mystère de la transmission de la vie prenant corps à l’intérieur de sa compagne, le futur père vit la grossesse « de l’extérieur » et seule la rencontre avec l’enfant pourra dissiper ce sentiment. Ainsi, pour devenir père, l’homme se nourrit des échanges qu’il engage avec sa compagne qui, elle, est déjà mère, et avec l’étranger à apprivoiser qu’est le bébé. De ce fait, la crise identitaire qu’il traverse se décline différemment : le fils, l’amant, le géniteur, le rival, le compagnon se disputent et se partagent la place qui revient au père.
La limitation de la vie sexuelle est vécue différemment, allant de la jalousie aux sentiments d’abandon, en passant par l’hostilité. Les sentiments d’envie et de fascination, suscités par la féminité accomplie de la grossesse, sont aussi souvent refusés. Ces limitations peuvent réactualiser des frustrations autour de la différence des sexes et des conflits anciens vis-à-vis de ses propres parents.
Parfois, le parcours de cette crise maturative du futur père trouve une issue psychosomatique dans le syndrome de la « couvade » : prise de poids, douleurs du bas-ventre, lombalgies, nausées, vomissements, constipation. La forte symbo lique de ces symptômes peut se comprendre comme une manière de faire transiter par son corps propre ce que le père en devenir attribue à l’expérience du corps de sa compagne. La couvade témoigne donc de l’intensité, le plus souvent positive, de la crise maturative qui réaménage l’identité du père de l’enfant à venir. Cette situation est inquiétante dans les cas où l’intensité, l’ampleur et la durée de la couvade deviennent sources de souffrance.
La vulnérabilité de la fin de la grossesse, l’épreuve de l’accouchement et la précarité des premiers mois de vie de l’enfant, accordent au père un rôle de soutien qui est important pour la mère comme pour le bébé.
« JE N’ASSISTE JAMAIS À L’EXPULSION »
PIERRE, 39 ANS
Depuis mon hospitalisation à l’âge de 5 ans, je suis traumatisé par les hôpitaux et tout ce qui s’y rattache : piqûres, perfusions… J’ai trois enfants que j’adore, mais à chaque accouchement, je prends sur moi pour rester dans la salle avec ma femme. Lorsque je sens que cela devient plus sérieux et que l’expulsion approche, je quitte discrètement la salle après avoir embrassé ma femme. Je reste dans le couloir et reviens quand notre enfant est né. Ma femme connaît mon malaise et me comprend. Elle ne m’a jamais reproché de ne pas être là et m’a même avoué que cela lui permettait de mieux se concentrer.
Lors des dernières semaines du 3e trimestre, les transformations de la grossesse sur le corps de la femme, sur sa vie psychique et sur le couple, connaissent leur plus ample déploiement, suscitant chez certains hommes un fort sentiment de culpabilité et la crainte d’avoir endommagé durablement leur compagne et leur amour.
Dans de rares occasions, ces sentiments précipitent des moments d’angoisse passagère, pouvant s’accompagner de la survenue d’accidents (de la route, au travail) qui auraient la signification inconsciente d’une expiation de sa culpabilité.
L’accouchement sera aussi bien sûr un moment de vérité pour le père qui éprouve très intensément la double exigence de veiller sur la mère et sur l’enfant face à l’enjeu vital de la naissance.
La rencontre avec la précarité, la vulnérabilité et l’immaturité d’un enfant impose à l’adulte d’incarner la fonction parentale. Cette exigence de tous les instants est parfois lourde à porter. C’est ainsi qu’une organisation familiale, sociale ou institutionnelle se forme autour du bébé, assurant des relais dans la continuité de l’exercice de la fonction parentale. Il ne faut donc surtout pas hésiter à se faire aider, sans aucune culpabilité à avoir : chaque personne de la famille et de l’entourage de l’enfant lui apportera une richesse éducative différente, et permettra aux parents de « souffler ».
Dans le climat de bouleversement qu’est la naissance, les parents font la découverte de l’enfant réel en même temps qu’ils découvrent l’exigence de la fonction parentale. La manière dont chaque parent assume la fonction parentale est déterminée grandement – mais pas seulement – par sa propre histoire d’enfant, c’est-à-dire par l’expérience des liens parents-enfant que l’adulte extrait de son vécu d’enfant parmi ses propres parents et sa fratrie.
Au quotidien, les parents devront assumer plusieurs rôles et fonctions par rapport à l’enfant :
– La fonction « contenante » : se montrer solide. L’enfant va sentir que l’adulte est en mesure d’accueillir tout ce qui vient de lui, aussi bien l’amour et la tendresse que la détresse, la haine et la destructivité. L’adulte est alors capable de se montrer solide face aux assauts. Les liens qui unissent l’enfant et ses parents ne seront pas altérés.
– La fonction « limitante » : protéger et affirmer son autorité. L’adulte est en mesure de protéger l’enfant, surtout de lui-même, en mettant un frein à ses désirs et projets lorsqu’ils menacent son intégrité physique ou psychique. La fonction limitante est plus que la signification d’un « non », elle implique aussi que l’adulte peut supporter d’être l’objet de la colère de l’enfant qu’il a protégé et éduqué, sans se détruire et sans altérer le lien qui les unit.
– La fonction de « mise en sens » : ouvrir l’enfant au monde. En s’associant à l’adulte, l’enfant est en mesure de tisser des liens entre des aspects très divers de la réalité, liens qui, s’articulant les uns aux autres, construisent des récits ayant le pouvoir de donner du sens à la complexité du monde.
– La fonction de « transformation » : lui offrir la liberté. Le corps de l’enfant, ses émotions et ses pensées, s’organisent par rapport à l’adulte de manière telle qu’il peut sentir que les liens avec ses parents le rendent libre. Il devient peu à peu l’acteur principal de sa vie.
L’arrivée d’un nouvel enfant impose aux enfants nés avant lui de profonds questionnements quant à la nature des liens qui les unissent à leurs parents, quant à leur positionnement face à la différence de sexes et de générations et, enfin, quant à la mystérieuse capacité de la sexualité adulte de fabriquer un nouvel être humain.
Ces questionnements, très différents en fonction de l’âge et du parcours de chaque enfant, sont une première tentative de s’adapter à la découverte d’une nouvelle grossesse chez les parents. Et l’enfant risque d’être perturbé avec certaines interrogations :
– en dépit de ses qualités – et peut-être à cause de ses défauts supposés –, il n’a pas suffi à combler le désir d’enfant de ses parents, et c’est pour cela qu’ils ont conçu un autre enfant, rival redouté qui risque de mieux correspondre aux attentes parentales ;
– cette grossesse fournit la preuve que les parents jouissent d’une intimité dont l’enfant est exclu, intimité qui peut receler une part de menace.
Pour les enfants âgés de 12 à 30 mois, l’enjeu majeur de cette étape de la vie réside dans leur perception douloureuse des modifications de la qualité des liens qu’ils sont habitués à engager avec leurs parents. Ces modifications, souvent parce que leur mère est moins disponible, suscitent des sentiments d’insécurité, d’abandon, d’angoisse et d’hostilité, qui peuvent se manifester de différentes façons :
– certains enfants peuvent « taper » ce ventre qui s’arrondit de manière incompréhensible ;
– d’autres, la majorité, tentent d’agir sur la réalité en faisant plus de « bêtises » et en multipliant les situations de conflits avec les adultes, afin de mobiliser l’attention des parents ;
– la désorganisation de l’alimentation ou du sommeil, perturbés par l’angoisse et l’hostilité, peut également être observée.
Dans l’imaginaire de ces petits, les modifications de la mère ne sont pas mises immédiatement sur le compte de la grossesse : la mère a changé parce qu’elle s’est fâchée avec eux. Il est donc important de rassurer l’enfant et de chercher à apaiser ses angoisses.
LA JALOUSIE DES AÎNÉS
L’apparition de la jalousie témoigne d’une première forme d’investissement du bébé à venir, perçu comme un intrus dont l’aîné n’a nullement souhaité la présence. L’enfant attendu semble donc paré de tous les atouts, il semble doté de la faculté de capter les parents, et de déloger l’aîné de sa place dans la fratrie. Il faut dans ce cas rassurer patiemment, et montrer au « grand » combien ce petit être fragile qui va naître aura besoin de son grand frère ou de sa grande sœur.
À cet âge, les enfants sont curieux et cherchent à tout savoir sur la réalité, mystère de la transmission de la vie, mais ils éprouvent également un sentiment d’angoisse de perdre l’amour des parents. Ils peuvent aussi avoir des moments de colère et d’hostilité devant cet acte de « trahison » de la part des adultes.
Il n’est pas étonnant d’observer chez les enfants de cet âge :
– des difficultés du sommeil et des cauchemars qui peuvent s’observer lorsque les sentiments de colère, trahison, insécurité et menace des liens sont au premier plan ;
– la survenue d’une constipation, d’une modification des habitudes alimentaires, de vomissements et de maux de ventre que suggère une « scénarisation » dans le corps de l’enfant de ses tentatives de comprendre une sexuali té adulte aboutissant à la conception d’une grossesse. Ces symptômes sont autant de déclinaisons de la confusion entre « le ventre pour manger et faire caca » et le « ventre à bébé dont seules les femmes sont pourvues ». Ainsi, ne pas manger préviendrait une éventuelle conception que les vomissements expulseraient. Les maux de ventre et la constipation, fréquents à la fin de la grossesse, traduiraient les craintes d’un accouchement rapproché de la défécation ;
– une régression. Lorsque les liens avec les parents semblent menacés et lorsque le bébé à venir commence à émerger comme un rival, les enfants peuvent espérer que le retour à un stade précédent du développement les rende plus conformes aux attentes parentales. Le sommeil est à nouveau désorganisé, le pipi au lit devient fréquent, l’enfant redemande le biberon ou la tétine. Ici, les enfants ont besoin d’être rassurés quant au fait que les parents les aiment pour ce qu’ils sont, pas pour ce qu’ils étaient, et que le bébé à venir ne les délogera pas de leur place dans la famille.
ATTENTION ! Le trouble éprouvé par les parents lorsque les enfants se risquent à aborder des sujets liés à la sexualité adulte et les éventuelles explications botaniques autour de « la petite graine » contribuent à maintenir inquiétudes et confusion chez l’enfant. Ici, l’enfant est en attente d’une approche claire de la différence des sexes et de la nature de l’amour entre les parents et les enfants. Les explications doivent préserver l’intimité des parents et protéger l’enfant de l’accès à la sexualité adulte.
L’enfant vit l’arrivée du futur bébé comme un événement le confortant à sa place d’aîné, et non comme une menace à l’ordre de l’univers familial. Souvent, les enfants de cet âge ont déjà signifié aux parents leurs souhaits d’une nouvelle naissance. Il est essentiel, dans ce cas, de ne pas laisser l’enfant avec le sentiment d’avoir présidé à la conception. Dans cette logique, la plupart des enfants, à cette étape de la vie, s’identifient au rôle parental.
La grossesse étant la conséquence d’un acte sexuel, un certain nombre d’adolescents peut éprouver un sentiment de « trouble », voire de « dégoût » à l’égard de leurs parents, qui jouissent d’une sexualité qu’eux-mêmes essayent de s’approprier.
La grossesse peut venir alimenter la crise identitaire de l’adolescence, brouillant les pistes pour réaménager la différence des générations puisque, par cette naissance prochaine, les parents créent une différence de génération à l’intérieur de la fratrie.
Ils se détachent, un autre va les remplacer. Certains adolescents peuvent vivre la grossesse comme une réponse de leurs parents à leurs tentatives d’autonomisation et d’indépendance, fabriquant un nouvel enfant qui rachèterait le départ de l’aîné.
Ce chapitre a tenté de répondre aux questions que vous pouvez vous poser. Néanmoins, avoir un enfant ne doit pas devenir pour vous une source d’angoisse . Nombre d’hommes et de femmes sont devenus parents avec bonheur depuis la nuit des temps ! C’est une belle étape dans la vie d’un couple, tout à fait naturelle.
Elle induit certes un grand bouleversement dans le corps de la maman, la tête de chaque parent, et celle des frères et sœurs, mais la très grande majorité des couples et des familles traverse ces étapes sans grandes difficultés, surtout si elles s’y sont préparées avec l’aide des professionnels de la naissance (gynécologuesobstétriciens et sages-femmes) qui sont là pour expliquer ce qui va se passer, dissiper les craintes, résoudre les petits problèmes et anticiper les éventuelles complications.
Si malgré cet accompagnement, vous éprouvez une souffrance, une pensée vous obsède, votre sommeil est troublé, vous ressentez un mal-être général ou connaissez des problèmes avec votre conjoint ou vos autres enfants, n’hésitez pas à demander conseil au médecin ou à la sage-femme qui pourront éventuellement vous adresser à un psychologue connaissant bien ces problèmes.
N’HÉSITEZ PAS À CONSULTER
À tout moment de ce parcours, les professionnels de la naissance sont en mesure d’accueillir les questionnements à propos des enfants aînés et d’orienter les parents vers des prises en charge adaptées à leurs besoins et à d’éventuelles difficultés psychologiques.