Gregory et Laura parlent quelques minutes pendant que je mets mon manteau. Je ne comprends pas ce qu’ils disent, mais je vois son visage se fermer. C’est une conversation brève, cependant, et quelques minutes plus tard, nous rejoignons la porte.
Il passe deux coups de fil, toujours en italien. Je ne peux pas suivre la conversation. Après quoi, il discute avec Matteo. Je ne pense pas qu’ils se disputent, mais Gregory semble agité. À un moment donné, il prend même une cigarette à Matteo et baisse la vitre pour la fumer.
Comme je suis fatiguée, je penche ma tête en arrière contre le siège et regarde le paysage. Mon épaule est sensible et j’ai presque l’impression que l’aiguille vibre encore en moi.
Lorsque nous arrivons, il est presque minuit et je me suis assoupie. Je suis sonnée pendant un moment quand je me réveille et impatiente de revoir le tatouage, de l’examiner de plus près. Mais je sais que quelque chose ne va pas au moment où nous franchissons les grilles.
— Merde, murmure Gregory.
Quelqu’un est là. Trois voitures sont garées le long de l’allée circulaire autour de la fontaine à sec. Ce sont des berlines noires, des répliques exactes les unes des autres, avec des vitres teintées.
Les pneus crissent sur le gravier alors que nous ralentissons et Gregory dit quelque chose à Matteo, puis se tourne vers moi.
— Tu iras directement à l’étage, compris ?
Mais je scrute les deux hommes postés sur les marches menant au porche et j’aperçois le point lumineux de la cigarette qu’un autre fume près de l’entrée de la cuisine.
— Qu’est-ce qui se passe ? demandé-je. Qui sont ces personnes ?
Il ouvre ma portière, me serre le bras plus fort que nécessaire et m’entraîne dehors.
— Il est trop tard pour te cacher. Tu iras dans ta chambre et tu y resteras jusqu’à ce que je vienne te chercher, c’est clair ?
Il n’a pas l’air effrayé, seulement énervé.
— Je n’ai pas de chambre, répliqué-je bêtement.
— Seigneur.
Quelqu’un se racle la gorge et Gregory me guide vers la maison. Il regarde chacun des deux hommes debout sur le seuil, puis le troisième qui ouvre sa porte d’entrée.
Je les regarde, moi aussi, et remarque qu’ils sont tous vêtus de costumes foncés. Et aucun ne croise mes yeux.
— Qu’est-ce qui se passe ? chuchoté-je.
Il me serre le bras pendant que nous entrons dans la maison et Matteo est juste derrière nous. Quelqu’un parle – la voix d’Irina que je reconnais, l’homme que je ne reconnais pas. Ils parlent en italien et l’homme rit de bon cœur.
Gregory ne me laisse pas partir, pas une seconde. Il me conduit à l’intérieur et vers les escaliers, visibles à la fois du salon et des salles à manger. Il ne peut pas se permettre de me précipiter à l’étage, ce qu’il avait pourtant l’intention de faire. L’homme qui parle à Irina reste en position accroupie devant la cheminée, le tisonnier à la main. Il se tourne vers nous.
Il est grand, autant que Gregory, taillé à peu près de la même manière, et il porte un costume foncé, lui aussi, mais le sien est différent des autres.
Non, ce n’est pas ça.
Il porte le sien différemment.
Ses yeux me scrutent de la tête aux pieds, s’arrêtant sur la poigne de Gregory sur mon bras. Il semble prendre une minute complète avant de reporter son regard vers lui.
— Gregory, commence-t-il avec un grand sourire qui fait apparaître une fossette sur sa joue.
Combinée avec ses yeux noisette clair, elle lui donne presque l’apparence d’un gamin et il est désarmant, parce que je connais cet homme, ce n’est pas un garçon. Je me demande s’il l’a jamais été.
— Stefan, dit Gregory d’une voix calme et mesurée.
Je le dévisage. Je pense que mon ravisseur est dangereux, comme cet homme, et pour une raison quelconque, cette certitude me rassure.
Je regarde autour de moi et compte les hommes que je distingue. Trois. Trois à l’intérieur, trois à l’extérieur. Et j’en entends d’autres à l’étage.
— J’ai entendu dire que tu étais de retour. Je voulais passer te dire bonjour.
— Tout ce chemin depuis Palerme ?
L’homme, Stefan, lui offre un nouveau sourire en posant le tisonnier, puis il se nettoie les mains et tourne son regard vers moi.
Je remarque Irina, debout près de la cheminée, son visage plus pâle que d’habitude, les yeux braqués sur Matteo.
Stefan s’approche de nous et laisse ouvertement son regard glisser sur moi.
Je me rapproche de Gregory, alors qu’il me pousse légèrement derrière lui.
— Tu as de la compagnie, commente Stefan.
— Elle allait se coucher, répond Gregory.
Je le fixe. Ses yeux sont sévères et on dirait qu’il ne cligne pas des paupières alors qu’il regarde l’autre homme approcher.
— C’est dommage, dit Stefan.
— Matteo, lance Gregory.
L’homme de main est à ses côtés en un instant et Gregory me confie à lui.
— Emmène Amelia à l’étage.
Stefan lève la main et un homme s’avance pour nous barrer la route.
— Amelia, répète-t-il comme s’il goûtait mon prénom, et les cheveux se dressent sur ma tête.
Il tend la main, mais je ne bouge pas. Il prend alors l’une des miennes, la serre entre ses paumes. Je baisse les yeux et on dirait que ma main a presque disparu tant les siennes sont grandes.
— Peut-être que la prochaine fois, nous aurons quelques minutes de plus avant votre coucher, dit Stefan.
Après ce qui semble durer une éternité, il me libère et Matteo me précipite dans les escaliers. Quand je jette un œil en arrière, les deux hommes sont toujours là. Stefan darde les yeux sur moi, sous le regard attentif de Gregory.
— Qui est-ce ? demandé-je à Matteo lorsqu’il m’attire dans le couloir jusque dans la chambre de Gregory.
— La mafia, confie-t-il en ouvrant la porte de la chambre, ne me libérant que lorsqu’il a vérifié les lieux pour s’assurer qu’elle est vide.
— La mafia ?
Mais il est déjà ressorti dans le couloir, dans l’encadrement de la porte. Il retire la clé et quand la porte se ferme, j’entends le déclic de la serrure. Une fois de plus, je suis enfermée.