17

Gregory

Elle s’est réfugiée au creux de mon bras. Je la couve des yeux alors qu’elle lutte contre le sommeil, ses cils frémissant lorsqu’elle ouvre les yeux pour les refermer aussitôt. J’écoute son souffle calme et régulier, songeant à quel point elle est belle et comme j’ai merdé. Je n’aurais jamais dû laisser Sabbioni poser les yeux sur elle. Il n’aurait jamais dû savoir qu’elle compte pour moi. Parce que c’est le cas.

Elle marmonne quelque chose et tourne sur le côté pour m’offrir son dos. Les couvertures ont glissé jusqu’à sa taille et je peux observer le tatouage, le bleu saisissant sur sa peau claire. L’ange est beau malgré sa moitié de visage sous forme de tête de mort. L’oiseau, comme s’il regardait sous les ailes du gardien, paraît innocent. Comme lui.

Je pourrais m’en occuper à ta place. Le temps que tu rattrapes le temps perdu avec ta mère. Pendant qu’elle est en ville, tu sais…

Je dégage mon bras de sous son corps, très lentement, et me glisse hors du lit. J’enfile mes vêtements et ferme la porte de la chambre derrière moi.

Je descends dans mon bureau, m’assieds sur mon fauteuil et décroche le téléphone pour composer un numéro que je n’aurais jamais cru appeler de nouveau.

Mon frère répond à la deuxième sonnerie.

Je ne sais pas ce que je m’attends à ressentir en entendant sa voix, assis là, à lui renvoyer son bonjour. À vrai dire, il me manque. Mon frère me manque.

Comment la situation a-t-elle pu dégénérer aussi vite ?

— Sebastian…

Ma voix est plus tendue que je m’y attendais.

Maintenant, c’est lui qui marque une pause. Je l’entends marcher, une porte s’ouvrir et se fermer. Il s’enferme probablement dans son bureau, lui aussi.

— Gregory, lance-t-il après une éternité. Tu es en Italie !

Il le devine à partir de mon numéro de téléphone.

— Loin de l’île. Ne t’inquiète pas.

— Je n’étais pas inquiet. J’ai entendu parler de la maison, dit-il avant de s’interrompre. Tu n’as jamais touché un mot à ce sujet.

Il peut aller se faire voir s’il pense que je compte m’expliquer là-dessus.

— Stefan Sabbioni m’a rendu visite aujourd’hui.

— Sabbioni ? 

Apparemment, il ne s’attendait pas à ce changement de sujet. Qu’est-ce qu’il pensait ? Que j’appelais pour discuter ?

— Je pensais qu’il ne devait pas quitter la Sicile.

— Oui, eh bien, il l’a fait. 

— Que te voulait-il ?

— Il paraît qu’il a une affaire en cours avec Lucinda.

Sebastian grogne.

— Lucinda. Bordel de merde, elle n’est pas si stupide, j’espère !

— C’est toujours ma mère, Sebastian.

— Et que ressens-tu exactement pour elle ?

— Il la cherche. S’il la trouve, ça va mal tourner.

— Putain !

— Il a sous-entendu qu’elle lui avait volé quelque chose. 

Le silence demeure. Sebastian sait comment on punit les voleurs dans ce milieu.

— Sais-tu où elle est ? demandé-je.

— Tu ne peux pas t’impliquer, Greg. 

Greg. Il m’appelait comme ça parfois. Nous étions proches. Enfin, je suppose que ce n’était pas vraiment le cas, puisque je ne lui ai même pas parlé de la maison quand je l’ai achetée, avant que tout ne parte à vau-l’eau.

— Trop tard, je suis déjà impliqué. 

— Qu’est-ce que ça signifie ?

— Ça signifie qu’il a fait le voyage depuis la Sicile pour me voir parce qu’il s’attend à ce que je la lui livre.

— Je me demande si ça veut dire que son frère n’est plus une menace. 

Parce que le frère peut avoir des preuves pour forcer les autorités italiennes à l’extrader. Pour autant que je sache, si Stefan Sabbioni met les pieds sur le sol américain, il sera placé en garde à vue et la menace est assez réelle pour qu’il ne tente rien.

— Je ne sais rien sur son frère. Sais-tu que Lucinda était allée le voir ? Après que tu l’as chassée.

— J’en ai entendu parler. Stefan voulait s’assurer que je sache ce qu’il avait fait pour moi. Il devait penser que je me sentirais redevable.

— Je veux savoir où elle est. Je dois lui parler.

— Ne t’implique pas là-dedans. C’est une mauvaise idée.

— Comme je l’ai dit, je suis déjà impliqué. 

— Comment ?

Je m’arrête.

— C’est comme ça. Je sais que tu la traques grâce à ses dépenses. Vas-tu me dire où elle est, oui ou non ?

— Tu es sûr de savoir ce que tu fais ?

— Oui. 

Il soupire.

— Je t’enverrai une adresse. 

— Merci. 

— Si tu as besoin de mon aide, appelle-moi…

— Je n’ai pas besoin de ton aide.

Un silence gênant s’ensuit.

— Gregory… commence-t-il avant de se raviser. Dis-moi, comment vas-tu ? 

Sa question me contrarie plus qu’elle n’y paraît.

— Comme si tu t’en souciais !

Je raccroche et m’accoude sur la table, la tête dans mes mains pour me frotter les yeux.

Je veux qu’il soit clair que je ne quémande pas son amitié, son approbation, son pardon ni rien de ce qu’il semble estimer que je lui dois. J’ai juste besoin de savoir où est Lucinda.

Quelques minutes plus tard, mon téléphone émet un signal sonore. C’est un texto. Une adresse.

À Rome.

Je me lève, me dirige vers le coffre, l’ouvre et prends une épaisse liasse de billets. Je les glisse dans une enveloppe, enfile ma veste, puis je tends l’oreille dans les escaliers. Rien. J’aimerais que Matteo soit là. Je ne veux pas la laisser seule au cas où Stefan mettrait sa menace à exécution. Mais après la visite surprise de Stefan, Irina a été secouée et son fils l’a emmenée chez sa sœur. Elle ne sera pas de retour ce soir. Tout le monde connaît la famille Sabbioni. Tout le monde sait qu’il faut se tenir à l’écart.

Tout le monde sauf moi.

Je me gare à quelques pâtés de maisons de l’hôtel où Lucinda séjourne et rejoins la petite boutique très chic de l’hôtel. Je ne sais pas combien Sebastian lui donne, mais cet endroit doit consommer une grande partie de son argent.

Mon frère la surveille de près, enregistre toutes ses allées et venues. C’est comme ça qu’il a obtenu cette information.

Mais si j’en dispose, alors Stefan peut aussi le savoir.

Sans m’arrêter à la réception, je me dirige vers l’ascenseur, jetant un léger coup d’œil dans le hall richement meublé. En attendant l’ascenseur, je lis l’inscription sous un portrait de Napoléon qui a séjourné un certain temps ici, apparemment.

L’ascenseur arrive et un préposé tiré à quatre épingles me laisse entrer.

— Au cinquième, indiqué-je en déboutonnant mon manteau.

Il hoche la tête et les portes de l’ascenseur se ferment. Je regarde droit devant sans éprouver le besoin de meubler le silence. L’ascenseur est vieux, un peu branlant, et je suis sûr que Lucinda s’en est déjà plainte.

Une fois au cinquième étage, je balaie le couloir des yeux et tourne en direction de la suite de Lucinda. À la porte, je m’arrête pour écouter et perçois le faible bruit de la télévision. Mais quand je frappe, elle s’éteint.

Je frappe encore.

— Mère, lancé-je.

Le verrou tourne un instant plus tard et Lucinda apparaît devant moi. Elle porte du noir de la tête aux pieds et ses cheveux sont tirés en arrière dans un chignon serré. Les racines de ses cheveux trahissent son âge. Et son état d’esprit.

Sans compter qu’elle ne porte pas de maquillage et que son chemisier est mal boutonné.

Je soutiens son regard, même si je suis curieux de baisser les yeux. Pour voir si Stefan bluffait.

— Comment m’as-tu trouvée ? demande-t-elle.

— Sebastian.

Elle me regarde d’un drôle d’air.

— Je ne savais pas que vous vous parliez à nouveau. 

— Ce n’est pas le cas !

Je m’invite et elle ferme la porte, verrouillant toutes les serrures.

La chambre sent le renfermé, la fumée de cigarette et le café éventé. Un plateau de service de chambre du petit déjeuner est posé sur la table près de la fenêtre, mais les rideaux sont tirés et le lit n’est pas fait.

— Depuis quand es-tu en ville ? demandé-je.

— Une semaine.

Je regarde enfin le bandage à sa main droite. C’est un moignon, seuls le pouce et l’index dépassent. A-t-il vraiment pris les autres doigts ?

— Tu as vu ce que tu voulais ? demande-t-elle en cachant son bras derrière son dos. Je peux défaire le bandage si ça t’intrigue.

Je ne réponds pas, mais écarte la chemise jetée sur l’une des deux chaises pour m’asseoir à la table. Je ne me donne pas la peine d’enlever mon manteau. Je ne resterai pas longtemps.

— Qu’as-tu fait ?

— Rien. Ce garçon… Je le connais depuis qu’il porte des couches. C’est un monstre, comme son père.

— Alors, il n’y a aucune raison qu’il te coupe les doigts ?

Elle lève le menton, toujours têtue.

— Aucune raison qu’il revienne pour le reste ?

Elle tend la main abîmée jusqu’à sa tasse, s’arrête et utilise l’autre.

— N’est-ce pas la main avec laquelle tu tiens ta canne ? 

Je me souviens de ce qu’elle a fait à Helena.

— N’oublie pas que tu étais complice.

— Pas complice.

Cela dit, c’est un peu vrai. Je regrette encore cette nuit-là. Je la regretterai toujours.

Elle grimace avant de prendre une gorgée de vieux café froid.

— Un détail mineur. Je suis sûre que ça ne ferait pas de différence pour elle si elle le savait.

— La seule raison pour laquelle je n’ai pas empêché Helena de monter sur ce bateau, c’est parce que tu as dit que tu allais la laisser partir.

Elle penche la tête sur le côté.

— Allons, Gregory. Y as-tu vraiment cru ?

Je garde le silence. Bonne question, l’ai-je vraiment cru ?

— Je ne savais pas que tu allais essayer de la tuer, protesté-je.

— Je n’en avais pas l’intention. Lui faire du mal, oui. L’effrayer, oui. Mais pas la tuer. Ton frère était trop stupide pour savoir où je l’aurais mise.

Elle allume une cigarette, qu’elle tient comme un joint entre le pouce et l’index de sa main blessée, et inhale profondément avant de continuer.

— D’ailleurs, poursuit-elle en recrachant la fumée, mes plans n’ont changé que lorsque Sebastian m’a parlé des siens, lorsqu’il m’a dit ce qu’il ferait à mon fils.

Ethan. Elle veut parler d’Ethan.

Elle ne parle que d’Ethan comme de son fils. Pas de moi. Pas de Sebastian.

Elle s’assied, le bras contre sa taille, et me regarde alors que les cendres s’accumulent au bout de sa cigarette. Je me demande si elle a vraiment eu de bonnes intentions concernant Helena. J’en doute.

— D’ailleurs, si je l’avais laissée partir, tu l’aurais peut-être kidnappée toi-même dès que j’aurais tourné le dos, vocifère-t-elle.

Eh bien, je l’ai fait. En quelque sorte.

J’ai kidnappé une autre Willow.

— Quelque chose à te reprocher, Gregory ? Tout d’un coup ? Parce que tu n’étais pas difficile à convaincre alors.

Elle termine son verre et je me demande si elle n’en a pas assez de boire de l’alcool.

— Ou est-ce parce que tu as perdu la fille que tu fais la moue maintenant ?

— Je suis venu pour t’aider, Lucinda. Je suis le seul à vouloir t’aider. Ne l’oublie pas !

— Lucinda, grommelle-t-elle. Je ne suis peut-être pas la mère de Sebastian, mais je suis la tienne. 

Elle tire une longue bouffée sur sa cigarette sans me quitter des yeux.

— Et cette aide, tu me l’apportes par bonté de cœur ?

Je ne réponds pas.

Elle sourit, comme si elle connaissait la réponse à cette question. Elle se lève, va à l’armoire, l’ouvre et sort une bouteille de whisky et un verre propre pour moi. Elle m’en verse et remplit sa tasse de café.

— Est-ce que tu es ivre ? demandé-je.

Elle avale une grande gorgée et détourne le regard. Je vois la peur dans ses yeux, le désespoir aussi. Je me demande ce qui est le plus dangereux.

Des cendres de sa cigarette glissent sur le tapis, puis elle se retourne vers moi.

— Quoi qu’il en soit, j’ai entendu dire que tu avais ta propre élue Willow, tout compte fait.

Comment sait-elle cela ?

Mon visage demeure impassible, mais je serre les poings sur mes genoux.

— Tu sais quoi ? Je ne sais pas si ces Willow ont de l’or entre les cuisses, mais vous, les hommes de la famille, vous n’arrêtez pas de tomber amoureux d’elles. Ton père d’abord. Sebastian aussi. Il m’a détruite pour sa pute Willow. Et maintenant, toi aussi ?

Sa lèvre se retrousse avec dégoût.

— Le seul qui est sensé, c’est Ethan, poursuit-elle. Et regarde ce que ton frère lui a fait.

— Il l’a fait pour te punir. 

— Prends-tu son parti ?

Un autre sourire se forme lentement sur ses lèvres et je me demande comment elle peut encore receler tant de méchanceté en elle.

— Encore maintenant, tu prends son parti ? 

— Il n’y a pas à prendre position. Pas sur ce sujet.

— Compte tenu de tout ce qu’il t’a fait, tu le protèges toujours ? Alors que lui et cette pute se sont foutus de toi !

— Tu dis n’importe quoi, mère.

Je me lève.

Elle se lève à son tour et me saisit le bras.

— Même maintenant, ils se moquent de toi. 

Un sentiment de malaise s’abat sur moi.

— De quoi parles-tu ? 

Ce sourire devient de plus en plus suffisant alors qu’elle me dévisage.

— Oh, mon Dieu. Alors, tu ne sais pas ?

Je n’aime pas son expression, j’aimerais changer de sujet, et plus que tout, je veux sortir d’ici.

— Stefan Sabbioni a quitté la Sicile, annoncé-je.

— Quoi ?

Voilà qui attire son attention.

— Il est là. 

— Il ne peut pas quitter la Sicile. Il sera arrêté.

— Oui, eh bien, apparemment, ce n’est plus le cas. Il est venu me voir. Il te cherche.

Maintenant, c’est Lucinda qui devient muette.

— Comment as-tu pu lui échapper, au fait ? Enfin, je pense qu’il aurait pris tous les doigts qu’il voulait en une seule fois.

J’entends le venin dans ma voix. Il faut croire que je suis aussi méchant que ma mère.

— J’ai soudoyé l’un des médecins qui ont arrangé ça, dit-elle en brandissant son moignon.

— Pourquoi ne les a-t-il pas tous pris à la fois ?

— Parce qu’il a besoin de moi. Ça… commence-t-elle en tenant sa main bandée. C’est sa façon de me montrer qu’il en a dans le pantalon.

— Qu’attend-il de toi, au juste ? 

Elle se lève, se dirige vers l’armoire, l’ouvre et en sort un petit paquet enveloppé dans un mouchoir. Elle l’apporte à la table et le pose, puis reprend son siège.

— Qu’est-ce que c’est ? demandé-je.

Elle déballe le tissu avec sa main endommagée et je ne peux pas détourner le regard de ce moignon. C’est presque plus étrange avec les deux doigts qu’il a laissés.

Mais je le vois enfin. L’objet qu’elle a pris.

Une bague.

Je me redresse, la prends et l’étudie attentivement.

— La bague de son frère. 

— Antonio ?

Antonio est la taupe, le frère qui a trahi la famille.

— Elle n’appartient pas à Stefan. Elle appartient au vrai chef de famille.

— Qu’est-ce que ça peut te faire, qui est le chef de leur famille ? 

— Stefan est un gamin arrogant.

— Un gamin qui t’a coupé les doigts ! Tu es folle ?

Son front se plisse et elle détourne les yeux, son attention sur le mégot qu’elle écrase. Je vois bien qu’elle a peur. Très peur.

Je soupire.

— Pourquoi n’as-tu pas quitté le pays ?

— Il a mon passeport et j’attends mon argent de la part de ton frère pour en obtenir un nouveau. J’ai essayé de l’appeler pour une avance, mais cet enfoiré ne prend pas mes appels.

— Alors, tu as pris une suite dans l’un des hôtels les plus chers de la ville ? 

Elle grince des dents, pince les lèvres.

Je me lève, la bague dans la main.

— Attends ! 

— Ça ne t’appartient pas, me récrié-je.

Elle sait qu’elle a tort, parce qu’elle ne contre-attaque pas.

Je glisse la bague dans ma poche et je sors l’enveloppe.

— Ça devrait être suffisant pour que tu obtiennes un nouveau passeport. Un billet d’avion à partir d’ici.

Elle tend la main pour me la prendre, mais je l’écarte hors de sa portée.

— Il y a une condition. 

— Quelle condition ? 

— Que tu restes loin de nous. Nous tous. Y compris Sebastian et Helena.

Elle incline la tête, ses yeux plissés emplis de haine. Un coin de sa bouche esquisse un demi-sourire cruel. Je me souviens de ce sourire, de quand j’étais petit, quand elle me faisait peur.

— Ne me dis pas que tu penses toujours avoir une chance avec elle, demande-t-elle.

Il me faut un moment pour réaliser qu’elle parle d’Helena.

— Je peux aussi envoyer un texto à Stefan pour lui dire où te trouver, dis-je avec un sourire aussi froid que le sien.

— Tu ne le feras pas. Je te connais.

Elle a raison. Je ne le ferai pas.

Mais j’en ai fini avec elle.

Je laisse tomber l’enveloppe sur la table et je marche vers la porte.

— Pour vous, les Scafoni, tout revient toujours à cette pute Willow, n’est-ce pas ?

— Tais-toi, mère.

— Tu te crois si charmant ! Tu penses que tout est sous contrôle. Ce n’est pas le cas. Ces Willow vous retournent le cerveau…

J’ouvre la porte en me demandant pourquoi je m’embête. Pourquoi je ne la laisserais pas se débrouiller avec Stefan Sabbioni. Après tout, elle s’est mise dans de beaux draps.

Mais j’aurais dû partir avant, parce qu’une fois que je suis dans le couloir, après que la porte s’est refermée derrière moi, elle revient à l’assaut.

Elle me déstabilise.

Je ne regarde pas en arrière quand j’entends la porte s’ouvrir.

— J’ai presque oublié. Félicitations, c’est de rigueur ! lance-t-elle alors que j’appuie sur le bouton de l’ascenseur.

Je sais que je devrais y aller, ne pas écouter. Je grince des dents en attendant. Les escaliers ne sont pas loin, et probablement plus rapides que l’ascenseur vétuste et branlant.

— J’ai entendu dire que tu allais devenir oncle, assène-t-elle.

Il me faut une minute pour traiter l’information, mais alors, on dirait que les mots ont un pouvoir propre. La sueur perle sur mon front et le monde s’efface pendant une minute, comme si mon cerveau heurtait contre mon crâne.

Presque au ralenti, je pivote sur mes talons pour la regarder.

Elle penche la tête sur le côté.

— Oh, c’est vrai. Tu ne le savais pas ?

Ça lui plaît. Elle en apprécie chaque seconde.

— Ou alors, reprend-elle, c’est peut-être toi le père, non ? Après tout, c’est possible, n’est-ce pas ?

Helena est enceinte ?

Non.

Ce n’est pas possible.

— En fin de compte, je ne sais même pas si ce sont les gamins de Sebastian ou les tiens. Parce qu’ils ne te ressemblent pas encore. On dirait plutôt de petits serpents. J’ai les photos. Tu veux les voir ?

Je fais un pas vers elle.

— De quoi parles-tu ?

— Demande à sa sœur, grommelle-t-elle en fermant un peu la porte.

— Putain, mais de quoi tu parles ? je rugis.

Alors que j’arrive à sa chambre, elle claque la porte. J’y frappe du poing.

— Mère ! 

Le verrou tourne.

— Ouvre cette foutue porte ! 

Je frappe de toutes mes forces, suffisamment pour que d’autres clients passent la tête hors de leurs chambres, intrigués.

Mais je m’en fiche, parce que je ne peux pas réfléchir, ce qu’elle dit ne peut être vrai !

Ce n’est pas réel.

Helena ne peut pas être enceinte.