19

Amelia

Je n’ai rien d’autre à faire que d’attendre et je reste assise sous les couvertures, sur le lit, avec l’intention de rester éveillée. À un moment donné, j’ai dû m’assoupir, parce que je me réveille lorsque la porte s’ouvre et qu’une femme différente entre dans ma chambre avec un plateau de petit déjeuner. Ce n’est pas Anya, cette fois. Le garde à ma porte l’attend. Je me frotte les yeux, mais avant même que je puisse me lever ou dire quoi que ce soit, elle est partie et la porte refermée.

J’ai bien examiné la chambre, la nuit dernière. Les fenêtres étaient verrouillées, le placard vide. Cependant, il y a des produits de toilette dans la salle de bain. Je me brosse les dents, me lave le visage et retourne dans la chambre. Je n’essaie même pas la porte. Ça ne sert à rien. Stefan me laissera sortir quand il le voudra, ou quand Gregory arrivera.

Le café sent bon et je m’en verse un peu, puis je me force à manger une bouchée de pain grillé pendant que j’attends. C’est interminable.

Quelques heures plus tard – je ne sais pas exactement, parce qu’il n’y a pas de réveil dans la chambre –, une femme vient et dépose un autre plateau, débarrassant celui du petit déjeuner.

— Où est Stefan ? Puis-je lui parler ? demandé-je.

Mais elle m’ignore, se dépêche et s’empresse de refermer la porte derrière elle.

Une fois de plus, je tente de l’ouvrir, mais je suis accueillie par le même garde à l’extérieur. Je me replie dans la chambre, refermant la porte.

Je ne touche pas au repas, cette fois, et mon espoir semble s’amenuiser autant que le soleil qui décline. Je suis ici depuis près de vingt-quatre heures. Il m’a enfermée pendant une journée entière.

Où était Gregory ? Où est-il allé après que je me suis endormie ? Sait-il seulement que j’ai disparu ?

La prochaine fois que la porte s’ouvre, je m’attends à revoir l’une des filles avec un autre plateau, mais en découvrant Stefan, je ne peux m’empêcher de reculer d’un pas.

Sous son regard, j’essaie de me couvrir du mieux possible.

Anya le suit avec un sac de vêtements et quelques chaussures. Il pose les yeux sur le plateau encore plein.

— Tu n’aimes pas la cuisine ? 

— Je n’ai pas faim. Je veux rentrer chez moi.

— Chez toi ? 

Je secoue la tête.

— Chez Gregory. 

— Je crains que ce ne soit pas possible. Habille-toi ! Tu mangeras avec moi.

— Je ne veux pas…

Il fait un pas en avant. Cette fois, il n’y a plus aucun sourire. La douceur que j’ai pu imaginer dans ses yeux s’est évaporée et je me demande s’il y en a déjà eu.

Il n’a pas à dire un mot. Il le sait. Mais quand il tend la main pour me toucher, je proteste et, instantanément, j’ai envie de fuir. Mais il secoue la tête et soulève les cheveux de mon épaule avant de marcher lentement autour de moi.

— Joli ! enchaîne-t-il en touchant le tatouage.

Je frémis, essuie mes larmes. Il me tourne vers lui et me serre les épaules.

— Cela dit, je suis vieux jeu. D’après moi, les tatouages n’ont pas leur place sur une femme. Surtout pas une aussi jolie que toi !

Tout ce que je peux faire, c’est le dévisager.

— Où est Gregory ?

— Je suis sûr qu’il viendra te chercher dès qu’il se rendra compte que tu es partie. Je m’occuperai de lui. Pour l’instant, j’aimerais que tu ailles prendre une douche et que tu enfiles cette robe. Anya t’aidera à te coiffer et à te maquiller, puis tu descendras pour le dîner. Suis-je clair ?

— Pourquoi ?

— Parce que je l’ai dit.

— Je ne veux pas manger avec vous. Je ne veux pas mettre cette robe. Je ne veux pas…

Il serre à nouveau, un peu trop fort, et se penche de sorte que son visage se trouve à quelques centimètres du mien.

— Je ne veux pas avoir à te forcer, Amelia.

Il semble que tous les hommes de ma vie, récemment, utilisent cette même phrase.

J’essaie de ravaler la boule dans ma gorge, sous son regard perçant.

— Tu vas faire ce que je dis ?

Je hoche la tête, une seule fois.

Lorsqu’il sourit, sa fossette est de retour.

— Bon, c’est bien. Va te préparer. J’ai faim.

Anya m’attend pendant que je me douche. Elle m’aide à mettre la robe, car mes mains tremblent trop. Puis elle arrange mes cheveux et mon maquillage. Quand nous sommes prêtes, elle ouvre la porte et je la suis en bas, où la musique est plus forte. C’est encore un opéra. Trois hommes sont réunis et, à mon approche, ils lèvent les yeux vers moi.

Stefan aussi. Il sourit, approbateur, et hoche la tête en regardant la robe. Elle est jolie, c’est une robe noire dos nu mi-longue. Il porte un costume noir avec une chemise noire et une cravate, comme hier.

Quand Stefan se lève, ils l’imitent. Ils sont plus vieux, ces hommes, et la façon dont ils me regardent me hérisse les poils.

— Messieurs, si vous voulez bien m’excuser.

Il serre la main de chacun de ses invités, qui repartent ensuite ensemble. Une fois que nous sommes seuls, Stefan se tourne vers moi.

— Tu es très en beauté, dit-il, une main dans mon dos. Allons dans mon bureau ! Nous allons prendre un verre.

Je le suis, car je ne sais pas quoi faire d’autre. Une fois que nous y sommes, il ferme la porte et je regarde autour de moi pendant qu’il nous sert à boire.

— Du whisky, ça te va ?

— Je m’en fiche !

Il me tend l’un des deux verres un instant plus tard, toujours souriant.

— Où est Gregory ? Vous lui avez fait du mal ?

— Je n’ai aucune raison de lui faire du mal. Pas encore.

— Où est-il, alors ?

— En chemin. 

Je me sens soulagée, mais anxieuse aussi.

— Gregory et toi, vous avez une histoire intéressante, n’est-ce pas ? demande-t-il.

— Qu’est-ce que vous voulez dire ? 

— La famille Willow et la famille Scafoni. Lucinda m’en a parlé, un peu. J’étais tellement curieux que j’ai fait des recherches. La tradition des élues Willow est archaïque, et à la fois si attirante.

— Non, pas pour les Willow.

— Alors, Gregory a perdu son tour à cause du choix de son frère, et il est allé chercher sa propre élue Willow, c’est bien ça ?

Je ne sais pas pourquoi ça me blesse. C’est vrai, après tout. Ou du moins, c’est ainsi que ça a commencé.

— Vous ne savez rien de tout cela, remarqué-je.

— Non ? Que sais-tu, Amelia ? Que sais-tu de ce qui s’est passé avec les frères Scafoni et ta sœur ? Que t’a-t-il dit ?

Je suis perdue et il le voit sur mon visage.

— J’ai trouvé quelque chose quand je fouillais dans la maison. J’ai pensé que tu devrais le savoir.

— De quoi parlez-vous ? 

— Es-tu allé dans les catacombes ? 

— Les catacombes ? 

— Il y a une porte dans la bibliothèque. Elle t’y mènera. Tu tournes à droite. Tu continues encore à droite jusqu’à la chambre. Je suis curieux de savoir ce que tu feras de ce que tu découvriras là-bas. J’ai trouvé ça très intéressant, dit-il avant de marquer une pause. Honnêtement, j’aimerais voir ton visage quand tu le verras.

— De quoi parlez-vous ? demandé-je encore une fois.

Il sourit en tournant lentement autour de moi, puis il se penche et effleure à nouveau mon tatouage.

— Je me ferai un plaisir de venir te chercher quand tu auras vu cette pièce, murmure-t-il, laissant traîner ses doigts sur la ligne de mon épaule, me donnant le frisson.

J’ouvre la bouche pour dire quelque chose, pour demander ce qu’il veut dire, quand l’un de ses hommes fait irruption dans le bureau. Je sais en voyant le visage de Stefan qu’il s’agit de Gregory. Il est venu pour moi.

Peu de temps plus tard, la porte s’ouvre avec fracas. Il est là, et deux hommes se précipitent après lui, le saisissant à bras-le-corps. Gregory nous regarde et j’ai l’impression qu’il va tuer Stefan.

Qu’il va le mettre en pièces à mains nues.