Le Chant ivre
Tout désir veut pour toute chose éternité, veut le miel, veut la lie, veut minuit ivre, veut les tombes, veut les larmes, les consolantes, veut le rouge et l'or du soir,
– que ne veut joie-désir ! elle est plus assoiffée, plus tendre, plus affamée, plus terrible, plus secrète que toute douleur, elle se veut soi, elle mord en soi, la volonté du cercle s'encercle en elle,
– elle veut amour, elle veut haine, de richesse elle déborde, elle donne, il jette, elle supplie qu'on la prenne, elle remercie qui prend, elle aimerait qu'on l'ait en haine,
– si riche est désir, qu'il a soif de douleur, d'enfer, de haine, d'outrage, d'estropié, de monde – car ce monde, mais vous le connaissez.
Vous, hommes supérieurs, il a désir de vous, le désir, l'indomptable, le bienheureux – de votre douleur, vous les manqués ! C'est du manque qu'a désir tout éternel désir.
Car tout désir se veut lui-même, il veut donc aussi la douleur au cœur. Ô bonheur, ô douleur ! Ô cœur, brise-toi! Vous, hommes supérieurs, sachez-le donc, c'est éternité que veut le désir.
– Désir veut pour toutes choses éternité, veut une profonde, profonde éternité.
Zarathustra, IV,19,11
Traduction Jean-Pierre Faye.