Souveraineté et droits
Ebauchons ici provisoirement une autre question dangereusement dédoublée, qui tenaille aujourd'hui l'an 1999. Et dont nous verrons qu'elle est tracée par esquisse chez Nietzsche en de multiples versions. Celle qui va et vient entre souveraineté et droits – ou, dans les termes plus caricaturaux de l'opinion publique, entre « souverainistes » et « droits-de-l'hommistes ».

« Aux tenants de l'une et l'autre position, on peut poser des questions difficiles », précise avec justesse le secrétaire général de l'Organisation des Nations unies, Kofi Annan, dans The Economist et dans Le Monde du 23 septembre de l'an 99. Or, « l'inaptitude de la communauté internationale à concilier ces deux intérêts contraignants est d'évidence tragique ». La souveraineté individuelle, par quoi j'entends, nous dit-il, « la liberté fondamentale de chaque être humain », s'est vue « rehaussée par une conscience accrue et renouvelée des droits de l'individu ».
Mais l'ironie mordante de Nietzsche à l'égard des droits de l'homme ouvre précisément un niveau de perspective, par-delà lequel se dessine pour lui la question de la «création de droit», de la Rechtschaffenheit, qui est « loyauté » ou « intégrité » – envers la vie. Elle est le propre de «l'homme souverain », du souveraine Mensch, apparu dans les inédits de la période du Gai Savoir et dans La Généalogie de la morale. Ainsi l'opposition toute fraîche et récente entre souveraineté et droits humains trouve une résolution paradoxale. Dont on pourrait dire qu'elle relie la problématique des droits de l'homme aux enjeux de ce que nous pourrions nommer une souveraineté écologique, dans les termes fragiles de la sur-vie humaine.
Sur une planète, aujourd'hui, curieusement menacée d'écocide.