Le Codex et la fresque
Depuis que nous tenons en main tout autre chose, par la grâce des philosophes italiens – un journal de pensée, un Codex de croquis en vue d'une fresque immense jamais composée, mais sans cesse préparée et retravaillée–, depuis que nous possédons ce Codex à la Vinci, pour le Jugement dernier d'un Michel-Ange monté sur ses échafaudages, mais jamais redescendu, dans l'ironique sanctuaire dionysien de son « dieu unique » – nous pouvons maintenant commencer l'exploration d'un champ infini ou indénombrable de transformations des langues et des pensées. Qui ont œuvré à même notre temps, sous les mêmes formes éclatées, fragmentées, incomprises et implosives - celles que dessine le plus mystérieux des sonnets de Michel-Ange concernant :
Colui che fece, e non di cosa altra
Il tempo, che non era anzi a nessuno281
Celui qui a créé, et sans chose aucune,
Le temps, qui n'était point avant personne –
S'il fallait lui trouver un nom de code, nous l'emprunterions à un fragment daté environ de novembre 87 : « Il faut que le devenir apparaisse justifié à tout instant (ou inévaluable : ce qui revient au même
282. » Ainsi l'estimation nietzschéenne n'est pas de substituer, selon la version à usage lisbethien, le couple fort/faible au duo bien/mal, mais la découverte frémissante qui est transmise à Overbeck et qui fait « perdre l'ouïe et la vue » – que bien et mal « sont un monde de perspective ». Dans un devenir
inévaluable.
Comment se transforment ces perspectives et comment s'orienter et survivre dans un inévaluable devenir, voici la question nietzschéenne.
Par laquelle il est sans doute possible de respirer mieux et davantage que dans l'espace habité par le cauchemar – cauchemar « platonicien » – du « bien absolu ».
Le code Niezsche, c'est de se réjouir d'apprendre que ses œuvres sont interdites par la police en Russie.
Le code de Bernard Förster, dès 1881, c'est d'affirmer que la Russie est « déjà détruite systématiquement par les juifs et les nihilistes » .