Bio, local, équitable…
S’y retrouver dans la jungle des labels

Quelles différences entre labels officiels, mentions valorisantes et démarches privées ?

Les labels font couler beaucoup d’encre, et il est rare que l’on ne me pose pas de question sur le sujet lorsque je fais une interview. Ils ne représentent pourtant qu’une faible part des achats de la population française et sont, pour la grande majorité, méconnus du grand public : le label d’agriculture biologique (AB), qui est le plus célèbre, totalise 6,5 % du total des achats en valeur, et le Label rouge, qui est le deuxième le plus connu après le bio, 1,7 % seulement en 2020. Certains labels sont pourtant essentiels pour orienter les mangeurs et les mangeuses en quête de produits durables et méritent d’être soutenus.

 

Commençons par faire le point sur ce qu’est un label. Il en existe deux grands types : les labels officiels et les démarches privées. Les labels officiels sont appelés « signes de qualité et de l’origine » (SIQO) et la plupart d’entre eux sont en fait des labels européens : c’est le cas de l’AB, des appellations d’origine (AOP et sa déclinaison française AOC), des indications géographiques protégées (IGP) et des spécialités traditionnelles garanties (STG). Valable uniquement en France, le Label rouge est également un SIQO. Tous ces labels sont pilotés par l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO), qui agrée des organismes certificateurs indépendants. Ces derniers réalisent des contrôles réguliers auprès des agriculteurs et des agricultrices pour s’assurer du respect du cahier des charges des certifications, définis selon des conditions de production validées par l’État. Un deuxième niveau de contrôle permet de s’assurer de la conformité des produits : ce sont les tests effectués régulièrement par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

 

En plus des SIQO, des mentions valorisantes ont été mises en place au niveau européen et national : ce sont les appellations « Fermier » ou « Produit de la ferme », « Produit de montagne » et « Montagne » (le deuxième venant compléter, au niveau français, le premier qui est européen), « Produit pays » (qui peut être complété par sa traduction créole « produit péi » ou « produit peyi ») et enfin « issu d’une exploitation à haute valeur environnementale » (HVE). En dehors de la mention « issu d’une exploitation HVE », qui implique la certification de la ferme dont vient le produit par un organisme indépendant, ces mentions peuvent être apposées par les producteurs et les productrices dès lors qu’ils respectent les normes correspondantes établies par l’Europe. C’est la DGCCRF qui est chargée de contrôler le bon emploi de ces mentions valorisantes.

 

Les démarches privées sont quant à elles pléthoriques et recouvrent des fonctionnements très différents. Certaines, comme Bleu Blanc Cœur et Bio Équitable France, mettent en place des cahiers des charges précis et des contrôles par des organismes certificateurs tiers. D’autres, de type « Élu produit de l’année », « Produit durable » « ou « Véritable saucisse de Montbéliard », sont des mentions apposées par des distributeurs ou des marques sans mise en place volontaire de contrôles externes.

Les cahiers des charges de certains labels sont très proches de ceux du conventionnel

Venons-en à ce qui nous intéresse ici, à savoir la fiabilité et l’impact de ces labels. Cela revient à se poser trois questions : quels labels respectent réellement leurs engagements (lien au terroir, qualité gustative, préservation de l’environnement…), lesquels permettent d’attester de la véritable durabilité d’un produit et dans quelle mesure des fraudes sont-elles à déplorer ? Ce sont des questions sur lesquelles j’ai beaucoup travaillé lorsque j’étais à Greenpeace France et à BLOOM. Commençons par le respect des engagements des démarches, autrement dit : lorsqu’un produit revendique un lien au terroir, un savoir-faire traditionnel ou une qualité supérieure, qu’en est-il de la réalité ?

L’UFC-Que Choisir a analysé en 2021 huit AOP fromagères et quatre filières viandes sous Label rouge. Elle a montré que pour trois de ces AOP fromagères – Saint-Nectaire, Cantal et Munster – les productions d’entrée de gamme étaient similaires aux productions industrielles sans AOP. Elle a également montré que si le bœuf et la volaille Label rouge présentaient des cahiers des charges réellement mieux-disants comparé aux filières conventionnelles, ce n’était pas le cas pour la viande de porc, très proche des systèmes conventionnels industriels (et dans lesquels les conditions de vie des porcs sont très dégradées). La conclusion est simple mais frustrante : certains SIQO sont de véritables gages de durabilité, quand d’autres ne le sont pas du tout. Or, il n’y a pas d’analyse exhaustive de l’ensemble des signes de qualité existants, bien trop nombreux : on dénombre en effet plus de cinq cents AOP, deux cent soixante IGP et quatre cent trente Labels rouges ! Difficile, donc, pour les mangeurs et les mangeuses, de s’y retrouver…

Les labels bio en tête du classement

En 2020, un homologue du WWF avec qui je collaborais régulièrement est venu me voir pour me proposer de travailler conjointement sur une analyse des labels. Il avait beaucoup échangé avec le BASIC (Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne), un bureau d’études dédié aux questions socio-économiques et environnementales de l’alimentation et qui avait énoncé la possibilité d’établir une méthodologie rigoureuse d’analyse des signes de qualité. Deux mois plus tard, un partenariat était signé entre le WWF, Greenpeace France et ce bureau d’étude. Publiées un an après, ces recherches ont été les premières en France à entrer dans une telle finesse d’analyse de la durabilité des labels.

Les critères établis par le BASIC prennent en compte quatorze dimensions de la durabilité, telles que l’épuisement des ressources et l’érosion de la biodiversité pour les aspects environnementaux d’une part, et l’impact sur la santé humaine, l’atteinte d’un niveau de vie décent des producteurs et le bien-être animal pour les aspects socio-économiques d’autre part. Au final, onze démarches ont été analysées. Les résultats sont sans appel : celles qui ont les meilleurs scores dans les deux aspects, environnemental et socio-économique, sont celles qui sont apparentées à l’agriculture biologique, à savoir le label officiel AB, mais aussi les démarches privées dont les cahiers des charges sont plus exigeants encore : Bio Équitable en France, Demeter et Nature & Progrès. Lancée en mai 2020 par des passionnés de l’agriculture biologique pour ajouter une dimension équitable et 100 % française à l’AB, la démarche Bio Équitable en France est celle qui a obtenu les meilleurs scores parmi les onze étudiées. Celles qui ont les pires scores parmi les onze analysées sont Agri Confiance, Zéro Résidu de Pesticides et la Haute Valeur Environnementale. La HVE, créée et pilotée par l’État suite au Grenelle de l’environnement, permet pourtant aux producteurs, au même titre que l’AB, de bénéficier de subventions supplémentaires de la PAC et ce, malgré le combat assidu des associations pour empêcher que cela n’advienne…

Le commerce équitable

Depuis 2014, date de passage de la loi Hamon, le commerce équitable Nord-Nord est officiellement reconnu. Il découle de la même ambition que le commerce équitable Nord-Sud, quoique dans un contexte foncièrement différent : lutter contre les asymétries de pouvoir entre les producteurs et la grande distribution. Pour pouvoir prétendre au titre d’équitable, un produit doit faire l’objet d’un contrat d’une durée minimum de trois ans entre les différentes parties, le prix payé aux producteurs doit être rémunérateur (basé sur les coûts de production) et une somme supplémentaire doit être versée par l’acheteur pour renforcer les capacités d’organisation des travailleurs et des travailleuses qui fournissent les produits. Dorénavant, plusieurs marques ou labels existent, comme « Ensemble, Solidaires du producteur au consommateur » de Biocoop (près d’un millier de références) ou encore « Bio. Local. Équitable. » lancé par la Fédération de l’agriculture biologique en 2020. D’après les contrôles réalisés par la DGCCRF en 2019-2020, la quasi-totalité des produits étiquetés « commerce équitable » sont conformes aux normes.

Alimentation bio : quels bénéfices pour la santé ?

Faisons maintenant un point sur le bio, afin de comprendre ce qui se cache réellement derrière ce label. Initiée dans les années 1920 par des penseurs et des agronomes, l’agriculture biologique a été reconnue par les pouvoirs publics français en 1981 à travers la certification « AB ». Quarante ans plus tard, de nombreuses questions continuent d’être posées : est-elle réellement bénéfique pour la santé ? Ne s’est-elle pas industrialisée, au détriment de son ambition initiale, et peut-on toujours lui faire confiance ? Les produits bio importés ont-ils un cahier des charges aussi exigeant que le label français ? Ayant passé des années à travailler sur les enjeux de l’agriculture et de l’alimentation, la réponse est pour moi sans ambiguïté : oui, la certification « AB » a fait ses preuves, et il est urgent de la soutenir.

 

La première raison qui motive les mangeurs et les mangeuses à acheter des produits bio, c’est leur santé. C’est une question sur laquelle les experts sont très prudents. D’une façon générale, il n’est pas possible de dire qu’un aliment bio est plus sain qu’un autre aliment simplement parce qu’il est bio. La définition d’un produit sain dépend en effet de beaucoup trop de critères, et de ce qui est comparé. Il serait par exemple inadapté de dire qu’un fruit produit avec des pesticides chimiques est moins bon pour la santé qu’un produit bio mais ultra-transformé, très gras et très salé… Ainsi, début 2023 les études n’étaient toujours pas en mesure de conclure avec certitude, c’est-à-dire avec un lien de causalité, que l’alimentation bio est meilleure pour la santé. Il est cependant possible de comparer, d’un point de vue scientifique, deux choses : ce que l’on trouve ou non au sein d’une même famille de produits bio et conventionnels, et comment se portent les personnes qui ont une alimentation majoritairement bio par rapport aux personnes qui n’en consomment pas, ou peu. Et en ce sens, les résultats sont très positifs. Je me suis basée sur deux études récentes pour établir les conclusions qui vont suivre. La première, parue en 2017, est une revue de l’ensemble des données existantes concernant les liens entre santé et alimentation bio. Elle a été réalisée par un consortium de chercheurs et de chercheuses du monde entier. La deuxième a été publiée fin 2021 par les auteurs du projet français BioNutrinet et s’appuie sur une cohorte de trente-cinq mille personnes. Elle étudie les liens entre la bio, la santé, l’environnement, les régimes alimentaires et leur coût.

 

Que nous apprennent ces études ? D’un point de vue de la composition nutritionnelle des aliments, il existe quelques différences mais qui restent mineures : les fruits et légumes bio ont une teneur en composés phénoliques légèrement plus élevée, et les céréales bio ont une teneur en cadmium légèrement plus basse. Les composés phénoliques jouent un rôle dans la prévention de maladies non-transmissibles comme les maladies cardiovasculaires, la dégénération neurologique et le cancer. Le cadmium est cancérigène, toxique pour le foie et déminéralise les os. De plus, les produits laitiers bio ont de meilleures teneurs en acides gras oméga-3, nécessaires au développement et au fonctionnement de la rétine, du cerveau et du système nerveux. En ce qui concerne la teneur en vitamines et autres minéraux, les revues scientifiques systématiques ne permettent pas de conclure à des teneurs significativement plus élevées pour les produits bio. Ainsi, il n’est pas possible d’affirmer, d’un point de vue rigoureusement scientifique et en se basant sur la seule composition nutritionnelle des produits, que le bio est, dans son ensemble, meilleur pour la santé.

 

Ce n’est pas là que l’important se joue ; regardons au-delà de la composition nutritionnelle des aliments. Le cahier des charges AB interdit tout recours aux pesticides et aux engrais de synthèse, ainsi qu’aux OGM. Elle interdit également le recours à certains produits de nettoyage et de désinfection des bâtiments agricoles où sont stockés les grains ou les animaux, ainsi qu’à de nombreux additifs, tels que l’aspartame. Au total, seulement cinquante-cinq additifs sont autorisés en bio contre plus de trois cents dans le conventionnel, et quatre seulement sont d’origine chimique. Cela ne signifie pas qu’un aliment bio est totalement exempt de ces produits : il peut exister des fraudes, des pollutions et des contaminations croisées, lors d’un contact avec des produits non bio au moment du transport ou du stockage par exemple. D’après les contrôles de la DGCCRF cependant, réalisés sur des milliers d’échantillons et dans toute la France, seulement 15 % des produits bio d’origine végétale présentent des résidus de pesticides détectables, contre la moitié des produits conventionnels de la même famille.

En 2022, l’UFC-Que Choisir a repris les quatorze mille échantillons contrôlés par la DGCCRF : parmi les pesticides détectés, pas moins de cent cinquante substances sont suspectées d’être cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques1 ou constituent des perturbateurs endocriniens. Par ailleurs, dans près d’un tiers des échantillons de fruits et légumes issus de l’agriculture « conventionnelle », il n’y a pas une mais deux substances à risque identifiées. Les aliments les plus contaminés sont les cerises, les céleris, les pamplemousses, les pêches-nectarines ainsi que les thés et les infusions. Une donnée non négligeable lorsque l’on sait que certains pesticides, lors d’une exposition prolongée ou du fait de l’effet cocktail des mélanges, posent de graves problèmes tels que des troubles du développement chez l’enfant, des troubles neurologiques ou du comportement (Parkinson, Alzheimer…), des troubles de la fertilité et de la reproduction ou encore certains cancers.

 

Le gouvernement et les industriels de la pétrochimie se défendent en rappelant que la majorité de ces résidus restent sous le seuil des limites maximales autorisées, ou « LMR ». C’est vrai. Sauf que d’une part, ces LMR ont été définies en se basant principalement sur les données des industriels eux-mêmes et, d’autre part, elles ne prennent pas en compte les potentiels mélanges ou croisements de différentes substances entre elles, à savoir ce que l’on appelle l’effet cocktail. Encore très peu étudié, cet effet cocktail peut être explosif en matière de perturbation endocrinienne, de cancérogénicité et de neurotoxicité.

 

L’alimentation bio permet donc de se prémunir au mieux de ces dangers pour la santé. Par ailleurs, on ne peut isoler la santé des humains, des animaux d’élevage et sauvages, et celle des écosystèmes : c’est ce que s’attache à démontrer le concept « One Health » (« une seule santé »). La menace de l’antibiorésistance en constitue une parfaite illustration.

L’agriculture bio : une réponse à l’antibiorésistance

Il est un sujet bien moins connu du grand public, qui a pourtant été déclaré comme étant « l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale, la sécurité alimentaire et le développement » par l’OMS en 2015 et que le ministère de la Santé définit également comme un enjeu grave de santé publique : la résistance des bactéries aux antibiotiques, ou antibiorésistance. Ce phénomène s’explique par la fameuse course aux armements de la sélection naturelle : dès l’invention des premiers antibiotiques dans la seconde moitié du XIXe siècle, des bactéries ont muté spontanément et sont ainsi devenues résistantes à certains d’entre eux. Le mécanisme d’amplification est simple : lorsqu’un corps est exposé à des antibiotiques, les bactéries qui y sont sensibles meurent et les quelques bactéries résistantes peuvent alors devenir majoritaires, rendant inefficace un traitement ultérieur. L’usage massif et déraisonné des antibiotiques pour la santé humaine et animale a ainsi accéléré largement ce phénomène dans le monde entier, Europe incluse, à tel point qu’aujourd’hui il concerne l’ensemble des bactéries pathogènes. Or, la recherche découvre de moins en moins de nouveaux antibiotiques et dorénavant, le rythme d’apparition de résistances dépasse celui des innovations. Certaines infections sont ainsi devenues impossibles à traiter. En France, en 2015, cent vingt-cinq mille infections à bactéries multirésistantes ont été déclarées et ont abouti au décès de plus de cinq mille cinq cents personnes. Au niveau mondial, entre sept cent mille et un million trois cent mille décès seraient attribuables à l’antibiorésistance chaque année. Si l’on continue sur cette voie, il se pourrait qu’en 2050 les maladies infectieuses (angine à staphylocoque par exemple, ou pneumonie bactérienne) redeviennent l’une des premières causes de mortalité dans le monde. Accessoirement, leur coût financier pourrait alors atteindre les cent mille milliards de dollars. En Europe, ce coût s’élève d’ores et déjà à un milliard et demi d’euros annuel. C’est d’ailleurs précisément pour toutes ces raisons qu’en 2020, une médecin du centre hospitalier de Nice a rejoint le groupe local de Greenpeace qui militait en faveur de plus de menus végétariens dans les cantines : elle n’arrivait plus à soigner certains de ses patients et en était venue à la conclusion qu’il fallait réduire notre consommation de viande industrielle.

En France, les deux tiers des antibiotiques sont destinés à la santé humaine, et le tiers restant à la santé vétérinaire. Du côté des animaux, les lapins, les chats, les chiens et les cochons sont les espèces les plus exposées. Chez les porcs, dont la viande est la principale chair consommée sur le territoire français, ces traitements servent majoritairement à traiter les maladies urogénitales des truies (infections urinaires, avortements…) et leurs infections dites systémiques (streptocoques, anorexies…). Pour les porcs en post-sevrage et en centre d’engraissement, ils sont destinés, en premier lieu, à soigner des maladies respiratoires et digestives. En santé humaine comme en santé animale, des programmes de diminution du recours aux antibiotiques ont été développés. Et si très peu de personnes aujourd’hui ont pris conscience de l’ampleur du problème, la plupart d’entre nous ont sans doute retenu dans un coin de leur tête la fameuse maxime « Les antibiotiques, ce n’est pas automatique ». Ces campagnes nationales de réduction de l’usage des antibiotiques ont fait effet : dans le secteur de l’élevage par exemple, l’Europe comme la France ont réduit les volumes utilisés de plus de 40 % entre 2011 et 2018-2020. Malgré les réels efforts entrepris, la France reste cependant, en 2021, le 5e pays européen le plus consommateur d’antibiotiques par habitant pour ce qui est de la consommation humaine, avec des taux supérieurs de 30 % à la moyenne, et le 3e pays européen le plus consommateur d’antibiotiques en santé vétérinaire (ramené au nombre d’animaux). Comble de la situation, nous en sommes venus à diffuser des bactéries résistantes dans tous les milieux. Les stations d’épuration urbaines, dont proviennent majoritairement les résidus des antibiotiques, les bactéries et les gènes de résistance, ont largement contaminé les eaux. À Paris par exemple, 30 à 50 % des bactéries rejetées dans les eaux usées s’avèrent résistantes. Les sols peuvent également devenir de véritables réservoirs de bactéries résistantes, du fait de l’épandage de boues d’épuration et d’effluents d’élevage pour les fertiliser.

 

Pourquoi tant d’antibiotiques en santé animale ? Comme chez les humains, ces traitements sont parfois utilisés pour soigner des maladies. Très souvent cependant, ils sont utilisés de manière prophylactique, c’est-à-dire pour prévenir une infection. Lorsqu’un animal est malade, l’éleveur peut décider d’administrer des antibiotiques à l’ensemble du troupeau ou des poissons pour empêcher que tous les individus ne tombent malades à leur tour. Dans de nombreux pays, comme en Amérique latine, les antibiotiques sont également utilisés pour favoriser la croissance des animaux – une pratique interdite par l’Union européenne depuis 2006. Interdiction d’usage ne signifie pas interdiction d’importation : il aura fallu attendre 2022 pour que la France proscrive l’importation de viande élevée avec des activateurs de croissance… pour une durée d’un an seulement. L’aquaculture marine et d’eau douce est également sous le feu des projecteurs dans de nombreux pays, comme en Écosse où des associations dénoncent l’usage trop important d’antibiotiques dans les élevages de saumons. Mais l’enjeu majeur pour ce secteur concerne avant tout les pays à faibles et moyens revenus, dans lesquels la demande en protéines animales ne cesse d’augmenter et où l’aquaculture est en forte croissance. Nombre de ces pays ont massivement recours aux antibiotiques pour combattre les maladies infectieuses. Or, les prévisions anticipent une augmentation de ces dernières du fait de la hausse des températures. Associée à l’industrialisation d’une partie de la production pour répondre à l’augmentation de la demande, cette hausse du recours aux antibiotiques pourrait contribuer à l’aggravation du phénomène d’antibiorésistance dans ces pays et réduire la productivité du secteur.

 

Vous l’aurez compris : la résistance aux antibiotiques constitue une menace au niveau mondial. Seuls une quarantaine de pays ont mis en place des plans de suivi du recours aux antibiotiques et leur usage global ne cesse d’augmenter, poussé par une consommation croissante de viande dans les pays émergents. L’agriculture bio, parce qu’elle restreint l’usage de ces médicaments, constitue une alternative majeure et contribue à préserver notre santé à toutes et tous. Quoique moins évident et surtout moins connu, cet argument est sans aucun doute, avec la réduction de l’exposition aux pesticides, un élément déterminant dans la nécessité de développer ce mode de production et d’alimentation.

Label bio français ou européen : quelles différences ?

On m’a souvent demandé si le label européen n’était pas moins exigeant que le label français AB. Qu’en est-il de la réalité ? Au sein de l’Union européenne, le premier règlement sur l’agriculture biologique est entré en vigueur en 1992, complété en 1999 par de nouvelles règles en matière d’élevage. En 2005, des débats tendus ont eu lieu autour de la proposition d’un nouveau règlement, en particulier autour de la question des OGM : les écologistes, français en particulier, refusaient toute trace d’organismes génétiquement modifiés. L’UE a finalement adopté la norme du conventionnel : au-delà du seuil de 0,9 % maximum d’OGM détectés, un produit perd son label bio. Adopté en 2007, le nouveau règlement rend caduques les standards nationaux et le label français AB, alors plus contraignant, doit s’aligner sur son pendant européen. Seuls certains produits continueront d’avoir un cahier des charges français, à savoir les lapins, les escargots, les cailles et les autruches, qui ne sont pas pris en compte dans le cahier des charges européen. Le logo associé, l’Eurofeuille, est obligatoire depuis le 1er juillet 2010 sur tous les produits alimentaires issus de l’agriculture biologique et fabriqués en Europe. L’apposition du label AB sur les produits français devient facultative.

 

En 2018, l’Union européenne publie un nouveau règlement. Là encore, ces différents points font l’objet de fortes tensions. Finalement, le cahier des charges retenu a vu certains de ses éléments améliorés, quand d’autres ont été au contraire affaiblis. Parmi les points positifs se trouvent la suppression sur cinq ans des accords qui permettent aux produits bio des pays tiers, aux exigences parfois moins strictes, d’obtenir une équivalence aux produits bio européens lorsqu’ils entrent sur le Vieux Continent, le durcissement des contrôles des produits bio importés, ainsi que l’autorisation de la commercialisation de semences paysannes. Ce dernier point est important car jusque-là, toute semence commercialisée devait être enregistrée dans un catalogue officiel dont les normes rendaient impossible l’inscription de semences paysannes, trop hétérogènes et trop instables au regard de ces normes faites pour répondre aux besoins standardisés de l’industrie agroalimentaire. Désormais, les semences paysannes, dès lors qu’elles sont produites selon les règles de l’agriculture biologique, n’ont plus besoin de passer par l’inscription à ce catalogue officiel pour être commercialisées. Parmi les points négatifs du nouveau règlement se trouvent l’espacement des contrôles de conformité dans le cas où trois visites annuelles consécutives n’auraient pas révélé de problème, l’autorisation de certains pesticides et l’absence de limite de taille des élevages.

 

Enfin, même si du point de vue français certaines évolutions sont critiquables, il ne faut pas oublier que cette harmonisation des cahiers des charges a permis de limiter les distorsions de concurrence entre pays (et donc de ne pas aggraver la pression économique sur les agriculteurs bio français en leur imposant des règles plus contraignantes que celles en vigueur dans les autres pays), et de tirer vers le haut les standards en vigueur de l’ensemble des pays de l’Union européenne et de pays tiers exportateurs moins-disants.

« Le local, c’est l’idéal » : un mythe à tempérer

Le local a le vent en poupe. En même temps que le souverainisme monte et que le gouvernement entreprend des grands plans de relocalisation de l’économie, porté par un contexte de crise sanitaire et d’inquiétudes sur les approvisionnements extérieurs, l’amour des Français et des Françaises pour les produits nationaux, locaux ainsi que pour les circuits courts se renforce. C’est particulièrement vrai depuis le début de la pandémie de Covid : les mangeurs et les mangeuses choisissent de plus en plus les commerces de proximité pour faire leurs courses. Dans les enseignes de distribution classique, parmi les mentions apposées sur les produits alimentaires, celle de l’origine est la plus fréquemment regardée.

De nos jours, il n’existe pas de définition officielle d’un produit local. Souvent, les consommateurs apprécient un produit local parce qu’ils l’associent à du circuit court, à un lien direct avec le producteur, aux spécificités d’un terroir ou à une meilleure qualité générale des produits. Or, un produit peut être issu d’un circuit court, c’est-à-dire issu d’une chaîne de production incluant très peu d’intermédiaires, mais être importé de l’autre bout du monde. Par ailleurs, un aliment produit localement ne dit rien sur le mode ou le type de production : une usine de Coca-Cola implantée dans la ville d’à côté produit des sodas locaux, et une porcherie industrielle installée aux abords du village voisin importe du soja OGM qui a potentiellement contribué à la déforestation des savanes arborées brésiliennes et à l’expulsion de communautés indigènes tout en produisant de la « viande locale ».

Alors faisons le point : en quoi acheter le plus possible local est-il essentiel ? Les transports de marchandises et les transports des ménages dédiés à l’alimentation représentent 19 % de l’empreinte carbone totale de l’alimentation des personnes habitant en France (chiffre 2022). Ce sont surtout les transports routiers qui pèsent dans la balance (plus que le transport par bateau, peu émetteur de gaz à effet de serre, et l’avion, très émetteur de GES mais représentant une très faible part du trafic). Réduire les distances entre les lieux de production et les lieux de consommation fait donc partie des leviers majeurs à actionner pour limiter le dérèglement climatique.

Contrairement à de nombreuses croyances cependant, et malgré le poids des transports dans les émissions de gaz à effet de serre, acheter local n’est pas le levier le plus efficace pour réduire l’impact de son alimentation sur les équilibres du monde. D’un point de vue climatique, les deux tiers des émissions proviennent en réalité de la phase de production agricole. Concrètement, le gaz qui pèse le plus dans le bilan total des émissions de notre alimentation est le méthane ou CH4 (29 %), issu de la fermentation entérique des ruminants (leurs rots, en somme) et des effluents d’élevages (fumiers et lisiers). Le deuxième gaz qui pèse le plus est le protoxyde d’azote, ou N2O (23 % du bilan carbone total), qui provient en grande majorité de la fabrication et de l’usage d’engrais azotés. En résumé, ce qui compte le plus n’est pas tant a été produite la nourriture (à quelle distance) mais comment elle a été produite (avec ou sans engrais de synthèse, avec ou sans système herbager…), et quels types de produits la composent (la production de viande émettra toujours plus de méthane que celle de haricots). Aux États-Unis, une étude réalisée en 2008 a ainsi montré que remplacer la viande rouge et les produits laitiers par des sources de protéines végétales un jour par semaine réduirait davantage les émissions de gaz à effet de serre que d’acheter toute sa nourriture localement.

Le local ne répond donc pas, à lui seul du moins, à l’enjeu climatique auquel notre société fait face. Par ailleurs, et contrairement à une autre croyance très répandue, la vente directe ou en circuit court de proximité n’est pas non plus synonyme d’une meilleure marge systématique pour les producteurs et les productrices. En 2018, le taux de marge moyen des fermes qui ont écoulé la majeure partie de leurs produits en vente directe était de 35 %, contre un taux de marge moyen de 34 % pour les exploitations qui ne commercialisent pas du tout en vente directe. En fait, les situations varient fortement d’une ferme à une autre et il n’est pas possible d’établir une tendance générale en termes de performance économique. L’une des raisons tiendrait de la difficulté, pour certains paysans qui manqueraient de formation sur le sujet, à définir des prix de vente suffisants pour être rentables.

Localisme populiste vs localisme cosmopolite

Si Marine Le Pen promeut les produits français ou locaux, ce n’est pas pour rien. Les chercheurs Nicolas Bricas et Damien Conaré l’ont parfaitement décrit dans leur ouvrage Une écologie de l’alimentation paru en 2021 : « Le local possède également une face sombre, marquée par une dimension identitaire, de repli sur soi et de rejet de l’altérité, où il s’agit de flatter spécificités et authenticités. Un discours assez répandu, repris par les partis d’extrême droite, promeut un “localisme” dans une version défensive, traditionaliste et étriquée. »

Aux élans nationalistes du localisme, les chercheurs opposent la notion de localisme cosmopolite, qui nous invite à penser nos territoires comme des lieux de subsistance interconnectés et solidaires, dans une forme hybride qui tisse les liens entre ancrage territorial et ouverture transnationale.

Le local ne dit rien non plus sur la biodiversité, la qualité des eaux, des sols et de l’air, le bien-être animal, la santé humaine et le respect des droits humains tout au long de la chaîne de production. Si demain notre nourriture est entièrement locale, ou même française, mais que l’eau des rivières se tarit, qu’il n’y a plus assez de pollinisateurs pour faire fleurir nos champs et nos vergers, que les taux de cancers des travailleurs agricoles et des mangeurs grimpent en même temps que les événements climatiques extrêmes se multiplient, qu’aurons-nous gagné ?

Il n’est pas question d’abandonner la vente directe et les circuits courts de proximité pour autant : ils permettent de recréer du lien entre mangeurs et producteurs ou commerçants – du moment que l’on saisit l’occasion pour échanger. Le lien social constitue un enjeu souvent passé sous silence mais de taille : il est à la base de la solidarité, et donc de la résilience des territoires. D’après certains producteurs que j’ai rencontrés, savoir ce qu’ils vendent et à qui est également une grande source de motivation et de fierté. De plus en plus de travaux de recherche ont mis en avant une meilleure résilience des fermes concernées par la vente directe et les circuits-courts de proximité face aux aléas du marché, du fait de l’amélioration de la diversification de leurs débouchés, d’une sécurisation de leur trésorerie et d’une réduction de la volatilité des prix et des quantités généralement observées dans les chaînes longues de commercialisation. Or, aujourd’hui plus qu’hier, et très certainement demain plus encore qu’aujourd’hui, la résilience constitue l’un des facteurs clés de la viabilité des exploitations agricoles sur le long terme, et donc de la résilience des territoires face aux chocs géopolitiques et climatiques. Dans un contexte où le nombre de crises ne va pas aller en se réduisant, cela revêt toute son importance.

Fraudes et abus sur les produits « locaux »

Août 2016. Dans le cadre d’une campagne de Greenpeace France visant à convaincre les enseignes de la grande distribution de soutenir les producteurs dans la réduction de l’usage des pesticides, nous menons, avec une petite équipe de militants et de militantes, une action d’interpellation dans le village natal de Michel-Édouard Leclerc, à Landerneau en Bretagne. Nous placardons pendant la nuit plus de trois cents affiches « Michel-Édouard Leclerc, faut qu’on parle ! » pour forcer le géant de la grande distribution à sortir de son silence sur le sujet des pesticides. Cette opération fait suite à plusieurs actions coup de poing sur des supermarchés de l’enseigne. Le soir même de l’action, Michel-Édouard Leclerc publie un billet de blog sur son site personnel : après deux années de silence, il est enfin prêt à ouvrir le dialogue. Deux mois plus tard, nous échangeons dans son bureau avec son équipe, le directeur général et le directeur des programmes de Greenpeace France. Il évoque alors les Alliances locales, qui sont des stands où des producteurs et des productrices viennent vendre leurs fruits et légumes en direct, à l’intérieur même des supermarchés : « Entre nous, avoue-t-il, il n’y a aucun critère de qualité sur ces ventes concernant l’usage de pesticides : le client achète parce que c’est local et c’est tout. » Tout est dit…

 

Les acteurs de l’agro-industrie ont bien compris l’intérêt, pour eux, de faire valoir des produits français ou locaux. Ils ont développé de nombreuses techniques pour jouer sur l’attachement culturel des Français et des Françaises à leur pays et à leurs terroirs. Tout comme les enseignes de la grande distribution, les filières viandes et œufs misent également sur cet attachement des mangeurs et des mangeuses aux produits de leur pays. Elles ont ainsi créé des « signatures » pour marquer l’origine et la traçabilité des viandes françaises : « Le porc français », « Lapin de France », « Œufs de France », « Foie gras de France »… Sur le site internet associé, il est écrit que ce logo « garantit également un mode de production respectueux de l’environnement, du bien-être animal et d’animaux nourris grâce à une alimentation saine et durable ». Sauf que lorsque l’on visite ensuite, au hasard, le site d’Inaporc, l’interprofession de la filière porcine, il est simplement fait référence aux réglementations européennes et françaises qui seraient « parmi les plus avancées du monde » (sic). La Cooperl, gigantesque coopérative et leader français de la production porcine au chiffre d’affaires annuel de plusieurs milliards d’euros, a elle-même reconnu que le standard « Le porc français » était vide. Cela n’empêche pas Inaporc de s’en servir pour communiquer massivement : l’interprofession a en effet réalisé en 2021 une campagne de communication qui a touché trente-deux millions de contacts et atteint sept millions de vues pour les vidéos. D’après ses propres tests, la campagne incite à consommer des produits portant le logo Le porc français pour 80 % des personnes interrogées.

En plus de ces pratiques tout à fait légales, les contrôles de la DGCCRF effectués ces dernières années sur les ventes de fruits et légumes ont permis de mettre en avant plus de 40 % de fraudes, le plus souvent dues à des négligences mais parfois aussi intentionnelles. Parmi les éléments clés relevés figure l’abus de mentions valorisantes telles que « circuit court », « produit local » ou encore la francisation de produits en réalité importés. Différents producteurs, hypermarchés mais aussi plusieurs drives ont été sanctionnés en raison de mentions d’origine fausses. En 2018, les manquements et les tromperies sur l’origine des produits ont constitué 45 % des non-conformités. Dans les Bouches-du-Rhône, un négociant a par exemple francisé près de vingt tonnes d’asperges provenant du Pérou et de Grèce, réalisant un bénéfice supplémentaire de plus de quarante mille euros. Les amendes prononcées par les tribunaux sont elles aussi de plusieurs dizaines de milliers d’euros.

Quelle formule gagnante pour la santé et la planète ?

Il est difficile de prouver les effets bénéfiques d’une alimentation bio ou d’une alimentation végétale de façon isolée. C’est difficile car en fait, les consommateurs de bio ont des modes de vie globalement plus sains que la moyenne. Ainsi, les chercheurs de NutriNet-Santé ont montré une association (et non un lien de causalité) entre la consommation régulière de bio et des risques réduits d’obésité, de diabète de type 2, de cancer du sein post-ménopausal et de lymphome. Les scientifiques parlent d’association et non de causalité car il n’est pas exclu que la bonne santé des mangeurs bio provienne d’autres raisons que le bio, comme un meilleur niveau de vie avec plus d’accès aux soins, ou encore une plus grande attention que la moyenne à avoir une alimentation équilibrée. La conclusion principale qu’ils tirent de leurs études est que la consommation de bio est réellement meilleure pour la planète et pour la santé lorsqu’elle est associée à un changement de régime vers plus de végétal.

 

Or, en 2022, du fait de l’inflation et parfois d’une défiance envers les labels, le nombre de personnes qui achètent du bio a chuté. Plus précisément, la tendance s’est polarisée : les acheteurs habituels de bio ont renforcé leur consommation, tandis que le nombre de personnes qui n’en consomment jamais s’est accru. Les mangeurs ont en revanche augmenté la part de produits locaux dans leur panier. Le hic, c’est que comme nous l’avons vu précédemment, un produit uniquement local ne veut pas dire grand-chose. Tout comme l’importation d’un produit bio d’un pays tiers, même s’il y a des chances qu’il soit mieux-disant du point de vue environnemental qu’un produit local conventionnel, accroît la pression économique sur les agriculteurs bio français. Dans le secteur agricole, la pression monte face au désamour circonstanciel des mangeurs et des mangeuses pour le bio : non seulement les familles en achètent moins, mais du fait de la pandémie une forte chute des achats s’est fait également ressentir en restauration collective. Pour l’instant, les conversions des producteurs en bio se poursuivent : la France a compté une hausse de plus de 9 % des surfaces engagées en bio en 2021 et de 20 % en conversion. Près de soixante mille fermes étaient alors bio ou en passe de le devenir, ce qui représente plus d’une ferme sur dix. Des données encourageantes mais que l’Agence bio surveille comme du lait sur le feu : depuis la pandémie, plusieurs industriels ont en effet retourné leur veste et demandé à leurs producteurs sous contrat d’annuler leur conversion au bio.

 

Enfin, il est important de se rappeler que les prix dépendent des marchés et des accords commerciaux passés entre les pays. En 2022, la conjoncture économique a par exemple été très favorable au lait conventionnel : baisse de la production au niveau mondial, demande soutenue de la Chine… Cela a généré une augmentation du prix du lait français conventionnel, tandis que celui du bio était affaibli par la baisse des achats des Français. Résultat : pendant plusieurs mois, leurs prix se sont rejoints et le lait bio a été acheté aux producteurs moins cher que le lait conventionnel. Si cette situation perdure, de nombreux éleveurs bio pourraient retourner au conventionnel. Dans les années à venir, le soutien à la production et la consommation de produits bio va donc être cruciale pour continuer de développer une agriculture et une alimentation saines et écologiques.

Merci mais le bio, c’est pour les riches !

C’est un fait : la plupart des produits bio coûtent plus cher à la vente que leurs équivalents non bio. D’après une étude de l’UFC-Que Choisir menée en 2017, un panier de fruits et légumes bio coûte 79 % plus cher que son équivalent en produits non bio dans les supermarchés. Un chiffre qui rejoint celui de Linéaires, qui se définit comme le spécialiste des produits frais et de l’épicerie et qui a évalué à 75 % en moyenne le surcoût en bio sur plus de deux cents familles de produits alimentaires.

Cette différence de prix rend prohibitif le passage d’un panier classique à un panier composé de produits bio… sauf si on diminue la part de ce qui coûte cher et que l’on surconsomme (viandes ou produits transformés par exemple) et que l’on augmente ce qui coûte moins cher et qui mérite d’être revu à la hausse, comme la part de légumineuses, très abordables et excellentes pour la santé. C’est en partant de ce principe que le WWF et ECO2 Initiative ont évalué, à budget constant, la marge de manœuvre d’évolution du panier hebdomadaire d’une famille pour le rendre plus durable. En réduisant les viandes de bœuf et de veau, les poissons sauvages et les produits laitiers (d’un gros tiers), les produits industriels gras et sucrés (d’au moins deux tiers), et en doublant la part des céréales complètes, des légumes et des légumineuses, ils ont montré qu’il était possible d’avoir un panier équilibré dans lequel 100 % des fruits et légumes, céréales, légumineuses, racines, tubercules, œufs et produits laitiers sont labellisés bio, tout comme la totalité de la viande de porc ainsi que le quart des fromages. Ce panier permet de réduire de plus d’un tiers les émissions de gaz à effet de serre de son alimentation tout en ayant des produits de Nutri-Score A, le tout pour un budget moyen de 190 euros par semaine pour une famille de quatre personnes.

Cela étant dit, cela ne signifie pas qu’il est facile d’effectuer ces changements et, quoi qu’il en soit, pour de nombreuses familles le budget de cent quatre-vingt-dix euros par semaine reste inaccessible. Pour répondre à cela, plusieurs possibilités : augmenter le pouvoir d’achat des familles, ou réduire le coût des aliments. Nous reviendrons dans le troisième chapitre de ce livre sur la première option. Concernant la deuxième option – la baisse des coûts –, il est intéressant de comprendre d’où vient le surcoût inhérent à une partie de l’alimentation bio. La première raison qui explique cela, c’est que l’agriculture bio nécessite plus de travail, par exemple pour désherber les cultures mécaniquement, sans produit chimique, et qu’elle présente des rendements souvent plus faibles. Ce surcoût, il est essentiel que le prix l’intègre, afin de ne pas le faire reposer sur l’agriculteur dans un contexte de libre-échange qui n’est absolument pas viable économiquement.

Mais il existe une deuxième raison à ce surcoût : les marges exubérantes de certains distributeurs. Dans son enquête de 2017, l’UFC-Que Choisir a montré que les marges réalisées par les enseignes de la grande distribution sur les produits bio sont, en moyenne, de 75 % supérieures à celles des produits conventionnels. Les marges les plus importantes concernent les aliments les plus plébiscités comme la tomate, la pomme, la pomme de terre et le poireau. Or, soyons clairs : mettre un poireau bio en rayon ne coûte pas plus cher que d’y mettre un poireau non bio. Les enseignes se sont bien sûr défendues de faire plus de marge : selon elles, ce sont les mêmes entre le bio et le non-bio. Et c’est vrai, lorsque l’on considère le pourcentage appliqué sur les produits. Sauf que comme un produit bio est en général plus cher qu’un produit conventionnel, ce pourcentage aboutit, de fait, à une plus grande marge brute. D’après l’association, la grande distribution capte ainsi 41 % du surcoût du bio. Elle invite donc les responsables politiques à encadrer ces pratiques et les mangeurs à préférer les magasins spécialisés, qui sont plus chers en moyenne que les supermarchés si l’on considère l’ensemble des produits bio mais environ 20 % moins chers pour ce qui est des fruits et légumes.

Quels labels pour les poissons et fruits de mer ?

Arrêtons-nous maintenant sur le poisson et les fruits de mer. À quels labels se fier en matière de durabilité de ces produits ? La réponse est simple : à peu près aucune certification n’est en mesure de garantir la durabilité de la capture de poissons et de produits de la mer. Entrons cependant dans le détail des démarches existantes. Comme l’explique l’association BLOOM, ces dernières années de nombreux logos indiquant des produits « durables » sont apparus sur les produits de la mer vendus en France, créés soit par des marques (« Qualité responsable » de Saupiquet ; « Respect des Ressources marines pour un approvisionnement responsable » de Findus), soit par des distributeurs (« Pêche côtière » de Monoprix ; « Pêche responsable » d’Intermarché), soit par l’industrie elle-même (« Pavillon France » de France Filière Pêche). Ces indications ne sont pas associées à de véritables cahiers des charges, les critères employés sont peu consistants et n’intègrent que très peu les enjeux socio-économiques de l’ensemble de la chaîne de production, et enfin la transparence sur leur fonctionnement est très faible.

Parmi toutes les initiatives existantes, le label le plus connu en France et au niveau international est très certainement le Marine Stewardship Council, ou MSC. Ce label a été créé en 1997 par le WWF, en collaboration avec le géant de l’agroalimentaire Unilever. Faute d’un label mieux-disant et capable de fournir de gros volumes, c’est celui que l’on retrouve le plus souvent en restauration collective et scolaire en particulier. Le hic : d’après une vaste étude publiée par l’association BLOOM en collaboration avec des universitaires en 2020, 83 % des volumes certifiés par le MSC entre 2009 et 2017 correspondent en réalité à des pratiques de pêche industrielle à fort impact. Le manque de fiabilité du MSC est telle que le WWF lui-même, pourtant à l’origine du label, incite les consommateurs à se détourner de certains produits labellisés MSC. Il existe d’autres initiatives internationales pour les produits de la mer, telles que l’Aquaculture Stewardship Council (ASC) et Friends of the Sea. Au niveau français, il existe également le label public Pêche durable. Lancé en 2017, il ne certifie cependant que très peu de pêcheries et d’acteurs du secteur et reste encore peu connu du grand public. Aucun de ces labels n’est en mesure de garantir la durabilité des pêches pour des volumes et des espèces correspondant à l’appétit des Français et des Françaises.

 

Qu’en est-il des produits issus de l’aquaculture ? Ces derniers représentent le tiers des produits de la mer consommés en France (poissons, coquillages et crustacés). Les espèces les plus consommées sont l’huître, la moule, la coquille Saint-Jacques, la crevette, le saumon et la truite et, dans une moindre mesure, le bar et la daurade. En France, moins de 3 % des huîtres et des moules sont sous signe de qualité ou sous marque privée et 5 % seulement des salmonidés (saumons, truites…) sont bio. Or, le cahier des charges AB présente des atouts indéniables par rapport au conventionnel. Les antibiotiques et les OGM sont interdits, et les élevages sont plus extensifs : pour les truites par exemple, la densité maximale autorisée correspond au quart de la densité acceptée en conventionnel.

Enfin, les poissons sauvages accumulent dans leurs graisses les métaux lourds présents dans les océans et ce, tout au long de ce que l’on appelle la chaîne trophique : cela signifie que les plus gros prédateurs, tels que les thons et les requins, accumulent les métaux que leurs proies avaient elles-mêmes accumulés. L’étude nationale française de santé publique Esteban 2014-2016, parue en 2019, a montré que la totalité des adultes et des enfants ayant participé à l’étude sont contaminés aux métaux lourds. Les valeurs de référence établies par les autorités sanitaires sont dépassées pour le mercure, le plomb, l’arsenic et le cadmium. Pour ce dernier, c’est même plus de la moitié de la population étudiée qui dépasse le seuil de référence. Or, certains de ces métaux lourds sont classés cancérogènes avérés par le Centre international de recherche sur le cancer…

Les poissons et les fruits de mer contenant également des oméga-3, essentiels au bon fonctionnement de l’organisme, les autorités de santé ne recommandent pas d’arrêter d’en manger mais d’en limiter la consommation à deux fois par semaine, en alternant poissons maigres et poissons gras (les poissons gras comme le saumon, la truite et le thon accumulant plus facilement les métaux lourds). D’un point de vue environnemental cependant, deux fois par semaine constitue une fréquence très élevée. Sur l’année, une consommation dite durable est de huit kilos par personne au total (contre plus de trente aujourd’hui). Pour limiter les impacts sur les populations de poissons et sur les écosystèmes marins, il est également recommandé de diversifier les espèces consommées, d’éviter le saumon et les crevettes d’élevage et de prêter attention aux méthodes de pêche (préférer la ligne et les casiers que le chalutage, par exemple). Sur ce dernier point, le site internet de BLOOM regorge d’informations.

Illustration 4. S’y retrouver dans la jungle des labels.